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00:00Bonjour, je suis Aurélie Pallude, professeure en culture générale en prépa ECT et ECG
00:10au lycée Ozen de Toulouse.
00:14D'abord, sur la violence verbale.
00:20Elle semble assez évidente, mais elle mérite quand même d'être théorisée et interrogée.
00:25Elle peut prendre différentes formes, la forme de l'insulte, des reproches, de l'humiliation
00:30et la forme plus insidieuse de la persuasion.
00:33Pour ce qui est des insultes, je recommande vivement l'écoute d'un podcast qui s'appelle
00:39Parlez comme jamais.
00:40Il y a Véron qui est maîtresse de conférences en stylistique, qui explique que les injures
00:48sont parfois nécessaires, qu'elles permettent aussi de retourner le stigmate lorsqu'une
00:53communauté a été agressée, elle va ensuite reprendre les insultes et puis elle va les
00:58retourner contre l'agresseur.
00:59Et elle fait toute une analyse de la façon dont on va finalement construire les insultes
01:04et les injures.
01:05Pour ce qui est de la persuasion, on peut ici convoquer évidemment les réflexions
01:10de Platon sur la rhétorique.
01:12On sait que Platon se méfiait beaucoup des sophistes parce qu'il estimait que les
01:17sophistes parlaient, persuadaient, étaient efficaces, mais finalement qu'ils pouvaient
01:24défendre une thèse et son contraire.
01:26Et en cela, parce qu'ils manipulaient l'auditoire, ils exerçaient une violence mais qui passait
01:31inaperçue par la séduction des mots.
01:34Donc on peut aussi penser à cette violence verbale, parfois inédite et à laquelle la
01:38population est parfois soumise, sans doute.
01:40Le silence peut être violent selon différents aspects.
01:50D'abord, on pense immédiatement au silence que l'on va imposer à autrui.
01:55C'est le silence de la censure, c'est la volonté de faire taire une victime.
02:00Alors là, je recommande la lecture des « Métamorphoses d'Ovid » et notamment de l'histoire de Philomèle.
02:07Philomèle, c'est une femme qui a été violée par son beau-frère.
02:12Et pour éviter qu'elle ne témoigne, il va lui couper la langue, il va la séquestrer.
02:19Et afin de trouver les moyens de témoigner, de dénoncer son bourreau, elle va tisser
02:24une toile et va permettre à sa sœur de découvrir la vérité.
02:27Donc on a ici une belle réflexion sur la violence faite aux femmes, la violence du
02:33silence, mais aussi les moyens de contrecarrer cette violence.
02:38Il arrive aussi que le fait que l'autre se taise m'impose une forme de violence.
02:47J'essaie d'expliquer ça.
02:49Par exemple, c'est le silence face à la violence subie.
02:55Concrètement, cela s'illustre dans « Matin brun » de Frank Pavlov.
03:02C'est une nouvelle très courte qui évoque l'idée que le silence peut être une forme
03:09de lâcheté ou d'indifférence.
03:10L'histoire, c'est celle d'un narrateur qui est assez impassible, qui voit le monde
03:17changer autour de lui, il voit des lois injustes et absurdes être mises en place, et il ne
03:22dit rien, il ne réagit pas.
03:24Jusqu'au jour où lui-même va être victime de ces violences, mais il n'y a personne
03:28pour le défendre.
03:30Il y a d'ailleurs un poème écrit par un pasteur, Martin Niemöller, qui est, me semble-t-il,
03:37fondamental sur cette question.
03:38Je me permets de le lire.
03:40« Quand ils sont venus chercher les communistes, je n'ai rien dit, je n'étais pas communiste.
03:44Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n'ai rien dit, je n'étais pas syndicaliste.
03:50Quand ils sont venus chercher les juifs, je n'ai rien dit, je n'étais pas juif.
03:54Puis, ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour protester.
03:59» Donc, on voit ici que ne rien dire, c'est parfois être complice de la violence, c'est
04:05même peut-être ajouter une violence à la violence.
04:13Autre aspect du silence violent, c'est le silence comme refus d'expliquer ce qui s'est
04:21passé.
04:22C'est-à-dire que lorsqu'on se heurte au silence de quelqu'un qui ne veut pas rendre
04:26compte de ce qu'il a vécu, nous-mêmes en fait on subit une forme de violence.
04:31Très concrètement, on peut illustrer cela avec « Incendie » de Wajdi Mouawad.
04:36C'est une pièce de théâtre qui a été écrite en 2003 et qui met en scène Nawal,
04:42Nawal qui plonge dans un mutisme total après avoir découvert une vérité atroce.
04:49Donc, elle ne peut plus parler face à la violence et de même que Oedipe se crevait
04:56les yeux, elle s'impose un silence total.
04:59Mais elle a deux enfants, elle a des jumeaux, Jeanne et Simon, et pour eux, ce silence
05:05incompréhensible de leur mère est une forme de violence.
