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Ce documentaire de 52 minutes, réalisé par Dorothée Lachaud, retrace le parcours de ce couple passionnel et tumultueux.
Transcription
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00:11 Été 1931, quand Antoine de Saint-Exupéry épouse Consuelo Sunsin Sandoval, la mariée est en noir.
00:20 Une photo de famille inhabituelle et mystérieuse, à l'image de leur union.
00:25 Pilote d'avion établi, Antoine est aussi reconnu comme écrivain depuis l'apparution de Courrier Sud.
00:33 Issu d'une famille aristocratique et unie, ce jeune trentenaire charismatique ne s'est encore jamais marié.
00:40 Seule la singularité et le piquant de Consuelo, une artiste bohème née au Salvador, l'ont décidé à franchir le pas.
00:49 Un homme constamment plongé dans les airs ou dans les tourments de son écriture, une femme qui l'attendra toute sa vie sans pour autant passer sa vie à l'attendre.
01:00 Treize années d'un mariage dissonant au cours desquelles pourtant, cet homme et cette femme séparés par les continents, la guerre et les épreuves, ne se sont jamais quittés.
01:11 Cherchant sans relâche comment apprivoiser leur amour.
01:15 [Musique]
01:35 Buenos Aires, 1930.
01:38 Tonio, où êtes-vous mon enfant ? Je suis au bar du Plaza avec des amis et nous vous attendons pour boire un cocktail.
01:46 Venez me rejoindre s'il vous plaît.
01:48 Votre téléphone 52-74 ne marche pas du tout.
01:52 Consuelo.
01:53 [Musique]
01:58 Consuelo Sunsin Sandoval.
02:00 Un nom aussi fascinant que mystérieux.
02:03 Il évoque le nouveau monde, l'océan, la vie libre d'une jeune femme moderne.
02:09 A 19 ans, elle brave son asthme chronique et s'émancipe de sa famille de riches propriétaires terriens pour étudier les beaux arts à San Francisco puis à Paris.
02:19 Façonnant une langue où les couleurs et les formes servent de temple à son exil.
02:24 [Musique]
02:37 En ce mois d'août 1930, quand elle quitte la France où elle vit depuis 10 ans pour embarquer sur le Massilia, Consuelo n'imagine pas que son destin va basculer.
02:46 Elle rejoint l'Amérique du Sud pour honorer la mémoire de son défunt mari, l'écrivain diplomate Gomez Carillo.
02:53 Une période douloureuse pour cette femme de 29 ans qui doit vivre en même temps sa jeunesse et son veuvage.
02:59 [Musique]
03:02 Figure reconnue des milieux artistiques les plus privilégiés, Consuelo est invitée à la table d'honneur par le commandant du Massilia.
03:09 Très à l'aise en français, elle sympathise avec Benjamin Crémieux, un critique de la NRF.
03:15 Il l'invite à un colloque à l'Alliance française de Buenos Aires et il lui présente un homme original et plein de charme, à la fois pilote d'avion et écrivain.
03:24 C'est le français Antoine de Saint-Exupéry.
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03:33 "Ma petite maman, je viens enfin de savoir ce que je fais.
03:38 Je suis nommé directeur de l'exploitation de l'aéroposta Argentina.
03:42 Buenos Aires est une ville odieuse, sans charme, sans ressources, sans rien.
03:47 [Musique]
03:51 Je pense que vous êtes contente, moi je suis un peu triste.
03:54 J'aimais bien mon existence ancienne.
03:57 Il me semble que ça me fait vieillir.
04:00 Je piloterai d'ailleurs encore mais pour des inspections ou reconnaissance de lignes nouvelles.
04:05 Je vais lundi pour quelques jours à Santiago du Chili et samedi à Comodoro Rivadavia en Patagonie.
04:11 Je vous embrasse comme je vous aime tous. Antoine."
04:16 [Musique]
04:21 Saint-Exupéry vit à Buenos Aires depuis plus d'un an.
04:24 Il y écrit son prochain livre et gagne sa vie comme directeur de l'aéropostale.
04:29 Une existence routinière sauvée par l'amitié qui le relie à ses camarades.
04:34 Les aviateurs vedettes Henri Guilloumet, Marcel Rennes et Jean Mermoz.
04:39 [Musique]
04:42 Pour Antoine, seule cette fraternité peut donner corps à l'idéal de relier les hommes entre eux dans l'aéropostale
04:49 en délivrant le courrier "C'est fait la promesse".
04:52 [Musique]
04:56 Ce jour d'été 1930, quand Antoine croise pour la première fois le regard de Consuelo dans les salons de l'Alliance française,
05:04 le temps s'arrête.
05:07 Fasciné par le charisme de la jeune femme, Antoine survole son visage.
05:12 [Musique]
05:16 "Quand une femme me paraît belle, je n'ai rien à en dire. Je la vois sourire tout simplement.
05:22 Les intellectuels démontent le visage pour l'expliquer par les morceaux, mais ils ne voient plus le sourire."
05:30 Antoine n'aime pas parler des sentiments. Il préfère l'action et son lot de surprises.
05:36 Pour retenir Consuelo, il l'invite avec d'autres amis à admirer le coucher de soleil sur le rio de la Plata.
05:43 Et voilà Consuelo à bord d'un latécoère pour un baptême de l'air vertigineux.
05:48 [Musique]
05:51 "J'avais peur, mais je lui confiais ma vie. Il s'amusait à nous effrayer en faisant des loopings.
05:58 Je souriais. Je me suis penchée vers lui comme j'ai pu et je l'ai embrassée.
06:04 À son tour, il m'embrassait violemment et nous sommes restés deux-trois minutes comme ça."
06:10 [Musique]
06:26 Le jeune couple ne se quitte plus. Antoine, qui a besoin d'une attention permanente pour écrire, n'arrive plus à se passer de Consuelo.
06:34 Elle se révèle un précieux soutien à son travail, renouant avec le rôle de femme d'écrivain et se tenant à l'écart de celui de femme de pilote, inconnue, presque inquiétant.
