• il y a 3 mois
En 2024, être mentionné.e sur les réseaux est devenu banal. Ce mot fait partie de notre quotidien, passe dans nos multiples notifications. Mais comment réagir quand ses mentions ne s’arrêtent plus, quand on est harcelée en ligne ? Sandrine Rousseau revient sur ce qu'elle a vécu.

Suivez tous les épisodes de la série Mentionné.e sur le site de France Inter : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/mentionne-e
Transcription
00:00Donc Xavier Melchi, maire d'Hiver-Droite, qui dit « Ferme ta putain de gueule et viens
00:07voir dans nos mairies, pauvre fille ». Et puis il y a régulièrement « Va te faire
00:13violer par les talibans, salope, poufiasse, et si tu n'existais plus, ça nous ferait
00:18des vacances, d'ailleurs on va y repenser, on va y réfléchir, on va s'organiser ».
00:23On vous aime !
00:25Sandrine Rousseau, bonjour et merci d'être d'en mentionner.
00:28Alors vous êtes députée Europe Écologie-Les Verts de Paris, vous êtes une figure de la
00:31lutte féministe et vous êtes donc régulièrement victime de cyberharcèlement, c'est un sujet
00:36que vous maîtrisez malheureusement bien.
00:38Alors pour commencer, je voulais savoir ce que vous évoque le mot « mentionner ». Est-ce
00:41que c'est quelque chose que vous rattachez vous-même au réseau ?
00:44Oui, bien sûr, être mentionné, c'est être tagué, c'est un synonyme et en fait,
00:52cette facilité qu'offrent les réseaux sociaux de taguer, qui est très nouvelle en fait parce
00:56que c'est les réseaux sociaux qui ont vraiment créé ça, facilite énormément le développement
01:04d'une misogynie ancestrale, j'ai envie de dire, et d'une haine des femmes qui s'expriment
01:10comme ça simplement en taguant, c'est très simple en fait maintenant.
01:122020 a marqué un tournant dans votre vie politique, c'est l'année où vous avez été
01:16candidate à la primaire écologiste, vous avez été propulsée, on va dire, aux yeux
01:19du grand public.
01:20Est-ce que ça marque aussi le début du cyberharcèlement pour vous, 2020 ?
01:25Ah mais c'est fascinant parce que quand j'ai repris la politique, bon je l'ai reprise
01:30comme ça, puis il y a eu un moment, c'est le moment où il y a eu ce qu'on appelle
01:35une carte blanche, c'est-à-dire que les candidats à la primaire des écologistes
01:38devaient se présenter, on avait une heure de carte blanche où on devait se présenter
01:41devant les militants et présenter notre projet et en fait, à ce moment-là, cette carte
01:45blanche, dont tout le monde a dit qu'elle avait été assez réussie en ce qui me concerne,
01:49eh bien au moment où je descends de la scène de cette carte blanche, où je mets le pied
01:55par terre, à ce moment-là commence un cyberharcèlement qui, on est en 2024, ne s'est jamais arrêté.
02:00C'est le moment où vous avez mis un nom dessus, où vous vous êtes dit, ok, ça,
02:04c'est du cyberharcèlement ?
02:05Au départ, je n'ai pas vu ça comme ça, c'est-à-dire qu'au départ, je me suis
02:09interrogée pour savoir qu'est-ce qu'on me reprochait, je ne comprenais pas et en
02:13fait, au bout d'un moment, j'ai compris que c'était un cyberharcèlement non seulement
02:18orchestré, mais finalement construit et ce qui est fascinant dans le cyberharcèlement
02:27et je pense qu'il y a de nombreuses personnes qui pourront attester de cela, c'est qu'il
02:31y a quelque chose de jouissif, je trouve, dans les personnes qui cyberharcèlent.
