• il y a 7 mois
La France de l'après Covid : voici sur quoi ont travaillé 200 photographes de presse, dans le cadre d'une commande sans précédent faite par le ministère de la Culture et la Bibliothèque nationale de France. Au final, des milliers de clichés, radioscopie d'une France dont le confinement a subtilement changé les contours. Un trésor, une mine de portraits et de paysages, de vie quotidienne ou d'itinérances, dont la BNF a extrait près de 500 photos, exposées aux yeux du public, jusqu'en juin 2024. Ce magazine de LCP offre un focus sur sept reporters-photographes : voici leur histoire et ces morceaux de France qu'ils ont choisis de nous montrer.

Réalisé par Sophie Varillon / Durée : 26' / Production : LCP-Assemblée nationale, en partenariat avec la BNF

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Transcription
00:00Des trésors ont pris place dans les tiroirs de la Bibliothèque nationale de France.
00:07Des milliers de photos issues d'une commande sans précédent.
00:11200 photographes de presse ont été invités à saisir sur le vif la France de l'après-Covid.
00:17On a beaucoup de quotidiens, de personnes dans leur vie de famille, d'amis qui se retrouvent,
00:24les gens à la pompe à essence sur les aires d'autoroutes.
00:28Tous ces sujets de la vie quotidienne des Français sont souvent dans des moments de suspension, d'attente, de partage.
00:36Les photographes se sont beaucoup focalisés sur ces moments-là.
00:41On a aussi beaucoup de sujets sur des itinérances, des errances.
00:45On remonte un fleuve, on prend des ferries, on traverse la Méditerranée,
00:51on remonte les chemins noirs de Sylvain Tesson.
00:54Une mine de portraits, de paysages, dont la BNF a extrait près de 500 photos exposées aux yeux du public jusqu'en juin 2024.
01:04Portrait d'une France dont le confinement a subtilement changé les contours.
01:09Plus qu'une exposition, une immersion.
01:12Grâce à la grande commande, les photographes ont bénéficié de 7 mois pour produire leur tirage.
01:18C'est un temps beaucoup plus long que lorsqu'on est commandité par la presse,
01:22où on doit partir et faire un sujet avec un rédacteur en 48 ou 72 heures.
01:27Et donc ça donne aussi un souffle différent au reportage.
01:32Un souffle que nous avons voulu partager, prolonger.
01:36Nous avons rencontré 7 photographes, voici leur histoire et ces morceaux de France qu'ils ont choisi de nous montrer.
01:44C'est vrai qu'on avait besoin, après Covid, de se remettre au travail et de retourner voir des visages.
01:50Il y avait été masqué quand même.
01:52Les lieux culturels sont restés fermés très longtemps.
01:55C'est pour ça que j'ai choisi ce sujet, les pratiques artistiques de la jeunesse dans les quartiers populaires.
02:03J'ai réfléchi un peu à quel lieu j'avais envie de photographier.
02:06Moi, j'habite moi-même en Seine-Saint-Denis.
02:08Et donc j'avais envie qu'on sente ce territoire qui est très particulier,
02:13avec souvent des grands ensembles, des immeubles.
02:20Donc je me déplaçais de lieu en lieu, je revenais.
02:24Et puis ensuite, on voit des enfants avec qui ça accroche, des jeunes avec qui ça accroche.
02:28Et puis voilà, je proposais tout simplement à certains de faire un portrait,
02:34de se mettre par petits groupes pour les photos.
02:38Ce qui était intéressant et opportun par rapport à cette commande de La France après le Covid,
02:49c'est qu'en fait, tout le monde a eu absolument tout ce qu'il a voulu dans les magasins.
02:56On n'a pas souffert de rupture de stock, à part les masques, mais bon, ça c'est encore une autre chose.
03:01Mais voilà, on a fait nos courses, on a pu se faire livrer.
03:04Au contraire, même, ils se sont hyper adaptés à la demande.
03:07Et du coup, j'ai proposé ce travail sur la logistique.
03:17Mon idée, c'était justement de valoriser le travail des gens qui avaient fourni tous ces efforts pendant le Covid.