06:44 Antoine lui confie s'inspirer de ses vols de nuit pour écrire son nouveau roman, un livre sur la nuit, dans son sens intime.
06:53 "Il rentrait tard la nuit. Je l'attendais. Je lui disais, cinq pages seulement de tempête ce soir.
07:03 Et il allait dans son studio. Je l'installais dans son fauteuil, l'embrassais et lui répétais à l'oreille, c'est nécessaire, écrivez, écrivez.
07:13 Crémieux a insisté, il faut qu'il écrive, alors dépêchez-vous. Et le matin, je trouvais quelques pages illisibles sur mon petit bureau."
07:21 Fabien erre sur la splendeur d'une mer de nuages la nuit. Mais plus bas, c'est l'éternité. Il est perdu parmi des constellations qu'il habite seul.
07:33 Il tient encore le monde dans les mains et contre sa poitrine le balance. Il serre dans son volant le poids de la richesse humaine et promène, désespéré, d'une étoile à l'autre, l'inutile trésor qu'il faudra bien rendre.
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07:59 Bouleversé par la voix intérieure d'Antoine, Consuelo s'embrase. Cet homme n'est pas comme les autres, elles non plus.
08:08 Leur singularité devient leur dénominateur commun. Ils se comprennent intimement. Mais cet amour nouveau l'exalte autant qu'il l'inquiète.
08:19 Consuelo est déjà veuve et plus elle connaît Antoine, plus elle sent que son fou volant se rêve en héros sans limite.
08:26 Comme la fois où Antoine est parti en plein hiver austral à la recherche de son camarade Guillaumet, porté disparu dans la cordillère des Andes.
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08:47 Les officiers chiliens nous conseillaient de suspendre nos explorations. C'est l'hiver. Votre camarade, si même il a survécu à la chute, n'a pas survécu à la nuit.
08:56 La nuit là-haut, quand elle passe sur l'homme, elle le change en glace.
09:03 Et lorsque de nouveau je me glissais entre les murs et les piliers géants des Andes, il me semblait non plus te rechercher, mais veiller ton corps en silence dans une cathédrale de neige.
09:14 (Musique)
09:20 Après plusieurs jours de recherche, Guillaumet est retrouvé vivant dans le refuge d'un éleveur de lamas. La fraternité est sauvée.
09:30 Un épisode miraculeux qui amuse Antoine autant qu'il hante Consuelo.
09:36 Entre ses camarades d'aviation, l'écriture et sa famille, quelle place cet homme est-il prêt à lui faire dans sa vie ?
09:45 Antoine voit en Consuelo la promesse d'un amour providentiel. Un amour refuge, capable de le relier à son pays natal, l'enfance.
09:56 J'aime bien tout ce qui Antoine est qu'à demi apprivoisé. Mon ardente amie, je voudrais savoir lire toutes les petites houles de votre visage.
10:07 Je me souviens d'une histoire pas très vieille, je la change un peu. Il était une fois un enfant qui avait découvert un trésor.
10:15 Mais ce trésor était trop beau pour un enfant dont les yeux ne savaient pas bien le comprendre, ni les bras le contenir.
10:21 Alors l'enfant devint mélancolique.
10:27 Antoine ne peut plus se passer de Consuelo et la demande en mariage.
10:35 La lettre de Togno frottait toujours contre ma robe, contre ma hanche. Elle me parlait sans que je veuille l'entendre.
10:42 Je cherchais à comprendre ce qui m'arrivait dans ce pays dur et tendre. Je me sentais seule, orpheline, exilée.
10:51 On me proposait un rôle d'épouse dans une pièce. Étais-je faite pour lui ? Avais-je vraiment envie de l'interpréter ?
11:03 Quelques jours plus tard, Antoine et Consuelo passent la porte de la mairie de Buenos Aires.
11:08 Mais Antoine confesse à la jeune femme, le cœur serré, qu'il ne peut pas se marier loin de sa famille. C'est impensable.
11:17 Ce mariage reporté laisse un goût amer à Consuelo et la pousse à rentrer à Paris pour retrouver sa vie et ses amis.
11:28 4 janvier 1931, à bord du Massilia.
11:33 Togno, chérie, la chaleur m'a réveillée de bonheur ce matin. Crois-tu, mon amour, que nous nous perdrons ?
11:40 Sois sage, chérie, travaille ton roman et fais le bien beau.
11:45 Notre séparation, le désespoir, les larmes de notre amour ne t'aideront toujours pas à vivre.
11:53 Le désespoir, les larmes de notre amour ne t'aideront-ils pas à pénétrer dans le cœur des hommes, dans les mystères des choses ?
12:01 Togno, Togno, chérie, adios, Consuelo.
12:06 5 mois après son arrivée en Argentine, Consuelo, à nouveau à bord du Massilia, n'est plus la même.
12:16 Elle emporte la charge de cet amour comme une mission qui lui incombe, le vivre sans s'oublier.
12:23 Dans le sillage du bateau qui file vers la France, l'ombre de l'avion d'Antoine plane.
12:29 S'il n'a pas réussi à la retenir, il ne veut pas la voir partir.
12:34 Cette distance le rend fou. Antoine appelle chaque jour Consuelo à Paris.
12:42 "Je vous épouserai partout dans le monde", lui dit-il.
12:46 Il envoie même des amis chez elle pour obtenir une confirmation, un apaisement.
12:51 Sa passion exaltée par la distance, Consuelo renoue avec la création.
12:58 Selon que l'on aime un être, un paysage ou un objet, on les rêve de plus en plus se rapprochant ou s'éloignant,
13:06 en les changeant de dimension, de couleur, de parfum. Ils vont, ils viennent vers nous, vers vous, dans l'invisible de nos forêts intérieures.
13:16 Quelques semaines plus tard, Antoine quitte l'aéropostale et s'empresse de rejoindre Consuelo à Nice.