02:36Il y a de l'ordre de la création d'une communauté virtuelle et être dans cette
02:42communauté d'attaque et de décrédibilisation est jouissif et ça, pour moi, ça réveille
02:48une forme de haine ancestrale, c'est ce que je disais, une haine misogyne ancestrale
02:52où il y a quelque chose de jouissif à en être, à être de ceux qui ont le bon mot
03:00et qui humilient et voilà, j'alerte là-dessus en disant que chacun a l'impression de faire
03:07un tweet, ça c'est le truc traditionnel du cyberharcèlement, chacun a l'impression
03:11de faire un tweet et à la fin, nous, on en reçoit des milliers, des dizaines de milliers
03:16et surtout, ce ne sont pas que des tweets ou ce ne sont pas que des mentions ou des
03:21tags, à la fin, ça rejaillit sur la vie réelle, dans la rue, au domicile et pour
03:32moi, il y a vraiment quelque chose de l'ordre d'un effet de masse mais j'insiste vraiment
03:38sur ce mot jouissif parce que je pense qu'il y a quelque chose de l'ordre d'une satisfaction
03:43presque égotique, presque narcissique à le faire et ça, je pense qu'il faut qu'on
03:48le dise parce que si on ne comprend pas ça, on ne comprend pas le phénomène de cyberharcèlement.
03:53Et quand vous voyez ça, quand vous êtes face à des centaines de milliers de tweets,
03:57quand vous êtes en tendance même sur Twitter, ça vous touche ?
04:00Alors là-dessus, au départ, ça me touchait énormément de sorte qu'il y a eu des personnes
04:09qui ont géré mon Twitter à ma place pendant quelques mois et en fait, les personnes qui
04:13ont géré mon Twitter ont fait des burn-out mais vraiment tellement c'était dur en fait
04:17de gérer mon Twitter et donc j'ai repris la main et maintenant, je ne laisse plus mes
04:20réseaux sociaux à aucune des personnes de mon équipe parce qu'en fait, ce que je reçois
04:25est si dur, si dur que moi seule peut le recevoir.
04:30C'est très étrange à dire mais je ne peux pas me permettre de laisser à lire à des
04:36personnes jeunes, parfois inexpérimentées ou à des personnes qui ont aussi une affection
04:45et qui n'arriveraient pas à gérer ça.
04:48Donc ça, je ne peux plus me le permettre.
04:50C'est moi qui gère en direct, c'est moi du coup qui assume aussi les erreurs parce
04:53qu'il y en a forcément.
04:54Aujourd'hui, je le gère et aujourd'hui, ça ne m'affecte plus.
05:03Quand je dis ça, je ne suis pas complètement honnête avec moi-même et avec vous du coup.
05:09C'est que là par exemple, à l'instant où on enregistre, il y a eu une vague de cyberharcèlement
05:14dans les jours qui ont précédé sur le fait que j'ai dormi à la rue avec des personnes
05:19sans abri et il y a eu un fake qui a été monté parce que ça fait partie du cyberharcèlement,
05:26c'est-à-dire des espèces de fausses images de montage et donc c'est une photo qui a
05:31été prise à mon insu à une terrasse d'un café, mais qui a été prise au mois de juillet
05:36sur un café dont on dit qu'il est le Flore, donc un des cafés les plus chics de Paris,
05:40ce qui n'est pas vrai.
05:41Mais voilà, et donc ça n'est pas la terrasse du Flore, c'est en plein mois de juillet.
05:45Pourtant, on a ressorti cette photo en disant, regardez, elle dit qu'elle est allée dormir
05:49parmi les sans-abri, mais en fait, elle était à la terrasse du Flore.
05:52Alors qu'en fait, si vous regardez cette photo, tout le monde a les bras nus et en
05:57tenue d'été.
05:58Donc, en fait, c'est totalement impossible, mais en fait, ça n'existe pas.
06:03En fait, la vérité n'a pas d'importance parce qu'il suffirait de regarder la photo
06:07trois secondes pour se rendre compte que c'est évidemment pas vrai.
06:11Vous le dites, vous ?
06:12Pardon ?
06:13Vous le dites, vous l'avez dit ?
06:14Bien sûr, mais en fait, ça compte pas.
06:17Qu'est-ce qui vous touche le plus ? C'est les menaces, c'est la misogynie, c'est les
06:21raids ?
06:22Moi, j'ai pas de problème qu'on critique les choses sur ce que je dis et même si ce
06:27que je dis peut générer du cyber harcèlement, si je l'ai vraiment dit, en fait, ça m'affecte
06:33pas.
06:34C'est-à-dire que si c'est moi qui l'ai dit, j'assume ce que j'ai dit et donc voilà,
06:37on est dans une forme de bataille politique, certes extrêmement violente et virulente,
06:41mais on est dans une bataille politique.
