• il y a 9 mois
Sabine Thillaye, députée Démocrate d'Indre-et-Loire.

L'Europe et la réconciliation franco-allemande ont rendu possible son parcours: Sabine Thillaye est née allemande, mais elle a fait sa vie en France, jusqu'à s'engager en politique et devenir députée française. Sa double culture marque profondément son engagement sous les couleurs du Modem.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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Transcription
00:00 -C'est une députée comme les autres,
00:02 mais avec une pointe d'accent allemand quand elle parle,
00:05 rien de plus normal, puisque mon invité est franco-allemande,
00:08 avec une double culture qui marque profondément
00:11 son engagement politique sous les couleurs du modem.
00:14 Musique de tension
00:16 ...
00:27 -Bonjour, Sabine Thillet. -Bonjour.
00:30 -On apprend l'histoire dans l'Emmanuel scolaire,
00:32 mais on l'éprouve dans sa propre vie.
00:35 Vous-même, vous êtes députée depuis 2017,
00:37 vous siégez aujourd'hui au sein du groupe Modem,
00:40 mais vous ne seriez peut-être pas devenue députée
00:43 si le général de Gaulle et Konrad Adenauer
00:45 n'avaient pas signé le traité de l'Elysée
00:48 le 22 janvier 1963.
00:50 -Je ne peux pas m'empêcher de parler des 60 ans
00:54 du traité de l'Elysée. Pour moi, toujours un miracle,
00:57 cette association franco-allemande,
00:59 et un miracle, après 40 ans en France,
01:02 je suis arrivée il y a 40 ans, si vous me le permettez,
01:05 sans parler français, de pouvoir être aujourd'hui ici
01:09 et de prendre la parole sans que ça pose plus de problèmes que ça.
01:14 Et ça, je mesure dans ma vie le chemin parcouru.
01:19 -Vous dites que représenter les Français
01:21 quand on est né allemand, ça ne pose pas plus de problèmes que ça.
01:25 C'est comme ça que ça se passe pour vous ?
01:27 Personne ne vous a jamais fait sentir
01:29 qu'avec cette action allemande, vous n'étiez pas française ?
01:32 -Non, je ne l'ai jamais ressenti, et ça m'étonne tous les jours,
01:36 surtout dans ma circonscription,
01:38 qui est en grand parti aussi une circonscription rurale.
01:43 Et c'est vrai que ma maman, qui vit encore en Allemagne,
01:47 quand je me suis portée candidate en 2017,
01:50 elle m'a dit "Ma fille, tu veux vraiment te présenter
01:54 "en tant que franco-allemande ?"
01:57 Je dis "Oui, c'est la réalité de ma vie,
02:00 "je vis en France-Allemagne."
02:01 Elle, ça lui a fait très peur, elle a 95 ans aujourd'hui,
02:05 donc l'histoire, elle était encore très présente.
02:08 -Vous êtes arrivée en France au début des années 80,
02:11 vous vous êtes mariée à un Français très rapidement après.
02:14 Comment vos familles l'ont pris ? Ca s'est bien passé ?
02:17 -Ca s'est bien passé, mais personne n'a vraiment sauté en l'air
02:21 en disant "C'est génial, c'est extraordinaire".
02:24 Donc, ma belle-famille, bon, mes parents aussi,
02:27 "T'es sûre ?" Moi, à l'époque, je dis "Bien sûr,
02:30 "on est tous européens, y a aucun problème."
02:33 Et c'était plutôt dû aux expériences
02:36 de la Première Guerre mondiale,
02:38 pas de la deuxième, parce que dans ma famille,
02:41 mon grand-père, il a perdu un frère à Verdun,
02:46 et dans ma belle-famille, c'était la même chose.
02:49 -C'était encore présent dans la mémoire familiale.
02:52 -C'était resté très ancré dans la mémoire familiale, oui.
02:56 -Vous êtes devenue française bien plus tard, en 2014.
02:59 Aujourd'hui, vous assumez votre double culture franco-allemande.
03:03 Si on applique ça à la politique, ça donne quoi ?
03:06 Comment s'exprime la part allemande qui est en vous
03:09 quand vous faites de la politique ?
03:11 -C'est pas une question facile,
03:13 mais je le sens très bien.
