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Elle est l'une des plus grandes écrivaines américaines contemporaines, autrice de plus d'une centaine de livres sous son nom ou sous pseudonyme, des polars, des nouvelles, des romans. Joyce Carol Oates, 85 ans, publie "48 indices sur la disparition de ma sœur".

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Transcription
00:00 - Notre invitée est l'une des plus grandes écrivaines américaines contemporaines,
00:04 immense romancière, autrice de plus d'une centaine de livres sous son nom ou sous pseudonyme.
00:09 Polar, journaux, nouvelles, romans.
00:12 Parmi les plus connus, on peut citer "Blonde" en 2000,
00:14 adaptée récemment au cinéma, ou encore "Les Chutes" en 2004.
00:18 Romancière, artiste et fine observatrice de la Société des États-Unis, où elle vit et enseigne.
00:24 Bonjour Joyce Carol Oates. - Good morning.
00:27 - Merci de nous accorder cet entretien. Bienvenue à Paris, c'est un endroit que vous appréciez.
00:32 - Thank you so much. Yes, it's beautiful.
00:34 - Merci beaucoup. Oui, j'aime beaucoup être ici.
00:36 - Vous êtes ici depuis quelques jours ?
00:38 - Just two days.
00:39 - Ça fait deux jours.
00:40 - Et qu'est-ce que vous avez fait ?
00:42 - Walking and meeting people.
00:44 - J'ai marché dans les rues, j'ai rencontré pas mal de gens.
00:49 Et puis j'ai pris plaisir à ce début, cette fin de printemps, mais qui arrive enfin.
00:54 Allez, on laisse Paris, on va partir pour New York, l'État de New York,
00:58 où se passe votre nouveau roman qui s'appelle "48 indices sur la disparition de ma sœur".
01:03 Il est plein de questions, de suspens.
01:05 Il raconte la disparition le 11 avril 1991 de Marguerite Vollmer,
01:10 une artiste qui a quitté sa maison et qui n'a plus jamais donné de nouvelles.
01:13 Et donc, 20 ans après, c'est sa sœur Georgine qui livre "48 indices"
01:19 qui forme comme un puzzle pour lever le mystère de la disparition de Marguerite.
01:24 Comment est-ce qu'on fait pour adopter un point de vue subjectif,
01:28 celui de quelqu'un qui dit qu'il sait tout,
01:30 parce que c'est ce qu'elle dit, Georgine, elle dit "je sais tout",
01:32 et maintenir en même temps ce suspens ?
01:35 - Ce phénomène de lire les indices, on s'y livre tous et ça me fascine.
01:49 On observe les autres pour discerner, interpréter des significations,
01:54 comprendre ce qui se passe.
01:56 Donc, dans les polars, les polars s'appuient sur ce phénomène et on font un récit.
02:05 Ce qui me fascinait, c'était cette idée d'une femme artiste qui disparaît
02:12 et qui laisse toute son œuvre, son travail derrière elle.
02:16 Et après, les gens regardent ses œuvres, l'interprètent,
02:20 ils sont bien sûr leur point de vue subjectif.
02:24 Et le paradoxe, c'est que sa partie femme, féminine, n'apparaît pas dans son travail,
02:34 ses sculptures.
02:36 Elle a d'ailleurs créé une sculpture, des sculptures dans des formes parfaites.
02:43 Mais l'incarnation de la femme, l'incarnation de l'artiste, ça, ça me fascinait comment ça arrive.
02:51 - Marguerite, qui est sculptrice, elle a fait cette sculpture qui s'appelle Ovoïde 90,
02:55 qui est une pierre lisse, gris-blanc.
02:57 Cette œuvre, elle est totalement inventée ? C'est vous qui l'avez imaginée ?
03:00 - Non, j'ai pensé à Brancusi ou Henry Moore.
03:08 Ce sont des œuvres d'art qu'on voit dans les musées.
03:10 Mais quand une femme crée ce genre d'art, les spectateurs sont déçus parce qu'ils
03:22 se disent que son féminisme devrait ressortir et ça devient abstrait.