06:43Ce que je ne supporte pas et vraiment, et ce qui me met hors de moi, c'est quand on
06:47utilise des montages, quand on fait des fakes, quand on me met, par exemple, en image avec
06:52une camisole de force.
06:54Ça, je trouve que c'est à la fois scandaleux, malhonnête intellectuellement et surtout,
07:00ce qui apparaît comme une espèce d'image qui fait rire et sourire.
07:05Derrière cela, il y a une bataille politique qui est menée contre la parole des femmes
07:09en politique et contre la mienne en particulier.
07:11Et en fait, sous le couvert de la blague, et j'ai un compte parodique qui a beaucoup
07:15utilisé ça, sous couvert de la blague, en fait, on interdit ma parole.
07:20Et ça, pour moi, c'est impossible.
07:22On peut aller sur le terrain politique, on peut être en désaccord, on peut même se
07:25confronter.
07:26Il n'y a aucun problème à ça.
07:27Par contre, me ridiculiser au point qu'on refuse, en fait, le débat par cela, ça,
07:35pour moi, c'est compliqué.
07:36Du coup, ce compte parodique qui s'appelle Sardine Ruisseau, vous en avez beaucoup parlé.
07:40Est-ce que vous l'avez déjà contacté ? Vous regardez les tweets qu'elle fait au quotidien ?
07:44Alors, je ne regarde pas du tout ses tweets.
07:46Par contre, lui m'a contacté trois fois pour rentrer en contact.
07:51Mais en fait, il voulait qu'on discute.
07:54Mais moi, je ne discute pas avec un compte comme celui-ci, jamais.
07:58C'est un compte de cyberharcèlement qui lance des raids.
08:01C'est un compte qui, par ailleurs, a eu des tweets racistes, antisémites.
08:05Moi, jamais, jamais, je n'entre en discussion avec ça.
08:08Jamais.
08:09Vous l'avez signalé à Twitter ?
08:10Bien sûr.
08:11Alors ça, c'est un autre volet du cyberharcèlement.
08:14C'est que les réseaux sociaux et ceux qui sont à la tête des réseaux sociaux, parce
08:20que les réseaux sociaux n'existent pas sans ceux qui sont à la tête de ces réseaux,
08:24ceux qui sont à la tête de ces réseaux sont irresponsables.
08:27En la matière.
08:28Et là, je pèse mes mots.
08:29C'est-à-dire que moi, par exemple, pendant la primaire, j'avais contacté plusieurs fois
08:32le directeur France de Twitter pour lui dire que ce qui se passait était anormal et je
08:37voulais qu'il prenne des sanctions, surtout que pendant la primaire, le compte Sardine
08:44Ruisseau avait pris le même nom que moi, la même image que moi et moi, je n'étais
08:49pas certifié.
08:50Il me refusait la certification à l'époque, ce qui fait qu'il n'y avait aucun moyen
08:53pour les citoyens et citoyennes de savoir ce que j'avais réellement dit ou ce que
08:58ce compte parodique disait à ma place.
09:00Et la réponse du directeur de Twitter France a été de liker Sardine Ruisseau.
09:06Donc, en fait, ce n'est pas juste être neutre ou à distance, c'est en fait valoriser
09:14et amplifier un cyberharcèlement.
09:16Vous parliez tout à l'heure de Raid, aussi beaucoup des extrêmes, d'autres parties
09:20politiques.
09:21Comment vous le voyez ça ?
09:22Comment vous le visualisez ?
09:23Il suffit qu'il y ait un compte qui fasse un tweet et ça envoie un signal qui après
09:32est relayé.
09:33Dans les minutes ou heures qui suivent, j'ai des centaines de notifications, mais ça peut
09:40être des comptes qui sont spécialisés là-dessus, mais ça peut aussi être des comptes pas
09:44spécialisés.
09:45Par exemple, j'ai Xavier Melki, qui est un maire d'hiver droite, qui a fait un tweet
09:52en disant « ferme ta putain de gueule », à qui on dit ça en fait ? « Ferme ta putain
09:56de gueule ».
09:57Et en trois heures, il avait 1,5 million de vues.
