• il y a 7 mois
La crise des identités nationales est désormais ubiquitaire, aucune nation n'échappe à l'archipellisation identitaire, qu'il s'agisse des pays démocratiques comme de régimes autoritaires. Partout, les identités nationales sont concurrencées par des identités infra-nationale de nature raciale, socio-culturelle, genrée, religieuse, ethnique, territoriale... et cette dispersion identitaire n'est pas exhaustive.
Les causes invoquées à cette fragmentation des identités nationales sont nombreuses et complexes parce que s'enmêlent des facteurs de nature différente. Qui de l'économie avec la globalisation commerciale, qui du communautarisme avec la poussée des religions et la différenciation des modes de vie, qui de l'intimité avec une sexualité genrée, qui des mobilités avec l'expansion des migrations et les problèmes d'intégration, qui du relativisime culturel et du wokisme avec un multiculturalisme qui imprègne de nombreux interstices des sociétés contemporaines.
Si l'idée moderne de nation est relativement récente, pour simplifier contemporaine des Lumières et des grandes révolutions de la fin du XVIIIe siècle, l'identité nationale ne saurait être une antiquité inamovible et gravée dans le marbre d'une histoire figée. Mais se pose alors la question : l'identité nationale doit-elle en référer à une approche universaliste (drapeau, valeurs, symboles de l'Etat) ou le récit national doit-il agréger, métisser, hybrider toutes les évolutions socio-culturelles, religieuses et morales.

Émile Malet reçoit :
- Noëlle Lenoir, avocate, ancienne ministre, membre honoraire du Conseil Constitutionnel,
- Jean-Pierre Le Goff, philosophe, sociologue, essayiste,
- Gabrielle Halpern, philosophe,
- Pierre Manent, philosophe, écrivain,
- Julien Aubert, vice-président des Républicains, fondateur de « Oser la France ».

Présenté par Emile MALET
L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

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Transcription
00:00 Générique
00:02 ...
00:23 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:27 La crise des identités nationales.
00:30 La crise des identités nationales
00:33 est désormais ubiquitaire.
00:35 Elle est partout.
00:37 Aucune nation n'échappe
00:39 à une forme d'archipélisation identitaire,
00:42 qu'il s'agisse des pays démocratiques
00:44 comme des régimes autoritaires.
00:46 Partout, les identités nationales
00:49 sont concurrencées par des identités infranationales,
00:53 de nature raciale, socioculturelle,
00:56 genrée, religieuse, ethnique, territoriale,
00:59 et cette dispersion identitaire
01:02 n'est pas exhaustive.
01:04 Les causes invoquées à cette fragmentation
01:07 des identités nationales sont nombreuses et complexes
01:10 parce qu'elles s'en mêlent des facteurs de nature différentes.
01:13 Qui de l'économie avec la globalisation commerciale,
01:17 qui du communautarisme avec la poussée des religions
01:21 et la différenciation des modes de vie,
01:23 qui de l'intimité avec une sexualité genrée,
01:27 qui des mobilités avec l'expansion des migrations
01:30 et les problèmes d'intégration,
01:32 qui du relativisme culturel et du voquisme
01:36 avec un multiculturalisme
01:38 qui imprègne de nombreux interstices
01:41 des sociétés contemporaines.
01:43 Si l'idée moderne de nation est relativement récente,
01:47 pour simplifier contemporaine des Lumières
01:50 et des grandes révolutions à la fin du XVIIIe siècle,
01:54 l'identité nationale ne saurait être
01:57 une quantité inamovible
02:01 et gravée dans le marbre d'une histoire figée.
02:04 Mais se pose alors la question.
02:07 L'identité nationale doit-elle en référer
02:10 à une approche universaliste,
02:13 le drapeau, les valeurs, les symboles de l'Etat,
02:16 ou le récit national doit-il agréger
02:20 et métisser, hybrider
02:22 toutes les évolutions socioculturelles,
02:25 religieuses et morales ?
02:27 Avec mes invités, nous allons chercher à répondre
02:30 à cette mise en tension de l'identité nationale.
02:33 Noël Lenoir, vous êtes avocate,
02:35 ancienne ministre et membre honoraire
02:38 du Conseil constitutionnel.
02:40 Julien Aubert, vous êtes vice-président des Républicains
02:45 et président du mouvement Oser la France.
02:48 Jean-Pierre Le Goff, vous êtes philosophe,
02:51 sociologue et essayiste.
02:53 Gabriel Alpern, vous êtes philosophe.
02:56 Pierre Manon, vous êtes philosophe et écrivain.
02:59 Est-ce qu'on peut parler de crise des identités nationales
03:13 et à quoi l'observe-t-on, Julien Aubert ?
03:16 -Les Jeux olympiques.
03:18 Ce qui est arrivé au moment des Jeux olympiques,
03:21 c'est l'occasion pour un pays comme la France
03:24 de s'ouvrir au monde et de se demander
03:26 ce qui nous rapproche, ce qu'on célèbre,
03:29 mais aussi ce qui accueille.
03:30 Quand on regarde les polémiques qui se sont succédées,
03:34 on voit qu'il y a, au fond de chaque polémique,
03:37 la question de ce que nous voulons en être
03:39 et de ce que nous voulons envoyer au monde.
03:42 Par exemple, le choix de la chanteuse, Ayanna Kamoura.
03:45 On l'a vu attaquer sa couleur de peau.
03:47 Mais d'autres personnes ont dit que ce n'était pas
03:50 leur style de chanson, qu'elles ne chantent pas en français,
03:54 qu'elles ne reflètent pas l'image que nous souhaitons envoyer
03:57 de notre pays.
03:58 L'affiche officielle des Jeux olympiques,
04:01 où la croix des Invalides avait été supprimée,
04:04 où il n'y avait pas de drapeau français.
04:06 Certains ont dit ce Paris futuriste,
04:08 ce pays qui n'existe pas sans drapeau,
04:11 sans République et sans culture jidéo-chrétienne.
04:14 J'ai trouvé ça intéressant.
04:15 C'est au moment où, finalement, nous nous confrontons au monde,
04:19 qu'on voit les failles d'une société française,
04:22 avec derrière aussi, je dirais,
04:24 un pouvoir qui cherche à promouvoir une culture
04:26 qu'il ne comprend pas, peut-être qu'il n'aime pas,
04:29 mais en pensant que c'est ça que les gens veulent.
04:32 Et puis aussi une résistance d'une société civile
04:36 qui, elle, attend peut-être des choses plus communes,
04:40 plus standards de sa propre identité.
04:43 Et je dirais, on pourrait retrouver ce type de malaise
04:46 dans d'autres pays, à d'autres moments.
04:48 Le Brexit, par exemple, pour les Britanniques,
04:51 sans vouloir déborder.
04:53 Je crois que c'est ce moment
04:54 où il y a une espèce de précipitation d'événements
04:57 que, généralement, c'est le miroir
04:59 du propre désarroi identitaire d'un pays.
05:02 -Noëlle Lenoir, vous partagez cela ?
05:04 -Oui, je partage tout à fait.
05:06 Moi, je dirais, comme je suis juriste,
05:08 vous l'avez évoqué,
05:09 que la société civile,
05:11 dans les pays démocratiques,
05:13 mais dans d'autres également,
05:15 s'est construite sur la base d'une nation,
05:18 c'est-à-dire d'une communauté,
05:20 ce qui veut dire le vivre ensemble.
05:22 D'ailleurs, pendant très longtemps,
05:24 dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,
05:28 on renvoyait au modèle français du vivre ensemble.
05:31 Nous sommes différents, mais nous appartenons à la même famille.
05:34 Il y avait l'identité familiale, l'identité régionale et l'Etat.
05:38 C'est-à-dire la figure tutélaire de l'Etat.
05:41 Je suis frappée, aujourd'hui,
05:43 de voir que l'entrée de ce qu'on appelle
05:47 le multiculturalisme,
05:48 que je rallie au relativisme culturel si cher
05:52 à Lévi-Strauss et aussi à Foucault,
05:54 nous entraîne sur une pente extrêmement inquiétante,
05:57 parce que qu'est-ce qu'il y a derrière l'Etat ?
06:00 Il y a la guerre des races, que voulait Michel Foucault.
06:03 La guerre des races, pour moi, c'est le retour au tribalisme.
06:07 Je crains que, parfois, sans le savoir,
06:10 nous revenions en arrière.
06:11 Il y a eu des périodes de régression dans l'histoire.
