Scandale à l'église : le vol du curé
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00:00 Dans son village du Loir-et-Cher, Jean-Evian Arquin le maire est toujours très fier de montrer aux premiers venus cette magnifique église du XVe siècle.
00:09 "Ah ça fait partie des belles églises de la région et donc elle a eu plusieurs transformations. Elle a été transformée un peu en style gothique, l'entrée en est très caractéristique."
00:20 A l'intérieur, quelques trésors religieux dont un tableau classé, le joyau de la paroisse. Face à la multiplication des pillages d'églises dans la région, la commune a dépensé 11 000 euros dans un système anti-vol. Mais le maire n'avait pas tout prévu.
00:39 "Il y a ce retable, on vient de le mettre en sécurité pour le protéger du vol. Pendant qu'on surveille le retable, on s'est fait piller la sacristie. Manque de chance."
00:50 Jean-Yves Narquin était en effet loin d'imaginer la présence d'un loup dans sa propre bergerie. Un voleur insoupçonnable qui serait passé par derrière, ni vu ni connu.
01:03 "Il y a ici une porte de service où on peut accéder directement à la sacristie. Vous voyez la sacristie est un peu en crypte sous l'hôtel et donc là il y a une porte qui est effectivement très pratique pour s'approcher discrètement.
01:16 Donc effectivement seule la paroisse a la clé de cette porte. Nous-mêmes nous ne l'avons pas."
01:23 Ce voleur serait le curé de la paroisse. Le père Étienne, 33 ans, au cœur d'une sombre affaire de culte. Il est soupçonné d'avoir dévalisé 14 églises de la région.
01:35 En France, les vols dans les édifices religieux sont en pleine expansion. Ils sont en général commis par de petits délinquants. Mais un prêtre pillant les églises de son diocèse, de mémoire de chrétien, c'est du jamais vu.
01:49 Lors d'un inventaire en mai dernier, Jean-Yves Narquin découvre l'étendue de ces vols.
01:58 "On n'allait pas mettre des alarmes contre les curés quand même."
02:02 Le père Étienne avait les clés de la sacristie. Il aurait donc tranquillement pu se servir dans les placards réservés aux objets utilisés pour dire la messe.
02:11 "Voilà, vous avez deux calices qui ont disparu. Et cet ostentoire. On s'aperçoit tout de suite que le travail d'herfèvrerie était d'une finesse et d'une recherche incontestables."
02:26 Le curé avait l'œil et du goût visiblement. En tout, il aurait dérobé une quarantaine d'objets dans la région et surtout les plus précieux, comme ce calice du XVIIIe siècle, estimé à 35 000 euros.
02:39 Ou encore cet ostentoire certi de pierres précieuses.
02:44 "Et malheureusement, la boîte est vide." "Qu'est-ce qu'il y avait dans cette boîte ?" "Eh bien, il y avait un des calices précieux qui était ici donc maintenant. La boîte est vide." "Tristement vide." "Tristement vide."
03:00 Au total, le butin est estimé à plus de 70 000 euros. Un curé présumé voleur, un sacrilège pour le maire.
03:08 "Vous avez l'air un peu énervé, là." "Ému." "Ému ?"
03:15 "Je pense qu'il y a des gens qui sont dépositaires de certaines valeurs qui n'ont pas le droit de les trahir. Voilà, c'est tout."
03:22 "C'est ça qui vous blesse, c'est du pouvoir de la société." "C'est pas la religion parce que moi j'ai ma foi à moi qui est sans doute un petit peu à part. Mais je suis choqué par la trahison morale, on va dire comme ça."
03:38 Un maire choqué face au comportement supposé d'un prêtre pourtant dépositaire de la morale et des valeurs chrétiennes et issu d'une communauté traditionnaliste.
03:48 La communauté Saint-Martin, née en 1976, est installée à Candé-sur-Beuvron. Elle forme des prêtres à qui les évêques confient des paroisses, des sanctuaires ou d'autres apostolats.
04:00 Ordonné prêtre en 2003, le père Étienne a été formé au sein de la communauté Saint-Martin, aux règles de vie très strictes.
04:09 Le père Anne-Guillaume est lui aussi rattaché à cette fraternité. Il officie aujourd'hui dans le même diocèse qu'Étienne.
04:16 Signe distinctif de cette communauté, une soutane digne des années 50. Alors lorsqu'il sort dans la rue, il ne passe jamais inaperçu.
04:26 Les mauvaises langues surnomment ainsi ces prêtres les gothiques ou encore les dons camillots. Proche du père Étienne, ce curé est encore sous le choc.