10:01Donc en fait, et ça pour moi c'est un autre sujet qui est plus spécifique à la sphère
10:08politique, c'est à quel point il n'y a pas de prise de conscience dans la sphère
10:13politique du caractère politique de ce cyberharcèlement.
10:16C'est-à-dire que jamais ce cyberharcèlement n'a été conçu, compris, entendu et donc
10:24analysé comme étant un événement politique en soi, un fait politique.
10:30Et ça, j'en veux beaucoup aux femmes et aux hommes politiques et j'ai envie de dire
10:35à ma famille en premier.
10:36Parce qu'en fait, cette absence de soutien, le fait qu'on m'ait toujours laissée
10:40seule face à cela, je gère, il n'y a aucun problème et ce n'est pas moi le sujet.
10:44Le sujet c'est que, quelle est leur compréhension du phénomène politique qui est à l'œuvre
10:51quand il y a ça ? Et au nom de quoi ils laissent faire en fait ?
10:55Et ça, j'avoue que dans les moments les plus extrêmes du cyberharcèlement, je me
11:02suis vraiment beaucoup posée la question de savoir, mais qu'est-ce qui faisait qu'il
11:07n'y allait pas ? Qu'est-ce qui faisait qu'il rendait aussi par leur silence possible
11:13ce harcèlement ? Et ça, c'est une question que je pose aux leaders politiques et particulièrement
11:17à gauche.
11:18Comment se fait-il que vous laissiez par votre silence se développer ce cyberharcèlement ?
11:24Et parce que ce que j'ai beaucoup entendu, c'est oui, mais on n'est pas d'accord, et
11:31alors ? Vous en parlez à qui ? Vous en parlez à votre entourage ? Vous en parlez à vos
11:37conseillers quand ça se passe, vu que vous n'êtes pas soutenue politiquement ce que
11:41vous dites ?
11:42Déjà, j'ai quand même des gens avec moi qui me soutiennent beaucoup, mais j'en parle
11:48à personne en fait parce que je ne sais pas comment dire ça, mais je pense qu'au fond,
12:00la lutte contre ce cyberharcèlement est aussi au cœur de mon combat politique.
12:05C'est-à-dire que ce n'est pas annexe, ce n'est pas quelque chose qui viendrait à
12:12côté du combat politique.
12:14C'est-à-dire que si je défends l'écologie, si je défends un autre rapport à l'humain,
12:20si je défends un autre rapport au non-humain, si je défends une société de respect, si
12:24je défends une société féministe, antiraciste, si je défends ça, alors le cyberharcèlement
12:34est ce que je combats aussi.
12:36Et en fait, ça fait partie de mon combat politique de faire face à ça.
12:43Mais c'est dur et ce qui me fascine beaucoup, c'est à quel point les hommes politiques
12:51ne doivent pas faire face à la même chose.
12:56On n'a jamais eu de photos d'hommes politiques de gauche de premier plan avec du sparadrap
13:02sur la bouche et une camisole de force.
13:04Jamais.
13:06Et donc, ce que j'observe là, maintenant, au niveau où je suis arrivée politiquement,
13:16c'est que ce cyberharcèlement réussit d'une certaine manière.
13:21C'est-à-dire que, par exemple, je ne pense pas que l'on me considère comme une des
13:26leaders à gauche suffisamment crédible pour pouvoir briguer des, je ne sais pas quelle
13:33campagne, mais à cause de ce cyberharcèlement.
13:37Et ce que j'entends énormément, c'est qu'on me dit tu es trop clivante.
13:42Mais en fait, ce clivage qu'on me reproche est très souvent dû au cyberharcèlement
13:49en réalité.
13:50C'est-à-dire que ce que je dis est tellement amplifié, décrédibilisé, ridiculisé que
13:55la réalité est que c'est construit comme étant clivant.
14:00Et donc, là, je commence à toucher du doigt le fait que ça génère une forme d'empêchement
14:08réel.
14:09Et ça, ça va être un sujet politique parce que ce n'est pas possible.
14:12C'est-à-dire qu'on peut être, encore une fois, je le redis, on peut être en désaccord
14:15avec moi.
14:16Il n'y a aucun problème à ça.
14:17C'est la démocratie.
14:18C'est très bien même.