06:14 Je pense que les enjeux pour les générations plus jeunes,
06:18 c'est de savoir s'ils veulent garder cette notion,
06:21 disons, de famille,
06:23 de pensée et de valeur,
06:25 ou si on fait tout exploser.
06:27 Ca s'appelle déconstruire, d'après ce que je comprends.
06:30 On est à un tournant culturel et politique.
06:32 -Vous constatez cette déconstruction,
06:35 Jean-Pierre Le Goff ?
06:36 -Oui, oui.
06:37 Je pense que, d'ailleurs, elle n'est pas simplement
06:40 infrapolitique, elle est infranationale,
06:43 avec le repli sur les communautés que vous avez indiquées,
06:46 mais elle est aussi supranationale.
06:48 Ca pose la question de la façon dont s'est construite l'Europe.
06:52 Je pense que, d'ailleurs, les réactions communautaristes
06:55 sont une réaction possible par rapport à cette fuite en avant,
06:59 dans laquelle il manque précisément la nation.
07:02 Mais juste un point, je pense que...
07:05 Je pense qu'il y a une crise de la nation,
07:07 mais encore faut-il la définir.
07:09 Vous avez indiqué deux conceptions différentes de la nation.
07:12 Je partirais volontiers de Renan, à la fin du XIXe siècle,
07:16 dans "Qu'est-ce qu'une nation ?"
07:17 Je trouve que sa définition de la nation est intéressante
07:21 dans la mesure où, me semble-t-il,
07:23 elle dépasse un peu ces deux oppositions.
07:25 Dans la mesure où elle articule le passé,
07:29 c'est l'aigle des souvenirs partagés
07:31 avec des heures glorieuses et moins glorieuses,
07:34 c'est le présent, le consentement et la volonté,
07:36 le plébiscite de tous les jours et l'avenir dans un avenir commun.
07:40 La question qu'il faut poser quand on pose la crise de la nation,
07:43 c'est ce qu'il reste, par exemple, de ces trois aspects-là.
07:47 C'est ça, pour moi. Et d'une part, c'est une question.
07:50 La deuxième question, c'est comment on en est arrivés ?
07:53 Je pense qu'il y a la déconstruction actuelle,
07:56 mais il faut reprendre sur un long processus du XXe siècle.
07:59 -Gabrielle Alperne, vous partagez cette chose-là ?
08:02 -Effectivement, c'est très intéressant.
08:05 Et là, pour prolonger le propos,
08:07 j'aimerais peut-être revenir sur ce terme d'identité
08:10 et comprendre pourquoi cette question de l'identité
08:13 est aussi importante, même à l'échelle de l'être humain.
08:16 Pourquoi est-ce que c'est aussi sensible, l'identité ?
08:19 Je me repose sur les travaux d'un grand intellectuel
08:22 qui s'appelle Elias Kennedy,
08:24 qui explique que l'identité, ça renvoie à une situation archaïque
08:27 pour l'être humain, où avant, on était tous des animaux
08:31 dans la savane, et donc, quand on croisait un autre être,
08:34 on avait besoin de se dire,
08:35 "Tu es une proie ou un prédateur ?
08:37 "Dans quelle catégorie est-ce que je te classe ?
08:40 "Tu vas me manger ou je vais te manger ?"
08:42 C'est pour ça que, quand on est dans des dîners mondains
08:45 ou dans la rue, on décline son identité.
08:47 Qui suis-je ? Qui es-tu ?
08:49 Chacun se présente, décline son identité,
08:51 parce qu'il y a préalablement cette situation archaïque
08:55 de l'être humain de pouvoir se classer, se ranger les uns les autres.
08:59 -Mais la chose, c'est qu'on voit que cet aspect très rationnel
09:02 des choses, où on catégorise, on classe,
09:04 a un peu transformé notre cerveau
09:06 en usine de production massive de cases,
09:09 et on ne se rend pas compte, mais on fait ça toute la journée.
09:12 Dès qu'on croise quelqu'un, on le range dans une case.
09:15 On range nos collègues dans des cases,
09:18 les métiers manuels, les métiers intellectuels,
09:20 les jeunes, les seniors,
09:22 les agriculteurs, les start-upers, les industriels.
09:25 On passe notre temps à catégoriser
09:28 et en fait, ce faisant, sans s'en rendre compte,
09:30 on construit des frontières absurdes et artificielles
09:33 entre les générations, les métiers, les personnes, les individus,
09:37 et sans s'en rendre compte, on crée des fractures
09:40 entre les générations, les communautés.
09:42 -Oui, mais le "on", le "on", est-ce qu'il vient d'où, Pierre Manon ?
09:46 C'est-à-dire que...
09:48 Qu'est-ce qui s'est passé
09:50 pour qu'on en vienne à fracturer,
09:53 archipéliser, séparer ?
09:57 D'où ça vient, si vous...
09:59 -Ce qui est curieux, aujourd'hui,
10:02 c'est l'usage du terme "universalisme".
10:05 Il faut être universaliste.
10:07 Et être universaliste, ça veut dire ne pas être prisonnier
10:11 de sa nation, pas être prisonnier de son groupe particulier.
10:15 Mais en réalité, les nations se sont constituées
10:20 en Europe à travers des références universalistes.
10:24 Il y a eu deux grandes références universalistes,
10:27 la religion chrétienne et ce qu'on appelle les Lumières.
10:30 Les nations ne se sont pas construites
10:33 en dépit de l'universel ou contre l'universel.
10:36 Chaque nation était, dans l'histoire européenne,
10:39 une proposition d'universel.
10:41 La rivalité entre les nations était des rivalités d'idées de l'homme.
10:45 C'était pas au nom de "ma tribu", c'était peut-être
10:49 "ma tribu représente l'humanité mieux que ta tribu",
10:52 "la culture française est supérieure ou pas",
10:55 entre l'Allemagne, l'Angleterre
10:57 et la France, par exemple.
11:00 Donc, il y a eu...
11:02 La période de gloire, si j'ose dire,
11:06 même si ce terme serait désapprouvé par beaucoup aujourd'hui,
11:10 mais la période de gloire des nations européennes
11:13 sont des périodes où, en même temps que la nation s'affirmait,
11:16 elle affirmait une version, une proposition d'universel.
11:20 Et aujourd'hui, l'universel et le particulier
11:24 se sont tournés le dos
11:26 et sont devenus ennemis l'un de l'autre,
11:29 en tout cas, l'universel est devenu ennemi
11:31 de son porteur, qui était la nation.
11:33 -Oui, mais à quoi vous attribuez
11:36 cette déchristianisation ?
11:38 Parce qu'elle est...
11:40 Elle est concrète, elle est objective, aujourd'hui,
11:43 non, Jean-Pierre Le Goffre ?
11:44 -Je pense qu'il y a un processus, je vais pas en revenir,
11:48 mais si je me situe, par exemple, sur le XXe siècle,
11:51 il y a eu un moment, à mon avis, très important,
11:53 dans la guerre de 14-18.
11:55 Après 14-18, effectivement, il y avait encore un patriotisme
11:59 et on a vu se développer un pacifisme,
12:01 vous relire ce qu'écrit Marc Bloch, par exemple, sur la période...
12:05 Et d'autre part, en ce qui concerne les avant-gardes
12:07 esthétiques, vous avez un mouvement qui ne craignait pas
12:11 de dire qu'il crachait sur le drapeau
12:13 qui portait le glorieux casque à pointe,
12:15 qui était le surréalisme, qui était à l'époque minoritaire
12:18 et d'avant-garde. Donc il y a eu ce traumatisme
12:21 et, à 14-18, j'y rajouterais, à mon avis,
12:23 un deuxième moment qui a été important,
12:26 c'est après la Seconde Guerre mondiale.
12:28 Dans un premier temps, il y avait encore
12:30 une défense de la nation qui était, à mon sens,
12:34 très patriotique et très basée sur la réaction
12:38 à la défaite de juin 40, c'est-à-dire "plus jamais ça".
12:41 Et le projet de la quatrième ou de la cinquième,
12:44 dans lequel se sont inscrits divers hommes politiques,
12:47 c'était de dire, avec l'industrialisation
12:50 et le développement de l'économie,
12:51 c'est redonner à la France le moyen de sa puissance.
12:54 Simplement, ce qui s'est passé très vite,
12:57 au tournant des années 50 et 60,
12:59 c'est qu'on a changé de société.
13:01 C'est-à-dire qu'à partir de 62, la fin de la guerre d'Algérie,
13:04 la France est en paix et se développe une société
13:07 qu'on va appeler de consommation et de loisir,
13:10 avec un type d'individualisme assez nouveau,
13:13 enfin, qui était déjà présent avant,
13:15 mais qui va se développer, qu'on pourrait dire assez hédoniste,
13:19 dans lequel l'idée de filiation
13:21 ne fonctionne plus comme avant.
