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Bernard Pivot est décédé le 6 mai 2024.

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00:00 Bonjour, bonsoir, dans ce Côté scène, c'est Bernard Pivot que l'on apostrophe, l'animateur vedette d'apostrophe évidemment,
00:06 l'animateur de plus de 30 ans sur le service public de télévision française pour faire vivre la littérature aux heures de grande écoute.
00:14 On parlait de cette manière-là avant le zapping. Il dirigea aussi Bouillon de culture, puis Double Jeu, émission sur la francophonie, sur la langue donc.
00:23 Il est pour la première fois à Saint-Etienne, parrain de la fête du livre. C'est donc de livres de littérature dont nous parlerons, mais pas seulement.
00:30 À Saint-Etienne, c'est tout d'abord la ville qu'il regarde comme sa ville. Lui, dont le père, est né dans ce département avant qu'il n'émigre dans le Beaujolais.
00:38 Rencontre donc ici. Et c'est parti.
00:41 — Manufrance, maintenant. Je me souviens très bien. J'étais l'invité du journal de 13h le jour où on a annoncé que Manufrance avait été racheté par Tapie.
00:55 Et donc le jeu... À l'époque, vous savez, vous avez un journal en continu. Il y avait un invité. Alors on pouvait commenter ce qu'on voulait.
01:05 Donc j'avais dit que c'est la fin de Manufrance, parce que Tapie va faire ce qu'il a fait ailleurs. Il va dépecer, il va revendre.
01:13 Et j'ai reçu un coup de fil de Tapie, une heure après, en me disant « Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? ».
01:20 Mon envie, c'est de redonner vie à cette marque légendaire. On connaît la suite. — C'était en même temps une mission... Oui, on connaît la suite.
01:28 Mais c'était en même temps une mission extrêmement difficile.
01:32 — Bernard Pivot, on est ici à Saint-Étienne. Et vous êtes pour la première fois parrain de la fête du livre. Vous avez accepté.
01:38 Alors on n'est pas dans la fête du livre. On a choisi un espace où les livres... — Oui. On fait moins de bruit, quoi.
01:44 — Une des questions que vous posiez souvent aux auteurs, c'était cette question sur le bruit. Celui que vous aimez, celui qui vous s'agace.
01:54 — C'est dans le questionnaire de fin de Brion de culture, le bruit que vous détestez. Alors il y avait toujours des bruits.
02:02 — Pourquoi, quand on fait une émission sur la littérature, on est sensible au bruit comme ça ?
02:08 — Non, c'est parce que j'avais remarqué qu'« Apostrophes » terminait souvent bizarrement un peu en queue de poisson.
02:15 Donc j'ai essayé de trouver une fin pour Brion de culture. Donc j'avais imaginé un questionnaire qui ne soit pas celui de Proust,
02:21 qui serait donc des questions originales et que je poserais, qui serait une conclusion à la mission, donc qui serait posée aux principales invitées.
02:30 Alors j'ai essayé de trouver 10 questions, dont la plus célèbre, « Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous après votre mort ? »,
02:35 l'entendre vous dire. Et puis il y avait aussi le bruit ou le son que vous aimez, le bruit ou le son que vous détestez.
02:41 Mais ça n'avait pas un lien avec la littérature. Là, je m'adressais moins peut-être aux écrivains qu'aux citoyens, qu'aux hommes, qu'aux femmes.
02:50 Vous avez accepté d'être parrain de cette édition de la Fête du Livre. Pourquoi ?
02:57 Jacques Pleyn me l'avait demandé souvent et j'ai toujours refusé parce qu'à ce moment-là, j'animais des émissions littéraires.
03:06 Je trouvais que mon poids était parfois même excessif, donc je n'allais pas en rajouter. Et puis d'autre part, il y avait une chose qui me déplaisait tout à fait.
03:14 J'étais quand même obligé d'aller au Salon du Livre à Paris. Or, quand je me baladais dans les allées du Salon du Livre à Paris,
03:21 je n'y rencontrais que des auteurs que je n'avais pas invités. Alors ça les mettait mal à l'aise, ça me mettait mal à l'aise.
03:27 Donc je ne fréquentais pas du tout des salons, que ce soit ceux de Saint-Étienne, de Bril, de Nancy, d'Épinal. Donc je n'y allais jamais.
03:38 Alors depuis, je n'ai plus d'émissions littéraires, j'ai dit au responsable "oui, si vous le voulez, il plaisait, il y en a quand même, quand ça a été cette année".