13:31 Dans sa villa héritée de son précédent mari, la jeune femme profite du climat chaud pour apaiser son asthme chronique.
13:38 Sur les hauteurs de la ville, la villa Mirador abrite les retrouvailles d'Antoine et Consuelo.
13:46 Antoine peut enfin finir l'écriture de vol de nuit, rassuré par la présence de sa future femme.
13:55 Un mariage en bonne et due forme se prépare.
14:01 La famille s'intègre au complet en visite aux futurs époux, curieux de rencontrer l'étrangère qui a pris le cœur d'un frère, d'un fils.
14:10 Antoine me rassurait de son mieux, mais j'étais terrifiée à l'idée de revoir sa famille, ses amis.
14:18 Quelle jeune fiancée amoureuse ne tremblerait pas devant une tribu entière qui se prétendait propriétaire de son fiancé ?
14:26 Je venais d'une autre souche, d'une autre terre, d'une autre tribu.
14:30 Je parlais une langue différente, je mangeais des choses différentes, je vivais d'une façon différente.
14:37 Le 23 avril 1931, Consuelo et Antoine prononcent leur vœu à la chapelle du château d'Aguet, fief de la famille dans le Var.
14:49 Consuelo Sunsin Sandoval devient la comtesse de Saint-Exupéry.
14:56 Le jour du mariage, des fleurs, du vin cuit de la ferme d'Aguet, furent distribuées par ma belle-sœur Didi à tous les habitants du pays.
15:05 On riait, on chantait, "Ciel pur, vent admirable", disait Togno, comme dans ses vols de nuit pour encourager la radio et le pilote.
15:15 Seule ombre au tableau, la tenue de la mariée dérange.
15:21 Sa robe de dentelle noire empêche d'oublier qu'Antoine épouse une veuve.
15:26 Pour Consuelo, peu importe la couleur, cette robe reste sa préférée.
15:31 Face au clan Saint-Exupéry, la jeune femme cultive sa différence, mais les premières difficultés du couple trouvent leur source dans la réunion impossible de leur monde.
15:44 Consuelo sait qu'aux yeux de sa famille, elle restera toujours une étrangère, mais maintenant, elle et sa femme, à jamais unies.
15:52 "Ma petite maman, je vous remercie d'avoir si bien soigné ma petite femme. Nous irons, je pense, vivre deux mois à Casablanca.
16:08 J'ai demandé le Maroc provisoirement pour sa santé, elle y sera heureuse."
16:14 "Par pitié, dites-moi ce qu'en pensent ceux qui ont lu mon bouquin, je n'en ai aucune nouvelle.
16:19 Ma petite maman, je vous quitte. Je pars en courrier à 4h du matin, il faut que je dorme.
16:25 Je vous embrasse comme je vous aime, beaucoup plus que vous ne le pensez. Antoine."
16:31 Cet été 1931, vol de nuit vient de paraître quand Antoine reprend du service sur les lignes africaines.
16:42 Le jeune marié toujours à court d'argent en profite pour renflouer ses comptes et retrouver son existence de pilote.
16:48 Consuelo, encore affaiblie par son asthme, rejoint son mari au Maroc pour profiter d'un climat chaud.
17:07 Elle tombe sous le charme de Casablanca, une ville en construction permanente, comme elle.
17:12 Elle soigne leur appartement pour offrir à son couple un foyer et à son mari un refuge.
17:20 Antoine connaît bien le Maroc, un territoire qu'il a sillonné dix ans plus tôt pour assurer les liaisons aéropostales vers Cap-Juby,
17:36 entre le désert et l'océan.
17:38 Mais sur la liaison Casablanca-Dakar, les conditions de vol sont difficiles.
17:44 Il revient de ses huitaines à chaque fois un peu plus épuisé et déçu de ne pas voir sa femme l'attendre au terrain.
17:51 La jeune mariée résiste à endosser le rôle de femme de pilote.
17:58 L'amour se tend.
18:05 Casablanca, 1931.
18:07 Il fait une nuit très lourde.
18:10 Je crois l'avoir avalée entière parce que j'ai le cœur gros et qu'il est difficile de respirer.
18:15 J'ai un grand secret qui me torture.
18:18 Je vous aime.
18:20 Quand je suis maladroite ou indifférente avec vous, il ne faut pas m'en vouloir.
18:25 Mon mari, je lutte pour vous former une petite femme forte, belle, intelligente et bien à vous.
18:33 Peut-être elle ressemblera à la femme de vos rêves.
18:35 Mon amour, je suis votre enfant.
18:38 Ne me laissez pas.
18:40 Emportez-moi avec vous.
18:42 3 décembre 1931.
18:47 Lauréat prix Fémina.
18:49 Séjour Paris indispensable.
18:51 Amitié Hirsch.
18:53 Le succès de vol de nuit ramène le couple vers la France.
19:02 Après l'obtention du prestigieux prix Fémina, Antoine devient une véritable coqueluche littéraire.
19:07 Les séances de dédicaces se multiplient et son fan club féminin s'élargit.
19:12 Consuelo tient la revue de presse.
19:15 Mon mari était constamment au téléphone, même dans son bain.
19:21 On parlait de faire dans la foulée un film de courrier sud en France et de vol de nuit en Amérique.
19:28 Les éditeurs, les journalistes, les agents étaient assis sur son lit.
19:32 Nous n'avions plus une minute en tête à tête. Je devenais quasi hystérique.
19:36 Lui aussi me demandait souvent, que faire ?
19:42 Avec vol de nuit, Saint-Exupéry est intronisé dans les cercles littéraires.
19:56 Il rencontre l'écrivain Léon Verth avec qui il noue une amitié durable
20:00 et le chroniqueur Léon-Paul Fargues qui le conseille au quotidien.
20:04 Seul moyen de voir son mari, Consuelo l'accompagne.
20:09 "Femme de pilote est un métier, femme d'écrivain un sacerdoce", commande-t-elle.
20:15 Antoine n'a plus d'espace pour voler et court après le temps pour écrire.