03:22Alors pour le coup, les gens de la logistique, on n'en a vraiment pas du tout parlé.
03:35Le fait de choisir de suivre des aides à domicile dans leur métier,
03:38c'était continuer ce fil que je suis depuis de nombreuses années, le monde du travail.
03:42Et en même temps, être vraiment collé, enfin collé.
03:46C'était vraiment un métier qui, pendant le Covid, ne s'est pas arrêté,
03:50qui n'a pas vraiment été mis en avant.
03:52C'était plutôt les gens qui travaillaient dans les hôpitaux, qui ont été applaudis, etc.
03:56Toutes ces femmes qui exerçaient ce métier, on ne les a pas trop applaudies,
04:01ni mises en avant, ni mises en lumière.
04:04On n'a pas beaucoup parlé d'elles, mais elles ont toutes continué forcément,
04:07puisqu'elles allaient au domicile de tous ces gens seules.
04:12Et là, j'ai commencé à réaliser ce métier.
04:16Je me suis rendue compte qu'il n'y avait pas d'aides à domicile.
04:20Je suis allée au domicile de tous ces gens seules.
04:23Et là, j'ai commencé à réfléchir, à me dire,
04:26tiens, ça serait vraiment bien que je puisse faire un projet avec ces femmes.
04:29Et petit à petit, je suis rentrée en contact avec une association, Familles Rurales.
04:34Et après, c'était parti.
04:41Il fallait que l'association soit vraiment, enfin m'aide en fait,
04:45et appelle les familles pour expliquer le projet.
04:48Est-ce qu'il y a une photographe qui va accompagner l'aide à domicile qui vient chez vous ?
04:53Est-ce que vous acceptez ?
04:55Est-ce qu'elle peut aussi vous photographier dans des moments un peu plus intimes ?
04:59La toilette ? Le lever ?
05:02C'était que des moments intimes finalement, sauf peut-être les repas.
05:05Mais quand même, c'est toujours très intime de rentrer chez les gens.
05:08Pour moi, toutes les questions de rapport aux autres, c'est même la base de notre métier.
05:14C'est n'importe quelle situation.
05:16On crée un rapport avec la personne qu'on interview, la personne qu'on rencontre,
05:19et qui nous ouvre un peu de leur intimité.
05:22Et en ça, c'est vrai que la photographie, c'est assez formidable,
05:25parce qu'il y a peu de métiers où on a une excuse pour aller taper à la porte des gens,
05:29en disant bonjour, je m'appelle Lucien, parlez-moi de vous, et ça sera exposé quelque part.
05:39L'idée de travailler sur les utopies, c'était vraiment s'intéresser à ce qui fait rêver les gens,
05:44de voir dans quoi ils se projettent.
05:46C'est aussi un miroir, c'est aussi de voir ce qui les préoccupe.
05:49Quelqu'un qui va s'installer dans la Drôme parce qu'il est préoccupé par les questions d'écologie,
05:53c'est parce que c'est une question de notre époque.
05:59Pour moi, la façon de le faire, c'était que je prenais rendez-vous avec des gens,
06:02et je me disais, je viendrais à telle date absolument.
06:05Puis j'y vais, je me présente, j'explique un peu mon projet.
06:08Il y a des gens qui sont pour, il y a des gens qui sont contre.
06:10Les gens, quand on les contacte avant de les connaître, les gens ne savent pas exactement.
06:14Nous, on ne sait pas encore où on met les pieds, et eux ne savent pas exactement qui on est.
06:19L'idée, c'était de passer plusieurs jours avec ces personnes-là,
06:22qui me parlent d'eux, qui me parlent de leur projet, qui me montrent ce que c'est, en fait.
06:32Et donc, j'y passais plusieurs jours,
06:34soit j'avais ma petite tente dans ma voiture et je plantais ma tente à un endroit,
06:37soit des fois, ils avaient des chambres d'amis ou des pièces d'amis,
06:40ou des pièces à vivre qu'on partageait à plusieurs, des dortoirs.