03:30 Et on s'attend d'une femme, qu'elle n'insiste plus sur son genre, qu'elle parle des problèmes
03:39 des femmes, de la place des femmes, que tout ça soit plus infusé de féminisme.
03:45 Mais Marguerite, qui est un peu entre masculin et féminin, elle souhaite transcender sa
03:51 condition féminine.
03:52 - Ça parle de vous aussi, cette femme artiste ?
03:54 - Oui, assurément, je me reconnais dans Marguerite, parce que j'essaye de créer un art qui n'est
04:08 pas forcément féminin, mais qui épouse les idées féministes et surtout l'égalité
04:14 de genre.
04:15 Et je ne veux pas dire que les femmes soient spéciales, plus engagées dans la vie, mais
04:24 juste l'égalité homme-femme.
04:26 Alors peut-être que je n'ai pas bien compris ces définitions, mais je me dis féministe,
04:31 c'est là où va ma sympathie.
04:32 - Et effectivement, elle est au centre du livre en creux, puisqu'on ne la voit quasiment
04:36 jamais directement.
04:38 Marguerite, sa beauté, son art, ses traumatismes, parce qu'elle a été agressée quand elle
04:42 était jeune.
04:43 Elle est présentée par sa soeur comme une princesse, elle est présentée par la presse
04:47 comme une héritière.
04:48 C'est important qu'elle soit une héritière ?
04:50 - Encore, c'est un petit peu malentendu.
04:55 Quand il arrive quelque chose à une femme, on la réduit à quelques attributs.
05:01 On mentionne l'âge de cette femme disparue, d'où elle vient.
05:06 Et dans ce cas-là, il se trouve qu'elle est héritière d'une fortune, mais ça n'a
05:12 rien à faire avec sa personnalité et son art.
05:16 C'est la réduction à laquelle procèdent la presse, les médias.
05:20 Ils réduisent cette femme.
05:21 - Vous disiez que vous êtes une autrice féministe.
05:24 Beaucoup de vos personnages sont des femmes.
05:27 Et dans ce livre, il y a un concept qui est un peu mis à mal, c'est celui de la sororité.
05:31 D'un côté, il y a Marguerite, la grande sœur, belle, solaire, talentueuse.
05:35 Et de l'autre, il y a Georgine, la cadette, qui est plus ingrate et qui, à la fois, admire
05:40 son aîné, et en même temps, elle est très jalouse.
05:42 Elle a des mots parfois très violents.
05:43 - C'est un peu comme un conte de fées.
05:47 Je vois ça comme ça.
05:48 Il y a une sœur très belle et puis il y a le vilain petit canard à côté.
05:53 Et Georgine, la sœur cadette, elle se sent désavantagée.
06:00 Mais elle nie farouchement le fait qu'elle aime sa sœur.
06:06 Ça apparaît plus tard dans le roman.
06:09 Et puis, à un dernier chapitre, enfin, je ne veux pas divulgâcher.
06:13 Mais en fait, elle a un lien bien plus fort qu'elle ne veut le reconnaître.
06:20 Donc, je veux que le lecteur passe au-delà du sarcasme, des remarques acides de Gigi.
06:30 Et je voulais que le lecteur sente que peut-être Gigi, elle se cache derrière son masque méchant.
06:40 - De la sororité malgré elle, en quelque sorte.
06:43 - Mais justement, Georgine découvre le journal de Marguerite et elle trouve des indices qui
06:55 lui disent que sa sœur voulait la protéger, l'aimer, Marguerite l'aimait.
06:59 Donc, elle revoit ce qu'elle pensait de cette relation.
07:03 Parfois, quand on perd quelqu'un, quelqu'un disparaît, ou meurt, c'est alors plus tard
07:13 qu'on saisit la subtilité de la relation qui existait.
07:16 Quand on voit quelqu'un tous les jours, on est presque trop proche et on ne le voit plus.
07:22 - Alors, il y a une particularité stylistique, comme dans certains de vos romans.
07:26 Le texte, il est émaillé par de nombreuses parenthèses, par des lettres en italique.