04:37 - Vous dites le mot trahison. Oui, on peut parler de trahison, de profonde déception. On est bouleversé par tous ces gestes qu'il a pu commettre.
04:47 - Que diriez-vous aujourd'hui ? - Je serais peut-être un peu violent. Je n'aime pas.
04:53 Avec cette affaire, c'est l'ensemble de la communauté qui est ébranlée.
04:58 - On a tout fait pour mettre Étienne entre les mains de la justice sur Terre, entre la justice humaine.
05:06 - Mais on lui confie aussi la justice divine. Seul Dieu sait pourquoi il a fait ça, quelles étaient les intentions de son cœur. On ne peut rien dire de plus.
05:16 Le père Étienne aurait, semble-t-il, oublié un peu vite les valeurs de cette communauté conservatrice.
05:25 Pourtant, le père donne l'image d'un homme sympathique et jovial, proche des jeunes.
05:32 Moderne aussi, comme en témoigne cet extrait d'un reportage de 2007 où il fait part de ses goûts musicaux éclectiques.
05:41 - J'aime, disons, de la musique classique au métal, mais sauf hip-hop, rap, danse, ça, c'est miette.
05:48 Mais avant tout, un homme de conviction. En plein débat sur le mariage pour tous, il monte au front et fait même l'objet d'un portrait dans la presse nationale.
05:57 Une belle vitrine qui va vite se fissurer.
06:01 - Ça va ? - Bonjour. - Tu vas bien, Michel ? - Ça va, ça va. - Ça boume ? Pas de souci ? - Ça boume, le jour. - Pas de souci ?
06:09 C'est en tout cas ce que va réaliser Jean-Yves Narquin Le Maire. En fouillant, il a découvert les zones d'ombre que cache le père Étienne.
06:16 Sur le profil Facebook de ce curé moderne, des photos pour le moins surprenantes, comme celle de Fernandelle en don camillo, le fusil à la main.
06:25 - Alors, il signe un commentaire avec la photo de don camillo. "Karem fini, on ressort l'artillerie."
06:31 - C'était un prêtre un petit peu à part. Il avait un style de vie, il avait des fréquentations, il aimait bien s'amuser, faire la fête, jouer au PMU, des choses comme ça.
06:43 Donc c'est vrai qu'il était un peu décalé.
06:47 Atypique, le père Étienne avait l'habitude de fréquenter tous les jours les bars du coin.
06:52 A Montoir-sur-le-Loire, une des communes où il officiait, les habitants le croient souvent au bistrot, en train de boire un verre et de faire son tiercé.
07:01 Une personnalité locale et appréciée.
07:05 - Vous aussi, vous en avez pensé quoi ? - Non, moi, je ne parle pas de ça. Je l'aimais beaucoup et je ne l'ai même pas encore.
07:09 - Ah, vous l'aimiez bien ? - Oui. - Ça vous a fait de la peine, c'est ça ?
07:12 - C'est un bon garçon. C'est un super mec. Un super mec. - C'était un super prêtre ?
07:17 - Il rencontrait les gens, tout simplement. Il rencontrait les gens. Là, je n'aime rien voler à personne.
07:22 Je connais plein de gens qu'il a fréquentés, là. Tout ce qu'il a volé, c'est quoi ?
07:28 Ce mode de vie est stoppé net le 17 juillet dernier. Les gendarmes viennent cueillir le père Étienne dans son église.
07:36 L'élément déterminant de l'enquête, c'est l'absence totale d'effraction dans les 14 églises dépouillées dont il avait les clés et la charge.
07:44 Du côté de sa hiérarchie, pas de commentaire. Il faut attendre que l'affaire sorte dans la presse pour que l'évêque de Blois réagisse dans un communiqué officiel.
07:54 - Dans l'attente que soit identifiée sa responsabilité, j'ai pris la décision de décharger le père Étienne de tout ministère dans le diocèse de Blois.
08:04 Quant aux objets volés, ils ne retrouveront peut-être jamais leur église d'origine.
08:10 Apparemment arnaqués par des recelleurs et des antiquaires véreux, le curé n'aurait empoché, d'après l'enquête, que quelques milliers d'euros.
08:17 Et difficile aujourd'hui de remettre la main sur le butin.
08:21 Pour retrouver toutes les pièces volées, un service de police spécialisé mène néanmoins l'enquête depuis plusieurs semaines.
08:28 Jean-Luc Boyer est policier à l'OCBC, l'office de lutte contre le trafic des biens culturels.
