L’interview d’actualité - Thomas Schlesser

  • il y a 5 mois
À l'occasion de la vingtième édition de la nuit européenne des musées, Maya Lauqué reçoit l'homme qui a donné l'envie à des millions de personnes d'aller voir des œuvres grâce à son livre « Les yeux de Mona » : c'est Thomas Schlesser. 

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Transcription
00:00Thomas Schlesser, merci d'être avec nous ce matin, depuis sa sortie, votre livre « Les yeux de Mona » chez Albert Michel a été traduit dans 35 langues, vendu dans 60 pays, près de 200 000 exemplaires vendus en France, il va être adapté au cinéma, c'est complètement fou.
00:13Ah c'est une sacrée surprise, ça fait plaisir en tout cas.
00:16Le livre raconte l'histoire de Mona, 10 ans, qui pourrait devenir aveugle et face à ce risque, son grand-père adoré décide de lui mettre du beau dans les yeux pour imprimer sa rétine.
00:28Il l'emmène au musée, découvrir des œuvres et la vie, au lieu d'aller chez le psy. L'art est-il un bon médicament ?
00:36En tout cas, ça permet de soulager et consoler certaines épreuves de la vie, c'est certain. Je ne sais pas si l'art peut soigner tout, j'en doute, mais c'est un merveilleux adjuvant pour le quotidien.
00:48Et je crois que c'est quelque chose qui peut vraiment faire partie de notre vie, pour non seulement nous offrir du beau, mais du sens à l'existence.
00:57Le livre, c'est aussi une histoire de transmission entre un grand-parent et son petit-enfant. Est-ce que le musée, puisqu'on parle aujourd'hui de la nuit des musées, est un bon moyen pour parfois renouer le dialogue ou souder des générations ?
01:09C'est un moyen génial, parce que dans un musée, d'abord, on est toujours libre de voir ce qu'on veut devant les œuvres, on peut en choisir parmi toutes celles qui se présentent à nous.
01:19Et puis, souvent, quand on parle d'une peinture ou d'une sculpture, on parle de soi, en fait. On parle de ce que l'on ressent, on parle de ce qu'on projette, de ce qu'on rêve. Donc, c'est un superbe moyen de communication, les musées.
01:34Mona est une petite fille de 10 ans. Les enfants, souvent, dans les musées, ont un manque d'attention, ils n'ont pas une concentration énorme, ils courent un peu partout, ils se font gronder parfois par les gardiens.
01:45Est-ce qu'il faut les laisser courir dans les musées, où tout est assez sacré et silencieux ?
01:49Je crois qu'il ne faut pas complètement casser la sacralité des musées, parce que c'est quelque chose d'assez génial, aussi, d'avoir ce sentiment qu'on est face à un patrimoine qui, d'une certaine manière, est habité par une certaine gravité, austérité.
02:00En revanche, il ne faut pas que les musées soient intimidants. Ce n'est pas tout à fait la même chose. Ceci étant, moi, j'ai remarqué qu'il y avait des enfants qui, très vite, pouvaient être extrêmement captivés, absorbés par les œuvres.
02:12Donc, il faut leur faire confiance, tout simplement.
02:14C'est ça. Et ils nous permettent, nous, adultes, parfois, de découvrir les œuvres et d'avoir un autre œil.
02:18Très souvent. Vous avez tout à fait raison. Très souvent, en fait, les enfants sont aussi de bons guides dans les musées.
02:22Exactement. Dans le livre, Mona et son grand-père découvrent une œuvre par semaine, pas plus. Vous évoquez d'ailleurs, au début du livre, ces foules de visiteurs au Louvre, par exemple, qui errent sans but précis.
02:33Est-ce que ça se prépare, une visite au musée, et est-ce qu'il ne faut pas saturer son œil ?
02:38Je vais vous dire une chose. Je pense qu'il y a plein de manières de visiter les musées. Il faut vraiment se sentir libre dans ces cas-là.
02:43Mais celle que je propose dans le livre, ce n'est pas la seule, c'est en fait de se concentrer simplement sur une pièce, une seule, simplement une peinture, une sculpture, une photographie, une installation, et de passer une heure devant.
02:54Une heure devant ?
02:55Bien regarder et puis ensuite en parler. Vous savez, une heure, ce n'est pas tant que ça, en fait.
02:59Sachant, pardon, qu'on passe en moyenne 28,6 secondes devant un tableau, selfie compris.
03:04Ça va permettre un peu d'inverser les proportions.
03:07Et surtout, j'attire l'attention là-dessus, c'est qu'il n'y a pas que les chefs-d'œuvre qui sont présentés comme étant totalement incontournables qui sont intéressants.
03:16Il y a plein de petites choses qu'on peut aller découvrir et sur lesquelles on peut rêver autant qu'on veut.
03:20Et vous nous les faites découvrir dans ce livre. Chaque chapitre évoque une visite, une toile dont est tirée une leçon de vie.
03:27On vous a demandé de conseiller trois œuvres à découvrir qui figurent dans le livre.
03:31Alors, ce sont des œuvres qui sont à Paris, mais l'art, on le sait bien, est partout.