13:23 -C'est ce que vous appelez, quelque part,
13:25 la société adolescente ? -Oui, avec un peuple,
13:28 que j'ai appelé, qui se révolte à ce moment-là,
13:30 le peuple adolescent. Il va y avoir,
13:32 véritablement, une remise en cause de la nation
13:35 au nom de cet individualisme.
13:37 C'est une remise en cause de l'autorité,
13:39 mais aussi, parce qu'il faut prendre le processus
13:42 que j'appelle la Révolution culturelle 68,
13:45 sur plusieurs années, pas simplement dans le moment
13:48 mais dans la suite, il y aura un règlement de compte
13:51 vis-à-vis de l'histoire. La nation va être assimilée
13:54 par une partie de la société,
13:55 comme égal les deux guerres mondiales,
13:58 les traumatismes, avec un accent porté
14:00 sur la collaboration Vichy, qui vient à ce moment-là,
14:03 plus le colonialisme.
14:05 Et là, je dirais qu'on a appris presque à se détester,
14:08 on a perdu, véritablement, l'estime de nous-mêmes,
14:11 qui supposent la nation.
14:12 Et donc, dans cet ensemble-là, maintenant, je pense
14:15 qu'effectivement, c'est en crise,
14:18 mais moi, je veux voir revenir aussi des signes
14:20 du retour possible de la nation.
14:22 Ca pose notamment la question de l'Europe
14:24 par rapport à ce que j'estime être une fuite en avant.
14:27 - Alors, oui, vous voulez réagir ?
14:29 - Oui, je crois qu'en fait,
14:31 ce qui s'est passé au moment des Lumières,
14:33 c'est quelque part qu'on a transposé la foi en Dieu,
14:37 la foi en l'homme et en ses capacités.
14:40 Et j'ajouterais que pendant la Seconde Guerre mondiale,
14:43 de mon point de vue, je suis pas sociologue,
14:46 mais je pense que la Shoah a profondément impacté
14:48 la conscience européenne,
14:50 comme un traumatisme qui mettrait...
14:52 Il y a eu le traumatisme, je dirais,
14:54 suite à la Seconde Guerre mondiale,
14:56 mais je pense que c'est un traumatisme latent
14:59 qui a totalement transformé la relation que nous avons
15:02 dans la foi que nous pouvons avoir en notre propre civilisation,
15:05 avec, deuxièmement, l'idée que le patriotisme
15:08 poussait à l'extrême, conduisait à la guerre,
15:11 conduisait à la destruction, et qu'il fallait s'en méfier.
15:14 Et je suis d'accord avec ce que disait M. Le Goff,
15:17 qui a été de bâtir des cathédrales juridiques
15:20 visant à déresponsabiliser le politique,
15:22 en considérant que le véritable pouvoir
15:24 ne devait plus être dans les mains de démocratie
15:27 qui pouvait se tromper, mais plutôt dans la main des juges,
15:30 ce qui est un mouvement inverse aux Lumières,
15:33 puisqu'en réalité, pendant des années,
15:35 on avait tenté d'enlever au clair le pouvoir de décider
15:38 ce qui était bien ou mal pour le donner aux gens,
15:41 et on a fait l'inverse en disant que la coopérative
15:44 était bien ou mal, et pas le référendum,
15:46 profondément, je dirais, antigueliste.
15:49 Donc, je dirais, il y a, à mon avis,
15:51 ceci qui a transformé les sociétés.
15:54 -Oui, alors, Pierre Manand,
15:56 Julien Aubert évoque la Shoah.
15:59 Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui,
16:02 la Shoah reste un curseur identitaire
16:06 ou, comme vient de le déclarer Steven Spielberg,
16:10 le grand cinéaste américain,
16:12 est-ce que la Shoah, aujourd'hui,
16:15 est devenue un nouveau paradigme
16:19 qui consiste à en nier la dimension génocidaire ?
16:22 -Je dirais que la Shoah est venue au centre
16:29 de la conscience européenne,
16:31 et en général occidentale,
16:33 lorsqu'on a progressivement pris la mesure
16:36 de ce qu'elle avait été, finalement,
16:38 parce qu'au sortir de la guerre,
16:41 elle n'était qu'un aspect d'une catastrophe générale,
16:44 et ce n'est qu'au bout de quelques années
16:47 que ça a commencé, en fait...
16:49 C'est devenu...
16:51 Ca s'est cristallisé en Allemagne
16:53 avec les premiers procès
16:55 des responsables de camps de concentration,
16:58 et progressivement, l'Europe et l'Occident
17:01 ont pris conscience de, à la fois,
17:04 l'énormité et l'unicité de la Shoah.
17:09 Et cela a joué un rôle considérable
17:11 dans, en effet, l'énorme point d'interrogation
17:15 qui s'est élevé au-dessus de toute l'histoire de l'Europe.
17:18 Alors, est-ce que...
17:20 l'expérience de la Shoah nous obligeait
17:23 à inculper toute l'histoire de l'Europe et de l'Occident ?
17:27 Ca, c'est une autre question.
17:29 Je ne pense pas, mais en tout cas,
17:32 elle a suspendu ce point d'interrogation.
17:35 Mais ce qui se passe aujourd'hui,
17:37 c'est que la Shoah est en train de sortir de ce rôle.
17:41 D'une certaine façon, tout le monde est en train
17:44 de s'approprier... -Oui.
17:45 -De s'approprier sa Shoah à lui,
17:48 si j'ose dire grossièrement, n'est-ce pas ?
17:51 Ce qui fait que...
17:53 Elle...
17:55 Cela fait partie, aujourd'hui,
17:58 de la désorientation générale,
18:00 puisqu'on a l'impression que,
18:02 si on ne peut pas, en quelque sorte,
18:06 invoquer un génocide dont on serait la victime,
18:09 on ne peut plus rien dire, n'est-ce pas ?
18:12 C'est devenu la monnaie courante du débat politique.
18:16 Donc, c'est...
18:17 Quand le crime par excellence,
18:22 le crime singulier est devenu...
18:25 fourni le langage général... -Mais vous pensez...
18:30 -Il est imputé à Israël.
18:31 -La désorientation et le renversement sont complets.
18:35 -Vous pensez qu'on cherche à se débarrasser de l'histoire
18:39 par ce brouillage de l'histoire, Jean-Pierre Le Goffre ?
18:42 -Il y a une désarticulation des pays européens
18:45 avec l'histoire, notamment la Shoah étant un élément.
18:48 Il y a quand même une vision très pénitentielle de l'histoire,
18:51 qui fait porter sur l'Europe et plus largement sur l'Occident
18:55 l'ensemble des catastrophes.
18:57 Et ça, ça s'est développé progressivement.
18:59 D'ailleurs, je pense que l'Europe,
19:01 quand on voit la façon dont on s'est construite,
19:04 on est arrivé dans un moment très particulier
19:07 qui a eu beaucoup d'angélisme en contrepoint.
19:10 C'est-à-dire, après la chute du mur,
19:12 on allait vers, je vais pas reprendre,
19:14 la fin d'histoire, l'alliance d'une certaine forme...
19:17 -La démocratie universelle. -Les droits de l'homme
19:20 qui montaient vers l'universel, sans passer par la médiation
19:23 des nations. Et donc, pour moi, il y a un moment donné
19:26 où la construction de l'Europe s'est formée sur une fuite en avant
19:30 un peu idyllique, angéliste, où c'était quasiment
19:33 le citoyen européen, c'était pas loin du citoyen du monde.
19:37 Et quand je prends, quand je revois, par exemple,
19:39 certains textes des années 99-2000,
19:42 je peux prendre, on a oublié Strauss-Kahn,
19:44 qui dit "Mais les frontières, ça va du nord jusqu'au sud,
19:48 "la Méditerranée sera une mer intérieure",
19:51 et on verra ça, et vous prenez Michel Rocart
19:54 sur la Turquie, qui va nous permettre de nous...
19:57 -De Gaulle parler aussi de Dunkerque à Manchester.
20:00 -C'était ça. Donc, il y avait plus de frontières.
20:03 Donc, les gens, il y avait cette idée de multiculturalisme,
20:07 parce que le relativisme culturel et le multiculturalisme,
20:10 à mon sens, il intervient précisément dans ce moment-là.
20:14 Je voulais juste rebondir sur un point
20:16 par rapport à ce que vous avez dit sur l'hybridation.
