Philippe Coindeau

  • il y a 4 mois

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00:00À la mort de deux agents pénitentiaires à Incarville, mardi, une minute de silence observée hier dans toutes les prisons et palais de justice de France.
00:08Y compris celui de Rouen.
00:10Moment de recueillement et de discours également, dont celui de notre invité, avocat général près de la cour d'appel de Rouen.
00:16Il répond à vos questions, Marianne.
00:18Bonjour Philippe Kondo.
00:19Bonjour madame.
00:20Vous êtes magistrat depuis 30 ans. Ce qui s'est passé mardi est d'une violence inouïe. Ce niveau de violence vous a surpris ?
00:28Je crois qu'on est toujours surpris par l'escalade de la violence.
00:33Et pourtant on ne devrait pas l'être, parce que je pense qu'il y a dans ce pays un certain nombre de signes indicateurs.
00:39A la fois qu'on est dans une société de plus en plus violente, mais aussi qu'on est dans une société de plus en plus fracturée.
00:46Avec une délinquance qui a fondamentalement changé depuis que moi j'ai commencé mon métier.
00:54Il s'avère que le hasard des mutations a fait que j'ai été juge d'instruction dans cette ville entre 1998 et 2003.
01:03Que j'avais un cabinet principalement composé de dossiers liés aux travaux de stupéfiants.
01:10Et que j'ai eu l'opportunité de travailler à partir de 2002 avec une nouvelle structure policière qu'on appelle le GIR.
01:23Qui avait été créée par l'homisphère de l'intérieur pour réunir à la fois policiers, gendarmes, douaniers, agents fiscaux.
01:33Pour justement lutter contre l'argent du crime.
01:38On a à l'époque mis à mal un certain nombre de trafics, y compris dans les cités de l'agglomération rouennaise.
01:48Ce que je découvre aujourd'hui en tant qu'avocat général à la cour d'appel de Rouen n'a rien à voir.
01:54On est aujourd'hui...
01:56Dans le narcotrafic ?
01:58Alors, je crois qu'il faut distinguer trois choses.
02:02Il y a ce que, de manière un peu triviale, on appelle la délinquance ordinaire.
02:06Même si l'expression me déplaît parce que je ne vois pas comment la délinquance peut être ordinaire.
02:10Disons que c'est la délinquance qu'on rencontre ordinairement devant nos juridictions.
02:16Il y a des gens qui ont passé l'étape supérieure, c'est-à-dire avec une vraie organisation,
02:23mais qui restent quand même relativement locales, dans un territoire qui est limité,
02:29même si, évidemment, ils ont des liens avec d'autres régions et que la marchandise provient d'autres États.
02:36Et puis, effectivement, il y a un narcotrafic qui est présent sur le territoire,
02:43et qu'on voit de plus en plus, notamment à travers des dossiers qui sont instruits ou diligentés,
02:51et sur le Havre et sur Évreux.
02:54Je le dis sur Évreux parce qu'en zone campagne, notamment dans le sud de l'Eure,
03:00il y a des réseaux qui sont très significatifs, qui communiquent avec la région d'Orléans.
03:06Et tout ça, c'est une criminalité qui n'a rien à voir avec ce qu'on a connu par le passé.
03:13Et vous avez évoqué Mohamed Amra, ce détenu évadé lors de votre discours hier.
03:17Vous avez dit « ce détenu est né sur notre territoire, il quittait mardi notre tribunal ».
03:23Que vouliez-vous dire ? Que c'est quelque chose qui va vous hanter ?
03:26Je crois que, évidemment, l'émotion qui est une émotion nationale,
03:33qui est une émotion partagée, qui est une émotion compréhensible,
03:36parce qu'il suffit de revoir les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux.
03:40On est dans une exécution.
03:43On est dans un groupe armé, avec une organisation militaire particulièrement structurée,
03:50qui n'a qu'un seul objectif, c'est d'extraire Mohamed Amra de ce fourgon pénitentiaire.
03:55Et pour réaliser cet objectif-là, tous les moyens sont bons.
03:59C'est une opération qui dure entre 2 minutes 30 et 3 minutes,
04:04où on a cinq fonctionnaires pénitentiaires, deux morts,
04:09deux blessés en urgence absolue, un troisième.
04:16Donc, ça interroge sur la manière dont ce délinquant,
04:22qui est un casier judiciaire, de délinquant, j'allais dire classique...
04:2613 condamnations ?
04:2813 condamnations.
04:29Pour des vols majoritairement ?
04:31Exactement. Mais des condamnations déjà lorsqu'il était mineur,
04:35un suivi judiciaire qui s'est exercé,
04:38et puis un moment où manifestement il y a eu une bascule,
04:43avec deux mises en examen criminelles,
04:45des soupçons dont la presse se fait l'écho sur une affaire également criminelle en Espagne.
04:53Et aussi, pour nous magistrats, la nécessité à la fois
05:01de trouver les moyens pertinents, d'identifier ces gens qui vont basculer,
05:08et aussi de traiter judiciairement ces gens qui sont en train de basculer.
05:13Et je crois que, mais je ne suis pas le seul,
05:17c'est le rapport du Sénat d'il y a deux jours,
05:20ce sont les réflexions qui d'ailleurs ont déjà vu le jour,
05:24puisque le garde des Sceaux lui-même a fait un certain nombre de propositions il y a une quinzaine de jours.
05:29Un parquet national dédié ?
05:31Un parquet national dédié.
05:33Je crois qu'il faut aussi une acculturation au crime organisé.
05:38Ça ne veut pas dire que les magistrats découvrent le crime organisé,
05:41ça veut dire qu'on ne peut pas juger le crime organisé
05:45comme on juge les autres délits, dans les mêmes juridictions,
05:50avec les mêmes magistrats,
05:52avec un dossier perdu au milieu d'une dizaine d'autres,
05:56de nature très différente.
06:01J'ai parlé à un moment de ces dossiers qui, moi, me marquent,
06:06de laboratoires clandestins que l'on découvre au Havre,
06:11de ces violences que l'on connaît,
06:14aux préjudices des lockers, de leurs familles,
06:17mais aussi d'autres personnes,
06:20de cette châble plomb,
06:22qui fait que personne ne parle,
06:24que les victimes ne dénoncent rien,
06:26que les victimes vont jusqu'à mentir,
06:28pour se protéger, mais aussi pour protéger les trafics
06:31dans lesquels parfois elles ont partie liée.
06:34Il faut changer cet état d'esprit.
06:36Et avancer avec de nouveaux moyens peut-être aussi ?
06:40Il faut de nouveaux instruments juridiques.
06:43Je crois que la proposition faite par le Garde des Sceaux
06:46de revoir le statut du repenti
06:48est une proposition très pertinente,
06:50parce que là aussi, les armes utilisées,
06:53les moyens logistiques utilisés par ces trafiquants-là
06:58n'ont rien à voir avec ce qu'on a connu par le passé.
07:01Merci beaucoup Philippe Coindoux, avocat général
07:03près de la Cour d'Appel d'Oron, d'être venu en studio.
07:06Bonne journée.
07:07Merci à vous.
07:08Il est 8h23.
07:10On nous signale un véhicule en panne sur l'autoroute A13.
07:12On est en direction de Rouen, pas loin d'ailleurs de Rouen,
07:15au niveau de la sortie Ouassel, et cela ralentit.

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