Comment Johnny a t'il vécu ses derniers jours ? Savait-il que la fin était proche ? Quelles ont été ses dernières volontés ? Anne-Sophie Jahn, journaliste au Point, nous fait vivre les secrets des deniers jours du rockeur préféré des français.
Regardez L'invité de RTL avec Amandine Bégot du 02 mai 2024
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00:03 Il est 7h42, Amandine, vous recevez ce matin notre consoeur journaliste Anne-Sophie Yann.
00:07 Anne-Sophie Yann, vous êtes journaliste au point je le rappelle,
00:10 et vous publiez donc ce livre "Les derniers jours" de Johnny, livre qui sort aujourd'hui chez Grasset.
00:15 C'est un portrait à la fois très beau et émouvant de Johnny Hallyday, Johnny le combattant.
00:21 Vous nous racontez les derniers jours, ou plutôt j'ai envie de dire les dernières fois.
00:24 Derniers concerts, derniers enregistrements, derniers jours aussi à Los Angeles.
00:29 Et jamais ça n'est... Voyons, on ne tombe jamais dans quelque chose de malsain.
00:33 Ce qui est très frappant tout au long de ce livre, c'est que jusqu'au bout, il a pensé qu'il allait s'en sortir.
00:37 Jusqu'au bout. Et c'est ça qui est absolument bouleversant,
00:41 c'est que quand il apprend sa maladie, il est condamné, il n'a que quelques mois à vivre.
00:47 Au départ en Lydie, vous avez trois mois.
00:48 Oui, les médecins sont en plus assez catégoriques, ceux en tout cas aux Etats-Unis, qu'il n'y a plus rien à faire.
00:53 Et malgré tout, non seulement il ne se résigne pas,
00:56 il va chercher d'autres avis médicaux en France notamment,
00:59 mais surtout, il continue à vivre, mais pas à vivre comme vous et moi,
01:04 quand on est malade, en essayant de quand même se reposer, etc.
01:07 Non, il part en tournée des Zéniths en province,
01:10 ce qui même quand on n'est pas malade est quand même quelque chose d'hyper fatigant.
01:14 Il enregistre un album, il dîne aux plus grandes tables avec ses copains.
01:18 Enfin, il continue de vivre comme si tout était normal.
01:21 Il roule dans ses bolides à toute vitesse.
01:25 Et donc non seulement il vit comme avant, mais presque plus.
01:29 C'est-à-dire que c'est un homme qui s'accroche à la vie,
01:32 qui ne veut pas la lâcher jusqu'à ses dernières heures, jusqu'à ses dernières minutes,
01:36 sur son lit de mort, il ne veut rien lâcher.
01:38 Et ça, c'est une expérience, c'est une claque.
01:42 Je pense que pour nous tous, c'est une leçon de vie.
01:45 Une leçon de vie, on lui apprend ce cancer en septembre 2016.
01:50 Les médecins effectivement lui disent "vous en avez pour trois mois".
01:52 Il va finalement vivre encore 15 mois jusqu'au 5 décembre 2017.
01:56 15 mois, vous le disiez, bien remplis.
01:58 Avec cette tournée des vieilles canailles, avec Jacques Dutronc et Eddie Mitchell.
02:02 Jusqu'au bout, tout le monde pense qu'il est incapable.
02:04 Vous parlez de ce premier concert à Lille, où les musiciens n'ont qu'une trouille,
02:07 c'est qu'il meurt ce soir-là sur scène.
02:09 Oui, ce qui est fascinant, et c'est ce que je raconte dans le livre,
02:12 enfin, il y a des scènes, j'ai voulu vraiment le raconter avec beaucoup de détails,
02:15 sans être exhaustif, mais juste avec comprendre ce que c'est que d'avoir un hôpital.
02:20 Parce que c'est ça, il se déplace avec quasiment un hôpital,
02:24 de ville en ville, en France et en Belgique,
02:27 pour pouvoir se produire sur scène,
02:30 faire des concerts quand même assez longs, assez exigeants,
02:32 avec Dutronc et Mitchell, ses copains de toujours.
