• il y a 7 mois
Mais c’est quoi en fait « la culture du vide » ? Asma Mhalla, politologue et spécialiste des enjeux de la tech nous explique.

Son livre Technopolitique, aux éditions Seuil, est disponible en librairie.

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Transcription
00:00 La culture du vide, c'est une expression pour expliquer finalement
00:03 ce qui est en train de se jouer aujourd'hui sur les réseaux sociaux
00:06 et dans le champ de l'information.
00:07 On ne peut pas mettre au même niveau les guerres qu'on voit éclorent
00:12 un peu partout dans le monde et en même temps des clashs
00:14 entre deux stars de la télé-réalité.
00:16 Et pourtant, dans votre fil, ça peut parfaitement se succéder
00:19 sans aucune hiérarchie.
00:21 Qu'est-ce qu'on observe aujourd'hui ?
00:22 Ce n'est pas une censure par le silence,
00:24 ce n'est pas une censure par la coercition,
00:27 c'est une censure par la saturation informationnelle et cognitive.
00:31 Il y a tellement d'informations, il y a tellement de contenus
00:34 qu'on ne sait plus où donner de la tête.
00:36 Les contenus les plus viraux, les plus partagés,
00:39 les plus commentés, les plus regardés,
00:42 sont souvent les plus polarisants,
00:44 qui vont venir attraper vos passions tristes,
00:46 vos émotions les plus sombres, la colère, la haine, la peur, le rejet.
00:50 On n'est même plus nous acteurs de ce qui est en train de se jouer,
00:54 nous sommes simplement les petites mains qui allons liker,
00:57 sharer, follower.
00:58 On crée l'engagement qui crée derrière le modèle économique,
01:01 sur lequel nous ne sommes d'ailleurs pas tellement rémunérés,
01:03 ou alors maintenant, depuis cette révélation de TikTok,
01:06 à quelques centimes l'heure, autrement dit,
01:08 une forme d'esclavage ou de techno-esclavage moderne.
01:11 Il faut vraiment avoir cette vision du modèle économique qui est derrière,
01:14 et parfois même il y a un modèle idéologique.
01:16 Elon Musk, quand il rachète X Twitter par exemple,
01:20 a une volonté qui est assez affichée,
01:22 de rétablir une forme de démocratie directe,
01:24 c'est-à-dire de casser tous les corps intermédiaires,
01:26 ce qui fabrique l'information, les journalistes, la presse par exemple,
01:30 pour faire quoi ?
01:31 Pour donner une forme de souveraineté du peuple.
01:33 La culture du vide est une dynamique qui est absolument transnationale,
01:37 qui n'est pas spécifique à une société, à une communauté ou à un pays.
01:41 Elle est inhérente au fonctionnement actuel des réseaux sociaux.
01:45 Nous sommes absolument tous exposés en France,
01:47 et dans nos démocraties occidentales, on focalise beaucoup sur les jeunes.
01:51 Mais ce qu'on a observé par exemple pendant le Covid,
01:53 c'est que les théories les plus conspirationnistes ou complotistes
01:56 n'étaient pas tellement, ou pas plus en tout cas, relayées par les jeunes.
02:00 La culture de vide est extrêmement dangereuse, est un risque en tout cas.
02:04 Elle va poser deux problèmes si je devais les schématiser.
02:07 Une forme de débilisation généralisée,
02:09 et puis ensuite la brutalisation du débat,
02:12 donc du lien, l'agressivité et le fait que ce soit normal,
02:17 que ce soit violent dans l'invectif, dans l'injure, dans l'insulte.
02:20 Non, ce n'est pas normal.
02:22 Il faut que, aussi bien dans la vie réelle que sur nos applications,
02:26 on garde un savoir-être et un savoir-vivre ensemble.
02:29 Et hélas, parce qu'on pense être planqué derrière les écrans, ça se perd.
02:33 Les réseaux sociaux, il ne faut pas simplement les voir désormais
02:36 comme simplement des outils ludiques ou sympas ou égotiques ou pratiques,
02:41 où vous allez juste vous éclater, vous amuser ou passer du temps quand vous vous ennuyez.
02:46 Non, ce n'est pas que ça.
02:47 Ce sont aussi aujourd'hui des espaces d'influence, de manipulation,
02:51 d'ingérence étrangère, de désinformation.
02:55 Et donc, c'est aussi un lieu de conflit entre nations, entre récits, entre narratifs.
03:02 C'est ce qu'on va appeler dans la doctrine militaire les luttes informationnelles.
03:06 Au-delà des guerres conventionnelles, avec des chars, des tanks, des tranchées,
03:10 eh bien, nos cerveaux, nos esprits, nos émotions
03:14 deviennent elles-mêmes matière à manipulation et à déstabilisation des démocraties.
03:21 Et donc, de ce point de vue-là, il faut être très vigilant.
03:24 Et c'est pour ça que je disais, nos cerveaux sont en train de devenir
03:27 les nouveaux champs de bataille du 21e siècle.
03:30 Il ne faut pas que l'on reste, nous tous, simplement matière première de ces gens-là,
03:34 à leur fabriquer de la donnée, mais qu'on soit aussi acteurs et conscients.
03:38 Et donc, ne pas rester étrangers à ça, c'est-à-dire le comprendre, le décortiquer.
03:42 Et donc, en fait, se le réapproprier politiquement,
03:46 comme, non pas simplement consommateur, mais surtout comme citoyen.
03:50 Comprendre, c'est d'abord démystifier.
03:52 Et une fois qu'on a démystifié, il y a toujours ce recul.
03:54 C'est-à-dire que le jour où vous regarderez des vidéos de chats qui pètent,
03:59 vous le ferez, mais en conscience de le faire.
04:02 [BIP]

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