07:31 Les parenthèses, c'est quoi ? C'est une façon de nous montrer les pensées cachées de Georgine, de la narratrice ?
07:36 - Je suis passionnée par le langage.
07:42 Quand on s'exprime, oralement, on part d'un domaine de sincérité.
07:51 Mais si on transcrit ce qu'on dit en même temps que ce qu'on pense, c'est là que
07:55 interviennent les pensées entre parenthèses, en incise.
07:59 C'est un peu comme un écran et puis un bandeau en bas qui défilent.
08:04 En fait, c'est à ça qu'elle pense vraiment.
08:08 Ou « Vraiment, je n'aime pas telle personne » ou « Je ne dis pas la vérité, je mens ».
08:13 Alors, avec ce jeu de langage, on peut faire plus et dire davantage que dans un film.
08:21 C'est comme dans les dessins animés, si vous voulez.
08:25 Vous savez, il y a la bulle au-dessus de la tête qui nous dit ce que pense vraiment le personnage.
08:31 C'est ça, le rôle des parenthèses.
08:33 Ce qui est intéressant aussi, c'est la figure du miroir.
08:35 Il y a un miroir dans ce livre, un miroir qui est la dernière vision que Georgine a
08:41 eue de sa sœur avant sa disparition.
08:43 Elle la voit en train de se brosser dans le miroir.
08:46 Et vous, récemment, dans un entretien, vous avez fait référence au roman, comme Stendhal
08:52 le faisait, comme un miroir qu'on promène le long du chemin.
08:55 Alors, 48 indices sur la disparition de ma sœur, ça reflète quoi ? Qu'est-ce que
08:59 reflète ce miroir ?
09:00 C'est vraiment une belle question.
09:04 Toute cette idée, est-ce qu'on voit la réalité directement ou est-ce qu'on ne voit la réalité
09:11 que reflétée dans un miroir ?
09:12 Beaucoup de gens ne voient pas la réalité reflétée, mais à travers un miroir, à
09:18 travers le miroir d'un livre qu'ils ont lu, à travers le miroir d'une religion qui
09:23 va leur dicter quoi penser, regarder le monde dans toute sa crudité, tout le monde le vit.
09:30 Mais eux, ils ne le font pas.
09:31 Et puis, quand on se regarde les uns les autres, souvent on a des préjugés, des biais.
09:36 Donc, on ne voit pas la réalité directement, mais à travers un miroir.
09:41 C'est ce qu'on disait de Méduse, cette figure mythologique avec les serpents sur sa tête,
09:46 on ne pouvait pas la regarder directement en face, il fallait la voir à travers un
09:52 miroir ou le reflet d'un brillant.
09:55 C'est une métaphore intéressante.
09:57 C'est vrai qu'on ne voit pas toujours directement la réalité, mais on voit ce que quelqu'un
10:02 nous dit de voir.
10:03 Alors, vous, ce que vous écrivez dans le livre, c'est « Les miroirs doublent les
10:06 distances et parlent familiers d'étrangeté ». Moi, ça m'a fait penser à Lewis Carroll,
10:11 qui est un de vos écrivains favoris.
10:13 Oui, oui.
10:14 Et l'autre côté du miroir.
10:16 Oui, Lewis Carroll, Alice Through the Looking Glass.
10:20 Mais oui, Alice et le miroir et Alice.
10:26 Alice rompe jusqu'au miroir et puis elle plonge dans le monde du miroir.
10:32 Tout est à l'envers, tout est inversé.
10:34 Ça me fascinait.
10:35 Quand j'avais 9 ans que j'ai découvert ça, j'ai trouvé ça extraordinaire, Alice
10:39 O'Peake est merveilleuse.
10:40 Donc, quand elle descend dans le terrier de la paix, Alice, eh bien c'est comme nous
10:47 quand on plonge dans notre inconscient, dans le monde onirique, les rêves, l'autre monde.
10:53 Et puis je pense au monde aussi, quand on n'est pas dans le monde, quand on n'est
10:58 pas au monde, à quoi il ressemble quand on n'y est plus ? C'est passionnant.