08:34 Sur la base de données du service, 90 000 objets d'art volés à travers toute la France et minutieusement répertoriés.
08:41 Parmi eux, des milliers d'obiens provenant des lieux de culte.
08:45 - Ça, c'est ce qui se vole actuellement le mieux. C'est un calice. On a les calices et les ostensoires qui se volent facilement.
08:52 - Il y a un marché, hein. Il y a un marché, on le sait, une demande notamment des Américains. Ils ont des paroisses privées, vous savez.
09:01 - Donc ils sont à la demande de biens cultuels. Et ça part généralement aux Etats-Unis.
09:06 - Ou bien ça peut être volé pour... Malheureusement, pour les matériaux. Ils vont fondre le cuivre. Si c'est de l'or, ils vont récupérer l'or. Vous voyez, c'est...
09:16 - Y a pas de règle absolue en la matière. Alors... - C'est très cherché en ce moment.
09:20 - Ah, ça se vole bien. C'est facile à voler, c'est facile à écouler.
09:24 Pour ne pas entraver l'enquête, ce policier ne souhaite pas s'étendre sur l'affaire du père Etienne.
09:29 Car dans ce type de dossier, retrouver les objets volés est un travail de longue haleine. Et les pièces dérobées auraient peut-être déjà été écoulées à l'étranger.
09:40 En liberté, mais sous contrôle judiciaire, le père Etienne, lui, n'a pas quitté le territoire. C'est en Vendée, dans le Fief Familial, qu'il aurait trouvé refuge.
09:51 Un dimanche matin à Saint-Florent-des-Bois. Dans l'église de ce petit village vendéen, le père Etienne a officié pendant quelques mois sous l'autorité du curé en place.
10:03 *Chant*
10:13 En Vendée, tout le monde connaît bien le père Etienne. Il est issu d'une famille respectée et appréciée. Alors à la sortie de la messe, c'est l'omerta.
10:23 - Qu'est-ce que vous venez chercher à Saint-Florent-des-Bois ? Il a juste fait un petit passage, nous on n'est au courant de rien. On n'a rien à vous dire là-dessus.
10:30 - Je suis pas au courant, non, non. Personne n'a rien à dire sur lui. J'ai rien à dire. - Vous avez entendu parler de l'affaire dans le Loir-et-Cher ?
10:40 - C'est rigolo.
10:42 Dans la région, un homme est extrêmement proche du père Etienne. Il s'agit de son frère. Au moment du scandale, il aurait même un temps hébergé chez lui.
10:52 Ce frère bienveillant, nous l'avons rencontré. Il va se laisser aller à quelques confidences sur le père Etienne qui, lui, n'a pas souhaité nous parler.
11:00 - Il a été diagnostiqué. Il a un syndrome qu'il peut vous renseigner. Ça s'appelle le syndrome borderline. Et c'est un truc qu'il a depuis longtemps.
11:10 Et en fait, ça a été une longue dégringolade, enfin, jusqu'à ce qu'il passe aux actes. Et donc, il est soigné. Donc il va chez le psy 2 fois par semaine.
11:19 Il devrait faire une cure, je pense, assez vite. C'est comme s'il était un peu drogué à sa propre adrénaline. Il a besoin, par exemple, de conduire vite.
11:27 - De se mettre en danger. - De se mettre en danger.
11:29 Et pour son frère, le curé n'aurait rien gagné dans cette histoire.
11:33 - C'était pas pour s'enrichir personnellement, parce qu'il n'y a pas eu de modification de son train de vie.
11:39 Et puis, il s'est fait arnaquer aussi par des anticarvéaux qui ont trouvé un bon filon et qui l'appelaient.
11:45 Et ça lui brûlait les doigts. Donc, en fait, il prenait un truc dans une sacristie et puis il le revendait dans la minute.
11:54 - Comment il a vécu l'arrestation ? Parce que c'était en juillet, si je ne me trompe pas. - Soulagement.
11:58 - C'est-à-dire ? - C'est-à-dire qu'en fait, je pense que c'était partie de son problème, en fait. Il avait besoin de se faire arrêter, en fait.
12:07 Et ça a été un vrai soulagement. Alors après, ça a eu des implications. Il n'a pas fini d'en s'en rendre compte, mais ça a été un vrai soulagement. Il a tout fait pour qu'on le fasse.
12:18 Lors de sa garde à vue, le père Etienne a reconnu les faits. Il attend maintenant son procès. Il risque au maximum 7 ans de prison et 100 000 euros d'amende.
12:29 Sous-titrage ST' 501
12:31 [musique]