03:47 Qu'est-ce que vous découvrez quand vous êtes dans un salon du Livre ?
03:51 Je découvre des auteurs que je n'avais jamais invités, que je n'avais jamais reçus et que je n'avais pas rencontrés.
03:55 Il y a beaucoup plus d'auteurs que je n'ai pas invités que d'auteurs qui sont venus sur mon plateau.
04:02 Vous imaginez, d'autant plus ici par exemple, il y a beaucoup d'auteurs régionaux, il y a beaucoup d'auteurs qui publient des œuvres qui relèvent de l'ethnographie locale, des poètes.
04:15 Donc là c'est une masse considérable d'écrivains de toutes sortes.
04:20 Le mot écrivain recouvre une population hétérogène, éclectique.
04:26 D'ailleurs, l'intérêt, si tout le monde écrivait de la même façon et avait les mêmes ambitions et publiait chez les mêmes éditeurs, ce serait peut-être un peu ennuyeux.
04:37 Je peux vous demander pourquoi vous souhaitez rencontrer Bernard Pivot ?
04:41 Je crie, c'est drôle, c'est pour offrir à une agrégée de lettres, c'est comme le soir à la veillée, se faire lire les édifices de Bernard Pivot.
04:48 C'est une vengeance de quelqu'un qui était nul en orthographe.
04:52 Je trouve ça drôle.
04:56 Vous venez de publier une encyclopédie amoureuse du vin.
05:00 Ah non, ce n'est pas une vie encyclopédique. Je ne suis pas un encyclopédiste, j'ai fait un dictionnaire amoureux du vin.
05:06 Ah oui, c'est vrai. Mais pourquoi alors j'ai pensé que c'était une encyclopédie ?
05:09 Parce que vous pensez que j'ai peut-être la tête encyclopédique alors que je n'ai pas du tout la tête encyclopédique, absolument pas.
05:14 Un dictionnaire, ça va de à la vôtre jusqu'à zinc, c'est-à-dire on peut dire ce que l'on veut.
05:20 On choisit les termes que l'on veut. C'est une encyclopédie, il faut qu'elle soit extrêmement structurée, motivée.
05:27 On n'est pas dans le même registre. Moi, je suis dans le registre du plaisir, de la fantaisie, de choisir ce que je veux,
05:35 les vins que je veux, les mots que je veux, les souvenirs qui me sont agréables.
05:40 Oui, mais malgré tout, j'ai pensé que c'était une encyclopédie.
05:44 Et voilà, je reprenais également cette idée d'une définition de A à Z, comme vous le faites pour le vin.
05:52 Alors je voudrais repartir sur la lettre A avec vous. Je voudrais savoir si vous choisissez apostrophe ou Académie française ?
05:58 J'ai refusé d'aller à l'Académie française.
06:00 Pourquoi vous avez refusé ?
06:02 Parce que j'ai des amis, mais j'ai trouvé que c'était un peu pompeux, se déguiser, mettre un habit vert, faire des discours,
06:14 vous entrer à l'Académie sous les roulements de tambour, tout ça, c'est un peu solennel, ça ne correspond pas à ce que je suis.
06:22 Moi, je suis beaucoup plus simple que ça. Donc même si j'ai des amis, j'aurais dit non, je ne me vois pas.
06:29 La seule chose qui m'intéressait à l'Académie française, alors, c'était justement le dictionnaire.
06:33 Les travaux de dictionnaire, j'avais même dit à Alencar-Dankhaus, je veux bien aller à l'Académie française pour participer aux travaux de dictionnaire.
06:41 Ça, ça m'intéresse, ça me passionne même. Mais le reste, non.
06:45 Alors que l'Académie Goncourt, j'avais dit dans une interview au Nouvel Observateur, à la fin, quand j'ai arrêté mes émissions ETA,
06:53 j'aurais dit non, pour les raisons que je viens de vous expliquer, mais l'Académie Goncourt, ça m'intéresserait.
06:57 Parce qu'on y fait trois choses que je sais à peu près bien faire, c'est lire, boire et manger.
07:02 Et j'avais ajouté, malheureusement, on ne peut entrer à l'Académie Goncourt que si on est un écrivain.
07:09 Moi, je ne suis qu'un journaliste, donc je ne peux pas y entrer.