20:24 Alors il s'isole au fond d'une brasserie et travaille jusque tard dans la nuit,
20:27 la main nerveuse, sur ce qui pourrait être son prochain livre.
20:31 Peu à peu, Antoine et Consuelo s'éloignent.
20:40 Sauvé par son naturel spontané et bohème, la jeune femme profite de l'effervescence de Montparnasse
20:47 où elle fréquente les peintres et poètes de la coupole.
20:51 Sur les conseils de son ami le sculpteur Mayol,
20:54 elle s'inscrit à l'académie Ranson et renoue avec la terre,
20:57 élément fondateur de son imaginaire.
21:00 Avec le succès littéraire d'Antoine, le train de vie du couple s'emballe,
21:13 mais les rentrées d'argent manquent.
21:17 Consuelo se sépare alors de sa maison de Nice, un crève-cœur,
21:21 et Antoine accepte d'écrire pour la presse.
21:24 Dès 1936, l'écrivain couvre la guerre d'Espagne et livre des reportages au ton personnel,
21:32 prenant une hauteur presque métaphysique.
21:35 Choqué par l'inhumanité d'une guerre qui transforme les individus en masse,
21:41 il place les républicains espagnols et les franquistes dos à dos, sans choisir de camp.
21:47 Une position politique discordante par rapport à l'esprit de l'époque.
21:50 Parmi les expériences qui ont nourri son œuvre et renfloué ses comptes,
21:55 les raids aériens organisés par le ministère de l'Air Grise Saint-Exupéry,
21:59 et fin 1935, il entreprend de battre le record du Paris-Saigon.
22:05 Les reporters de l'Intransigeant, de Paris Soir et des autres quotidiens,
22:11 surveillaient chaque geste, chaque mot sur la piste d'envol.
22:16 Les journalistes firent des photos au moment où nous nous embrassâmes.
22:20 Il y eut le ronronnement du moteur et puis plus rien.
22:24 L'attente commença.
22:27 Quel était vraiment mon rôle ? Quel était mon devoir immédiat ?
22:33 Attendre, attendre, attendre encore.
22:38 Lui, il était déjà installé dans son ciel, en route vers l'Orient.
22:44 Le 30 décembre 1935, après plus de 19 heures de vol et 3 escales,
22:59 le Seamoon s'écrase en plein désert, à la frontière entre la Libye et l'Egypte.
23:05 Saint-Exupéry et son mécanicien sont portés disparus.
23:10 A Paris, à l'hôtel du Pont-Royal, un QG de crise s'est formé.
23:15 Épaulé par ses proches et sa belle-mère, Consuelo éprouve la forme la plus radicale de l'attente.
23:24 Elle perd espoir, s'évanouit.
23:27 Pour Saint-Exupéry et son mécanicien, l'errance dans le désert se prolonge.
23:33 Prisonnier des sables, les deux hommes se découragent.
23:37 Il a amorcé un quart de tour qui déjà change le monde.
23:45 Par un mouvement de son seul buste, par la promenade de son seul regard, il crée la vie.
23:51 Et il me paraît semblable à un dieu. C'est un miracle.
23:55 Il n'y a plus ici ni race, ni langage, ni division.
23:59 Il y a ce nomade pauvre qui a posé sur nos épaules des mains d'Archanges.
24:05 Et maintenant, nous buvons à plat ventre, la tête dans la bassine comme des veaux.
24:09 L'eau.
24:12 Quatre jours après le crash, Antoine et son mécanicien rejoignent enfin le cairn pour annoncer qu'ils sont sains et saufs.
24:20 La bonne nouvelle fait le tour du monde.
24:23 Après plus de trois jours de marche harassante dans le désert, les deux aviateurs ayant échappé par miracle à la mort sont arrivés au cairn.
24:34 "L'exupéry se repose de ses fatigues dans les jardins du continental en compagnie de son excellence..."
24:38 Consuelo n'a jamais eu aussi peur. Une peur qui prend le coeur en tenaille.
24:43 Son amour pour Antoine prend le dessus. Indomptable.
24:47 Elle le rejoint au port de Marseille, rêvant peut-être à des retrouvailles romantiques.
24:54 Mais son mari, pris d'assaut par la presse du monde entier, reste hors d'atteinte.
24:59 À partir de l'été 1936, leurs finances renflouées, les Saint-Exupéry emménagent dans un duplex de dix pièces Place Vauban, avec majordome et vue sur le Dôme des Invalides.
25:16 Dans cet immense foyer, le couple cherche son indépendance.
25:21 Chacun y occupant son espace. Lui pour écrire et elle pour peindre.
25:27 Mais une nouvelle figure s'immise dans leur cartographie.
25:31 C'est Nelly de Vaugouay, amie intime d'Antoine depuis que sa cousine les a présentées en 1929.
25:38 Héritière d'une famille d'industriels et mariée à un aristocrate, Nelly est une puissante femme d'affaires et une amoureuse de la littérature.
25:50 Grâce à son réseau, Nelly soutient Antoine et celle qu'il surnomme son compagnon, le conseille au quotidien, façonnant le grand homme qu'elle pressent et qu'il va devenir.
26:01 Un manteau posé dans l'entrée, un mégot de cigarette. Dans l'appartement de la Place Vauban, l'ombre de Nelly plane.
26:18 Consuelo doit supporter cette présence, se mêlant parfois aux amis communs qu'ils reçoivent.
26:23 Au sommet de sa gloire sociale, le couple qu'elle forme avec Antoine se dissout.
26:40 Elle met posé sur une table de l'appartement le cahier de doléances, un carnet à spirale partagé par Antoine et Consuelo.
26:48 Autant de traces des escales d'Antoine dans la vie de sa femme que des attentes vaines de Consuelo.
27:06 Bien, la maison s'envole et les oiseaux retrouvent le ciel, s'ils savent voler.
27:13 Pour faire face à cette épreuve, Consuelo saisit l'occasion de travailler pour Radio Paris, où elle anime dans sa langue maternelle une émission pour la diaspora hispanophone.