20:20 Il est vrai que l'histoire d'une nation,
20:24 la façon dont le récit qui est tracé n'est pas le même.
20:28 Si on prend, par exemple, la Troisième République
20:31 et la guerre de 70, la façon dont présente la nation,
20:34 il y a bien une évolution.
20:36 D'une certaine façon, c'est pas une substance immuable, fixe,
20:39 mais en contrepoint, je pense que, de cette vision-là,
20:42 il y a la fuite en avant.
20:44 Je vais prendre la notion d'identité narrative
20:47 de Paul Ricoeur, qui dit que, finalement,
20:49 à cette entité substantielle de la nation,
20:52 il oppose une identité narrative
20:55 à partir d'une situation donnée
20:57 qui nécessite de reprendre le récit.
20:59 -Mais là, justement, il n'y a plus une seule narration.
21:02 -Il y en a beaucoup, mais il y a l'idée,
21:05 il faut faire attention, parce que l'identité narrative,
21:08 c'est tellement fluide et mobile qu'à un moment donné,
21:11 si, à un moment historique donné,
21:14 une nation ne dit pas "voilà un récit national"
21:19 pour se fixer à un moment donné,
21:21 ça veut pas dire que...
21:22 Je veux dire, c'est quand même...
21:24 Les individus ont tendance à se penser,
21:27 je vais prendre l'expression Sidricoeur,
21:29 un autre parmi les autres.
21:31 Et l'ouverture culturelle est une dissolution,
21:34 parce que pour s'ouvrir culturellement,
21:36 encore faut-il savoir ce qu'on est soi-même
21:39 et de quelle filiation on est.
21:40 Je pense que ce moment-là a été particulièrement important.
21:45 J'ai parlé de 68 et la Révolution culturelle,
21:47 de 14, de la Seconde Guerre mondiale,
21:49 mais la façon dont s'est construite l'Union européenne,
21:53 à mon avis, a lié aussi avec...
21:55 - Je voudrais avoir votre avis, Noëlle Lenoir, sur là-dessus.
21:59 - Moi, je suis restée européenne,
22:01 parce que c'est l'héritage,
22:04 mais j'ai aussi pas mal changé de vision
22:09 de la construction européenne,
22:10 mais aussi du tournant plus récent.
22:13 J'étais très enthousiaste au moment
22:16 où on a intégré la Charte des droits fondamentaux
22:18 de l'Union européenne dans le traité.
22:21 Le résultat est que,
22:23 compte tenu de l'évolution des institutions,
22:25 qui, toutes, au niveau international
22:28 comme au niveau national,
22:29 Julien Aubert parlait des juges,
22:32 il y a aussi les agences,
22:34 il y a aussi l'ONU,
22:35 se sont retournées vers les Etats-nations.
22:38 La Charte des droits fondamentaux
22:40 est devenue un instrument de négation
22:42 de la culture européenne
22:44 dans ce qu'est l'histoire nationale.
22:47 Est-ce qu'on va opposer,
22:50 imposer à monsieur Orban, je vais dire quelque chose
22:53 qui n'est pas politiquement correct,
22:55 une gay pride pour prouver qu'il rentre
22:57 dans le club des nations démocratiques européennes ?
23:01 On va s'opposer à notre législation sur le voile ?
23:05 C'est la Cour de justice de l'Union européenne,
23:08 et pas seulement la Cour européenne
23:10 des droits de l'homme.
23:12 Et donc, et à l'ONU,
23:14 il y a aussi la négation,
23:16 le droit de l'homisme se retourne
23:20 vers les démocraties,
23:21 avec l'Iran, qui est à la tête
23:23 du Conseil du désarmement nucléaire
23:26 et du Conseil des droits de l'homme.
23:28 Et donc, moi, l'interrogation que j'ai,
23:30 c'est, premièrement,
23:32 est-ce que l'Etat-nation est nécessaire
23:34 au vivre ensemble,
23:36 puisque on est différents,
23:38 mais il faut quand même être dans la même maison ?
23:41 Je pense que l'Etat-nation est nécessaire.
23:43 C'est une histoire, qu'elle soit familiale, nationale,
23:47 ou l'éducation nous construit,
23:49 et qu'il faut se construire en permanence
23:51 et ne pas se déconstruire.
23:53 Et je m'interroge, aujourd'hui,
23:56 à l'âge que j'ai,
23:57 sur les raisons pour lesquelles
23:59 l'Occident pratique la repentance.
24:02 Alors, comme le disait Jean-Pierre Le Goff,
24:05 on sent, et d'ailleurs,
24:06 la montée en puissance du Rassemblement national
24:09 montre que cette idée de nation n'a pas disparu,
24:12 et qu'il devient, finalement,
24:14 une réaction.
24:16 C'est le vote protestataire, il devient nationaliste,
24:19 ce qui est incroyable.
24:20 C'est le vote pour la nation qui est nationaliste.
24:23 Et moi, je pense qu'on est à un tournant,
24:25 parce que soit il y aura des guerres civiles,
24:28 on les voit un peu en germe avec les pro-Palestine,
24:31 les pro-Hamas et les autres,
24:33 ou alors on va arriver à maturer
24:35 et à revivre ensemble avec un autre modèle.
24:37 -Alors, Gabriel Alpern,
24:39 avec vous, je voudrais essayer
24:42 de clarifier le débat.
24:44 Vous avez cité l'écrivain Canetti.
24:48 Or, pour ceux qui ne connaissent pas Canetti,
24:51 je rappelle que c'est un grand écrivain
24:53 de culture, j'allais dire, austro-hongroise,
24:57 en tout cas, qui vient d'Europe centrale.
24:59 Est-ce que vous n'avez pas le sentiment
25:02 qu'il y a une confusion fondamentale
25:05 entre ce que dit Canetti,
25:08 qui est une culture cosmopolite,
25:11 et aujourd'hui, le multiculturalisme ?
25:13 C'est-à-dire qu'on prend le multiculturalisme
25:16 pour du cosmopolitisme.
25:18 Est-ce que vous ne pensez pas
25:20 qu'il y a là cette transformation
25:23 qu'on peut considérer comme inculturelle ?
25:26 -C'est une sacrée question.
25:28 -Oui.
25:30 -Le problème, c'est que, malheureusement,
25:33 trop souvent, derrière le culturalisme,
25:36 en tout cas, la réalité du multiculturalisme,
25:39 il y a malheureusement trop souvent
25:41 une juxtaposition de communautés,
25:43 et du coup, pas, pour le coup,
25:45 un véritable vivre-ensemble.
25:47 Donc, en fait, malheureusement,
25:49 le terme ne désigne pas toujours,
25:51 ou forcément, en tout cas, l'idéal, le concept,
25:54 malheureusement, ne désigne pas toujours, justement,
25:58 la réalité telle qu'elle existe aujourd'hui.
26:00 Et pour le coup, je souhaiterais rebondir,
26:03 parce qu'il y avait beaucoup de choses,
26:05 et je voudrais rebondir par rapport à ce qu'a dit Julien Aubert,
26:09 qui disait que le moment des Lumières,
26:11 où, effectivement, la foi en Dieu
26:13 se transforme, après, en une foi en l'homme,
26:15 justement, ce qui serait terrible,
26:17 et on voit bien que c'est une tentation d'aujourd'hui,
26:20 c'est qu'on voit bien que cette foi en l'homme
26:23 est en train de se perdre, et là, c'est plutôt une foi
26:26 dans les nouvelles technologies, justement,
26:29 et dans le remplacement avec l'intelligence artificielle,
26:32 qui permettrait de pouvoir, éventuellement,
26:35 résoudre un certain nombre de questions.
26:37 Quand vous vous interrogez tout à l'heure
26:39 sur quelle est la responsabilité,
26:41 d'où vient cette archipélisation et à quoi on pourrait l'expliquer ?
26:45 Il y a un élément qui m'a beaucoup interpellée
26:48 lors des différents débats
26:50 pour la précédente élection présidentielle,
26:52 c'était tous ces débats télévisés
26:54 où on avait une juxtaposition de citoyens
26:56 qui interpellaient les différents candidats
26:59 en disant "qu'allez-vous faire pour moi ?"
27:01 Cette phrase fait écho à une phrase terrible de Rousseau,
27:04 ça date du XVIIIe siècle, qui dit
27:07 "nous avons des astronomes, des poètes,
27:09 "des physiciens, des peintres, mais nous n'avons plus de citoyens."
27:13 Ce qui est terrible, c'est que chacun vient demander aux politiques
27:17 "qu'allez-vous faire pour moi ?"