07:11 Et puis finalement, Edmond de Charleroux, François Norissier m'ont dit après, mais vous savez, il n'y a rien dans le règlement
07:19 qui nous oblige à faire venir chez nous des écrivains.
07:22 Et donc j'ai été élu et je suis, je crois, le premier journaliste à entrer à l'Académie Goncourt sans avoir le statut d'écrivain.
07:29 Alors, il y a des Goncourt, là. Vous avez West, vous avez Schneider, il n'y avait ni toi ni moi, il n'y a plus.
07:35 Il y a Jean-Élisabeth Boulin, il y a Bataille, il y a Oudgui, il y a Flechère, il y a Lapoux.
07:43 Oui, parce que tous ceux-là sont dans la liste des Goncourt.
07:47 Alors je vous parle parce que mardi prochain, on se réunit, il y en a la moitié qui va disparaître.
07:52 Et ni toi ni moi de Camille Laurence, pourquoi ?
07:54 Eh bien, il y était. Moi, je l'ai beaucoup défendu. C'est un livre que j'aime beaucoup.
07:58 Mais elle a eu le prix féminin il y a trois ans ou quatre ans.
08:02 Et Apostrophe ?
08:04 Ah ben Apostrophe, c'est un grand souvenir, c'est la nostalgie, c'est un souvenir, c'est 15 ans.
08:09 La mélancolie, vous disiez même. Vous alliez jusqu'en prisme.
08:13 Oui, alors moi, je vais vous dire une chose. Beaucoup de gens pensent que quand on arrête,
08:17 quand on a animé des émissions littéraires, des émissions, quelles qu'elles soient, pendant 28, 30 ans,
08:23 on est très malheureux. Après, pas du tout. Alors moi, ça ne me manque pas. Pas du tout.
08:28 Mais si vous voulez, Apostrophe représente un moment de la télévision avec d'autres émissions, pas la seule.
08:35 D'autres émissions comme le Grand Échiquier. Donc une autre télévision qui n'est plus celle d'aujourd'hui.
08:40 Une télévision peut-être moins soumise à la pression parfois criminelle de l'audimat.
08:47 Une télévision plus, me semble-t-il, intelligente, moins soumise aux puissances de l'argent,
08:55 hélas, de la vulgarité. Donc ça ne veut pas dire que la télévision aujourd'hui est devenue vulgaire.
09:03 Non, il y a aussi de très bonnes émissions, mais elles ne sont pas placées aux mêmes heures.
09:07 Elles sont dans une sorte de maelstrom, maintenant, gigantesque. Donc on a du mal à les repérer.
09:14 À l'époque, à Apostrophe, il y avait 4 ou 5 chaînes, pas plus. Donc il y avait une identification de la culture à la télévision
09:20 qui ne peut plus se faire aujourd'hui. Il y avait un repérage. Les téléspectateurs disaient eux-mêmes qu'ils étaient abonnés.
09:28 Ils étaient abonnés à Apostrophe. Ils étaient abonnés au Grand Échiquier. Par avant, ils étaient abonnés à Lecture pour tous,
09:35 à l'émission de Polak. Droit de réponse était des émissions qui sont restées mythiques parce qu'il y avait cette notion d'abonnement.
09:41 On ne les ratait pas, pour ceux qui les aimaient, bien entendu.
09:43 J'aime bien, que ce soit au football ou au rugby, le contre-pied, c'est-à-dire ne pas faire ce qu'on en a tant de goût.
09:50 Donc j'ai préféré écrire un livre un peu autobiographique sur le vin, parce que le vin a compté de ma vie,
09:57 parce que je suis né dans une région viticole, tout simplement, que ma mère avait 5 hectares de vigne dans le Beaujolais,
10:04 et que j'ai donc passé d'abord toute la guerre, ma mère étant prisonnière de guerre, toute la guerre à l'école communale qui est ici en Beaujolais.
10:10 C'était ma première école. Et puis, jusqu'à l'âge de 20 ans, j'ai fait, hormis la taille, j'ai fait tous les travaux de la vie pendant les vacances.
10:18 J'ai fait toutes les vendanges, bien entendu, ramassé de raisins, du pressuré.
10:23 Donc je pense que cette imprégnation du vin et surtout cette jeunesse dans la vigne m'ont beaucoup marqué.
10:36 Ça a été pour moi, j'ai eu une jeunesse assez contrainte, mes parents étaient assez sévères,
10:41 et la période des vendanges, par exemple, était une période de grande liberté, une période de sensualité.