14:19Mais on ne peut pas, au nom de ce désaccord, avoir des comportements qui sont des comportements
14:27violents et des comportements hors la loi.
14:30Et vous avez pensé à quitter les réseaux ?
14:32Alors, c'est une question qui est récurrente.
14:35Mais ça nous met dans une difficulté parce que quitter les réseaux, c'est quitter une
14:43forme de visibilité de ma parole.
14:46C'est aussi un lieu où je relaie ma propre parole.
14:48Quand je fais une interview, par exemple, je relaie souvent les postes qui sont faits
14:54de cette interview.
14:55Donc, en fait, quitter les réseaux, je pense que c'est ce qu'ils veulent.
14:59Parce que, par exemple, j'ai beaucoup de postes qui disent ça, mais quitter Twitter.
15:04Mais en fait, si je quitte quelque part, je pense qu'ils auront gagné.
15:07Et ça, pour moi, ce n'est pas possible aujourd'hui.
15:10Et ça ne le sera jamais, je pense d'ailleurs.
15:12En fait, je ne peux pas les laisser imaginer qu'ils ont gagné, en fait, ou les laisser
15:19s'approprier une victoire de silenciation.
15:21Parce qu'en fait, ça nuirait à toutes les femmes derrière.
15:24C'est ça qu'il faut bien comprendre.
15:25C'est que si je le fais, c'est encore une fois, pas pour moi, c'est parce que derrière
15:30se joue la parole des femmes, parce que derrière se joue la place des femmes dans la société,
15:34parce que derrière se joue notre capacité à prendre des leaderships, mais aussi à
15:39vivre de manière émancipée, selon nos souhaits, comme on le veut, d'être libre de nos corps,
15:46de nos vies.
15:47C'est ça qui se joue derrière.
15:49Donc, il est très important pour toutes ces femmes-là que je ne cède pas.
15:52On va s'interroger ensemble sur l'attitude des plateformes.
15:55On en parlait un peu tout à l'heure face à ce cyberharcèlement.
15:58X, Facebook, Instagram, TikTok, Snapchat, tous ont leur part de responsabilité aujourd'hui.
16:02Malheureusement, on le sait.
16:03Pour vous, est-ce que X et Instagram sont aussi responsables du cyberharcèlement aujourd'hui ?
16:08Tout à fait.
16:09Absolument.
16:10Ils en font.
16:11Le cyberharcèlement pour X et Instagram sont des moteurs commerciaux.
16:15Des moteurs commerciaux ?
16:17Tout à fait.
16:18Absolument.
16:19C'est-à-dire que ça génère du clic, donc ça génère de l'activité, donc ça génère
16:24derrière la capacité à attirer des annonceurs éventuels.
16:29Donc oui, ils font commerce du cyberharcèlement.
16:32Et c'est ça qui est la limite, en fait.
16:35Vous trouvez que c'est pire depuis l'arrivée d'Elon Musk ?
16:37Largement.
16:38Mais c'était déjà bien sale avant.
16:42Mais oui, c'est pire depuis qu'il y ait Elon Musk.
16:47Plus de modération.
16:48Vous le sentez, vous ? C'est-à-dire que c'est vraiment libre recours à la misogynie,
16:52aux commentaires sexistes.
16:53Il n'y a plus vraiment de modération ?
16:54Ce n'est pas une question de modération, parce qu'avant, il n'y avait pas de modération
16:57non plus.
16:58Donc ce n'est pas en termes de modération.
16:59C'est que, avec l'arrivée d'Elon Musk, c'est comme si ce réseau était devenu la
17:09propriété légitime et naturelle des courants les plus masculinistes, les plus d'extrême
17:15droite.
17:16Et parce que le chef l'était, d'une certaine manière, c'était leur place naturelle.
17:24Et en fait, c'est ça qui a changé.
17:26C'est cet état d'esprit.
17:27C'est-à-dire que Twitter était déjà utilisé par ces réseaux-là avant, mais là, maintenant,
17:32c'est chez eux.
17:33Est-ce que pour vous, les outils qui sont mis à notre disposition, c'est-à-dire bloquer
17:38quelqu'un, signaler un contenu, c'est suffisant ?
17:40Non, pas du tout.
17:42Absolument pas.
17:43Bloquer quelqu'un, c'est une arme à double tranchant.