02:35 C'est ça qui est très émouvant aussi, parce qu'ils ont commencé ensemble quand ils étaient adolescents,
02:38 et là, ils sont septuagénaires, et ils sont là, amis, complices, etc. sur scène.
02:43 Mais il y a un décalage énorme, que le public n'a pas pu voir forcément,
02:48 entre l'homme qui est là, avec ses perfusions,
02:51 qui subit des traitements lourds, douloureux, très fatigants,
02:57 et il marche, il s'avance vers la scène,
03:00 et à chaque pas, c'est comme s'il lâchait des années derrière lui,
03:03 il lâchait ses traitements, il lâchait la douleur, il revit.
03:06 Il redevient cet homme qui a une voix extraordinaire jusqu'à la fin.
03:10 C'est pas une voix d'outre-tombe qu'il a, c'est pas Léonard Cohen, c'est pas Bob Dylan, non.
03:14 C'est un Johnny avec une voix forte, comme on n'a jamais entendu,
03:18 qui met tout le monde au tapis, qui ravit son public,
03:22 et c'est quasiment comme un ange.
03:26 - Une voix de dingue jusqu'à la fin. On a sorti l'extrait du dernier concert à Carcassonne, le 5 juillet, écoutez.
03:31 - Il y a d'autres gens sur les guitares !
03:34 (musique)
03:36 - Il y a une juge !
03:38 (musique)
03:40 - On sent que les fêtes et les espoirs !
03:42 (musique)
03:44 - C'est Dieu ! Et puis l'amour !
03:46 - Ça c'est Djad et puis l'amour, parce qu'il a fait monter ce soir-là ces deux filles sur scène.
03:51 Ce sera son dernier concert, il le sait, c'est pour ça qu'il fait monter ces filles sur scène ou non ?
03:55 - Alors c'est toute la question, et c'est celle qui traverse aussi le livre,
03:59 c'est que jusqu'au bout on est dans un jeu d'équilibre, où d'un côté, et dans une ambiguïté,
04:03 il sait qu'il va mourir, enfin tout le monde lui dit, c'est-à-dire qu'au fond lui, il doit le savoir,
04:07 mais il ne l'accepte pas. Et donc ce qui est très émouvant dans tous ces derniers instants,
04:12 c'est que, comme beaucoup de récits, parfois on connaît la fin, là on sait qu'il va mourir,
04:16 ce qu'on ne sait pas, c'est tout ce qui s'est passé avant, comment il a réagi,
04:19 comment il a interagi avec sa famille, quelles sont ses dernières volontés,
04:22 qui sont les personnes autour de lui jusqu'au bout, et en effet, ces petites filles,
04:28 cet amour qu'il a porté à la fin de sa vie, parce qu'il est devenu père une deuxième fois quand même,
04:33 assez âgé, et elles le portent jusqu'à la fin, et c'est bouleversant en effet,
04:38 sur cette chanson en plus, qui parle d'amour, c'est un cri d'amour, cette chanson, on l'entend d'ailleurs,
04:43 ce n'est pas la voix d'un homme mourant, on l'a entendu, mais qui choisit ces deux petites filles
04:47 qui représentent la vie, l'avenir, le legacy presque, c'est bouleversant.
04:53 - Mais vous pensez qu'il a fait semblant d'y croire ?
04:56 - Alors, on est dans... - Parce que par exemple, quand il ne veut pas que Laura et David
05:02 viennent le voir alors qu'il est chez lui, on a beaucoup dit que c'était Laetitia qui les avait empêchés,
05:10 visiblement ce que vous racontez là, c'est que c'était vraiment sa décision à lui, et ça le mettait très en colère.