10:47 Moi, je tombais follement amoureux chaque fois que je...
10:49 – Alors je vais malgré tout vous faire parler de votre enfance. Quand est-ce que le livre a commencé à...
10:55 ou la littérature a commencé à vous arracher ?
10:58 – La littérature, très tardivement. Ce qui m'a séduit quand j'étais enfant, ce sont les mots.
11:05 En réalité, c'était pendant la guerre et je n'avais pratiquement qu'un livre.
11:09 Chez les voisins, j'avais un gros livre sur la guerre de 1914,
11:12 que mon père était prisonnier de guerre par une sorte d'héroïsme, d'esprit héroïque.
11:17 J'allais lire ce livre. Et puis il y avait une sorte de bande dessinée patriotique.
11:23 Et puis il y avait, chez ma mère, à la campagne, dans le Beaujolais, il y avait un petit Larousse.
11:28 J'adorais les mots. C'est là où j'ai pris le goût des mots.
11:30 Mais je n'ai pas pris le goût de la littérature. J'ai commencé à lire vraiment,
11:34 mais à lire réellement que lorsque je suis entré au Figaro littéraire.
11:37 Avant, si, bien sûr, j'ai lu comme tout le monde.
11:40 C'est ce qui était obligatoire de lire à l'école à l'époque.
11:43 Et puis j'ai lu, je lisais des romans de Daragon, de Blondin, de Félicia Marceau.
11:51 Comme ça, en dilettante, je n'étais pas fou de lecture.
11:54 Je ne savais pas à l'époque ce que c'était que la littérature.
12:00 On disait plutôt d'ailleurs les lettres, les belles lettres.
12:03 Donc la littérature, c'est plus un mythe pour moi qu'une réalité.
12:09 Vous disiez « J'ai eu cette chance inouïe de faire de la télévision »
12:12 et vous avez dit également « J'ai eu la chance inouïe de rencontrer des gens enracinés
12:16 dans la douleur du temps qui m'ont arrachée à ma condition d'enfant. »
12:23 Oui, parce que fatalement, quand vous avez le privilège,
12:26 parce que c'était un privilège de rencontrer des écrivains d'une qualité exceptionnelle.
12:30 Citez quelques noms.
12:31 Solzhenitsyn, j'ai fait quatre émissions. Vous vous rendez compte ?
12:34 Quatre, tête à tête avec Solzhenitsyn, avec pour moi l'un des plus grands écrivains du XXe siècle,
12:39 c'est-à-dire Nabokov, avec Albert Cohen, avec Yursenar, avec Margrethe Duras,
12:45 avec Claude Lévi-Strauss, avec Georges Dumézil, avec Chou Ando.
12:51 Bon, je ne vais pas tous les énumérer, mais ce sont des privilèges extraordinaires.
12:56 Quand fatalement vous rencontrez ces gens-là, après les avoir lus, bien entendu,
13:01 vous entrez dans des mondes qui ne sont pas les miens,
13:05 et bien entendu qui sont beaucoup plus riches que le monde à moi.
13:08 Et donc, c'est un...
13:10 Parce que là, parfois, vous rencontrez de grandes douleurs, pour répondre à votre question.
13:15 Vous rencontrez des drames, Solzhenitsyn, vous êtes en face de quelqu'un qui représente tout le XXe siècle,
13:21 enfin, disons la deuxième moitié du XXe siècle,
13:23 plutôt qu'il a vaincu les trois grands fléaux de la deuxième moitié du XXe siècle,
13:28 c'est-à-dire qu'il a survécu à la guerre, au cancer et au camp de concentration.
13:32 C'est quand même extraordinaire.
13:34 Quand vous avez en face de vous un personnage comme ça, vous ne pouvez pas vous...
13:39 Vous ne pouvez pas vous prendre la tête, hein.
13:41 Vous ne pouvez pas vous considérer comme quelqu'un de très important dans la vie.
13:46 Voilà, c'est ça que je veux dire.
13:48 En plus de ça, ça vous oblige à réfléchir sur les grands drames du siècle.
13:54 Mais même quand vous êtes devant Marguerite Duras, elle...
13:59 Je ne sais pas, ça me remplissait d'une certaine joie, d'une certaine tristesse aussi.
14:05 C'était quand même le quittement de ma mère.
14:07 Mais d'une certaine joie aussi, d'être comme les autres.