06:43Il y a des endroits où je suis retourné plusieurs fois,
06:45mais généralement, je passais du temps,
06:47et il y a des fois où je me sentais tellement bien que j'ai passé plus de temps que nécessaire,
06:50ce qu'on veut vraiment pour les photos, mais c'était vraiment très chouette.
06:57L'image des jeunes au bord de la rivière,
07:00elle a été prise au moulinage de Chirol,
07:03qui est une ancienne usine de fabrique de soie
07:06qu'un groupe de plusieurs dizaines de personnes sont en train de retaper,
07:09ils en ont pour 7 ans de travaux.
07:13Ils font les travaux eux-mêmes,
07:15et ça, c'était mon deuxième voyage, justement.
07:17J'étais allé une première fois assez rapidement, j'avais pris contact avec eux,
07:19j'avais trouvé le projet super,
07:21et je me suis dit, je vais y retourner,
07:23et puis là, j'ai passé un peu plus de temps avec eux,
07:25et tout le monde savait pourquoi j'étais là.
07:30Parce que j'ai parlé avec tout le monde,
07:32et c'est une question de confiance, de rapport,
07:35si on passe du temps avec les gens et qu'on s'intéresse à eux,
07:37c'est pas un problème.
07:39Et je me suis pas senti...
07:41Enfin, je me suis senti faire partie du groupe,
07:43et il y avait une belle lumière, ils étaient heureux.
07:46Les gens font même plus attention à moi, finalement.
07:48C'est vrai que dans cette image, il n'y a que le bébé qui me voit.
07:52Donc moi, ça a été un beau moment de...
07:54un beau moment de passer avec eux.
07:56Il y a une part d'envie d'être avec eux, effectivement,
07:58je peux le concevoir.
08:00C'est peut-être ce qui m'a le plus...
08:02Personnellement, je me suis...
08:04J'ai donné à mon questionnement personnel de se dire
08:06est-ce que ce serait une possibilité pour moi,
08:08est-ce que ça m'intéresserait, est-ce que j'aimerais faire ça.
08:10J'ai pas encore de réponse.
08:12Mais ça m'a ouvert le...
08:14Ça m'a ouvert le champ des possibles,
08:16pour ma vie à moi-même.
08:25C'était l'occasion de proposer un parcours,
08:28d'avoir une ligne comme ça de conduite,
08:30suivre, finalement,
08:32cette façade, ce littoral,
08:34et d'aller interroger un petit peu
08:36ces enjeux actuels,
08:38que ce soit
08:40de l'érosion, de la submersion marine,
08:42des effondrements,
08:44des effets rétro-littoraux,
08:46toutes ces situations qui...
08:48qui amènent à
08:50la transformation du paysage
08:52sur un rythme assez accéléré.
08:58Je reste souvent assez longtemps en place,
09:00et comme je travaille
09:02sur des dispositifs,
09:04soit en me permettant une petite élévation,
09:06ou en tout cas, au moins, sur trépied
09:08et dans une forme d'attente,
09:10les personnes me voient.
09:12Ils savent que je suis présent dans l'image.
09:14Je ne suis pas
09:16un photographe qui se balade
09:18avec un boîtier autour du cou,
09:20qui vient prendre une image sur le vif,
09:22bien au contraire.
09:24J'ai cette posture statique qui me rend visible,
09:26et les personnes,
09:28ben, rejouent,
09:30ou en tout cas, poursuivent l'action
09:32dans laquelle ils sont et viennent l'amoublier, en fait.
09:34Et c'est des durées
09:36qui vont entre, effectivement,
09:38entre 10 minutes, quand ça va
09:40vraiment très vite, à des fois,
09:42oui, une heure ou plus
09:44d'attente que
09:46la situation, que la lumière,
09:48que l'ajustement du cadrage
09:50permettent de construire, en quelque sorte,
09:52cette représentation.
09:58Il faut que les choses, elles s'alignent
10:00un petit peu, à la fois
10:02dans, évidemment,
10:04dans la composition de l'image, parce que ça,
10:06évidemment, faire une image, c'est quand même
10:08cadrer, choisir sa distance,
10:10choisir le moment,
10:12qu'est-ce qu'on fait rentrer dans le champ,
10:14et aussi, on va dire,
10:16dans mon travail, ce qui est quand même assez important,
10:18évidemment, c'est la qualité de la présence
10:20de la personne que je photographie.