11:02 Alors, je le disais tout à l'heure, au-delà de ce livre « 48 indices sur la disparition
11:07 de ma sœur », vous avez une œuvre vraiment foisonnante, Joyce Carol Oates.
11:10 Votre œuvre, elle est traversée par la violence.
11:13 Alors ici, il y a la disparition brusque de Marguerite.
11:16 On raconte aussi son agression sexuelle quand elle était plus jeune.
11:19 Ailleurs, dans d'autres livres, il y a des viols.
11:21 Il y a une mariée qui est percutée par un bus.
11:23 Ça vient de votre histoire personnelle, toute cette violence, ou de la violence qui nous entoure ?
11:29 Oui, ce n'est pas moi qui ai inventé la violence dans le monde.
11:36 Si je n'avais jamais vécu, il y aurait autant de peintres, de sang et de guerre.
11:41 Vous faisiez allusion à cette belle définition du roman par Stendhal, c'est « marcher
11:47 le long d'un chemin avec un miroir ».
11:49 Le miroir nous montre le monde.
11:52 Ça a toujours été le privilège des écrivains hommes d'écrire sur les guerres, les violences,
11:58 les gens qui s'entretuent.
11:59 Mais je crois que les femmes ont le même point de vue et le même engagement à dire la vérité.
12:07 Je ne dirais pas que la violence vient de nos vies personnelles, mais elle est vraiment
12:15 au cœur du monde.
12:17 En Amérique, il y a beaucoup d'actes de violence contre les femmes et les jeunes filles.
12:22 Toutes ces minutes, il y a un féminicide, je crois.
12:26 Il y a aussi les vétérans, les anciens militaires.
12:30 Il y en a cinq qui se suicident chaque jour parmi les vétérans.
12:34 C'est un chiffre terrible.
12:37 Donc les écrivains veulent écrire telle que est la réalité.
12:43 Vous racontez cette société violente et je sais que vous n'aimez pas cette question,
12:47 je suis désolée de vous la poser.
12:49 Vous la racontez dans beaucoup de livres pour la plupart des romans, mais il y en a une centaine,
12:53 peut-être même un peu plus.
12:55 Qu'est-ce qui vous donne cette inspiration ?
12:57 Qu'est-ce qui fait que vous êtes aussi productive ?
13:00 En gros, si je schématise, vous sortez deux livres par an et il y a toujours du nouveau.
13:05 Deux livres par an ?
13:09 Je crois.
13:11 Je ne sais pas comment vous répondre.
13:14 La plupart des artistes passent leur temps, le plus clair de leurs jours, à travailler.
13:21 Les derniers jours de Van Gogh, il a créé une nouvelle toile presque chaque jour.
13:31 J'ai des amis qui écrivent chaque jour et qui ne publient pas autant.
13:36 Vous pouvez être historien, il va vous falloir 10 ans pour écrire un roman.
13:42 Je ne crois pas que mes collègues écrivent moins que moi, on doit y passer le même temps.
13:48 Mais un poète peut passer des années à écrire une poignée de poèmes, un livre tout mince,
13:55 et puis un romancier va travailler le même nombre d'heures et publier davantage.
14:01 Mais je ne vois pas ça de manière quantitative, mais qualitative.
14:05 Vous avez des admirations, des inspirations.
14:10 On parlait de Lewis Carroll, Edgar Allan Poe, Emily Dickinson, William Faulkner.
14:15 Vous vous intéressez aussi au cinéma.
14:17 J'ai lu aux séries comme Better Call Saul, Peaky Blinders ou même Le Bureau des Légendes,
14:23 qui est une série française.
14:24 Qu'est-ce qu'elles vous apportent ces séries ?
14:26 Les séries à la télé depuis 10-20 ans, c'est un peu comme des romans et des feuilletons,
14:38 comme on lisait les Dickens et d'autres.
14:42 On déroule une histoire sur plusieurs épisodes, et la qualité est vraiment au rendez-vous.
14:50 C'est très bien fait.