14:11 Elle parle d'elle, de sa famille, de son inquiétude à écrire,
14:18 taraudée par la postérité, emprunt à l'alcoolisme.
14:24 Même là, vous êtes devant quelqu'un dont on voit très bien,
14:27 à la fois elle est consciente de sa qualité, mais aussi,
14:32 dont on voit très bien aussi qu'elle souffre.
14:36 Mais est-ce qu'il y a de grands écrivains qui n'ont pas souffert ?
14:41 Il y en a certainement, il y a sûrement des écrivains heureux.
14:47 Vous en doutez ?
14:49 Oui.
14:50 Je ne sais pas, un homme comme Molière a été un homme malheureux.
14:54 Avec vous, les écrivains, ils sont là ? Ils sont avec vous ?
14:58 Il n'y a pas simplement la lecture, leur présence également à la télévision,
15:05 c'est-à-dire leur image, leur parole, leur voix.
15:08 Vous l'avez fait exister, vous n'êtes pas le seul à avoir fait cette démarche.
15:13 C'est important que l'écrivain soit là et pas simplement le livre.
15:18 La meilleure façon quand même de parler d'un livre, c'est d'avoir son auteur,
15:21 sauf si l'auteur ne le veut pas.
15:23 Il y a un homme comme Julien Gracq, il n'a jamais voulu parler de ses livres,
15:26 à la télévision ou à la radio, c'est son droit, il faut le respecter.
15:30 Mais un écrivain aujourd'hui, on s'en oublie.
15:34 On croit que c'est le monde moderne qui a inventé l'écrivain
15:38 qui s'explique, qui justifie ses choix, mais pas du tout.
15:42 Prenez toutes les pièces du 17e et du 18e siècle,
15:46 il y a toujours des préfaces, des envois au roi, au prince, au bienfaiteur,
15:54 où l'écrivain, que ce soit Racine, soit Cornet, soit Molière,
15:59 explique ce qu'il a voulu faire, pourquoi il a choisi ce sujet,
16:02 qu'est-ce qu'il a voulu faire, pourquoi il l'a écrit en vert, et ainsi de suite.
16:08 Il y a toujours eu une adresse au lecteur.
16:10 Oui, à cette époque-là, même, il y avait l'adresse,
16:15 on ne s'adressait pas au public, on s'adressait au roi ou au prince
16:19 qui nous gouvernait, qui les gouvernait, mais il n'empêche qu'il y avait
16:22 ce besoin pour l'écrivain de dire en quelques mots pourquoi il avait choisi ce sujet
16:27 et comment il lui avait semblé bon de le traiter.
16:30 Donc on n'a rien inventé.
16:32 Notamment à propos de Doublejeu, cette émission a eu des rencontres
16:39 avec ceux qui utilisent la langue française.
16:41 Vous disiez que c'est une langue qui rend paisible.
16:43 La langue française rend paisible et dynamique ceux qui la parlent.
16:46 J'aimerais bien que vous me parliez de ça, de la langue.
16:49 Oui, vous avez dit ça.
16:50 Elle rend paisible et dynamique.
16:52 La question que je me posais, c'est en quoi ça rend paisible.
16:55 Je ne sais pas, je suis étonné d'avoir dit ça.
16:59 Il y a des gens que la langue rend paisible et d'autres que la langue excite.
17:03 [Musique]
17:09 Il y a une phrase que je pense qu'elle est de vous également et je ne l'ai pas comprise.
17:14 Peut-être que vous pouvez m'expliquer.
17:15 Je connais peu d'humiliation qui résiste à un nom sur une liste de best-seller.
17:20 Oui, bien sûr.
17:22 Un écrivain, il écrit souvent parce qu'il a une douleur.
17:33 Je ne dis pas les grands écrivains.
17:40 Un écrivain n'est grand qu'après sa mort.
17:42 On ne sait pas si son viendra.
17:44 Disons un écrivain, ce qu'on appelle les écrivains.
17:46 Angelo Rinaldi dit quelque part, les écrivains, déjà ce mot-là,
17:50 on ne peut pas l'accorder à beaucoup de gens.
17:52 Je ne suis pas sûr que tous les gens qui sont au salon du livre de Saint-Étienne
17:56 méritent tous le nom d'écrivain.
17:58 Mais enfin bon, on ne va pas m'égoter là.
18:00 En tout cas, moi, par exemple, je ne suis pas un écrivain.
18:03 Pas du tout.
18:04 J'ai une exigence pour ce mot-là.