10:22Et donc, c'est tous ces éléments-là,
10:24la lumière,
10:26qui vont fabriquer,
10:28quelque part, une image.
10:34C'est pas le genre de sujet
10:36
10:38vous partez un matin, vous allez vous promener
10:40et vous dites, je vais rentrer
10:42sur une plateforme logistique.
10:44Ça n'est pas possible.
10:50Une plateforme logistique, physiquement, c'est très grand
10:52et ça a une vraie emprise, une vraie présence
10:54dans le paysage. J'étais partie de ça.
10:56Si, par exemple, je voyais un truc,
10:58je ferais bien une photo, je ne peux pas m'arrêter.
11:00En voiture, il y a des espèces de grosses pierres
11:02partout, pour pas que les camions se garent.
11:06Du coup, je ne pouvais pas m'arrêter,
11:08donc soit je marchais à pied,
11:10mais je n'aime pas tellement ça,
11:12je suis très chargée, ça ne va pas assez vite.
11:14Donc, j'ai utilisé une trottinette électrique,
11:16ce que font beaucoup de gens
11:18pour aller travailler.
11:20J'étais quand même un peu néophyte,
11:22donc il y a eu ce temps de regard,
11:24d'observation, et puis, de toute façon,
11:26il faut se jeter très vite dedans.
11:32Je n'arrive pas du tout avec mon appareil
11:34de façon intrusive.
11:38Je suis visible, mais discrète.
11:40C'est-à-dire, on me repère,
11:42mais je pense être relativement discrète
11:44et pas intrusive, en fait.
11:46Visible, mais pas intrusive.
11:48Et puis, des fois, je laisse les gens
11:50venir à moi, en fait.
11:52Après, il y a des moments aussi,
11:54il y a des interstices dans lesquels
11:56il faut se glisser, c'est-à-dire que
11:58tous les quais de livraison,
12:00il y a les routiers qui attendent.
12:02Là, il y a des moments de creux.
12:04Les routiers, je les ai photographiés là,
12:06qui sont au cul de leur camion,
12:08en train d'attendre.
12:10Donc, voilà, on trouve, en fait.
12:12On trouve.
12:18Je pouvais aller chez une personne
12:20qui acceptait ma présence,
12:22déjà la rencontrer,
12:24et ensuite, d'observer ce qui se passait.
12:26Et en fait, c'est des scènes
12:28qui se répétaient, en fait,
12:30tous les jours, pratiquement.
12:32Et donc, je pouvais me dire,
12:34voilà, la prochaine fois,
12:36je me positionnerais ici
12:38et j'arrivais à voir un peu comment
12:40j'allais faire la prochaine fois
12:42pour ne pas déranger,
12:44ni de dire, est-ce que tu peux refaire ?
12:46Mais non, c'était pas possible,
12:48parce qu'en fait, déjà, ça durait pas longtemps.
12:50Et en fait, j'avais pas envie.
12:52J'aurais peut-être pu le faire.
12:54C'était possible de le faire,
12:56parce que ces femmes qui ont accepté
12:58que je les suive, les aides à domicile,
13:00les auxiliaires de vie,
13:02elles étaient aussi très heureuses
13:04d'être suivies.
13:06Elles se sentaient reconnues.
13:08Le fait que quelqu'un les photographie,
13:10que je puisse m'intéresser à elles,
13:12que je puisse leur poser des questions
13:14et les suivre des jours et des jours.
13:18Puis, en fait, le fait aussi
13:20de les photographier devant leur voiture,
13:22systématiquement, de faire ce portrait
13:24devant les voitures,
13:26ça me permettait aussi de mettre un petit peu
13:28de ce que j'aime faire,
13:30c'est-à-dire toujours de travailler la série.
13:32Et ça avait du sens, parce que la voiture,
13:34c'est indispensable dans leur travail.
13:38En fait, là, c'est vraiment
13:40un travail de documentaire.