05:15 - Oui, c'est-à-dire que je pense, moi, sincèrement, qu'il y a cru jusqu'au bout,
05:18 parce que Johnny n'est pas un être comme tout le monde, il a toujours eu un rapport très complexe avec la mort,
05:27 c'est-à-dire que d'un côté, il a toujours été terrifié par la mort, toujours, il en parle,
05:31 ça l'obsède, quelque part, oui, dans son esprit, il sait que ça arrivera,
05:36 mais il a quand même déjà vaincu un cancer, plusieurs cancers d'ailleurs,
05:41 il a failli être mort, il a été dans le coma quelques années plus tôt,
05:45 on l'a déjà donné pour mort, une dizaine de fois, et puis c'est un homme qui jouait quand même à la roulette russe,
05:50 qui a eu plusieurs accidents de voiture, donc qui à la fois était terrifié par la mort,
05:55 mais jouait avec, et l'a cherché, l'a dragué, presque, mais dans une attitude qui se dit "mais en fait, c'est moi le maître,
06:03 c'est moi qui la maîtrise, cette mort", et dans son attitude, justement, dans ces derniers jours,
06:08 où il est mourant, mais il se dit "mais moi, je m'en fiche d'être mourant, je pars en tournée,
06:12 j'enregistre mes albums, je vais à mes tournées..." - Et il parle de tournée jusqu'au dernier jour !
06:15 - Jusqu'au dernier jour, il a des idées sur scène, il dit "voilà ce qu'on va faire pour la prochaine tournée,
06:19 et puis le prochain disque, je veux travailler avec telle et telle personne, je veux faire ci, je veux faire ça",
06:22 c'est-à-dire qu'il a un tel sentiment de puissance, sans être un égomaniac, etc.,
06:30 mais c'est que pour lui, la mort, elle est dans ses mains, c'est lui qui choisit quelle est sa dernière heure,
06:36 sauf que, ben non, un moment ou un autre, c'est un jeu de pouvoir, et une lutte, pendant toutes ces pages,
06:43 entre la mort et lui, et qui va gagner à la fin.
06:46 - Je parlais de Laetitia, vous ne l'épargnez pas, dans ce livre, elle vous a donné son accord, pour cet ouvrage ?
06:51 - Alors, personne ne m'a donné aucun accord pour cet ouvrage, c'est vraiment un livre indépendant,
06:56 justement, parce que, dès qu'on touche à Johnny, tout d'un coup, c'est vrai que c'est un personnage qui est tellement énorme,
07:05 c'est la plus grande star française, je pense, de toute catégorie, personne n'a atteint ce niveau de notoriété,
07:11 je pense, ni en politique, ni en... et surtout, personne ne rassemble à ce point.
07:15 Et du coup, il y a une volonté, quand même, de contrôler une narration, etc.
07:21 - Vous saviez que si vous le disiez, vous auriez été empêchée d'une façon ou d'une autre ?
07:26 - Mais c'est normal, mais par, d'ailleurs, n'importe qui, je pense que n'importe qui réagirait comme ça,
07:30 de raconter son histoire, et moi, je voulais garder une liberté totale, sans être cruelle,
07:34 j'ai vraiment... d'ailleurs, j'ai aucun sentiment de cruauté envers...
07:39 - Oui, c'est pas des règlements de compte, encore une fois, il n'y a pas de...
07:42 - Pas du tout, c'est pas... - ...ce sentiment-là.
07:43 - À propos de Laetitia, vous racontez qu'elle l'agaçait terriblement,
07:46 autant qu'il ne pouvait se passer d'elle, et les derniers mots de Johnny sont d'ailleurs pour elle,
07:51 c'est ce que vous racontez à la fin du livre, ce 5 décembre au soir, il est allongé sur son lit,
07:56 seul avec Dada, son coach, et Karl, son garde du corps chauffeur,
07:59 il attrape la croix en or blanc et diamant qu'il a toujours autour du cou,
08:03 il l'attend à Dada, il lui dit "tiens, tu la donneras à ma femme",
08:06 je sens que c'est la fin, c'est bon, il se tourne ensuite vers Karl, le chauffeur,
08:10 et il lui dit "premier mois de rester auprès de ma femme et de mes enfants".
08:14 Ces derniers mots, ils sont pour Laetitia et pour ses filles.