14:53 Il y a cette série française, Le Bureau des Légendes, c'est excellent.
14:59 Un village français aussi.
15:02 J'estime que c'est de la très grande qualité.
15:07 Aussi bien que ce qu'on fait de mieux en Amérique, je dirais.
15:10 Est-ce que vous imaginez une de vos œuvres adaptée en série,
15:14 comme Blonde a pu l'être au cinéma récemment ?
15:17 Je crois que c'est la série pour l'adaptation qui se prête plus à l'adaptation d'un roman qu'un long-métrage, qu'un film proprement dit.
15:31 Je crois que justement, ce serait la meilleure manière d'exprimer l'essence d'un roman.
15:36 Un film, bon, ça ne dépasse pas deux heures, c'est très concentré, on est obligé de laisser beaucoup de choses de côté.
15:41 Donc si je vous écoute, vous aimeriez bien qu'un de vos livres soit adapté en série ?
15:45 Ce serait intéressant.
15:48 J'ai trouvé très intéressante l'adaptation de Blonde.
15:55 Andrew Dominic a une vision très sombre, et il crée des films idiosyncratiques très particuliers, de même que les sons d'interprétation.
16:10 Vous écrivez aussi pour la jeunesse, par exemple Dans le Bleu, qui a été publié en 2006.
16:16 C'est important de s'adresser aux jeunes ?
16:19 Oui, j'ai écrit pas mal de livres pour les jeunes, pour les adolescents et pour les enfants.
16:27 Alors dans les livres pour enfants, il y a toujours des chats et des chatons.
16:31 Et pour les ados, j'aborde des questions sociales.
16:38 Par exemple, il y a une fille qui est sans doute suicidaire, là j'aborde la question du suicide chez les jeunes.
16:49 Ou alors la question des relations tendues avec le père ou la mère, les difficultés de communiquer avec la jeune génération, les menaces de violence aussi.
17:04 J'essaie d'aborder les questions sociales, mais qui se terminent bien pour les jeunes adultes, les ados.
17:11 Alors que pour les plus jeunes enfants, la conclusion c'est prendre la bonne décision.
17:17 Et certaines de vos œuvres sont plus personnelles.
17:20 Il y a vos journaux, dont votre éditeur français réédite une partie ces jours-ci.
17:24 Et puis le roman, par exemple, J'ai réussi à rester en vie, en 2011, qui raconte la mort de votre premier mari,
17:30 et qui parle de la maladie de votre second mari.
17:34 Est-ce qu'écrire, Joyce Carol Oates, ça vous permet de rester en vie ?
17:38 Oui, écrire sur des sujets assez difficiles, ça nous permet d'entrer dans l'intimité d'une relation qui a disparu avec la personne qu'opère.
17:55 Et justement, ça porte un miroir pour regarder cette expérience.
18:01 D'autres gens raconteraient les épreuves qu'ils ont traversées.
18:05 Il y a quelque chose dans le partage des souvenirs, de la souffrance, du chagrin, qui aide.
18:12 Et beaucoup de lecteurs, après avoir lu un livre, qui racontent des souffrances, se sentent moins seuls.
18:20 Et dans une société du spectacle, et une société du tout numérique, vous continuez à écrire à la main, sur du papier ? Pourquoi ?
18:28 Ah oui, écrire à la main. C'est tellement personnel, c'est complètement unique, comme nos empreintes digitales.
18:39 Les poètes, notamment, écrivent toujours à la main.
18:43 Je ne peux pas, même sur mon ordinateur portable, me contenter de taper.
18:50 J'ai besoin de griffonner, et j'ai des feuilles de papier que je plie en deux et j'écris dessus.
18:57 C'est comme ça que je procède.
19:00 J'adore ça, je regarde mes notes et les idées me viennent.
19:04 Alors que si c'est taper à la machine, bon, ce n'est pas aussi personnel.
19:09 Vous postez beaucoup sur les réseaux sociaux, notamment sur X, des postes humoristiques, entre autres.