13:42J'ai travaillé avec un appareil
13:44qui me permettait d'être un peu plus souple,
13:46mais en même temps, d'être très dans les scènes,
13:48que ça soit pas sur le vif,
13:50pas des...
13:52Non, ça, j'aime pas trop
13:54travailler comme ça.
14:04Je suis Matt Jacob.
14:06J'exerce le métier de photographe
14:08depuis un peu plus de 30 ans.
14:12Pendant le Covid,
14:14j'ai rencontré un personnage particulier
14:16que j'ai croisé dans la rue du petit village
14:18où j'habite.
14:22Il faisait la manche devant la petite épicerie.
14:24On a discuté, j'ai proposé de l'héberger
14:26parce qu'il était dans une période,
14:28un passage un petit peu difficile.
14:30Et je lui ai proposé,
14:32au cours d'une conversation, de prendre la route
14:34avec lui, vivre comme un SDF
14:36pendant quelques semaines,
14:38pour témoigner de ce qu'est la précarité,
14:40de ce qu'est le regard de l'autre,
14:42de ce qu'est dormir dehors.
14:46Il m'a dit OK, d'accord,
14:48pour faire le sujet, pour qu'on prenne la route
14:50ensemble.
14:52Et puis, j'ai attendu son appel,
14:54mais il ne m'est jamais réapparu.
14:58Je suis parti donc à la recherche
15:00de Thierry.
15:02Je me suis mis à chercher Thierry dans les rues de Besançon,
15:04dans la communauté des sans-abris.
15:06J'ai fait pas mal de photos,
15:08mais je n'ai pas documenté réellement
15:10le milieu des SDF.
15:12Et surtout, d'un point de vue de l'image,
15:14je n'avais pas envie du tout,
15:16j'avais même peur
15:18de tomber dans une esthétique
15:20de la misère,
15:22qui est souvent facile en photographie,
15:24parce que la misère est spectaculaire.
15:28Je préfère raconter des histoires en noir et blanc
15:30que en couleur.
15:32Et surtout pour ce type de sujet, d'ailleurs.
15:34Parce que peut-être que la couleur
15:36ramènerait
15:38à une réalité crue
15:40auquel on échappe, là, en fait.
15:44J'avais besoin
15:46de trouver une forme
15:48qui aille plus loin
15:50que la simple représentation du SDF
15:52dans une rue.
15:56J'ai essentiellement
15:58photographié l'absence et le vide.
16:00Et puis, petit à petit,
16:02j'ai rencontré
16:04beaucoup de personnages.
16:08J'ai tenté de leur donner
16:10une dignité, malgré que ce soit
16:12une dignité qui se construit
16:14dans la dureté.
16:30C'est Idrissa.
16:32Il décharge.
16:34Il y a une espèce d'anarchie visuelle
16:36dans les plateformes de messagerie.
16:40Cette photo,
16:42elle a un côté un peu panique, en fait.
16:44Elle a aussi une histoire,
16:46c'est que la lumière du camion
16:48était en panne.
16:50C'est une des rares fois où j'ai utilisé un flash,
16:52parce que je ne voyais rien.
16:54Du coup, il y a ce côté un peu surprenant.
16:56Je m'intéresse
16:58très sincèrement, en fait,
17:00à comment on fait les choses.
17:02Et voilà, tout métier
17:04a du savoir-faire.
17:10Je veux montrer
17:12la richesse des gens, leur diversité,
17:14leur courage, parce que le mot de courage
17:16est revenu souvent.
17:18Il y a plusieurs personnes qui m'ont dit
17:20qu'il faut que les gens aient conscience quand même
17:22qu'on fait un travail difficile et qu'on est courageux.
17:26Les intérieurs
17:28de tous ces gens étaient...
17:30Leur domicile, ça prenait
17:32quelquefois beaucoup de place, parce que c'est souvent
17:34très chargé, mais j'avais
17:36envie de montrer quand même
17:38le soin avant tout.
17:40Et surtout, ce que je voulais montrer,
17:42c'est la solitude de ces personnes qui sont très seules
17:44et qui attendent.
