• il y a 5 mois
Le sociologue Julien Talpin expose les résultats d'une enquête sur les Français musulmans ayant quitté la France, principalement en raison du racisme et de l'islamophobie. Elle révèle que ces expatriés, souvent partis à regret, se sentent paradoxalement plus reconnus comme Français à l'étranger. Ce phénomène illustre la difficulté de la France à accepter les identités plurielles, poussant certains à chercher une vie meilleure ailleurs.

"La France, tu l'aimes mais tu la quittes - Enquête sur la diaspora française musulmane", est parue aux édition du Seuil.

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Transcription
00:00On trouve des français de confession musulmane partout à l'étranger.
00:03Ce qu'ils nous disent, c'est qu'on ne s'est jamais autant senti français que depuis qu'on est parti,
00:07parce qu'enfin, on me voit comme tel.
00:10Ce livre porte sur des français de confession ou de culture musulmane
00:13qui ont décidé de quitter la France.
00:15On a rencontré plus de 1000 personnes qui ont répondu à notre questionnaire
00:18et on a fait plus de 140 entretiens approfondis
00:20avec des gens qui sont situés aux quatre coins du monde.
00:22Quitter le pays où on a grandi, c'est souvent quand il y a une goutte d'eau,
00:25une remarque raciste qui devient insupportable,
00:28des propos qu'on peut entendre aussi à la télévision,
00:30sur les chaînes d'information en continu, sur les réseaux sociaux.
00:33C'est l'ambiance, en fait, aujourd'hui, en France, qui est pesante.
00:36La focalisation sur l'islam, les musulmans,
00:38qui seraient responsables de tous les maux du pays,
00:40qui devient insupportable et qu'on cherche à mettre à distance en partant à l'étranger
00:43et qui fait que bien souvent, on est plus heureux.
00:45Les gens qu'on a rencontrés ne sont pas tous extrêmement religieux.
00:48C'est une facette importante de leur identité,
00:50mais ce n'est pas d'abord pour des raisons religieuses qu'on cherche à partir,
00:53c'est vraiment cette question du racisme, des discriminations
00:56et de l'atmosphère islamophobe pesante pour certains de nos compatriotes.
00:59On retrouve des Français de confession musulmane partout à l'étranger.
01:02Il y a quand même certains pays qui reviennent majoritairement.
01:05L'Angleterre est le pays numéro un.
01:07Le Canada revient également beaucoup, en particulier le Québec.
01:09Puis, en troisième destination, les pays du Golfe,
01:12mais on retrouve aussi des gens dans les pays du Maghreb,
01:15aux États-Unis, dans les pays limitrophes de la France,
01:17en Belgique, en Suisse, en Espagne.
01:19Au fond, même des gens qui s'en vont assez près,
01:21déjà témoignent du fait que c'est plus facile pour eux.
01:23Il y a de l'islamophobie et du racisme, bien sûr, dans tous les pays du monde.
01:26Malgré tout, on n'a pas nécessairement la même histoire.
01:28La France est marquée par son histoire coloniale et postcoloniale,
01:32qui fait que la France est, qu'on le veuille ou non, un pays multiculturel.
01:36Si on prend le cas de l'Angleterre, par exemple,
01:37le racisme et l'islamophobie en particulier
01:40touchent notamment les personnes issues du sous-continent indien.
01:42Parce que l'histoire coloniale anglaise, en fait, est liée à cette région-là,
01:45les Français qui débarquent là-bas,
01:46qui peuvent avoir éventuellement des origines algériennes,
01:49marocaines, sénégalaises,
01:50qui sont moins perçus comme des Arabes ou des Noirs,
01:53mais d'abord perçus comme des Français diplômés du supérieur,
01:57avec des compétences.
01:59Ce qui nous dit, c'est qu'on ne s'est jamais autant senti français
02:01que depuis qu'on est partis,
02:02parce qu'enfin, on me voit comme tel.
02:04On va avoir un accent français,
02:05on a été socialisé en France.
02:07C'est une surprise, souvent, pour les personnes qui partent à l'étranger,
02:09de découvrir, dans le regard de l'autre, leur propre francité.
02:13Ça permet une forme d'apaisement et de réconciliation identitaire.
02:16Une des difficultés pour les personnes qu'on a rencontrées,
02:18c'est que, de fait, leur identité, comme tout le monde, elle est plurielle.
02:21En France, on a du mal, en fait, avec ces identités plurielles,
02:23comme si être français et, en même temps, algérien,
02:26c'était être un petit peu moins français ou un peu moins aimer la France.
02:29On a du mal, au fond, à appréhender cette pluralité des identités,
02:31alors qu'à l'étranger, c'est souvent plus facilement accepté.
02:33Alors, en France, ils se sentaient français.
02:35Au fond, ils déploraient bien souvent le fait qu'on ne les perçoive pas
02:38et qu'on ne les traite pas comme tels.