19:16 Vous n'avez pas envie de quitter ce réseau, qui est dirigé par Elon Musk, depuis récemment, et qui a un petit peu changé, c'est vrai ?
19:24 Oh, les gens qui sont sur X, enfin, X Twitter, depuis des années, ils s'en fichent un peu de Elon Musk, je crois.
19:38 Et on peut suivre les gens qu'on... On peut cocher les gens qu'on veut suivre.
19:44 C'est comme lire un magazine, on choisit les rubriques qu'on veut lire, les articles qu'on veut lire.
19:49 Et puis, il y a des millions de tweets qu'on ne va jamais voir.
19:53 Donc, ça ne m'ennuie pas, non.
19:56 Dans plusieurs de vos livres, puisque vous êtes une fine observatrice des États-Unis, on en parlait tout à l'heure,
20:01 dans plusieurs de vos livres, il y a des femmes, des femmes victimes, des femmes victimes d'agressions sexuelles,
20:06 vous en parliez tout à l'heure, des femmes victimes de féminicides.
20:08 La société américaine, aujourd'hui, elle est très violente à l'égard des femmes.
20:13 Oui, les chiffres sont là. Il y a beaucoup de violence commise à l'encontre des femmes, des jeunes filles, des petites filles, des enfants aussi.
20:26 Oui, oui, statistiquement, c'est vrai.
20:29 Et on trouve ça dans la littérature et dans ma littérature.
20:37 Moi, j'écris sur ces femmes, et certes, elles ont été victimes, mais elles surmontent ça, elles deviennent plus fortes.
20:45 48 indices sur la disparition de ma sœur, c'est un petit peu différent,
20:53 parce qu'il s'agit d'une sœur qui recherche le mystère de sa sœur,
21:02 elle ne croit pas vraiment que sa sœur a été tuée, elle veut penser qu'elle a simplement disparu.
21:08 Bon, je ne vais pas vous révéler la fin, mais c'est lié à ça.
21:13 Et est-ce que vous comprenez que les restrictions aux États-Unis à l'interruption volontaire de grossesse
21:18 deviennent un enjeu aujourd'hui, un enjeu de campagne, y compris pour le camp démocrate
21:23 qui souhaiterait voir rétablir l'arrêt Roe versus Wade ?
21:27 C'est vraiment compliqué, cette situation.
21:34 On n'a pas de démocratie libérale, on a une république.
21:41 Et le vote populaire ne va pas forcément élire celui qui va être président,
21:48 il y a tout ce jeu de politique.
21:51 On a un parti, le Parti républicain, leur programme, c'est juste de baisser les impôts,
21:57 parce qu'ils sont noyautés par des milliardaires, ils veulent abaisser les impôts au maximum.
22:05 Et donc ils choisissent des sujets clivants, comme l'IVG, ils sont contre les transgenres,
22:13 ils étaient contre les mariages de même sexe,
22:17 et donc toutes ces questions clivantes, l'avortement est la meilleure, l'IVG exagère ce drapeau
22:23 pour que les gens votent pour eux.
22:26 Mais en fait, leur programme véritable, c'est juste d'abaisser les impôts.
22:32 Donc quand on parle d'avortement, en fait c'est une question cachée,
22:40 qui est dans l'ombre d'une question de classe, c'est l'absence d'égalité en Amérique,
22:46 ça c'est difficile d'en parler.
22:48 Et vous-même, vous êtes issue d'un milieu modeste,
22:51 et ça vous donne un regard particulier sur ces inégalités ?
22:54 Oui, je crois qu'aux Etats-Unis, on ne fait pas assez attention aux différences de classes.
23:04 Il y a une classe d'oligarques extrêmement riche, beaucoup de milliardaires,
23:11 la plupart sont assez invisibles, discrets, il y en a quelques-uns qui sont célèbres,
23:17 comme Elon Musk, mais la plupart, on ne les connaît pas.
23:21 Et puis il y a toute une classe de gens qui travaillent,
23:27 et leur salaire n'est pas suffisant pour payer le loyer,
23:31 ou pour s'alimenter correctement, et la classe moyenne se réduit sans cesse.