17:50Leur seule visite, c'est les aides à domicile,
17:52les auxiliaires du VI qui viennent,
17:54toujours moins, ou alors la boulangère,
17:56mais c'est vraiment tellement important
17:58le maintien à domicile pour ça.
18:02Et donc, c'est vraiment ces gens tellement seuls,
18:04et ça, c'est en ville comme à la campagne,
18:06c'est la même chose.
18:16Il y avait la danse,
18:18il y a la musique, il y a un peu les arts graphiques,
18:20les arts plastiques,
18:22il y a la photographie.
18:24Pour moi, il fallait que je trouve les gestes
18:26qui permettent à la fois de faire comprendre
18:28quelle était la pratique, et puis en même temps,
18:30d'emmener vers un ailleurs,
18:32parce que ce qui est important dans une image,
18:34c'est évidemment tout ce qui est visible dans l'image,
18:36mais c'est aussi tout le hors-champ
18:38et tout ce qu'il faut essayer de
18:40voir sans voir.
18:46C'était un petit peu un cadeau, parce qu'en fait,
18:48c'est une association qui s'appelle
18:50Musique du Monde,
18:52et ils créent des fanfares, en fait,
18:54dans différentes villes, dans différents quartiers,
18:56avec vraiment la jeunesse
18:58des quartiers dits prioritaires.
19:00Ce jour-là, ils répétaient
19:02dans un endroit qui était juste
19:04à proximité d'un chantier,
19:06et donc, il y avait une forêt de grues.
19:08J'ai vu, en fait, cette espèce
19:10de relation entre, enfin,
19:12cette espèce d'idée du travail,
19:14cette idée de fabrication,
19:16de construction,
19:18de changement permanent aussi
19:20du paysage, de voir dans quel contexte,
19:22en fait, ils évoluent, ces jeunes,
19:24et que, malgré ce contexte qui peut être un petit peu
19:26par moments difficiles,
19:28socialement,
19:30au niveau de l'urbanisme,
19:32eh bien, il y a toutes ces possibilités
19:34qui leur sont proposées
19:36et qui permettent de les emmener ailleurs.
19:38Je vois aussi qu'il y a beaucoup
19:40de choses qui sont faites pour que les enfants
19:42réussissent à découvrir des choses
19:44qu'ils n'auraient pas forcément découvertes,
19:46et à augmenter leur capacité
19:48à faire et à faire avec les autres,
19:50parce qu'il y a beaucoup de choses qui se font en groupe,
19:52et il y a des choses merveilleuses,
19:54vraiment, qui se font pour
19:56créer de la cohésion, créer du groupe
19:58et fabriquer, justement,
20:00ces énergies collectives que j'ai trouvées
20:02vraiment formidables,
20:04et de voir
20:06à quel point c'est important,
20:08en fait,
20:10de consacrer un budget
20:12pour que les jeunes puissent découvrir
20:14toutes ces pratiques et devenir
20:16des adultes un peu nourris.
20:22La photographie
20:24qui présente le Signal,
20:26qui est cet immeuble
20:28qui est un des
20:30premiers immeubles
20:32sur lequel il y a eu un arrêté de péril,
20:34il a été construit dans les années 60,
20:36c'est une espèce de grande barre
20:38en fond de mer, mais le fond de mer
20:40était à 200 mètres,
20:42et puis il est arrivé
20:44vraiment au pied de l'immeuble,
20:46et il a été évacué il y a une dizaine d'années,
20:48et enfin démonté,
20:50je crois, en tout début 2023,
20:52donc je suis arrivé sur les derniers
20:54moments de ce monument.
21:00Et en même temps
21:02d'avoir cette espèce de monolithe
21:04posée face à la mer,
21:06j'avais des gens qui attendaient le bus,
21:08un adolescent qui passait
21:10enfermé dans sa vie,
21:12dans son existence,
21:14et je trouvais plutôt intéressant
21:16de voir que
21:18ces différents récits,
21:20ces différentes histoires
21:22viennent à se croiser dans un même lieu,
21:24et chaque espace n'est pas
21:26bloqué, figé,
21:28dans un seul type
21:30de destinée.
