Si la Jordanie, l'Arabie saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis ont participé à la défense aérienne d'Israël lors de l'attaque iranienne du 13 avril, la position de ces pays reste ambigüe vis-à-vis de l'Etat hébreu et de son ennemi, l'Iran. Les explications de David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès.
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00:00 Cette normalisation arabo-israélienne, c'est une rupture stratégique.
00:04 Iran a lancé des centaines de missiles et de drones contre Israël.
00:16 C'était un attaque sans précédent.
00:18 La Jordanie a frappé dans son espace aérien notamment des drones iraniens
00:27 qui étaient en direction d'Israël.
00:29 Le gouvernement a-t-il fait quelque chose ?
00:33 Très probablement, s'agissant de l'Arabie saoudite,
00:35 des Émirats arabes unis mais aussi du Bahreïn,
00:37 on parle plutôt d'un partage de renseignements, notamment techniques.
00:40 La première paraît assez évidente, c'est probablement les pressions
00:48 exercées par les États-Unis sur ses alliés historiques,
00:51 au Levant et notamment sur les pays du Goffre,
00:53 notamment l'Arabie saoudite et bien sûr les Émirats arabes unis.
00:56 La seconde raison est liée à des considérations stratégiques,
00:59 à une convergence de vues entre ces mêmes pays,
01:02 l'Arabie saoudite notamment les Émirats arabes unis et Israël,
01:05 s'agissant des ambitions hégémoniques de l'Iran.
01:07 Dans la région, il y a une crainte commune,
01:09 il y a des intérêts stratégiques communs,
01:11 qui d'ailleurs expliquent en grande partie la signature des accords d'Abraham
01:14 par quatre pays arabes, dont les Émirats arabes unis en 2020 avec Israël,
01:18 qui ont normalisé les relations diplomatiques entre Israël et ces mêmes pays.
01:22 Et j'ajouterais enfin que très probablement et en dépit,
01:31 si vous voulez, de la détente irano-saoudienne et irano-émirienne,
01:35 il y a quand même des craintes de ces deux pays du Golfe,
01:38 s'agissant de l'interventionnisme iranien au Levant
01:41 et notamment du renforcement du réseau milicien pro-Iran au Levant,
01:45 qui a créé une espèce d'arc de feu à leurs frontières,
01:48 avec des conséquences aussi sur le plan du commerce international,
01:51 notamment en mer Rouge.
01:57 On a vu des attaques répétées de la milice islamiste Houthi pro-Iran
02:01 sur des navires et notamment sur des navires commerciaux
02:04 qui transitent par la mer Rouge,
02:06 et ça a des conséquences économiques assez significatives
02:09 pour les alliés de ces pays du Golfe dans la région, notamment pour l'Égypte.
02:13 Ces pays du Golfe sont quand même dans une situation géopolitique très compliquée.
02:22 Ils sont frontaliers de l'Iran, qui est leur ennemi historique,
02:26 et donc par conséquent, ils craignent, si vous voulez,
02:28 une contagion d'une guerre totale qui éclaterait entre Israël et l'Iran à leurs frontières.
02:33 Ce sont des régimes malgré tout fragiles.
02:35 La région a connu des bouleversements majeurs.
02:43 Israël est désormais perçu par ces mêmes puissances arames au Levant
02:46 et notamment par les pays du Golfe comme une puissance régionale,
02:49 une puissance technologique avec laquelle il faut compter,
02:52 une puissance qui par ailleurs riposte aux menées iraniennes dans la région de manière cinétique,
02:57 c'est-à-dire en frappant les intérêts iraniens dans la région.
03:01 Et donc, face aux ambitions iraniennes au Levant,
03:04 il y a comme une convergence d'intérêts stratégiques entre Israël et ces mêmes pays arabes.
03:09 Ils compartimentent en quelque sorte leurs politiques étrangères et de défense.
03:13 D'une part, en continuant à soutenir, en tout cas de manière rhétorique, les Palestiniens,
03:17 en condamnant éventuellement la riposte israélienne à Gaza,
03:20 tout en maintenant leurs relations avec Israël,
03:23 notamment sur le plan militaire, sur le plan de l'échange de renseignements,
03:27 parce qu'ils considèrent avant tout que leur intérêt stratégique, bien compris,
03:30 c'est de s'allier avec Israël sur le plan régional.