27:34 Pour la première fois, elle goûte à l'indépendance et s'achète une voiture.
27:38 Elle s'éloigne de la Place Vauban, puisant dans sa blessure les conditions de son émancipation.
27:45 Loin de sa femme, Saint-Exupéry n'arrive plus à écrire.
27:50 Il embarque pour l'Amérique en février 1938 pour tenter un nouveau raid aérien, le New York terre de feu.
28:02 Pour s'épargner une nouvelle épreuve, Consuelo rejoint sa famille au Salvador.
28:07 Elle quitte le port du Havre, le cœur lourd, comme si elle n'allait jamais revenir.
28:24 Ton mari grièvement blessé, 32 fractures, dont 11 mortelles, est empêché amputation jusqu'à ton arrivée.
28:31 Prends avion pour Panama pour nous rejoindre au plus vite. Te serre contre notre cœur, ta mère et tes sœurs.
28:38 J'entrais dans la chambre. J'eus peine à reconnaître la tête de Tonio, toute gonflée.
28:49 Et cet homme était mon mari. Je ressentis bientôt dans mon être toutes ses blessures.
28:54 Assise à côté de son lit, sur une chaise étroite, j'épiais cet œil qui parfois versait sa lueur sur mes vêtements ou sur mon visage.
29:03 Ainsi s'écoulèrent plusieurs semaines.
29:08 Brisée par de multiples fractures, la présence de sa femme à son chevet aide Antoine à se rassembler.
29:16 Pensant ses plaies, Consuelo remplit comme dans son idéal le rôle de femme de pilote, d'épouse modèle, portée par un amour inconditionnel.
29:25 L'apaisement du couple réuni dans l'épreuve est fugace.
29:31 De retour en France, la relation d'Antoine et Consuelo est traversée par les tensions qui menacent la paix en Europe.
29:40 Par son mariage, Consuelo est française, mais le contexte politique la ramène à sa condition d'étrangère.
29:46 Elle se sent plus seule que jamais.
29:49 Antoine, rongé par un sentiment d'impuissance, se consacre à finir son prochain livre, Étoiles par grand vent.
30:05 Pourquoi nous haïr ? Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d'un même navire.
30:11 Et s'il est bon que des civilisations s'opposent pour favoriser des synthèses nouvelles, il est monstrueux qu'elles s'entre-dévorent.
30:18 Il nous faut dans la nuit lancer des passerelles.
30:21 Camarades, mes camarades, je vous prends à témoin.
30:24 Quand nous sommes-nous sentis heureux ?
30:32 Avec ce livre qu'il intitule finalement Terre des Hommes, Saint-Exupéry fait la synthèse de son expérience de pilote, de reporter et d'homme.
30:40 Dès sa parution en février 1939, il rencontre un succès sans précédent et décroche le grand prix de l'Académie française, puis le National Book Award, la consécration américaine.
30:56 Au comble de la réussite, Antoine fait table rase et rend l'appartement de la place Vauban, sans même prévenir qu'on ne souhait l'eau.
31:03 Chacun vivant de son côté, le couple est séparé.
31:07 Mon homme que j'aime, perdu pour toujours, comme votre anneau nuptial que vous faites passer à d'autres mains sans pouvoir le saisir jamais plus.
31:19 Je vous dis bonsoir de l'autre côté de la montagne où j'habite avec vous. Je pars cette nuit dans mon sommeil. Je cours comme une rivière à faire la pluie dans un pays sec.
31:28 Je serai tendre et je fermerai les yeux en paix si demain après la guerre, vous retrouvez ma voix dans un bruit.
31:40 Mai 1940, après la Belgique et les Pays-Bas, l'armée allemande envahit la France. Alors que le monde bascule dans la guerre, Antoine endosse son rôle d'époux protecteur et envoie sa femme vers le sud.
31:52 Laissant derrière elle les trahisons et les rancœurs, Consuelo commence son exode. La voix de son mari l'accompagne. Suivre la voie ferrée qui transporte l'or de la Banque de France, celle-là ne sera pas bombardée.
32:08 Son mari la protège encore, mais lui reviendra-t-il un jour ?
32:11 Perpignan, 22 juin 1940.
32:16 Chère Suzanne, c'est fait, nous décollons à l'aube. Dites-à Consuelo par pitié qu'elle a des lettres post-restantes peau.
32:23 Qu'elle sache que je la porterai toujours, comme une barque, et qu'elle n'a rien à craindre.
32:27 Qu'elle découvre aussi qu'elle peut m'aider, qu'elle sache combien je lui suis lié.
32:33 Qu'elle laisse sans cesse son adresse à Haguet. Si elle peut, qu'elle aille y vivre. Je vous embrasse bien tous. Je suis ce soir triste et amer. La grande solitude commence.
32:44 Le capitaine Saint-Exupéry, pressé par la nécessité d'être acteur de la guerre, a intégré le groupe de reconnaissance aérienne 233.
32:55 Il adhère à la puissante fraternité de ces hommes, prêts à tout pour défendre leur pays.
33:01 Alors que sa femme poursuit son exode, Antoine accomplit plusieurs missions de guerre, dont celle, redoutable, vers Arras.
33:10 L'homme d'action nourrit alors l'homme de lettres, fixant déjà la légende.
33:21 Je suis trop inquiète de toi. Quand reviens-tu ? Redis-moi qu'à ton retour, tu ne me quitteras plus. T'aimes à en mourir.
33:29 Tonio, tu es perdu où ? Pourquoi tu me laisses sans nouvelles ? Pourquoi tu me laisses toujours derrière ? Je m'efface comme la mémoire perdue. Je refais de la sculpture. Je fais du dessin. Voici le premier.
33:50 Démobilisé fin juillet, Antoine parvient à rejoindre Consuelo dans le sud, mais il ne s'imagine pas rester en France.
33:56 Il admet la nécessité de l'armistice, mais les armes baissées, la guerre se poursuit partout et nulle part.