27:19 Pour répondre à la question d'où vient cette archipélisation,
27:22 il y a une double responsabilité, une double faute,
27:25 à la fois de la part du politique,
27:27 qui, par catégorisation, par clientélisme parfois,
27:30 dans ses programmes, va dire "voilà ce que je fais pour les jeunes,
27:33 "pour les seniors, pour les start-upeurs,
27:36 "pour les enseignants, les infirmiers, etc."
27:38 Et une faute également de la part des citoyens,
27:41 qui ne se conduisent plus comme des citoyens,
27:44 mais chacun vient demander
27:45 et quémander son petit intérêt particulier.
27:48 Cette question, c'est comment on n'est pas
27:50 dans une juxtaposition de petits intérêts médiocres,
27:53 mais dans cet intérêt général ?
27:55 Ça, pour le coup, il me semble que ça transcende
27:58 la question de multiculturalisme ou autre.
28:00 La question, c'est pas tant la culture,
28:02 c'est cette question de citoyenneté qui s'émiette.
28:05 - Julien Aubert ? - Je voudrais réagir.
28:07 D'abord, je crois qu'il y a deux phénomènes concomitants.
28:11 Il y a un affaibissement collectif, qui est assez classique.
28:14 À la fin de la Guerre froide, c'est comme une guerre.
28:17 De la même manière qu'en 1918,
28:18 les gens s'étaient brutalement réveillés pacifistes,
28:22 intentionnalistes, ou après 1945,
28:24 après 1990, c'est l'équivalent d'un conflit.
28:26 Il y a une vague d'idéalisme
28:28 qui fait que la nation, ça devient un peu tricarde.
28:31 Puis il y a un deuxième phénomène,
28:34 d'exacerbation, ça se dit pas comme ça, d'ailleurs,
28:37 des phénomènes individuels.
28:39 Je crois que c'est le fait aussi que l'économie
28:42 a totalement dévoré
28:44 la manière dont nous percevons la société.
28:47 C'est d'abord un effet de la globalisation,
28:51 mais en réalité, le citoyen disparaît
28:53 parce qu'il réfléchit en avantages, gains et intérêts.
28:57 Il fait son calcul microéconomique,
28:59 et ça rejoint l'hédonisme.
29:01 Pour faire une nation,
29:03 le passé, de toute façon, on le juge aux yeux du présent,
29:06 en disant "Colbert a fait ceci, mais ce serait mal."
29:10 Le présent envahit tout.
29:11 L'hédonisme, ça consiste...
29:13 On voit bien que nos sociétés ont peur de la mort,
29:16 évacuent les questions existentielles.
29:18 On est uniquement sur une société de la jeunesse éternelle.
29:22 L'individu qui est censé participer à un projet collectif
29:26 ne réfléchit qu'à son présent
29:28 et à la manière dont il maximise son intérêt à l'instant présent.
29:31 Quant au futur, le politique ne le donne pas,
29:34 puisqu'il ne donne pas une vision globale de la société,
29:37 il fait des programmes, ce qui est différent de ce que vous avez ciblé.
29:41 Je reviens à une dernière idée sur la Shoah.
29:44 Je pense qu'effectivement, le tabou a évolué.
29:48 Il y a deux manières de la concevoir.
29:50 Quand on voit qu'un collège Anne Frank est débaptisé en Allemagne
29:53 parce qu'il faut accueillir les personnes issues de l'immigration
29:58 qui ne se sentent pas à l'aise, parce qu'elles sont musulmanes,
30:01 dans des pays où il y a parfois une incompréhension
30:04 par rapport à ce qui s'est passé en Europe,
30:07 on voit bien qu'en réalité,
30:08 la perception des leçons de l'histoire n'est pas la même.
30:12 Un courant apparaît en disant que la grande leçon de la Shoah,
30:15 c'est qu'il ne faut pas victimiser les minorités.
30:18 Donc si la minorité d'aujourd'hui se sent inconfortable avec ça,
30:22 eh bien, dans ce cas-là, il faut s'adapter.
30:24 Donc on relativise quelque chose qui était du domaine du sacré
30:28 dans les 50 premières années, je dirais, de la civilisation.
30:31 -Au seconde guerre mondiale... -Pierre Manon,
30:34 on a parlé un petit peu de ce conflit
30:38 entre l'immédiateté
30:41 et ce qui fait référence à l'histoire.
30:44 Dans l'identité, pour une personne qui n'est pas réactionnaire,
30:48 je veux citer la grande philosophe Anna Arendt.
30:52 Elle dit qu'au niveau de l'identité,
30:54 il y a une part qui relève de la stabilité dans le temps.
30:59 Est-ce que vous pouvez dire un peu
31:01 ce que ça peut vouloir dire
31:03 de garder une part de stabilité dans le temps ?
31:06 -Je ne sais pas ce que Anna Arendt avait en tête.
31:12 Je peux vous dire ce que j'ai en tête.
31:15 En repartant de ce que madame Lenoir a évoqué
31:22 à propos de l'Europe,
31:24 la construction de l'Europe a commencé
31:26 par la continuation de l'histoire européenne,
31:29 de l'histoire des nations européennes.
31:32 Après tout, après l'arme 45,
31:36 l'Allemagne dévastée, vaincue, déshonorée,
31:41 la France sortant d'une défaite, elle aussi,
31:44 ces nations veulent se reconstruire,
31:47 tirer les leçons de trois guerres
31:52 qui se sont succédées
31:54 et reconstruire une Europe pacifique,
31:57 un concert européen, enfin pacifique,
31:59 et débarrasser des débordements de violence
32:04 et d'esprit de domination, d'arrogance nationale
32:08 qui avaient conduit à la catastrophe.
32:10 Donc l'Europe commence par se prolonger, en quelque sorte,
32:15 par une certaine fidélité à son histoire.
32:17 C'est un réaménagement du concert européen
32:22 en prenant des précautions pour que,
32:24 comme l'a évoqué Julien Aubert,
32:26 les nations ne puissent plus se laisser emporter
32:30 aux excès que l'on avait connus.
32:33 Il se passe quelque chose d'étrange
32:36 dans les années 60-70,
32:39 où alors l'Europe change radicalement de perspective.
32:42 Ce n'est plus du tout la continuation de l'histoire
32:45 ou le perfectionnement de l'histoire européenne,
32:48 c'est l'effacement de l'histoire européenne.
32:51 L'Europe prétend commencer à zéro.
32:54 L'Europe ne prétend plus accomplir ce concert européen
32:58 que l'histoire avait progressivement préparé,
33:02 mais, assez brusquement,
33:05 elle décide un nouveau commencement.
33:07 Que faire pour commencer à nouveau ?
33:10 C'est effacer le passé.
33:11 L'Europe a prétendu, à partir des années 90,
33:15 à commencer à zéro.
33:17 Donc il faut effacer toutes les marques
33:21 de l'Europe ancienne, effacer la vieille religion,
33:24 les vieilles nations, et repartir de zéro.
33:26 Ca consiste à quoi ? Ca consiste à dire
33:29 que la seule réalité de l'Europe, ce sont les valeurs européennes.
33:33 Les valeurs européennes, c'est quoi ?
33:35 Ce sont les droits de l'homme individuel.
33:38 Tous les hommes sont égaux semblables.
33:41 Et donc, être européen,
33:42 ça veut dire ne faire aucune exception des personnes.
33:46 Donc aucune différence entre l'Europe et ce qui n'est pas l'Europe.
33:50 L'Europe, c'est ôter le droit d'exister, en réalité.
33:54 Donc l'Europe ne se construira plus.
33:57 C'est terminé, puisqu'elle a décidé
33:59 qu'elle n'avait pas le droit d'exister
34:02 comme ensemble humain particulier.
34:04 -Vous voulez dire que l'Europe politique est morte ?
34:07 -Elle n'est pas morte, parce qu'elle n'est jamais née.
34:10 Elle s'est construite pour ne pas exister.
34:12 Au début, l'Europe des 6 aurait pu former quelque chose,
34:16 peut-être, l'Europe des 9, peut-être,
34:18 mais plus on s'étend, moins on peut constituer
34:21 une communauté politique.
34:22 De toute façon, les principes sont tels
34:25 que, puisqu'il est interdit de distinguer
34:27 entre l'Europe et ce qui n'est pas l'Europe,
34:30 puisque l'Europe se définit par l'acceptation
34:33 de tout ce qui n'est pas elle,
34:34 comment voulez-vous que l'Europe existe ?
34:37 -Alors, Noëlle Lenoir,
34:39 quelle est la part des migrations
34:41 dans ce phénomène ?