18:09 Donc, les écrivains, souvent ils écrivent parce qu'ils ont ressenti des humiliations,
18:18 ils ont ressenti des douleurs, ils sont mal dans le monde,
18:20 ils sont mal dans leur peau.
18:22 Ils racontent ça.
18:24 Parfois certains sont heureux aussi.
18:26 Et puis, un jour, le livre qu'ils ont écrit, dans la douleur,
18:36 qui parfois parle d'une douleur, il se trouve sur une liste de best-seller.
18:40 Leur vie est transformée quand même.
18:42 C'est pour ça que la liste des best-sellers, non seulement, elle sert au public,
18:51 un peu trop d'ailleurs, parce que le public fait trop confiance aux best-sellers.
18:55 On vous a beaucoup fait confiance, vous aussi, les lecteurs.
19:00 On vous a beaucoup fait confiance ?
19:02 Non, ils ont fait confiance aux écrivains que j'avais invités, surtout.
19:06 Bon, ça m'arrivait parfois de...
19:08 Ah oui, vous avez eu quelques coups de gueule quand même.
19:10 Oui, parfois d'appuyer, pour dire que c'est un peu dommage
19:12 quand vous avez un auteur devant vous, que vous trouvez qu'il s'embarrasse,
19:17 qu'il s'emmerde, qu'il ficote dans ses propos,
19:19 qu'il n'est pas aussi bon que vous l'espériez,
19:21 qu'il est même à côté de la plaque,
19:23 qu'il ne sait pas bien parler de son livre.
19:25 Moi, ça m'exaspérait, et vous, d'un moment à l'autre, ça m'énervait.
19:28 Alors, rarement, mais du coup, je venais à son secours,
19:32 et avec un peu de... avec assez de véhémence,
19:38 je disais au public, écoutez, lisez ce livre,
19:41 et vous verrez que vous vous en porterez très bien.
19:43 Donc ça m'est arrivé quelques fois.
19:45 Vous l'avez lu ?
19:46 Ah oui, d'abord, oui.
19:48 Vous en sortez secoué, je vous le dis.
19:51 Très secoué.
19:53 La vertu de la littérature, c'est parfois de déstabiliser celui qui le lit.
19:57 C'est bien, elle n'est pas là toujours pour rassurer, pour conforter.
20:01 C'est pour ça que je défendais Houellebecq,
20:03 parce que je...
20:06 Il m'irrite très souvent, il m'agace.
20:10 Parfois, j'ai envie de jeter le livre par la fenêtre,
20:12 mais c'est un écrivain, alors...
20:15 Ça compte.
20:17 Les écrivains ne sont pas faits...
20:22 Ils ne sont pas là pour que les lecteurs ronronnent.
20:26 Dans ce cas-là, c'est de la mauvaise littérature.
20:29 On s'installe en ronron, moi, le ronron, c'est les chats.
20:32 J'adore les chats.
20:34 Mais pas autrement.
20:36 C'est magnifique, ton dessin.
20:38 Non ?
20:40 Non.
20:41 Tardy, il est formidable, ton dessinateur.
20:44 Voilà, cette main qui s'étache.
20:46 On vous a...
20:48 J'ai vu un portrait de vous, vous étiez dessiné.
20:53 Il restait...
20:55 Il y avait trois portraits.
20:56 Je ne sais pas si vous vous en souvenez, c'est sur un site internet qu'on retrouve cela.
21:01 Il y a vos yeux, votre cravate, un verre, un livre à la main,
21:06 et le regard que vous portez sur les livres.
21:10 Ah bon ?
21:12 Voilà.
21:14 C'est beau.
21:16 Presque pas de traces de lèvres, de bouche, sur ce dessin-là,
21:20 parce que j'avais le sentiment que vous les poussiez à parler et à être regardés.
21:30 Bon, eh bien, on va aller où ?
21:32 Bernard, pour vous, on n'a pas parlé de football encore, à Saint-Etienne.
21:43 On va parler de tout.
21:45 Non, mais dites-moi, Saint-Etienne, ce club, vous en parlez fréquemment, ce club stéphanois.
21:53 Il a une identité particulière ?
21:55 Oui !
21:56 Il a un palmarès particulier.
21:58 Il avait une identité particulière parce que c'était un club ouvrière
22:05 où les jeunes formés au club devenaient des grands joueurs de football.
22:09 C'était ça.