34:03 Comment Antoine peut-il en être encore acteur ? Face à l'antisémitisme croissant, comment rappeler aux hommes qu'ils sont avant tout des frères ?
34:17 Fin décembre 1940, Antoine embarque pour New York. Son grand ami Léon Verts l'a convaincu d'accepter l'invitation de son éditeur américain.
34:26 Alors que les côtes européennes s'éloignent, même s'il sait sa femme en sécurité, la laisser dans ce monde en chaos est une épreuve.
34:43 Consuelo a trouvé refuge à la Villa Herbelle à Marseille, où le journaliste Varian Fry pilote le Comité américain de secours,
34:50 une association d'aide aux réfugiés qui organise l'exil d'artistes et intellectuels en danger vers les États-Unis.
34:57 Consuelo partage avec les résidents d'Herbelle une même rage de vivre. Elle y rencontre les artistes Chagall, Ernst, Duchamp,
35:09 et se lie d'amitié avec André Breton et sa femme Jacqueline Lambas. Dans le collimateur de Vichy, les occupants d'Herbelle se serrent les coudes en attente du départ vers l'Amérique.
35:20 Et elle ? Retrouvera-t-elle un jour Antoine sur ce continent qui les a vus se rencontrer ?
35:35 A New York, le séjour de l'écrivain vedette se prolonge. Devenu une personnalité incontournable, il vit sous la pression des médias,
35:43 qui sollicitent son avis sur la situation en France, et de ses éditeurs en attente de son nouveau livre.
35:49 Dans cette ville qui nargue le ciel, Antoine se sent terriblement seul. Il ne parle pas un mot d'anglais et s'écarte de la colonie française rongée par ses divisions.
36:02 Au printemps 1941, Consuelo rejoint Aupède, un village sur les hauteurs du Luberon. Elle y est invitée par un jeune et brillant architecte rencontré à Marseille, Bernard Zerfus.
36:19 Dans l'espoir de rebâtir le monde, il anime un groupe composé d'étudiants, d'artistes juifs et d'antifascistes.
36:28 S'ils ont au départ accepté des financements de Vichy, ils mènent par ailleurs des actions de résistance.
36:34 A leurs côtés, Consuelo vit une expérience unique qui lui inspire un livre publié par Gallimard après-guerre.
36:46 "C'est une vieille ville romane, très belle, très folle, en plein mistral. C'est merveilleux. Ils bâtissent des maisons, ils ont rouvert des puits, ils vivent quoi, ils sont complètement libres.
37:00 Peut-être que j'invente cette ville. Mais si vous avez encore la force de créer quelque chose, de faire fleurir des ruines, allons-y tous."
37:13 Consuelo reprend la sculpture, égaye la vie du groupe avec ses contes de volcans et participe activement aux besoins de la communauté, marchant parfois des heures pour trouver de quoi se nourrir.
37:24 Exaltée par la force du groupe et par l'affection de Bernard Zerfus, Consuelo fait pour la première fois l'expérience d'une vie simple qui la transforme en profondeur.
37:42 "Maintenant je suis en pierre. C'est venu tout doucement, à cause de ma fragilité sans doute. La pierre sort des volcans chez moi. Les volcans sont des blessures de la terre. Seulement le sang des volcans quand la terre ne brûle plus devient pierre.
37:58 Et quelquefois, toute pierre qu'il est, tout endormi, il se met à parler. Comme moi."
38:08 Portée par le vent de liberté qui souffle sur Oped, Consuelo apprivoise ses blessures et noue un lien intime avec Bernard Zerfus. Mais l'occupation de la zone libre menace.
38:19 Rappelé par son devoir d'époux, ou jaloux de sentir sa femme vivre un autre amour que le leur, Antoine accélère les démarches pour obtenir le visa de Consuelo.
38:31 "New York, 10 décembre 1941. Inquiète si tu as une situation présente puisse retarder ton départ. Si tu ne peux pas me joindre, essaie d'obtenir des infos sur le bateau et câble-moi.
38:40 Tiens-toi à l'écart des journalistes. Évite tout contact. Tu me dois bien ça. Tendrement, Antoine."
38:55 L'hiver approchait quand fut en vue New York. Nous avions hâte d'arriver. Un garçon inconnu venait m'accueillir à la place de Tonio. Pourquoi ?
39:05 Nous commençâmes à marcher au milieu de cette cohue et dire que j'allais dans quelques instants voir le visage de mon mari qui fuyait notre vraie rencontre.
39:15 Le choc que j'éprouvais était trop fort. Je respirais profondément cette odeur de quai amer et salé.
39:23 Consuelo fuit les journalistes impatients de voir l'épouse légitime de l'écrivain star.
39:28 Elle rejoint son mari à l'écart de la foule et leurs voitures filent vers Times Square où ils sont attendus pour un cocktail organisé par l'éditeur d'Antoine en l'honneur de Consuelo.
39:39 Les retrouvailles rêvées par la jeune femme après une année de séparation n'ont pas lieu. Son mari se montre froid, distant.
39:50 L'humiliation se poursuit quand il la raccompagne dans la chambre d'hôtel qu'il a prise pour elle et la salue en lui serrant la main.
40:00 Consuelo perd pied. Elle a laissé derrière elle un homme qui l'aimait pour retrouver son mari qui ne l'aime plus.
40:10 Décembre 1941, 4 heures du matin. Toniau, parce qu'un jour je t'ai vu une larme qui venait de très loin, du pays où tu dors, de là où tu souffres, de là où tu te caches. J'ai connu l'amour, j'ai su que je t'aimais.
40:28 J'ai su aussi toute l'amertume de l'amour dans une larme, dans une seconde. Et j'ai renoncé immédiatement à t'épouser à Buenos Aires, comme on renonce quand on est petite fille à traverser la chambre noire pour gagner son lit, sa lumière.
40:42 Mon mari, je vous embrasse.