34:43 -Alors, moi, je pense que...
34:45 C'est intéressant.
34:47 Moi, je pense qu'au contraire, l'Europe existe trop,
34:50 parce qu'elle ne respecte pas les identités nationales.
34:53 D'ailleurs, vous savez qu'on a abandonné
34:56 le terme "identité nationale"
34:58 pour parler d'identité constitutionnelle.
35:00 C'est-à-dire que l'Europe assume
35:02 des compétences de souveraineté,
35:04 c'est dans la Constitution française,
35:07 qui lui sont déléguées.
35:08 Donc, on lui délègue des compétences,
35:11 la monnaie, les visas, l'immigration, etc.
35:14 Et maintenant, le voile islamique,
35:17 ce qui va extrêmement loin,
35:18 et elle consent à respecter
35:20 les identités nationales.
35:22 -L'Europe ne prône pas le voile islamique.
35:24 -Il y a de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union,
35:28 qui indique, par exemple, qu'une femme voilée
35:30 peut se voir interdire, dans une entreprise,
35:33 puisque ça concerne le marché,
35:35 d'être en contact avec les clients,
35:37 mais dès lors qu'elle est au standard téléphonique
35:40 ou qu'elle est dans son bureau,
35:43 elle peut être voilée.
35:45 Les entreprises n'ont qu'à s'aligner.
35:47 -Mais si elle est dans une condition privée ?
35:50 -Non, mais la Charte des droits fondamentaux,
35:53 qui recopie à la fois le préambule de la Constitution de 1946
35:57 sur les droits économiques et sociaux
35:59 et la Déclaration des droits de l'homme de 1789,
36:02 c'est-à-dire les droits civils, politiques, sociaux et économiques,
36:07 fait que, même dans le domaine
36:09 qui, normalement, est celui de la souveraineté,
36:12 c'est-à-dire la vie de tous les jours des gens,
36:15 il n'y a aucune frontière.
36:17 C'est fini, tout a volé en éclats,
36:20 puisque même la Cour de justice,
36:22 et on parle d'identité nationale,
36:24 c'est aussi de défense de la sécurité de la nation,
36:27 régit le fonctionnement des services secrets.
36:30 -Je vous entends, Noëlle Lenoir,
36:32 mais quelle est la part des migrations dans ce phénomène ?
36:35 -C'est le deuxième. Je pense que la politique migratoire,
36:38 ou plutôt l'absence de politique migratoire,
36:41 a conduit à rendre concret
36:44 le souhait des relativistes.
36:46 On parlait de Lévi-Strauss,
36:48 on peut aussi parler de Michel Foucault,
36:50 de Bourdieu, etc.
36:52 C'est-à-dire que j'ai été très frappée,
36:54 et franchement, je ne suis pas pour que les policiers
36:58 frappent les personnes de couleur,
37:01 j'ai été très frappée de voir le président Biden
37:04 se mettre à genoux pour s'excuser
37:07 de ce qui était considéré comme un acte raciste,
37:10 et je suis très frappée aussi
37:12 de voir que, chez nous,
37:14 finalement, on respecte des mœurs théocratiques
37:19 qui ne sont pas les nôtres.
37:21 Le proviseur qui vient...
37:24 C'est-à-dire que c'est une immigration.
37:27 Ce n'est pas une immigration.
37:29 C'est que le mot "assimilation",
37:32 qui, pour moi, n'était pas honteux,
37:34 parce qu'il a permis, justement,
37:37 d'absorber une immigration massive des Italiens,
37:40 des Yougoslavs, etc., et même plus loin.
37:43 Le mot "assimilation", ça veut dire
37:45 qu'on accepte de se mettre à la table d'autrui
37:48 et de respecter la façon dont,
37:51 ce que disait Norbert Elias, la civilisation des mœurs.
37:54 Maintenant, il n'y a plus de civilisation des mœurs,
37:56 il n'y a plus de règles,
37:58 et même quand on voit que le syndicat de la magistrature
38:01 attaque un décret de dissolution
38:04 d'une organisation, d'un collectif
38:06 qui s'appelle les Soulèvements de la Terre,
38:09 qui, donc, a fait un certain nombre de dégâts
38:12 dans une certaine région de la France,
38:14 contre les agriculteurs, et qui se fait partie,
38:17 c'est-à-dire, ils sont juges et partie,
38:19 et qu'ensuite, le syndicat de la magistrature
38:22 défile dans des manifestations interdites,
38:25 que des députés d'UPS défilent
38:27 dans des manifestations interdites,
38:30 ou défilent parce qu'ils ne sont pas satisfaits
38:33 d'une règle qui s'appelle la majorité,
38:35 je pense que là, il n'y a pas seulement
38:38 une question d'identité nationale,
38:40 mais de survie de la nation. -Jean-Pierre Le Goffre.
38:43 Ici même, dans une émission,
38:45 Hubert Védrine considérait
38:48 que l'immigration illégale
38:51 avait torpillé le projet politique européen.
38:55 Jean Daniel, dans des discussions
38:59 avec François Mitterrand,
39:01 l'aurait mis en garde contre ce phénomène.
39:04 Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui,
39:07 pour l'Europe, c'est impossible
39:10 de contrôler son immigration illégale ?
39:13 -Je sais pas si c'est possible.
39:15 Ca semble pour le moins difficile,
39:17 mais il faut voir la volonté politique qu'il y a ou non.
39:21 Essayer de réguler cette situation, par contre,
39:23 ce que je crois, c'est que c'est une question aujourd'hui
39:27 qui répand l'angoisse sur l'identité
39:29 dans l'ensemble de la société.
39:31 Il suffit d'aller discuter avec les citoyens ordinaires,
39:34 cette question est constante.
39:36 C'est un défi, à mon avis, considérable.
39:39 Je crois que les discours qui consistent à dire
39:42 que c'est très complexe, etc.,
39:43 s'il n'y a pas un discours un peu net et clair
39:47 sur cette question-là,
39:49 je pense que même la question européenne,
39:51 le rejet même de l'impuissance de l'Europe
39:54 sur cette question-là,
39:55 et ça pose la question de la souveraineté,
39:58 y compris nationale,
39:59 et l'articulation de la souveraineté nationale,
40:02 aujourd'hui, beaucoup de gens se posent la question
40:05 de la France, ou l'Etat français, est-il responsable ?
40:09 Qu'est-ce qu'il peut ?
40:10 C'est une forme d'image d'impuissance
40:12 du politique qui est donnée.
40:14 C'est ça qui est très grave
40:16 dans la question de l'immigration, à mon sens.
40:19 Alors, maintenant, sur l'Europe,
40:21 je ne peux pas être optimiste,
40:23 c'est pas la question.
40:24 Je pense qu'il y a eu une grande désillusion
40:27 par rapport à ce qu'on a connu, ça, c'est certain.
40:30 Je pense aussi qu'il y a un sentiment de dépossession.
40:33 Ça, Hubert Védrine l'avait dit,
40:35 mais c'est un sentiment de dépossession
40:37 par rapport à la nation, ce que peut aujourd'hui l'Etat-nation.
40:41 Et ça, c'est quand même un rapport à l'Europe
40:44 qui est très distancié.
40:45 C'est-à-dire, on voit ça comme une machine administrative.
40:49 Je pense que c'est très éloigné quand même des citoyens ordinaires.
40:53 Je ne veux pas prendre la question paysanne,
40:55 mais c'est énorme. Vous dites, comment se fait-il
40:58 qu'il soit parvenu à écrire et décréter
41:01 un certain nombre de choses qui paraissent absurdes
41:03 et contradictoires ?
41:04 Qu'est-ce qui manque, à mon avis ?
41:07 Je pense qu'il y a toujours la difficulté
41:09 d'un récit national qui s'articule
41:11 à la construction européenne.
41:13 L'articulation des deux, elle est pas nette, on ne le voit pas.
41:16 C'est même le récit national lui-même
41:19 qui est en question par rapport à tout ce qu'on a dit.
41:22 Je ne vois pas, dans ces conditions-là,
41:24 qu'est-ce que l'Europe ?
41:25 Il faut oser poser la question.
41:27 Maintenant, j'aurais tendance à penser
41:30 qu'on peut ressouder les nations européennes.
41:32 C'est quand vous avez un certain nombre de défis
41:35 à relever ensemble.
41:37 Il y a une situation aujourd'hui, on a connu le Covid,
41:40 et là, on a découvert, rétrospectivement,
41:43 la façon dont on était plus souverains
41:46 sur un certain nombre de choses, telles comme les masques,
41:49 ou comme les médicaments.