03:15 Par exemple, je suis encore marquée, bien sûr,
03:18 par ma culture allemande, et parfois, ça m'étonne
03:21 comment les premiers 24 ans de votre vie vous marquent,
03:24 et donc, il y a certains réflexes, parfois,
03:26 qui sont allemands.
03:28 Mais maintenant, je ne suis plus une Allemande à 100 %,
03:31 je suis très française en même temps.
03:33 -Je vois votre regard sur les institutions françaises,
03:36 sur la vie politique française, vous appelez à plus de pragmatisme,
03:40 vous dénoncez un Parlement trop faible,
03:42 vous dites qu'il faut moins légiférer,
03:45 davantage évaluer l'impact des lois,
03:47 on pourrait être plus efficace et plus rapide,
03:50 mais on s'inspire du Parlement allemand
03:52 qui siège 23 semaines par an. -Tout à fait.
03:54 -C'est très allemand, tout ça.
03:56 Vous dites que vous n'êtes plus allemande, mais quand même.
03:59 -Non, mais en même temps, ça dépend.
04:01 En France, on a un Etat central avec un exécutif très fort,
04:05 donc aussi avec une réactivité, par exemple, face aux crises,
04:08 qui peut être, suivant la situation,
04:11 plus pertinent, plus efficace.
04:15 D'un autre côté, un Etat fédéral,
04:17 avec des échelons décisionnels différents,
04:20 qui demande plus de temps,
04:21 parce que les Allemands aiment la stabilité,
04:24 le Français aime plus prendre des risques,
04:27 mais les deux, suivant une situation,
04:29 peuvent être plus adaptés.
04:31 -Cette culture du compromis qu'on évoque souvent en Allemagne,
04:35 vous trouvez que ça fait défaut en France ?
04:37 -Oui, c'est vrai,
04:38 car le mot "compromis" est chargé de négativité en France.
04:41 Ca veut dire "tout le monde a perdu".
04:44 Or, on peut aussi dire "tout le monde a gagné",
04:47 et je suis, d'une certaine manière, aussi centriste dans l'âme,
04:51 j'ai envie de dire, et quand vous avez cette position,
04:54 où vous essayez de prendre en compte
04:56 toutes les approches sur une question,
05:01 c'est très difficile, aujourd'hui.
05:03 Ca demande un vrai courage politique,
05:05 car quand vous êtes positionnée dans les extrêmes,
05:08 c'est très facile de défendre qu'une position.
05:11 -Inversement, qu'est-ce qui a de plus français en vous
05:15 dans votre façon de faire de la politique ?
05:17 -De prendre des risques, aussi.
05:19 Oui, je trouve, de m'exprimer, peut-être,
05:23 sans forcément regarder exactement tous les détails.
05:28 Vous savez, un Allemand, comme je dis,
05:31 il aime bien la stabilité.
05:32 S'il part de A, il veut aller à Z,
05:34 il va vraiment examiner toutes les étapes...
05:37 -Vous avez appris à prendre votre risque,
05:40 comme dirait Emmanuel Macron. -Oui, pour exclure le risque.
05:44 Justement, en 2017, quand je me suis présentée,
05:46 je pris un grand risque.
05:48 -Et ça, c'est français. -C'est français.
05:50 -Votre premier engagement politique,
05:52 il n'a pas été aux côtés d'Emmanuel Macron,
05:55 ça remonte à 2014, au sein du mouvement Nous Citoyens,
05:58 créé par un entrepreneur, Denis Paire.
06:01 Vous avez été tête de liste aux Européennes
06:03 dans votre région en 2014.
06:05 Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce mouvement ?
06:08 -D'abord, le positionnement pro-européen,
06:11 mais aussi le positionnement pro-entreprise.
06:13 -Vous étiez chef d'entreprise avec votre mari.
06:16 -Tout à fait. On avait une entreprise,
06:18 une petite entreprise, et moi, ça faisait partie
06:21 de mes chocs culturels, quand je suis arrivée en France,
06:24 de me dire "Pourquoi le monde d'entreprise
06:27 "est si peu considéré en France ?"
06:29 Heureusement, ça a changé,
06:31 parce que c'est quand même les entrepreneurs,
06:33 c'est l'économie qui fait marcher un pays,
06:36 et donc, là, c'était la première fois aussi
06:38 que j'entendais, laissant de côté une idéologie,
06:41 la question "Est-ce qu'on peut être efficace
06:44 "au profit de tous ?" -Quand Emmanuel Macron
06:46 s'est lancé et a lancé En marche en vue de la présidentielle,
06:50 vous dites que ça a parlé à votre coeur allemand.