03:35D'abord, l'élève intéressante de Marguerite Gérard au Louvre. Pourquoi avez-vous choisi cette œuvre ?
03:39C'est une fabuleuse d'une artiste-femme de la fin du XVIIIe siècle et où en fait, il faut vraiment que les gens soient attentifs.
03:46On a l'impression que le sujet principal, c'est une jeune fille qui est en train de regarder une estampe.
03:50Mais en réalité, le sujet principal, c'est un petit détail.
03:52Il y a une espèce de globe réfléchissant dans un angle dans lequel il y a une deuxième scène et on voit une artiste à son chevalet.
04:00Donc, c'est vraiment une œuvre comme un jeu de piste.
04:02Deuxième toile, le Labourage Niverné de Rosa Bonheur qui est au Musée d'Orsay.
04:07Ça, c'est une œuvre du XIXe siècle. C'est une œuvre animalière.
04:10Ça aussi, c'est une œuvre fantastique, notamment pour les enfants parce qu'on peut regarder les modes de terre.
04:16Non seulement, on peut regarder les animaux, mais on peut regarder les modes de terre.
04:18Et les modes de terre, ce que je raconte dans le livre, ça parante un petit peu à du chocolat.
04:22Vous voyez, il y a quasiment la dimension gustative de la peinture.
04:25Et puis, troisième toile, le modèle rouge de Marguerite au Centre Pompidou.
04:29Ça, c'est parce que c'est la nuit des musées et que le climat est un peu onirique.
04:33C'est une œuvre surréaliste, donc très propice pour rêver après sa soirée.
04:38Et voilà, une œuvre où on a l'impression que des chaussures, tout à coup, deviennent des pieds.
04:42C'est assez étrange, c'est assez perturbant et c'est une très belle œuvre également.
04:45Vous êtes écrivain, vous êtes aussi historien de l'art, spécialiste de Gustave Courbet.
04:50Comment avez-vous réagi lorsque vous avez vu l'origine du monde tagué dans Me Too au Centre Pompidou de Metz, je crois.
04:57C'était récemment. Et puis largement, tous ces tableaux qui sont parfois aspergés de soupes par différents militants.
05:03On peut être évidemment, je dirais, solidaires des combats sociétaux en cours.
05:09En revanche, je trouve ça très triste, très triste. Ça me fait de la peine.
05:12Surtout que ce sont des artistes, souvent auxquels on s'attaque, qui ont été déjà humiliés en leur temps.
05:16Et donc, ça me fait de la peine.
05:19Et puis, j'ajouterais que le milieu culturel, en règle générale, est très ouvert à tous les débats sur la société
05:26et essaie de les porter. Donc, en fait, les militants qui font ça se tirent une balle dans le pied, font du mal aux combats en cours.
05:32Un mot de l'entrée des prix de la culture et des prix du musée.
05:36Le prix d'entrée au Louvre a augmenté 30 %. Il est passé de 17 à 22 euros récemment.
05:40Est-ce que les musées sont trop chers ?
05:42Je peux vous assurer que les musées font énormément d'efforts pour avoir des programmes de gratuité, de prix réduits.
05:49Il suffit juste de se renseigner un petit peu.
05:51Et j'ajouterais qu'il n'y a pas que les musées à Paris. On a un maillage de musées extraordinaires en région.
05:56Il faudrait tous les citer, ce n'est pas possible.
05:58Ah, si vous avez un coup de cœur à nous.
05:59Au Rouen, Angers, Orléans. Le musée de Valence, par exemple. Le musée d'art et d'archéologie de Valence.
06:04C'est un musée merveilleux dans lequel il y a, en particulier, des œuvres du XVIIIe siècle, fabuleuses, des œuvres d'Hubert Robert,
06:10ou une œuvre du XXe siècle que j'adore, de l'artiste américaine Joan Mitchell, où il y a comme une espèce de grand champ de fleurs abstrait.
06:16On peut presque avoir l'impression d'être une petite abeille qui vole parmi elle et qui vient un peu butiner.
06:22Donc, ce n'est pas mal, ça.
06:23Dernière question. L'histoire de l'art retrouvera sa place l'an prochain au collège et au lycée, a indiqué Emmanuel Macron en début d'année.
06:28Est-ce que c'est une bonne idée ?
06:29C'est une bonne idée. Évidemment, tant qu'historien de l'art, je m'en réjouis.
06:33Je vais juste vous dire une chose, c'est que je me méfie toujours un tout petit peu des effets d'annonce.
06:37Et puis, il faut toujours se demander à la place de quoi quelque chose est intégré dans les programmes scolaires,
06:44pour que ça ne pose pas de problème aux élèves.
06:46Donc, voilà, j'attends de voir exactement comment c'est mis en place.
06:49Mais évidemment, c'est plutôt encourageant.
06:51Et l'histoire de l'art, on peut aussi l'apprendre à travers ce livre, « Les yeux de Mona », un peu l'école buissonnière de l'art.
06:56Exactement. Merci pour l'expression.
06:58Et regardez, à l'intérieur de la couverture, on peut découvrir toutes les œuvres dont vous parlez.
07:03Un petit musée imaginaire.
07:04Exactement. Merci beaucoup, Thomas, je t'essaie d'avoir été avec nous.
07:06Merci à vous.

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