41:51 C'est quand même un changement de paradigme
41:53 qui commence, à mon avis, à jouer.
41:55 J'y rajouterai la question des ennemis,
41:58 je veux dire des ennemis, enfin, la question de l'islamisme,
42:01 qui est quand même quelque chose.
42:03 On a un ennemi qui veut détruire la nation européenne.
42:07 Là, il y a une possibilité.
42:08 Je crois que, en fonction de la catégorie de l'ennemi,
42:11 c'est quelque chose qui ressoude,
42:13 qui peut ressouder beaucoup plus,
42:15 en même temps qu'il nous faudrait un récit
42:18 sur la nation et sur la construction
42:20 de l'Union européenne.
42:22 -A votre avis, Julien Robert,
42:25 c'est cette question migratoire
42:27 qui explique la montée des forces populistes
42:31 et nationalistes,
42:32 et notamment pour nos prochaines élections européennes ?
42:36 -Oui, c'est quelque chose de plus global.
42:38 C'est-à-dire que les gens souhaitent un changement de politique.
42:42 Vous votez pour un parti A, ça ne change pas.
42:45 Vous votez pour un parti B, ça ne change pas.
42:47 Au bout d'un moment, vous votez pour celui qui est le plus radical,
42:51 qui vous dit "je vais vous débarrasser de ceux qui ont gouverné".
42:55 -Et ça ne changera pas. -Et ça ne changera pas.
42:57 -Ça ne changera pas,
42:59 sauf à remettre l'Eglise au milieu du village,
43:01 c'est-à-dire la souveraineté nationale.
43:04 Si j'ai créé un mouvement qui s'appelle "Osez la France"
43:07 avec un R à "oser",
43:08 c'est parce que penser que la France a un avenir,
43:12 penser qu'on peut vouloir le projet français,
43:16 c'est aujourd'hui une transgression,
43:18 dans une époque où il y a
43:20 une déresponsabilisation générale du politique
43:24 et une indifférenciation du projet européen
43:26 qui empêche... La grande mode aujourd'hui,
43:29 c'est de refuser de juger et de distinguer.
43:31 Donc la méritocratie, c'est mal.
43:33 Lorsqu'on fait une représentation politique,
43:36 il faut que ce soit une photographie ethnique,
43:39 religieuse et sexuelle de la population.
43:43 Et l'étranger qui se présente,
43:46 on ne peut pas lui faire impliquer des devants
43:49 ou des droits différents du citoyen,
43:51 on ne peut pas filtrer.
43:53 Mais avec ce raisonnement-là,
43:55 en réalité, tout s'écroule.
43:57 Un des problèmes européens,
43:58 c'est qu'elle a un problème psychologique
44:01 avec la notion de frontière.
44:02 Comme elle s'est bâtie en supprimant les frontières
44:05 au sein de son ensemble,
44:07 elle ne sait pas ce que c'est établir une frontière.
44:10 La preuve en est qu'on parle sans cesse d'élargissement,
44:13 sans se demander où s'arrête l'Europe,
44:15 alors que, très honnêtement, on aurait pu se dire...
44:18 Ce que je vais dire est un peu unpolitiquement incorrect,
44:21 compte tenu des dernières années,
44:24 l'Allemagne, elle est plus européenne que la Turquie.
44:27 - Même quand elle fait la guerre à l'Ukraine.
44:29 - Aujourd'hui, si vous voulez,
44:31 les islamistes ne s'y trompent pas,
44:33 ils ont fait des attentats.
44:35 Pour les islamistes, la Russie, c'est l'Europe.
44:37 Mais indépendamment de l'épiphénomène des guerres,
44:41 quand vous regardez l'histoire de la Russie,
44:44 elle est bien plus arrimée à l'espace européen
44:46 que la Turquie, qui, à l'exception de François 1er,
44:49 a eu très peu d'amis sur le continent européen.
44:52 - Gabrielle Albert, la notion d'hybridation,
44:55 vous vous y êtes penchée largement dans un livre,
44:59 et je crois que c'est une notion
45:01 sur laquelle vous avez beaucoup réfléchi.
45:04 Aujourd'hui, certains,
45:07 à la notion d'identité nationale,
45:10 préfèrent le métissage, l'hybridation,
45:13 le multiculturalisme, etc.
45:16 Bon.
45:17 À votre avis,
45:19 est-ce qu'il y a une alternative
45:22 à un modèle national d'intégration,
45:24 au moins pour une part ?
45:26 - Merci beaucoup.
45:28 - Et qu'est-ce que vous mettez dans la part
45:30 du narratif, si vous voulez, d'intégration ?
45:35 - Merci pour votre question.
45:37 Je travaille sur cette question de l'hybridation
45:40 depuis près de 15 ans.
45:41 Effectivement, ça me permet, du coup,
45:44 de prolonger la réflexion de Noël Lenoir,
45:46 où elle a prononcé ce terme d'assimilation,
45:49 en se disant qu'il y a cette question-là.
45:51 Lors des différents débats l'année dernière
45:54 sur la loi immigration,
45:55 ça m'a étonnée que l'on soit autant focalisés
45:58 sur la question immigration, bien, pas bien, pro, anti,
46:01 alors qu'il me semble qu'une des autres questions
46:04 tout aussi fondamentales à se poser,
46:07 c'était la question intégration ou assimilation,
46:10 ou autre chose.
46:11 Et il me semble que cette question-là,
46:13 ce débat-là, on ne l'a pas eu.
46:15 Alors que pour le coup, ça aurait pu être un débat public.
46:18 Dans quel modèle s'inscrit-on ?
46:20 Dans un modèle d'intégration,
46:22 et on l'assume, des politiques publiques en découlent,
46:25 ou dans un modèle d'assimilation,
46:27 où on le dit et on l'assume,
46:28 ou il n'y a pas une forme de troisième voie ?
46:31 En tout cas, moi, avec cette idée d'hybridation,
46:33 et là, je précise, par "hybridation",
46:36 ce n'est pas du tout créolisation, métissage,
46:38 en tout cas, cette philosophie
46:40 qui est derrière cette idée d'hybridation,
46:43 je parle, en tout cas, il me semble que malheureusement,
46:46 dans une idée, dans une philosophie de l'intégration,
46:48 on est davantage, malheureusement,
46:50 en tout cas, il peut davantage en découler
46:53 une juxtaposition d'identité et de communauté.
46:55 Et malheureusement, ça ne fait pas nation,
46:58 l'intégration telle qu'elle est, en tout cas, aujourd'hui.
47:01 S'agissant de l'assimilation,
47:03 qui a fonctionné pendant des décennies,
47:05 des siècles même,
47:06 la seule réserve que j'ai,
47:08 c'est quand je parle avec plein de gens
47:10 qui ont été espagnols, portugais, vietnamiens,
47:13 mais bon, je ne connais pas un mot d'italien,
47:15 je ne connais pas un mot d'espagnol,
47:17 je n'ai rien à voir avec ces pays.
47:19 En fait, ça, c'est triste.
47:21 Et là, on se dit, si c'est ça, l'assimilation,
47:23 et si c'est l'oubli total de là où l'on vient,
47:26 d'une langue qu'on aurait pu nous transmettre,
47:29 où il y a une sorte d'amputation et une absence de transmission,
47:32 il y a quelque chose qui est dommage,
47:34 et une forme de perte, je trouve, en termes d'héritage.
47:37 On peut être fondamentalement français,
47:40 et puis, nos parents, grands-parents,
47:42 ont été espagnols, portugais,
47:43 on peut cultiver deux langues.
47:45 Il faut les maîtriser parfaitement,
47:47 mais on peut être...
47:49 Cette image du centaure, c'est avoir un pied dans deux mondes.
47:52 Mais encore faut-il les connaître, les cultiver, les rechercher.
47:56 Ça se travaille d'être un centaure.
47:58 - Pierre Manand... - Le centaure est une chimère.
48:01 - Non, mais Pierre Manand,
48:02 dans ce que vient de dire Gabriel Alpern,
48:05 est-ce que vous ne pensez pas qu'on peut avoir
48:08 une part de son identité nationale,
48:11 une part intime,
48:13 qui fasse, justement, appel et mémoire
48:16 à une autre histoire, à une autre culture
48:19 que celle de la nation dans laquelle on vit ?
48:23 - Oui, bien sûr, mais...
48:24 Ca, c'est des choses indécidables
48:28 qui dépendent tellement de paramètres...
48:30 Je ne peux pas dire grand-chose.