08:17 - Oui, ça a été une obsession jusqu'à la fin de sa vie, protéger sa femme et ses filles,
08:21 parce que l'autre personnage de ce livre, c'est évidemment sa femme,
08:26 c'est aussi une grande histoire d'amour, c'est une histoire de maladie, de mort, de musique,
08:33 d'amitié, mais surtout d'amour, parce que derrière,
08:38 souvent d'ailleurs, tout homme de cette stature, il y a une femme,
08:41 mais là, non seulement il y a une femme, mais il y a une relation de couple très complexe,
08:46 beaucoup plus complexe qu'on a voulu l'entendre,
08:48 c'est pas une question de... il n'y a pas une manipulation, etc., comme on a pu le dire,
08:54 mais il y a une relation de pouvoir qui a été renversée à un moment,
08:58 et cette histoire d'amour, je pense qu'elle peut toucher aussi tout le monde,
09:02 parce que tout le monde a déjà été dans cette situation,
09:04 d'aimer à la folie quelqu'un, de se donner entièrement,
09:08 avec soumission, dévotion, c'est ce qu'elle a fait, quand même, pendant des années,
09:12 c'est absolument de manière admirable,
09:15 elle a supporté beaucoup, parce qu'il a été très très dur,
09:19 pendant plus de 20 ans, quand même,
09:21 donc quand on dit "oui, c'est une sorcière manipulatrice, etc.",
09:24 bah attendez, vivez avec un homme comme Johnny pendant 20 ans, on va en reparler !
09:27 Et donc, voilà, c'est aussi l'histoire d'un couple avec une grande différence d'âge,
09:35 et d'une petite fille qui devient femme.
09:40 - Je reviens sur ces derniers instants, Carl,
09:42 le chauffeur ne va pas lâcher la main de son patron pendant 4 jours, jusqu'au funérarium,
09:48 il n'oublie pas, écrivez-vous, que Johnny ne supportait pas la solitude.
09:52 Il supportait pas la solitude, et pourtant, il était profondément seul, non ?
09:56 Il était toujours très entouré, mais on sent cette part de solitude, d'extrême solitude, même.
10:01 - C'est là où c'est un personnage absolument fascinant et bourré de contradictions,
10:05 c'est qu'à la fois, en effet, il est seul, tout le temps, dans sa tête, dans son cœur, dans son âme,
10:11 mais il fuit en permanence cette solitude, comme vous le disiez,
10:14 c'est-à-dire depuis sa plus tendre enfance, en réalité,
10:18 parce que derrière Johnny, le Johnny de 74 ans, avec la peau burinée,
10:24 qui a tout vécu, qui a eu toutes les femmes, tous les succès,
10:27 qui a chanté devant des millions de personnes,
10:30 qui a vraiment cassé tous les records, etc.,
10:34 il y a un enfant, un nouveau-né, fragile, qui hurle, nu, sur le parquet d'un appartement
10:41 où son père vient de l'abandonner, en partant avec tous les meubles, quand même,
10:45 et tout l'argent qu'il ne verra, il le reverra, mais ce père n'a jamais voulu de lui,
10:49 il a été d'une dureté atroce, et puis, sa mère l'a abandonné.
10:54 C'est un être, un petit garçon traumatisé, qui n'a jamais réparé ses souffrances,
10:59 il n'a pas fait de psychanalyse, Johnny a l'idée,
11:01 mais c'est dans ces blessures, d'abord, que beaucoup de choses s'expliquent,
11:06 et dans le livre, je reviens évidemment sur, il y a des clés pour comprendre qui il est,
11:10 pourquoi il a fait les choix, à la fin de sa vie, qu'il a fait.
11:13 Il y a beaucoup d'éléments d'explication, je ne peux pas tous les lister ici,
11:17 mais ce qui est intéressant, c'est ça, c'est cet être fragile qui a puisé,
11:22 dans ses blessures, le chanteur exceptionnel qu'il est devenu.
11:26 - Un chanteur exceptionnel qui est resté jusqu'au bout, ça c'est "Mon pays, c'est l'amour",
11:31 c'est le dernier titre qu'il a enregistré, trois prises seulement,
11:33 alors qu'il est franchement à bout, il décèdera cinq semaines plus tard.
11:38 Un grand merci Anne-Sophie Gann, je rappelle donc le titre de ce livre,
11:41 "Les derniers jours de Johnny", c'est publié chez Grasset, et ça sort aujourd'hui.
11:45 - Mon pays !
11:47 Un homme qui s'accroche à la vie et qui draguait la mort, venez vous le dire à ce moment là.