21:36C'était Henriette.
21:38J'étais vraiment pas très loin d'elle.
21:40Elle était à la table de sa cuisine.
21:42Je l'ai photographiée
21:44en train de manger sa soupe,
21:46et elle avait des gestes très lents,
21:48c'était très beau, c'était très beau.
21:54C'était un beau moment,
21:56un beau moment.
21:58Elle s'arrêtait,
22:00elle reprenait, moi j'en ai refait,
22:02et puis elle m'a regardée,
22:04bon, elle m'a dit,
22:06avec son accent,
22:08ça suffit, ça suffit.
22:10Je lui ai dit, oui, vous avez raison Henriette,
22:12ça suffit, j'en ai trop fait, j'arrête.
22:14Et puis je crois que j'ai ce que je voulais.
22:18L'image était là,
22:20c'était pas la peine de continuer.
22:22Stop.
22:26Je suis Stéphane Gladieux,
22:28je suis photographe
22:30basé à Paris.
22:32C'était une chance incroyable
22:34de pouvoir partir et de réaliser
22:36cette série sur les Français en vacances.
22:40J'ai fait 11 000 kilomètres,
22:42j'ai visité un peu plus
22:44de 55 stations balnéaires différentes.
22:48Et puis ensuite, sur le terrain,
22:50c'était véritablement au fil des rencontres.
22:52C'est-à-dire qu'il n'y avait aucune préparation,
22:54aucun rendez-vous de prix.
22:56Ce sont des journées de 11 heures
22:58à peu près à l'extérieur,
23:00et pour vous donner une idée,
23:02c'est vraiment un jour.
23:06Je suis vraiment un coloriste.
23:08La couleur, la lumière
23:10éclatante,
23:12et d'avoir des images qui retranscrivent
23:14une certaine joie de vivre,
23:16en tout cas des images
23:18qui soient colorées et punchées.
23:22Je suis touché et attiré
23:24par des gens de styles très différents.
23:26C'est bien sûr moi qui regarde,
23:28mais c'est forcément
23:30inconsciemment aussi eux.
23:32C'est une façon de positionner
23:34un miroir devant eux pour qu'ils soient
23:36le plus à l'aise possible.
23:40Quand vous avez Annette à Marseille,
23:42qui est vraiment la jolie fille
23:44de 21 ans,
23:46ancrée dans son époque,
23:48très lookée avec ses chaussures Nike,
23:50son sac Nike, ses lunettes Nike,
23:52il y a un côté étonnant.
23:54C'est très contrasté par rapport
23:56à une famille très classique,
23:58d'un genre probablement
24:00croyante et pratiquante,
24:02avec trois enfants, un jeune couple
24:04à Carmac.
24:06Le contraste est saisissant.
24:08C'était incroyable
24:10de les retrouver sur la plage
24:12après le Covid,
24:14vol d'air énorme, des couleurs,
24:16une envie de sortir, de communiquer,
24:18de se faire plaisir,
24:20c'était incroyable.
24:22Je ne suis ni sociologue ni anthropologue,
24:24je n'étais pas parti avec la prétention
24:26de réaliser une photographie
24:28sociologique précise de la France.
24:30C'est plus ma propre sociologie,
24:32ce à quoi je réagis.
24:40L'ambition, c'est de faire
24:42circuler un peu
24:44des émotions.
24:46Je considère l'espace photographique
24:48comme un lieu de rencontre.
24:50Je suis heureuse à partir du moment
24:52où il y a des choses qui peuvent être vues
24:54et perçues pour quelques personnes.
24:56L'image
24:58ne transformera pas le monde,
25:00c'est certain,
25:02mais si déjà elle amène
25:04de petites transformations
25:06d'émotions esthétiques
25:08dans la personne
25:10qui la regarde,
25:12c'est déjà une réussite.
25:14Envoyer 200 personnes
25:16avec chacun son regard,
25:18ses particularités, sa façon de travailler
25:20et de s'intéresser à tout,
25:22ça montre que la photo en France est vivante.

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