23:37 Mais les démocrates n'en parlent pas beaucoup, les républicains n'en parlent jamais.
23:42 Or, je pense que c'est une question très importante dans la société américaine.
23:49 Peut-être qu'on attend justement que quelqu'un arrive et nous en parle,
23:52 parce que c'est ça le problème, les inégalités.
23:55 Et ça vient des disparités au niveau des impôts.
24:03 Il y a beaucoup de milliardaires qui ne payent pratiquement pas d'impôts,
24:08 parce qu'ils savent légalement, et que leurs avocats évitent les impôts.
24:12 Ce sont les travailleurs, les gens qui travaillent, qui payent le plus d'impôts.
24:17 Je crois qu'on attend quelqu'un qui restaure une justice sociale.
24:24 Et justement, vous avez posté récemment sur les réseaux sociaux un message ironique
24:28 sur ce pays qui a élu une femme présidente, une femme de gauche, spécialiste du climat. C'est lequel ?
24:35 Mais oui, le Mexique vient d'élire une femme présidente de gauche.
24:43 Je ne pense pas que ça nous arrive très bientôt en Amérique.
24:49 Et une partie des raisons de la défaite d'Hillary Clinton,
24:54 même si elle avait plus de voix, elle a gagné le vote populaire,
24:58 mais je pense vraiment qu'elle a perdu à cause du sexisme et de la misogynie ambiante.
25:03 Elle n'était pas du tout du même acabie, elle et Trump.
25:12 Il y a des gens qui disent « elle n'est pas assez aimable ».
25:15 Oui, elle était super prête, ambitieuse. On lui reprochait d'être ambitieuse.
25:19 On ne reprocherait jamais un homme d'être ambitieux.
25:22 Vous craignez, Jace Carol Oates, le retour de Donald Trump malgré sa condamnation récente dans l'affaire Stormy Daniels ?
25:29 On ne sait pas vraiment ce qui va se passer.
25:37 Je crois que c'est assez absurde d'essayer de faire des projections en matière de politique.
25:42 Mais est-ce que vous le redoutez ?
25:47 Non, je ne le redoute pas.
25:50 Je ne suis pas une personne d'une classe sociale à qui il va nuire.
26:02 Il va nuire à des millions d'Américains et d'Américaines, mais je n'en fais pas partie.
26:07 Moi, je serais épargnée.
26:09 Sur le plan éthique, je suis totalement révoltée.
26:14 Mais moi, je ne vais pas être expulsée, je ne risque pas d'être expulsée.
26:18 Il a annoncé qu'il allait expulser des tajans, les musulmans, les manifestants qui sont violents.
26:27 Si on reconnaissait que beaucoup de gens ne seraient pas touchés par ces actions délétères,
26:44 je crois qu'il y a beaucoup de complaisance.
26:46 Les gens qui ont suffisamment d'argent ne vont pas être affectés, ils n'ont rien à craindre.
26:50 Et quand il va baisser les impôts, ça va aider les riches à devenir plus riches.
26:59 Et c'est peut-être pour ça qu'il n'y a pas plus de gens qui montrent leur mécontentement.
27:08 Et les classes moyennes, inférieures, les ouvriers, ils croient qu'ils s'identifient à eux.
27:15 Mais je n'aime pas parler de politique, c'est tellement inutile.
27:19 Et on n'arrête pas de se répéter, on dit toujours les mêmes choses.
27:22 Il n'y a plus grand-chose à dire qui soit original en la matière.
27:26 En tout cas, vous allez avoir la matière pour de nombreux romans encore.
27:30 Joyce Carol Oates, l'écrivaine aux 100 livres et même plus pour son nouvel ouvrage sombre et haletant,
27:36 "48 indices sur la disparition de ma sœur", publié aux éditions Philippe Rey,
27:40 votre éditeur français qui réédite aussi votre journal.
27:43 Il s'agit de la période 1973 à 1982.
27:46 Immense merci Joyce Carol Oates de nous avoir répondu sur France Inter.
27:50 Merci.

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