40:51 Si Antoine s'est démené pour rapatrier Consuelo en Amérique, il la tient maintenant à distance. Craint-il que la présence de sa femme ne trouble sa vie de célibataire ?
41:01 Ou est-ce parce que l'écriture de "pilote de guerre" n'avance pas comme il voudrait ? A moins qu'il ne se déteste dans cette vie d'exil, loin de la guerre et en dehors de l'action.
41:15 Antoine refuse d'être assimilé aux exilés français, qu'il taxe de "résistant d'opérette". Ces mêmes exilés critiquent Saint-Exupéry pour ses positions politiques qu'ils jugent ambiguës.
41:26 Quand la rumeur court que Saint-Exupéry aurait été approché par le gouvernement de Vichy, il est attaqué publiquement. Acculé, Antoine dément dans une déclaration officielle à la presse.
41:42 M. Saint-Exupéry a exposé qu'il n'est pas un homme politique et qu'il préfère exercer son influence, s'il en a une, au moyen de ses écrits. Il déclare "j'aurais décliné la présente nomination si j'avais été consulté".
41:56 Quand "Pilote de guerre" (Flight to Arras) paraît aux Etats-Unis, début 1942, le livre fait sensation et les tensions se cristallisent.
42:09 Une critique littéraire publiée dans une revue surréaliste cloue aux pylories ces auteurs français venus en Amérique pour se faire les messagers d'une civilisation.
42:17 C'est André Breton, un grand ami de Consuelo, qui pilote cette revue. Dans son viseur, Antoine de Saint-Exupéry.
42:29 "Cher ami, ma lettre sera un peu sèche, c'est que j'ai le goût de la clarté. Mais puisque des problèmes de protocole vous font soudainement vous inquiéter de ma position religieuse, sociale, politique et philosophique, j'accepte de vous informer.
42:42 D'abord, je me suis battu. La résistance antinaziste reposait essentiellement, selon moi, non sur les manifestes, mais sur l'armement des Français, sur l'union des Français, sur l'esprit de sacrifice des Français.
42:57 J'ai toujours été cohérent avec mes principes, de même que ces principes étaient cohérents avec les intérêts généraux qu'ils prétendaient servir. Ainsi, j'ai fait la guerre moi-même."
43:07 Ces querelles politiques rendent encore plus insupportable à Antoine la présence de sa femme, amie de ses détracteurs.
43:16 Celui dont une grande partie de la philosophie repose sur la notion de vie commune et de regard commun, semble incapable de rendre cet idéal concret.
43:26 Un paradoxe dont il souffre terriblement, mais qui ne l'empêche pas de tenir Consuelo à l'écart.
43:31 Les Saint-Exupéry continuent de faire chambre à part, occupant désormais deux logements mitoyens sur Central Park South.
43:42 "J'avais un joli appartement et en apparence rien ne me manquait. Mais les allées et venues de mon voisin de mari, certaines voix féminines, certains rires, certains silences que je percevais à travers la cloison, me faisaient trembler de jalousie.
43:57 Je me sentais un peu comme une reine à qui on n'enlève pas son titre mais qu'on en voit vivre à l'écart.
44:02 Alors toutes ces nappes blanches, tout ce luxe, toutes ces lumières de gratte-ciel m'étaient insupportables. Je ne désirais qu'une chose.
44:11 Une épaule pour dormir."
44:13 Les liaisons de son mari se multiplient, les crises conjugales aussi.
44:23 Antoine trouve un apaisement dans les bras d'une jeune journaliste, Sylvia Hamilton, grande admiratrice de ses livres.
44:30 C'est désormais chez elle qu'il se réfugie pour écrire.
44:35 À la demande de son éditeur, conquis par les croquis enfantins qu'il griffonne partout, Antoine travaille nuit et jour sur l'écriture d'un conte pour enfants.
44:44 Consuelo, la reine des chus, resserre ses liens avec le groupe des surréalistes, sous le patronage de la mécène Peggy Guggenheim, qui l'encourage à reprendre la peinture.
44:59 Elle s'inscrit à l'Art Students League.
45:04 Dans cette école, la plupart des artistes et des professeurs sont réfugiés, comme elle.
45:10 Refusant de s'oublier, Consuelo y noue de nouvelles amitiés.
45:16 Endurcie par son double exil de femme et d'épouse, Consuelo ose demander le divorce.
45:29 Antoine se résout à divorcer. Mais une fois dans le bureau des avocats, il se ravise et embrasse fougueusement sa femme sous les yeux ébahis des conseils.
45:41 Consuelo abandonne l'idée du divorce, acceptant qu'elle l'aime encore et que même s'ils ne peuvent pas vivre ensemble sans vouloir se séparer, ils ne peuvent s'envisager l'un sans l'autre.
45:57 Le couple, comme le pilote chez Saint-Exupéry, cherche sans cesse à repousser sa limite.
46:03 Les tensions entre Antoine et Consuelo demeurent, mais l'angoisse de la séparation derrière eux, un nouveau chapitre de leur relation peut s'écrire.
46:23 "20 juillet 1942, arriverai demain. Vous prie de me recevoir plus cordialement que l'autre fois. Je vous apporte tendresse, désir infini de vous emmener dans la campagne pour qu'il vous pousse des feuilles nouvelles. Votre Consuelo."
46:42 Cet été 1942, pour échapper à la chaleur asphyxiante de Manhattan, Consuelo trouve à Long Island un lieu pour peindre, créer et ramener son mari à la lumière.
46:53 Antoine adopte aussitôt Bevin House.
46:58 Écrasé par la détresse de son inaction face à une guerre devenue mondiale, il trouve dans cette maison une forme d'apaisement.
47:05 Sa femme attentive, son bureau face au jardin, la douceur de l'air, et les derniers amis français qui aiguaient les longues journées d'été.
47:17 Dans ce climat apaisé, le couple renaît à l'amour et le conte pour enfants trouve sa forme définitive.
47:27 A l'issue de cet été miraculeux, naît le petit prince.