03:34 Et parce qu'enfin, évidemment, Israël est un pays allié des États-Unis,
03:38 c'est le principal allié stratégique des États-Unis dans la région.
03:41 Contre l'aïeux d'Iran, nous allons construire une coalition régionale
03:45 et nous allons gérer le prix de l'Iran dans le temps qui nous appartient.
03:48 [Musique]
03:52 Sur le plan stratégique, militaire, oui, ces relations sont amenées à se consolider, à se renforcer.
03:57 D'ailleurs, ce qui s'est passé samedi soir dernier, c'est au fond la concrétisation d'un projet américain ambitieux,
04:03 le MID, le Middle East Air Defense Alliance,
04:06 donc l'alliance antiaérienne pour le Moyen-Orient,
04:09 une alliance moins formelle, moins déclarative, moins ambitieuse,
04:13 évidemment qu'un autant israélo-arabe qui aurait des implications immédiates,
04:16 puisque il suffirait qu'un des pays de cette alliance soit attaqué pour que l'ensemble de la coalition riposte.
04:20 En revanche, on voit bien qu'une coalition ad hoc,
04:23 qui se formalise et se rassemble sur la base d'intérêts communs conjoncturels,
04:27 c'est tout à fait envisageable.
04:29 On peut imaginer que dans un avenir proche, cette coalition ad hoc se renforce, se consolide,
04:34 et que les Américains utilisent et capitalisent sur ces résultats,
04:38 qui sont extrêmement impressionnants en termes d'interception,
04:40 encore une fois, des drones, des missiles de croisière et des missiles balistiques iraniens,
04:44 pour justement étendre éventuellement cette coalition dans la région.
04:47 Ce que l'on a démontré cette fin d'année, c'est qu'Israël n'a pas ou ne doit pas
04:54 se défendre seul quand elle est victime d'une agression.
04:57 Mais en revanche, encore une fois, à ce stade,
05:00 je ne crois pas qu'on ira au-delà de ce qui s'est passé il y a quelques jours,
05:03 parce qu'il y a des paramètres, malgré tout, politiques et diplomatiques,
05:07 qui rentrent en ligne de compte.
05:09 Pour les pays du Golfe, ils n'ont pas intérêt à une escalade,
05:11 mais on voit bien quand même que malgré tout, lorsqu'il faut choisir leur camp,
05:14 les États-Unis d'Amérique sont une superpuissance,
05:17 capables de venir à leur escousse, à l'inverse des Chinois ou des Russes
05:21 qui se sont tenus à bonne distance de ce qui s'est passé samedi soir dernier.
05:24 Et c'est de convaincre Israël qu'il ne faut pas répondre en escaladant,
05:29 mais plutôt isoler l'Iran, réussir à convaincre les pays de la région que l'Iran est un danger.
05:39 Parce que ça permet d'une part à Israël de sortir de son isolement diplomatique,
05:43 après les critiques que l'État juif a encaissées ces dernières semaines
05:47 de la part de l'administration Biden, mais aussi de ses alliés occidentaux,
05:51 puisqu'encore une fois les Français comme les Britanniques ont participé à cette coalition ad hoc.
05:55 Au-delà de l'aspect strictement technique et militaire,
05:58 il y a aussi un message politique implicite envoyé par cette coalition ad hoc,
06:01 c'est que désormais, toute tentative iranienne de frappe massive
06:06 contre les intérêts occidentaux, pro-occidentaux, au Levant,
06:09 fera l'objet à minima d'une défense anti-aérienne de pays coalisés
06:13 dont la force de frappe est absolument considérable.
06:16 Donc ça met quand même le régime iranien sur le recul noir,
06:19 ça lui envoie un message de dissuasion à ce stade défensif,
06:23 mais qui pourrait peut-être dans un avenir plus ou moins proche
06:25 se transformer en dissuasion offensive si une guerre régionale éclatait.
06:29 [Musique]