06:53 Ca lui a dit quoi ?
06:54 -C'est en même temps.
06:55 Ca veut dire... -Le "en même temps".
06:57 -Le "en même temps" et de sortir d'une forme d'idéologie.
07:01 Il y a des choses qui sont bien à gauche,
07:03 des choses qui sont bien à droite,
07:05 et surtout le positionnement, évidemment, pro-européen.
07:08 J'avais très longtemps été présidente d'association,
07:12 donc vous prenez votre téléphone et vous prononcez le mot "Europe",
07:15 ce n'était pas évident.
07:16 Là, un candidat n'avait pas l'Europe honteuse.
07:19 -En marche, vous avez investi
07:21 au législatif dans la cinquième circonscription d'Indre-et-Loire.
07:24 Vous avez revendiqué ne pas être une pro de la politique
07:28 avec cette idée qu'en venant de la société civile,
07:30 on allait faire de la politique autrement.
07:33 Et quatre ans après, vous avez admis
07:35 qu'il faut de l'expérience pour peser en politique.
07:38 Est-ce que votre regard a évolué sur ce sujet,
07:41 vous n'étiez pas responsable politique ?
07:43 -Tout à fait, mon regard a évolué,
07:45 parce qu'en fait, il faut les deux.
07:47 Il faut un nouveau souffle et il faut de l'expérience.
07:50 On était peut-être, à l'époque, trop nombreux
07:53 d'être nouveau en politique,
07:57 et ça aurait été bien, peut-être, parfois,
08:00 d'être guidé un peu.
08:01 Bien sûr, on voulait faire la politique autrement.
08:04 Il y a quelque chose que, moi, personnellement,
08:07 j'ai beaucoup sous-estimé.
08:09 Je pensais qu'il était hyper important
08:11 de travailler les dossiers, d'avoir des idées,
08:13 de faire avancer ça, mais il faut aussi faire de la politique.
08:17 Il faut créer un réseau,
08:19 et faire de la politique, ça ne s'improvise pas comme ça.
08:22 Je me suis longtemps posée la question
08:24 de ce que ça veut dire, faire de la politique,
08:27 sans tomber dans les anciens travers.
08:29 -Sans surprise, l'Europe et la relation franco-allemande
08:32 ont été au coeur de votre premier mandat.
08:34 Vous avez présidé le bureau de la première assemblée
08:38 européenne, mais vous êtes surtout fait connaître
08:40 comme présidente de la Commission des affaires européennes.
08:44 C'est pas forcément la commission la plus connue,
08:46 la plus prestigieuse, on va dire, à l'Assemblée nationale.
08:50 D'ailleurs, elle n'a pas le statut de commission.
08:52 Ca peut donner l'impression qu'en France,
08:55 ces questions européennes passent après tout le reste.
08:58 -Elle a le statut de commission. -Mais pas permanente.
09:01 -Ce n'est plus une délégation, mais elle est semi-permanente.
09:04 Donc, elle est un peu entre les deux.
09:07 Elle n'a pas les mêmes prérogatives que les commissions permanentes.
09:10 -Ca a une signification politique ? -C'était toujours ma bataille.
09:14 Cette commission devrait être permanente.
09:16 Au niveau européen, par exemple, en Finlande,
09:19 c'est la commission la plus importante.
09:21 -Elle détermine la politique européenne.
09:23 -Elle s'appelle la Grande Commission et elle mandate
09:26 le Premier ministre, ceux qui la défendent au Conseil.
09:29 -En 2017, la majorité s'était engagée à renouveler
09:32 tous les présidents de commission à mi-mandat.
09:35 En 2019, quand la question s'est posée,
09:37 vous avez refusé de céder votre place,
09:40 sous prétexte que votre commission n'en était pas officiellement une.
09:44 Vous êtes donc restée présidente jusqu'en 2022,
09:46 mais ça vous a valu d'être exclue du groupe En Marche à l'Assemblée.
09:50 -C'était pas tout à fait ça.
09:53 C'était le groupe politique et ça n'a pas été annoncé
09:56 à l'époque lors des élections.
09:58 C'était annoncé lors des premiers réunions.
10:00 -C'était au tout début de la législature.