47:33 Le petit prince arracha aussi avec un peu de mélancolie les dernières pousses de Baobab.
47:43 Il croyait ne jamais devoir revenir.
47:46 Mais tous ses travaux familiers lui parurent ce matin là extrêmement doux.
47:52 Et quand il arrosa une dernière fois la fleur et se prépara à la mettre à l'abri sous son globe, il se découvrit l'envie de pleurer.
48:00 L'étrange astéroïde où vit le petit prince compte des Baobabs, trois volcans et une rose à ses yeux compliqués qui tous sont mal être.
48:15 Comment ne pas y voir une allégorie de sa femme Consuelo, celle qu'Antoine surnomme Pimpronelle, celle qui séparait des pines pour se défendre, celle qu'il veut sauver de l'asthme et mettre sous cloche pour la protéger.
48:32 Lorsqu'Antoine envisage de dédier son nouveau livre à sa femme, Consuelo et ses éditeurs, soucieux de donner au comte une portée plus universelle, l'encouragent à le destiner à son ami Léon Vert, juif, communiste, réfugié dans le Jura depuis le début de la guerre.
48:50 "A Léon Vert, toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants, mais peu d'entre elles s'en souviennent. Je corrige donc ma dédicace à Léon Vert quand il était petit garçon."
49:07 Quand "Le Petit Prince" paraît début avril 1943, Antoine est rattrapé par l'histoire. Après des mois de manœuvres, il retrouve une place de pilote sur le front de la guerre qui s'est déplacée en Afrique du Nord depuis le débarquement des Alliés.
49:21 À New York, à quelques heures du départ, la presse assiste aux adieux éprouvants de Consuelo et Antoine. Il fait d'elle la gardienne de son temple, de son bureau, de ses notes.
49:36 Le 2 avril 1943, le capitaine Saint-Exupéry quitte l'Amérique à bord d'un convoi militaire pour rejoindre ses compagnons de guerre à Alger.
49:51 "Long Island, août 1943. Mon Toño, mon chéri, je suis dans ton petit salon de Bevin House, le petit prince est là sur la table où il est né. Je sais mal t'écrire à cause des larmes. Je me console comme je peux, je prie souvent pour nous deux.
50:14 Toi, chéri, demande à tes étoiles amies de nous protéger, de nous réunir, ta femme, Consuelo."
50:21 Le pilote Saint-Exupéry retrouve ses camarades du 233 et participe à des missions de reconnaissance à partir de l'Afrique du Nord avant d'être promu commandant en juin 1943.
50:39 Mais après un accident de pilotage, il n'est plus autorisé à voler. La grande solitude le rattrape.
50:45 Consuelo le soutient. Ses lettres d'amour donnent à Antoine la force de poursuivre l'écriture de son grand roman, Citadelle, et d'affronter l'abîme d'une vie au crépuscule.
51:03 Casablanca, automne 1943. "C'est très simple, petite Consuelo. Je ne peux plus me passer de te voir. J'ai besoin de toi.
51:11 Si vous êtes longtemps sans nouvelles à cause de cet affreux abîme qui nous sépare, sachez aussi qu'il n'y a plus que vous et moi.
51:18 Vous avez été patiente, et sans doute par votre patience vous m'avez sauvé. Le petit prince est né de votre grand feu de Bevin House.
51:27 Soyez certaine de régner en paix, Consuelo, sur tout ce qui est à vous. Consuelo, Consuelo, je vous aime. Antoine."
51:36 Début 1944, Saint-Exupéry rejoint le groupe 2-33 en Sardaigne pour des missions photographiques.
51:52 Le 31 juillet, c'est sa dernière mission avant le débarquement en Provence. Gêné par les démolitions de son corps, Antoine est aidé pour monter à bord.
52:01 Il décolle dans un avion chargé en carburant pour 6 heures de vol. A 8h30, dans un geste mille fois répété, il se signale par éco-radar. La mission démarre.
52:20 "Je sais que vous arriverez à bon port, mon amour. Et je me souviens de ce secret que vous m'avez murmuré à l'oreille.
52:26 Faites-moi un manteau de votre amour, Consuelo, ma peintrenelle, et je ne serai pas touché par les balles.
52:33 Je vous le fais, ce manteau, mon chéri, qu'il vous enveloppe pour l'éternité. Mais vous m'avez promis que vous m'embrasseriez alors si fort dans votre cœur,
52:42 que si vous ne reveniez pas, la rivière me raconterait la force de votre baiser, me parlerait de vous.
52:50 De nous."
52:52 "C'est un mot de la vie, une chose que je ne peux pas décrire. Je ne peux pas le décrire. Je ne peux pas le décrire."
52:58 "Je ne peux pas le décrire."
53:00 "Je ne peux pas le décrire."
53:02 "Je ne peux pas le décrire."
53:04 "Je ne peux pas le décrire."
53:06 "Je ne peux pas le décrire."
53:08 "Je ne peux pas le décrire."
53:10 "Je ne peux pas le décrire."
53:12 "Je ne peux pas le décrire."
53:14 "Je ne peux pas le décrire."
53:16 "Je ne peux pas le décrire."
53:18 "Je ne peux pas le décrire."
53:20 "Je ne peux pas le décrire."
53:21 "Je ne peux pas le décrire."
53:23 "Je ne peux pas le décrire."
53:25 "Je ne peux pas le décrire."
53:27 "Je ne peux pas le décrire."
53:29 "Je ne peux pas le décrire."
53:31 "Je ne peux pas le décrire."
53:33 "Je ne peux pas le décrire."
53:35 "Je ne peux pas le décrire."
53:37 "Je ne peux pas le décrire."
53:39 "Je ne peux pas le décrire."
53:41 "Je ne peux pas le décrire."
53:43 "Je ne peux pas le décrire."
53:45 "Je ne peux pas le décrire."
53:47 "Je ne peux pas le décrire."
53:49 [Bruit de l'air qui s'écoule]
53:51 [SILENCE]

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