• il y a 8 mois
Transcription
00:00 Mesdames, Messieurs, bienvenue dans l'espace littéraire. Aujourd'hui, délice d'une rébellion
00:12 est au centre de notre émission et pour en parler, nous recevons l'écrivain et enseignant
00:17 à la retraite, Adja Ago. Bonjour, M. Adja Ago, merci de nous honorer de votre présence.
00:24 Bonjour, merci également pour l'invitation.
00:26 Pourquoi un recueil de nouvelles sur la rébellion quand on sait qu'il existe une pléthore
00:32 de thèmes sociaux et humains profonds ?
00:34 La Côte d'Ivoire, notre pays, a traversé une période difficile marquée par cette
00:40 rébellion qui a meurtri le cœur de beaucoup de citoyens et l'écrivain, en tant qu'éveilleur
00:46 de conscience, ne pouvait pas ne pas s'intéresser à une situation aussi marquante sur la vie
00:53 de ses concitoyens. Donc, nous avons cru bon regarder à l'intérieur la rébellion,
00:59 non pas dans son aspect d'affrontement meurtriante de force, mais l'est à côté d'une rébellion
01:06 parce qu'il y a beaucoup d'hommes qui ont souffert à côté de cette rébellion.
01:09 Pouvez-vous nous éclairer sur le sens profond du titre "Délice d'une rébellion", comment
01:16 ce titre encapsule les thématiques et les intrigues explorées dans votre recueil de
01:21 nouvelles ? "Délice d'une rébellion", c'est presque
01:23 choquant qu'un homme normal trouve qu'il y a des délices dans une rébellion. Mais
01:29 toute action humaine est motivée par quelque chose et il y a ceux qui ont tiré les pingles
01:33 du jeu dans cette rébellion. Elle a été délicieuse pour cette frange de population.
01:39 Mais il y a à l'intérieur de l'œuvre une nouvelle qui montre qu'une personne qui
01:49 a été pressée pour être victime de cette rébellion s'en sort bien grâce à une
01:54 erreur commise par des forces de l'ordre. On lui a pris son argent, on l'a bloqué
02:04 et puis on l'a libérée. On croyait lui jeter des sachets de médicaments au visage,
02:09 mais en réalité c'est le prix d'une journée de raquettes qu'on venait de lui remettre.
02:14 Je pense que celle-là a dû trouver du délice dans cette rébellion-là.
02:18 Elle y a trouvé pour son compte en tout cas. Dans votre œuvre, vous mettez en lumière
02:24 les conséquences de la rébellion sur la jante féminine. Pourquoi avez-vous décidé
02:29 de faire plein feu sur la femme en particulier ?
02:31 Les statistiques au niveau des Nations Unies montrent que les femmes et les enfants sont
02:37 les plus grosses victimes des affrontements dans le pays. Et cette frange de population
02:45 fragile a besoin d'un regard particulier. L'auteur que nous sommes, l'équivalent
02:51 que nous sommes, nous avons cru également apporter notre soutien à cette frange de
02:55 la population-là en ouvrant les projecteurs, en orientant les projecteurs sur ce qui s'est
03:01 passé et les concernant.
03:02 Les histoires des personnages comme Sekongo Barakissa contraintes de boucher avec le chef
03:09 de garde de la prison pour faire libérer son mari, injustement écroué ou encore Grace,
03:15 forcée d'exercer le plus vieux métier du monde pour subsister, soulignent les conséquences
03:20 désastreuses de la rébellion sur les femmes. Pensez-vous que la fiction contribue à sensibiliser
03:26 et inspirer les actions positives sur ces réalités sociales ?
03:29 Oui. Quoi que ce soit de la fiction, ce sont des faits qui sont proches de la réalité,
03:39 qui nous ont été comptés par les personnes qui ont vécu ce drame-là. Oui, celui qui
03:46 lit prend donc conscience de la fragilité de la femme dans une situation de non-droit,
03:53 mais elle montre également le sens du devoir de la femme qui, pour sauver son mari, accepte
04:01 quelque chose qu'en situation normale, elle n'aurait pas accepté. Mais comme il y a un
04:05 monsieur protecteur quelque part, elle se souvient que son mari a quelque chose qui
04:09 devait la dissuader d'aller faire des relations extra-conjugales. Elle s'en est servie et
04:16 le monsieur qui a osé a été bien puni. Mais l'objectif qu'elle recherchait, c'était
04:21 la libération de son mari. Elle l'a obtenu, c'est à ça lui. Parfois, on est obligé
04:25 de payer le prix fort parce qu'on aime quelqu'un, parce qu'on a besoin de son compagnon. Et
04:31 pour ça, les femmes en sont fortement capables. Le contraire, ce n'est pas évident si c'est
04:35 l'homme qui devait se sacrifier pour la femme.