22:11 Et en plus, une équipe qui développait des qualités précisément d'une ville du travail,
22:19 c'est-à-dire le courage, le pignâtreté, la volonté de gagner, de s'en sortir.
22:30 C'était un club qui a été mythique pour toutes ses qualités,
22:35 et puis pour son palmarès, qui reste exceptionnel, il est inégalé en France.
22:40 J'avais deux clubs dans mon enfance.
22:42 L'ancêtre de l'Olympique lyonnais, c'était le Loup, puisque j'habitais Lyon,
22:46 et le Loup jouait en seconde division.
22:48 C'était Lyon Olympique Universitaire.
22:50 Mon père m'emmenait au stade des Irises voir des matchs de seconde division.
22:54 Et puis, quand j'avais de bonnes notes au lycée, ce qui était assez rare,
22:58 il m'emmenait jusqu'à Saint-Etienne, et puis il m'emmenait voir dans toutes les petites dévères.
23:03 Et puis, j'étais partagé entre les deux clubs.
23:06 Et puis, évidemment, même si Lyon a eu une époque assez brillante en Coupe de France
23:11 avec Dinalo, Combin, Rambert, des joueurs de grande qualité,
23:16 c'est quand même Saint-Etienne qui a enlevé la décision
23:21 en réussissant à enthousiasmer toute la France, et moi en particulier.
23:30 Ah ben, ces échanges sont le feu.
23:32 À chaque fois, ils sont nécessaires.
23:34 Oui, mais ça fait partie du...
23:36 Comme le plaisir de parler des vins après les avoir goûtés,
23:39 ça fait partie du plaisir de commenter les buts qui ont été marqués ou qui n'ont pas été marqués,
23:44 les moments, les... Voilà, toutes les vicissitudes du football, les péripéties,
23:49 tout ça donne matière à discussion sans fin.
23:52 C'est tout le plaisir du football.
23:53 Si vous retirez la conversation avant, pendant et après, vous enlevez tout le plaisir du football.
23:58 Donc, la discussion va continuer, là ?
24:02 Ah ben non, pas pendant le match.
24:04 Mais après le match, oui, ça va reprendre, parce qu'on va voir des choses.
24:08 Oui, bien sûr.
24:10 Nous sommes des bavards, n'oubliez pas.
24:13 Des bavards, des bubards.
24:16 Mais, au lieu de dire...
24:18 C'est plus...
24:20 L'arcade, bah bon...
24:23 Ah !
24:25 Bonsoir.
24:29 Ça va ?
24:30 Ça va bien, merci.
24:31 Ça va bien ?
24:32 Ça va.
24:33 Merci.
24:34 Il a appelé ?
24:35 D'abord, oui, j'étais une sorte de familier, là, des...
24:39 Ah ben, ça a changé, les Stia aussi.
24:41 Ouh là là ! Oui, parce qu'il y avait...
24:43 Quand on entrait, il y avait...
24:44 La piscine est toujours au même endroit.
24:46 Par contre, si ce pivot, ça voudrait le coup, un jour, vous...
24:50 Vous nous fassiez une dictée, parce que...
24:52 Parce que là, à mon avis, il va y avoir des...
24:54 Là, il va y avoir des...
24:56 On a deux, trois spécimens, à mon avis, ils peuvent...
24:58 Il va y avoir de la casse, hein.
25:01 On a des énarques...
25:04 Des énarques.
25:06 Non, je plaisante.
25:07 Il y a...
25:08 Il y a...
25:09 Il y a la capitaine.
25:10 Tu vas où, il est là ?
25:11 Oui, capitaine.
25:13 Ça va aller.
25:14 Allez-y, entrez, vous faites comme chez vous.
25:16 Oh là, je suis...
25:17 Il est...
25:18 C'est pas marqué.
25:19 Il y a un coup de couille.
25:20 Je pense que l'arbitre, il a peut-être été les plans.
25:22 Oui.
25:23 Les gars d'ordi, pas mal ici, mais chez toi ?
25:25 Je ne sais pas si le rouge est...
25:27 Alors, on n'a pas le retour, évidemment.
25:29 L'autre, il a un vol plané incroyable.
25:32 Vous venez pour une dictée ?
25:33 C'est bien, il y a la première lumière.
25:35 Je viens vous faire une dictée.
25:36 Vous ne pouvez pas faire une dictée.
25:37 Je vais juste lui demander si c'est ton plaisir à venir à cette réunion.