02:39Nous, la majorité des personnes qu'on a rencontrées
02:41sont vraiment parties à regret.
02:42Ils auraient aimé voir s'épanouir en France.
02:45Leur pays, c'est la France.
02:46Et en même temps, leur pays ne leur a pas laissé leur chance,
02:48leur place pour s'émanciper et avoir la vie à laquelle ils aspirent.
02:52Alors, une partie des personnes qu'on a rencontrées
02:54retournent dans les pays d'origine de leurs parents ou de leurs grands-parents.
02:57C'est notamment vrai pour des personnes qui sont originaires du Maghreb,
03:01le Maroc, l'Algérie.
03:02Ce ne sont pas les destinations privilégiées.
03:03Et d'ailleurs, une partie des gens qu'on a rencontrés nous disent
03:05« Au fond, moi, je suis français, j'ai grandi en France,
03:08j'ai été socialisé dans un environnement occidental ou des pays du Nord
03:11et je ne me verrais pas forcément très bien vivre dans un pays à majorité musulmane
03:15ou un pays du Sud où le fonctionnement du pays est un petit peu différent. »
03:18Voilà, ce n'est pas une décision qu'on prend à la légère,
03:19de mettre son frère, sa soeur, ses parents à distance, à des milliers de kilomètres.
03:24Donc ça, c'est quelque chose qui pèse.
03:25Et donc, il y a une forme de culpabilité,
03:26qui se dit bien souvent qu'on n'est pas parvenu à changer la France, à la réformer.
03:30La France est d'une certaine façon irréformable au regard du contexte politique
03:34qui est le nôtre, une forme de banalisation du racisme.
03:37Et donc, à défaut de pouvoir changer la France,
03:39je vais me sauver moi-même et je vais sauver mes enfants.
03:41Les discriminations dont on ne nous a fait pas surviennent dans toutes les sphères de vie.
03:44On nous a beaucoup parlé de l'école, en fait.
03:45Malgré le fait que les gens qu'on a rencontrés aient plutôt connu de beaux parcours scolaires,
03:49ils ont tous des histoires, au fond, à l'école,
03:51de remarques racistes par les profs, de formes de discrimination à l'orientation.
03:55Ce qui fait que déjà, en fait, le mythe méritocratique républicain français
03:59est fortement écorné par ces expériences-là.
04:02Puis après, il y a des discriminations dans le domaine du logement.
04:04Un entretien qui m'avait frappé, par exemple,
04:06c'est quand une enquêtée nous avait raconté que quand, il y a quelques années,
04:09elle s'était installée avec ses parents dans une banlieue résidentielle près de Grenoble,
04:15tous les voisins avaient fait une pétition pour dire qu'ils ne voulaient pas d'arabe dans le quartier.
04:18Les personnes qu'on a rencontrées ne se considèrent pas nécessairement comme expatriées
04:21parce que l'expatriation est souvent vue comme provisoire.
04:25Il y a plus de 2 millions, en fait, de Français qui vivent à l'étranger.
04:29La très grande majorité des Français expatriés,
04:32c'est des gens qui ont fait ce choix volontairement,
04:35d'une certaine façon, pas à défaut.
04:36C'est des gens qui avaient envie de vivre une expérience à l'étranger, de voyager, etc.
04:40Nous, les personnes qu'on a rencontrées, elles auraient aimé ne pas avoir à faire ce choix-là.
04:45Par ailleurs, dans la mesure où leur expérience à l'étranger est positive,
04:4990% des gens n'envisagent pas de rentrer en France,
04:53et ce, d'autant plus que les projections sur l'avenir de notre pays,
04:58l'arrivée possible au pouvoir de l'extrême droite leur fait peur,
05:02et donc ils n'envisagent pas du tout de revenir.
05:04Et donc, ce n'est pas nécessairement comme des expatriés qui se considèrent,
05:07mais presque comme des exilés.
05:08Le rapport à la France, il est ambivalent.
05:10Il y a, d'une certaine façon, une forme de reconnaissance,
05:12et beaucoup des gens qu'on a rencontrés nous disent
05:15« Sans le système scolaire français, et malgré les brimades que j'ai pu y connaître,
05:19je ne serais pas arrivé là. »
05:20Et surtout qu'ils habitent maintenant dans des pays, souvent, où l'école est privée, assez chère.
05:25Et donc, il y a une forme de gratitude aussi à l'égard du système social français
05:29qui leur a permis de s'élever socialement, et puis en même temps une amertume.
05:32Ils disent « Mais quel gâchis ! Nous, on a joué le jeu, on a fait des études,
05:37on a essayé de contribuer à l'économie française,
05:40et malgré ça, en fait, on ne nous a pas laissé notre chance,
05:42on ne nous a pas laissé notre place. »
05:43Et donc, les gens ne sont pas vindicatifs, ils sont amers en fait.
05:46Ils sont là « Mais comment on a pu en arriver là ?
05:48Comment la France peut-elle se complaire dans ce genre de délits racistes ? »

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