04:38 Des sujets sensibles à des histoires plus légères et comiques comme "Délice d'une
04:43 rébellion", "Le secret du dozo" et "Tu ne mangeras pas ça", comment parvenez-vous
04:49 à naviguer entre ces différentes tonalités ?
04:51 Les Ivoiriens ont quelque chose de particulier, c'est le sens de l'humour qui permet de dédramatiser
04:57 des situations et leur permettre de faire un pas qualitatif. Je cite souvent un exemple
05:05 ce que l'émission "Bonjour au jour" sans faire de publicité nous propose. Vous voyez
05:09 dans une même salle, à l'époque, le FRC et puis sa victime assis dans la même salle
05:17 en train de se moquer les uns les autres parce qu'il y a des comportements comiques qui
05:24 se déroulaient dans une situation dramatique mais qui rapportaient sur scène des événements
05:28 comiques mais qui permettent à deux personnes à se rire. L'humour, même si c'est parfois
05:34 noir, c'est bon, ça permet de dédramatiser certaines situations et ça les Ivoiriens
05:39 sont très forts dans la dédramatisation des situations par le rire et l'humour. J'ai
05:43 voulu utiliser cette piste-là également.
05:45 Utiliser l'humour comme vous dites pour dédramatiser, est-ce que ça ne risque pas d'atténuer
05:50 la portée critique du message ?
05:53 Non, si on ne pardonne pas, si on n'oublie pas, on se fait mal. Le rire est thérapeutique
06:01 ici, l'humour ici a une fonction thérapeutique parce qu'il faut nécessairement se réconcilier,
06:07 il faut continuer de vivre malgré ce que nous avons vécu et cette faille, pour ne
06:14 pas dire ce petit espace-là dans lequel l'humour et la bonne humeur devraient pouvoir s'engouffrer
06:20 pour nous permettre de faire une catharsis. Il faut s'auto-exorciser et puis aller de
06:26 l'avant.
06:27 Sur 10 recueils, seulement 9 ont un lien avec le titre, sauf le premier recueil, « Puisqu'il
06:32 faut pardonner », comment cela s'explique-t-il ?
06:34 Alors, « Puisqu'il faut pardonner », c'est un sentiment personnel que j'ai décrit
06:39 dans les œuvres ici. J'ai un fils à son âme qui a été tué dans un accident de
06:46 circulation. J'avais tout pour haïr son meurtrier parce que moi je l'aimais mon
06:50 fils. Mais je me suis rendu compte que je me faisais plus de mal encore en continuant
06:54 de haïr une personne qui n'allait pas me ramener mon fils. Je me souviens, nous étions
06:59 au tribunal, lorsque j'ai dit au juge « J'ai des enfants, je ne souhaite pas que mes enfants
07:05 sachent que leur père a été retenu en prison, libérez-le. La seule chose que je vous demande,
07:11 c'est de prendre son permis et de le jeter à la corbeille pour qu'il ne fasse plus
07:14 de mal à quelqu'un d'autre, ce qu'il a fait à mon fils. » Mais je vous assure,
07:18 tout le tribunal a commencé à pleurer. Je vois le juge qui sort son mouchoir. Mais ça
07:24 nous agrippe tous de savoir qu'en pardonnant, on se libère soi-même, on se soigne soi-même
07:29 parce que la haine, c'est une vilaine plaie à l'intérieur de l'homme.
07:32 On dira donc que « Puisqu'il faut pardonner », c'est un hommage à votre vie.
07:36 Oui, oui.
07:37 Comment voyez-vous le rôle de la littérature dans la société actuelle ?