10:03 -On va changer les postes à responsabilité.
10:06 Moi, j'avais compris que c'était des postes à responsabilité
10:10 en interne du groupe.
10:12 -Vous n'avez pas expliqué que ça concernait
10:15 les postes de présidente ? -Ca, j'avais compris
10:18 qu'après, toutes les postes à responsabilité étaient mises en jeu.
10:21 Pour moi, et là, c'est peut-être mon coeur allemand
10:24 qui a parlé, peut-être,
10:26 j'ai été très mal comprise là-dessus,
10:30 c'est que c'était une commission, certes,
10:32 semi-permanente, et les membres...
10:34 -C'était pas joué sur les mots ? -Non.
10:36 Les membres de cette commission
10:39 sont élus pour cinq ans.
10:41 Regardez. -Vous voulez dire
10:43 que la commission n'est pas renouvelée tous les ans ?
10:46 -Ca, c'est le cadre légal.
10:47 -Quand on regarde de l'extérieur,
10:49 vous qui avez pris l'engagement de faire de la politique autrement,
10:53 ça peut pas donner le sentiment que vous êtes tombée
10:56 dans les travers de l'ancien monde,
10:58 avec ces femmes politiques qui s'accrochent à leurs mandats,
11:02 et ça, c'est très facile à dire,
11:04 mais ce qui est très important pour moi,
11:06 c'est le cadre légal.
11:08 On ne joue pas avec le cadre légal.
11:10 Serait-ce que mon groupe politique,
11:13 le droit et la loi, ne doivent pas être à disposition
11:17 d'un groupe politique ?
11:18 Si ça nous plaît pas, qu'est-ce qu'on fait ?
11:21 On change les dispositions avant.
11:24 -Il faut mettre les règles au clair avant.
11:26 -Juste une dernière question.
11:28 Sinon, c'est la porte ouverte à toutes les dérives.
11:31 En 2014, vous défendiez l'idée que la politique
11:34 doit être une mission temporaire au service des citoyens
11:37 et vous ajoutiez pas plus de deux mandats consécutifs.
11:40 Vous y tiendrez ? -Oui, je pense.
11:42 Après, il y a une question aussi qu'on doit se poser,
11:46 et ça, ça vaut, par exemple, ce que disent les Allemands,
11:49 par exemple, pour le Parlement européen.
11:52 C'est pour ça qu'ils avaient tellement de force.
11:54 Un mandat pour apprendre, un mandat pour pousser les sujets,
11:59 un mandat pour travailler et un mandat pour transmettre.
12:02 -Vous ouvrez la porte au troisième. -Non, pas forcément.
12:06 Mais je pense qu'il faut pas s'accrocher
12:08 à un mandat politique.
12:10 -On va passer à notre quiz, à présent.
12:12 Vous allez devoir compléter les phrases que je vais vous proposer.
12:16 On y va.
12:17 "Ma famille allemande me dit souvent..."
12:19 -Oups !
12:20 -..."sur la politique, sur votre engagement,
12:23 "sur le fait d'être devenue députée française."
12:26 -C'est assez extraordinaire.
12:28 -Ça les a étonnées. -Oui.
12:30 -"Le Bundestag devrait s'inspirer de l'Assemblée pour..."
12:34 On cite souvent l'Allemagne en exemple,
12:38 mais la France ne doit pas être un exemple pour l'Allemagne.
12:42 -"Le Bundestag devrait s'inspirer
12:44 "pour sa réactivité, pour sa..."
12:46 Ouh là, vous me posez des cols, là.
12:48 Vous me posez des... Vous me posez des cols, là.
12:51 -La dernière. "Quand je suis avec mes poules."
12:53 Vous avez des poules que vous aimez ?
12:56 -En ce moment, je n'ai plus de poules,
12:58 parce que les rénards les ont mangées.
13:01 -Bon, alors ce quiz, décidément...
13:03 -Décidément, je suis nulle en quiz.
13:05 Parce que j'ai besoin de réfléchir.
13:08 -Ah, c'est le côté allemand qui reste.
13:10 -Voilà, donc c'est parfois...
13:12 La spontanéité, elle est bien, mais je m'en méfie aussi.
13:15 -Ce sera le mot de la fin.
13:16 Merci, Sabine Thillier, d'être venue dans "La politique et moi".
13:20 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
13:22 ...
13:39 Merci.

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