48:32 Ce sont des vies individuelles
48:35 qui peuvent présenter
48:37 toutes les couleurs et les formes imaginables,
48:40 mais la question principale,
48:42 c'est même pas la question du récit dont parlait Jean Pierre,
48:46 c'est la question du régime politique.
48:50 C'est pas quel est le récit national,
48:53 c'est est-ce que nous sommes encore une nation
48:55 en état de marche ?
48:57 Ca veut dire, est-ce que nous sommes encore
49:00 une République en état de marche ?
49:02 En principe, nous sommes la République française,
49:05 et la République française, c'est quoi ?
49:07 C'est une vieille nation qui, à partir d'une date,
49:10 a décidé de se gouverner elle-même par la République,
49:13 par le régime républicain, et donc, depuis deux siècles,
49:16 nous sommes... Oui, c'est à peu près ça,
49:18 un peu plus. - On enlève les phases d'empire
49:21 et de restauration. - Voilà, nous sommes
49:23 en République. Ca, c'est notre histoire.
49:26 La question, aujourd'hui, est-ce que nous sommes encore
49:29 la République française ? Est-ce que nous sommes encore
49:32 la République française qui, aujourd'hui,
49:35 se gouverne elle-même ? La réponse est non.
49:37 Depuis quelques années, nous avons décidé de ne plus être
49:40 cette vieille nation qui se gouverne elle-même,
49:43 puisque nous avons renoncé à la République,
49:46 puisque nous nous sommes ôtés le droit
49:48 de nous gouverner nous-mêmes. Aujourd'hui,
49:51 ce n'est plus le gouvernement et le Parlement qui gouvernent,
49:54 ce sont les différentes juridictions,
49:56 les traités internationaux, et jamais le Conseil constitutionnel,
50:00 à la différence de la Cour constitutionnelle allemande,
50:03 n'a redéfini le régime français comme une République
50:06 se gouvernant elle-même, ce qu'a fait le...
50:09 - Alors, juste un mot, parce qu'on arrive...
50:12 - A la fin ? - Oui.
50:13 - Il y a juste une décision dont je suis assez fière,
50:16 c'est pas moi qui ai été rapporteure,
50:18 mais c'est celle de 99, sur la Convention du Conseil de l'Europe
50:23 sur les langues minoritaires et régionales,
50:26 où le Conseil avait été saisi par le Premier ministre
50:29 et le président de la République, et où on a indiqué
50:32 que le communautarisme en France,
50:35 c'était pas notre identité nationale,
50:37 c'est-à-dire qu'on ne peut pas reconnaître à des groupes
50:40 qui ne sont pas des citoyens des droits propres,
50:43 ça veut dire qu'il n'y a pas de droit religieux,
50:46 des minorités religieuses, ethniques, etc.
50:48 C'est un peu la République, mais c'était il y a longtemps.
50:52 - On a très peu de temps, Jean-Pierre Le Goff.
50:54 - Je pense sur les différentes formes d'appartenance.
50:57 Je pense qu'il faut... Effectivement,
50:59 il y a toujours des filiations.
51:01 Je suis d'origine bretonne, mais je pense que la République,
51:05 c'est dans l'Espagne... - Vous pouvez plus,
51:07 alors ça va plus loin. - Il y a beaucoup de groupes.
51:10 La question, c'est l'espace politique lui-même.
51:13 C'est dans l'espace politique lui-même que ça se pose.
51:16 Il y a une conception républicaine qui, pour moi,
51:19 demeure malgré tout un idéal régulateur,
51:22 qui est un peu un idéal, j'insiste là-dessus,
51:26 d'oublier ses appartenances premières
51:28 pour se penser comme un membre de la collectivité nationale,
51:31 ce qui est une certaine définition individuelle de la citoyenneté.
51:35 Si on lâche ça, on lâche beaucoup de choses.
51:37 - Donc c'est sur le plan politique, c'est votre avis.
51:40 Sur le plan culturel, ça laisse la place...
51:43 - Je compte sur la question de l'identité.
51:45 Vous avez une réaction identitaire, à mon avis, mauvaise,
51:48 qui est de penser que l'identité, elle est rigide, figée.
51:52 Vous avez au pouvoir des gens qui pensent
51:54 que les flexibles bougent tous les jours.
51:56 La réalité est entre les deux, mais il faut réintroduire de l'affectif.
52:00 La question de l'appartenance à la nation,
52:03 c'est pas seulement rationnel, idéologique,
52:05 c'est d'abord un amour profond pour un pays
52:08 qui a une histoire, une singularité,
52:10 qui, pour moi, en fait le plus beau pays du monde.
52:13 - Merci. Alors, écoutez, il nous reste plus de temps.
52:16 On aurait pu poursuivre cette conversation
52:18 encore longtemps, mais le temps est coulé.
52:21 Là, je voudrais vous présenter une brève bibliographie
52:25 de Samuel Huntington, que nous connaissons tous,
52:29 puisqu'il est l'auteur de cette révolution avortée
52:32 sur la fin de l'histoire.
52:34 Il a publié un livre
52:37 sur le choc des civilisations... - Remarquable.
52:40 - ...qui a été publié chez Odile Jacob.
52:45 - Le Lucrenne, d'ailleurs. - Je vous rappelle...
52:48 Alors, Noël Lenoir,
52:50 vous avez publié avec Philippe Valtoux et Marc Lambron
52:53 "L'Europe de Daumier à nos jours".
52:56 Ca, c'était... C'est une belle Europe, celle-là.
52:59 - Un petit peu avec les caricaturistes de Charlie,
53:03 il y a quelque temps.
53:04 - Vous dites ça avec nostalgie. - Avec nostalgie,
53:08 parce que ça a été une fracture et une rupture.
53:11 Donc la fin de la liberté d'expression en janvier 2015.
53:15 - Merci. Julia Aubert,
53:17 Emmanuel, le faux prophète aux éditions du Rocher.
53:21 Emmanuel, c'est un prophète de la Bible
53:23 ou c'est un prophète du temps présent ?
53:26 - C'est un prophète qui s'est perdu dans le désert.
53:28 - D'accord. Bon, on n'en dit pas plus.
53:31 Voilà. Je rappelle...
53:33 Gabriel Alpern, vous avez publié "Tous sans tort",
53:38 "Éloge de l'hybridation".
53:40 Est-ce que l'hybridation première n'est pas celle
53:43 qui nous hybride au livre et à la culture ?
53:46 - Effectivement. L'hybridation, c'est l'idée de créer des ponts
53:50 entre les mondes, les univers, les imaginaires, les métiers.
53:54 - Jean-Pierre Le Goff, je rappelle qu'on en a déjà parlé,
53:59 que vous avez publié "Mes années folles" de Robert Laffont
54:03 et c'est toujours ces fameuses années folles
54:06 que vous incriminez dans le changement, c'est ça ?
54:09 - Oui. Je pense que c'est une révolution
54:11 de la seconde moitié du XXe siècle,
54:14 une révolution culturelle qui a beaucoup compté
54:17 dans ce que nous avons... autour de quoi on a discuté.
54:20 - Alors, Pierre Manon, Pascal et la proposition chrétienne,
54:25 est-ce que finalement, c'est cette proposition
54:28 qui a été effacée ?
54:30 - Je ne pense pas qu'elle ait été complètement effacée,
54:33 puisque j'ai...
54:34 - Non, mais je parle dans l'air du temps.
54:37 - C'est... Je...
54:40 Oui, bien sûr, il y a un effondrement visible,
54:43 mais ça ne dit pas tout de notre situation
54:46 religieuse, spirituelle.
54:48 Les...
54:51 Les ressources de la religion sont mystérieuses,
54:55 donc...
54:57 Je ne sais pas ce qui adviendra demain.
55:00 - Merci. Donc nous restons avec cette hypothèse.
55:04 Je voudrais vous remercier, mesdames,
55:07 merci, messieurs, d'avoir combien animé,
55:11 à mes côtés, cette conversation fort intéressante
55:14 sur... Je crois que l'identité nationale
55:17 est vraiment un sujet très préoccupant,
55:19 même s'il n'apparaît pas directement.
55:21 Je voudrais remercier l'équipe de LCP,
55:24 qui a permis la réalisation de cette émission.
55:27 Et avant de nous quitter, je vous laisse
55:29 avec cette pensée qui vient du Sud.
55:33 A mes yeux, chaque communauté historique
55:36 a une identité différente et respectable
55:39 qui doit être maintenue et défendue.
55:42 C'est un extrait
55:45 d'un ouvrage de Max Gallo.
55:48 ...
55:49 ...
55:55 [Bruit de l'espace]

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