25:41 À Saint-Etienne, oui, enfin, au Salt-Geoffroy.
25:43 Oui, à Saint-Etienne, évidemment, en règle générale, mais au Salt-Geoffroy.
25:46 Guichard, il y avait très longtemps que je n'étais pas venu dans les vestiaires.
25:49 Ça me rappelle des souvenirs, évidemment.
25:51 Mais oui, il ne faut pas trop évoquer la nostalgie verte, tout ça,
25:55 parce que c'est emmerdant pour eux d'entendre toujours "ouais, c'est formidable".
26:00 Donc, écoutez, ils ont gagné 2 à 0 et j'ai vu beaucoup de victoires ici 2 à 0.
26:04 Donc, on est dans le fil droit de l'histoire.
26:07 Moi, je suis très franco-français.
26:10 Oui, vous parlez du vin, notamment.
26:13 Ma mère est lyonnaise, mon père est de la Loire.
26:16 J'ai vécu mon enfance à Lyon, le Beaujolais, puis Paris.
26:20 Donc, je n'ai pas pu être franco-français que moi.
26:23 J'aime le football, j'aime le vin, j'aime la gastronomie française.
26:28 Donc, avec tout ça, je me dis que ce que je ne suis pas, c'est un exilé,
26:34 je ne suis pas un cosmopolite, je ne suis pas quelqu'un qui franchit les frontières,
26:41 qui attrape les langues, qui chope les cultures, qui a fait ses études à l'étranger.
26:47 Donc, j'ai l'admiration pour ces gens-là, parce qu'ils sont très loin de moi.
26:52 Donc, j'ai voulu les questionner, j'ai voulu interroger d'autres que moi-même.
27:00 La littérature, c'est, je pense, une sorte de besoin appressant
27:11 que ressentent certaines femmes et certains hommes,
27:16 de se dépasser, de sortir de leur enveloppe
27:24 et d'aller puiser ailleurs des émotions, des sensations,
27:32 et surtout d'avoir l'ambition de les restituer sous forme de romans,
27:37 de caisses de théâtre, des scènes, de poésie, de ce que vous voudrez.
27:42 C'est une sorte d'envie de voler, une envie de se détacher de soi
27:52 et en même temps d'être soi-même.
27:54 Quelle est la citation dont vous vous souvenez et qui vous marquera à jamais ?
28:01 Je ne parle pas de votre livre pour l'instant, mais j'avais envie que vous parliez.
28:05 On a toujours envie que vous parliez des autres, vous Bernard Pivot.
28:09 Je ne suis pas un homme de citations, contrairement à Jean Dormeçon qui met des citations.
28:14 Je ne suis pas un homme de...
28:16 C'est très rare quand d'un seul coup je peux faire une citation spontanément,
28:19 d'abord parce que je n'ai pas une très bonne mémoire,
28:21 puis j'ai toujours peur de me tromper.
28:23 La dernière citation que j'ai faite, c'était un autre jour à la télévision,
28:28 et on m'a regardé un peu étonné.
28:30 Je citais cette phrase d'Alphonse Allais,
28:33 oui, ce n'est pas un auteur très sérieux,
28:36 mais si j'étais riche, je pisserais tout le temps.
28:40 Merci Bernard Pivot.
28:43 Merci beaucoup.
28:45 C'est une bonne fin.
28:48 Je ne suis pas sûr que c'est la meilleure fin quand même possible.
28:51 On cherche toujours la dernière phrase d'un livre,
28:53 ou la dernière phrase d'une émission.
28:55 On n'est jamais sûr.
28:57 Peut-être qu'on peut revenir sur les questions que vous posiez habituellement.
29:00 Je vais me citer alors.
29:03 Je vais me citer une phrase de mon livre sur les vins,
29:07 parce que je trouve que ça résume bien,
29:11 et d'une manière humoristique bien entendu.
29:14 J'ai écrit "les mauvais vins rendent la langue pâteuse et le genou mou,
29:22 et les bons vins facilitent l'articulation des mots et des eaux".
29:27 Voilà.
29:29 On est dans le mouvement comme à chaque fois,
29:32 on est dans la langue,
29:34 et on est dans le vin.
29:36 On est dans le vin, et on a l'impression que c'est une bonne gymnastique.
29:41 A votre santé.
29:42 Merci Bernard Pivot.
29:44 Merci beaucoup.
29:46 De cette rencontre.
29:48 Voilà.
29:50 [Musique]

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