07:41 D'abord, tous les pays qui se sont construits ont fait référence à leur histoire qui a
07:48 été conservée par la littérature. C'est ça le fondement de la culture. L'avantage
07:53 que l'écriture reste alors que les paroles s'envolent, c'est que la littérature est
07:58 pour nous la source inépuisable à laquelle il faut recourir pour avancer. Il est déplorable
08:04 qu'en Côte d'Ivoire, la société ivoirienne ne lise pas beaucoup. Les Ivoiriens ne lisent
08:09 pas beaucoup. Nous autres écrivains, nous savons que c'est la lecture qui a construit
08:13 notre personnalité. Et nous encourageons donc la lecture, mais aussi l'écriture.
08:20 Si les Ivoiriens n'écrivent pas, c'est d'autres personnes qui vont écrire notre
08:23 histoire et vont la travestir, comme on a vu des personnes d'autres nationalités écrire
08:29 l'histoire de notre pays. Donc la littérature, c'est vraiment le levain pour permettre à
08:34 la société d'avancer sur des bases. C'est vrai que l'éthique nous fait la concurrence,
08:40 mais le livre a encore sa place, la lecture a encore sa place.
08:43 Vous avez relevé un problème, les Ivoiriens ne lisent pas. Comment les réconcilier avec
08:47 la lecture ? Vous avez été enseignant. Quelles sont les méthodes qu'on peut mettre en place
08:52 pour réconcilier l'ivoirien et la lecture ?
08:54 Oui. Il faut que... C'est vrai, notre tradition est une tradition orale qui n'a pas connu
09:00 l'écriture, mais notre rencontre avec le coulomb nous a mis en contact avec l'écriture.
09:06 Donc à l'école, il faut faire en sorte que les enfants lisent. C'est vrai, il y a les
09:11 ouvrages didactiques, mais il faut qu'on aborde la littérature dès le bas âge. Dans les
09:16 écoles maternelles, il faut familiariser les enfants avec les livres, il y a des abolons
09:20 qui sont conçus pour eux. À l'école primaire, au secondaire, il faut favoriser l'approche
09:27 de la lecture. Mais dans la vie sociale aussi. Je pense que dans nos familles, on parle un
09:31 peu trop. Moi, qu'est-ce que ça coûterait à un père de prendre un stylo et puis, comme
09:37 notre entraîneur l'a fait sur le stade, donne-moi le verre qui est sur la table. Si on communique
09:44 comme ça, petit à petit, les enfants vont connaître l'intérêt de la lecture en tant
09:49 que moyen de communication. Ça, il faut que la société ivoirienne parvienne à le faire
09:55 en laissant moins de place au divertissement et en ouvrant vraiment la porte à la formation
10:05 par la lecture et par l'écriture. Parce que sinon, on chante un peu trop, on danse un
10:10 peu trop. Ça fait du bien, mais on peut faire autre chose à côté.
10:12 D'accord, ça c'est bien compris. Quels sont vos projets futurs en tant qu'écrivain ?
10:18 On continue d'écrire, sauf que le livre ne nourrit pas toujours son homme dans notre
10:24 milieu, mais on continue d'écrire, de sensibiliser nos compatriotes par ce petit talent que nous
10:29 avons. Donc, nous avons des manuscrits en projet. On trouvera le temps de les remettre
10:34 au goût du bourreau, de les dépoussiérer un peu et puis de les faire éditer et les
10:38 remettre à la disposition de nos concitoyens. Je voudrais vous remercier de l'honneur que
10:43 vous me faites de vous recevoir dans vos studios. Et puis Abidjan.net, c'est bien connu, vous
10:50 êtes une source d'informations fiables. Moi-même, je lis assez souvent quelques articles. Je
10:58 voudrais donc que vous souhaitiez bon vin et surtout, vous encourager à continuer à
11:04 militer en faveur de l'écriture et de la lecture. Vraiment, mot de fin.
11:11 Merci à vous très cher invité pour cette interview enrichissante. Ami Babinoth, n'oubliez
11:17 pas de vous procurer les délices d'une rébellion de l'écrivain Adja Ago pour vivre des moments
11:22 de lecture passionnants et profonds. Restez surtout à l'écoute pour d'autres émissions
11:28 littéraires fascinantes. Merci.
11:31 [Musique]

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