05:08Lorsque Nawal meurt, ils sont confrontés à ce silence radical, mais ils découvrent
05:16aussi l'existence d'un testament, et dans ce testament, on leur demande de retrouver
05:19leur père et de trouver leur frère dont ils honoraient l'existence.
05:24Donc, après de nombreuses hésitations, ils vont partir découvrir le passé de leur mère
05:31et ce silence qu'ils ne comprenaient pas va finalement faire sens.
05:35C'est-à-dire qu'eux aussi vont accéder à la vérité.
05:39Alors, la fin, pour moi, est particulièrement significative, puisqu'à la fin, les enfants
05:46écoutent le silence de leur mère, le silence avait été enregistré par un infirmier à
05:50l'hôpital, et voici la dernière phrase.
05:53« Jeanne et Simon écoutent le silence de leur mère, pluie torrentielle. »
05:58Donc, qu'est-ce qu'on voit ici ? Eh bien, on voit que les enfants, enfin les jeunes
06:02gens, étaient confrontés au silence de leur mère, qu'ils le vivaient comme une violence,
06:07mais que finalement, ils en viennent à accepter ce silence, parce qu'ils ont enfin compris
06:12toute la violence qu'il contenait.
06:14Et puis, regardez bien, le titre c'est « Incendie », donc c'est le feu, c'est la violence qui
06:19dévore et qui ronge les personnages, mais les derniers mots, « pluie torrentielle »,
06:24on voit ici qu'il y a un apaisement, la pluie qui tombe sur ce feu, c'est aussi l'idée
06:30d'un soulagement, d'une parole, qui permet de briser ce que Wajdi Mouawad appelle « le
06:35fil de la violence ».
06:36Il me semble que face à la violence, il faut parler de la violence des passions.
06:46Donc, parfois, le silence de l'amant alimente la violence de la passion.
06:53Alors ça, ça s'illustre très bien chez Annie Ernaux, dans deux livres, « Passion
06:58simple » et « Se perdre ».
07:00Le silence de l'amant est vécu comme une violence, parce qu'en fait, il place la femme
07:06dans l'attente.
07:07Annie Ernaux dit « Cette passion a été, je cite, « pendant deux ans, la réalité
07:13la plus violente qui soit et la moins explicable ».
07:16Alors, qu'est-ce que c'est que cette passion simple ?
07:19Eh bien, c'est une relation qu'elle entretient avec un homme russe, marié, et il est assez
07:26mystérieux d'ailleurs, et c'est lui qui fixe les rendez-vous.
07:28Donc elle, elle l'attend en permanence, elle attend ses coups de fil.
07:31Et voilà ce qu'elle dit « Je recommençais d'attendre un appel, avec de plus en plus
07:37de souffrance et d'angoisse, au fur et à mesure que s'éloignait la date de la dernière
07:42rencontre.
07:43» Donc on voit ici qu'entre deux entretiens, enfin dans l'entrevue plutôt, elle se heurte
07:48à la violence du silence.
07:49Pourquoi ? Parce que dans ce silence, elle va imaginer l'homme avec sa femme, elle
07:55a peur d'être abandonnée, de n'être jamais rappelée, donc son imagination aussi
07:59va la torturer.
08:00Et d'ailleurs, le titre des deux textes est éloquent « Se perdre ». Donc on voit
08:06qu'elle va aussi se perdre dans cette passion, mais peut-être pour mieux se retrouver.
08:10Donc en l'absence de cet homme, et face à son silence, elle vit une violence, mais
08:16en sa présence aussi, elle se sent confrontée à une violence.
08:21Voilà ce qu'elle dit, elle dit « En octobre, dans la voiture jusqu'à Sergi, il ne disait
08:27rien, fumait en silence, conduisait rapidement.
08:30Tout cela faisait que j'étais une proie saisie, perdue chaque fois.
08:35Le problème, c'est que le silence de cet homme, eh bien, l'empêche de savoir la
08:40nature de leur relation.
08:41On ne sait pas si c'est une relation amoureuse ou une relation charnelle, et donc elle est
08:44aussi torturée par ce silence.
08:47Donc on voit qu'elle est prise dans une passion, qu'elle est aliénée, dépossédée
08:52d'elle-même.
08:53Mais le paradoxe de tout ça, c'est que le silence de cet homme renforce la violence
08:58de la passion, renforce l'intensité de cette relation, en un double sens.
09:04C'est-à-dire qu'en fait, c'est à la fois une souffrance radicale et une exaltation.
09:07Et finalement, on voit aussi cette ambivalence de la violence des passions, puisque Poirogny-Arnaud,
09:14elle est destructrice, elle dit bien qu'elle s'est perdue dans cette relation, mais elle
09:18produit tout de même deux livres.
09:19Donc aussi, elle s'est peut-être trouvée en tant que femme désirante et puis en tant
09:24qu'autrice.
09:33❤️ par SousTitreur.com

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