17:47Moi, je n'ai jamais bloqué personne, je crois, ou une ou deux personnes, mais si je me permettais
17:53de bloquer un de mes cyber-harceleurs, dans un instant, il y aurait « Ah, Sandrine Rousseau
17:58m'a bloqué ! »
17:59Avec une capture d'écran.
18:01Bien sûr.
18:02Donc c'est absolument à double tranchant.
18:04Et le signalement est totalement inefficace.
18:06Totalement.
18:07Vous avez déjà porté plainte contre une plateforme ?
18:09Alors non, je n'ai pas à ce jour porté plainte contre une plateforme, mais en ce
18:15moment, je m'interroge beaucoup sur quelle est l'action juridique qui me permettrait
18:20de mener le combat ailleurs qu'au sein même de la plateforme.
18:24Est-ce que je porte plainte contre les cyber-harceleurs ?
18:27Et donc, j'ai fait une série de relèves de tweets, etc.
18:32Donc, c'est inutile de les effacer, les amis, je les ai déjà, pour montrer quand même
18:38que...
18:39Parce qu'en fait, le problème pour l'instant, c'est que je subis, je me défends, mais quelque
18:45part, j'envoie le message aux autres femmes et aux autres personnes cyber-harcelées, je
18:49pense notamment aux personnes gays ou aux personnes handicapées, ou toutes les personnes
18:53qui peuvent subir du cyber-harcèlement, je leur envoie l'idée que c'est à nous de nous
18:58défendre.
18:59Or, en fait, ça nous dépasse.
19:02C'est quelque chose qui relève de la justice, qui relève d'un trouble à l'ordre social,
19:07à la tranquillité sociale.
19:09Donc en fait, la justice, l'État, par la justice, devrait s'en emparer.
19:13Donc aujourd'hui, j'ai porté plainte contre des personnes et essentiellement quand il
19:17y avait des menaces de mort, mais je n'ai pas porté plainte pour cyber-harcèlement.
19:22Et peut-être devrais-je le faire, je m'interroge en tous les cas beaucoup pour le faire, parce
19:26que je pense que ça servirait aussi peut-être d'exemple.
19:29Après, le problème, c'est que ça me pose en victime de cyber-harcèlement, ce qui du
19:33coup renvoie à cette espèce de difficulté à prétendre avoir un leadership et en même
19:41temps être victime.
19:43Aujourd'hui, peut-être que ça passera par là, c'est-à-dire que peut-être qu'il faut
19:46que, et parce que je suis dans cette position, peut-être que je me dois, peut-être que
19:51j'ai une responsabilité particulière de faire ce procès.
19:54Mais l'un de vos cyber-harcèleurs a été condamné, il y en a eu d'autres ?
19:57J'ai eu trois condamnations, dont un qui a eu quand même un an de prison avec sursis,
20:02ce qui est extrêmement rare, extrêmement rare.
20:04Mais ça aussi, ça dit quelque chose, c'est-à-dire que cette personne a été condamnée à un
20:09an avec sursis, de prison avec sursis, il m'envoyait 60 messages par jour de « je
20:15vais te violer, je vais te tuer », donc 60 messages par jour, pendant un an et demi.
20:20Et ce qu'il y a de fascinant là-dedans, c'est que j'ai obtenu ça, mais il ne s'est
20:34rien passé.
20:35Ça ne vous a pas soulagé ?
20:38En fait, c'est pareil, ça n'a pas été compris comme un fait politique, c'est-à-dire
20:44que ça a été compris comme quelqu'un de dérangé.
20:47Mais en fait, les gens qui cyber-harcèlent ne sont pas dérangés.
20:51Les gens qui cyber-harcèlent n'ont pas de troubles psychiques.
20:55Les gens qui cyber-harcèlent sont des gens qui utilisent une espèce de réflexe ancestral
21:04de haine pour avoir un petit pic d'adrénaline.
21:10En tant que femme politique, quelles mesures vous aimeriez prendre pour lutter justement
21:15contre le cyber-harcèlement ?
21:16Alors ça, c'est une grande question pour moi, parce que j'ai évidemment eu des rendez-vous,
21:22j'ai échangé avec des associations de lutte contre le cyber-harcèlement, et toutes ont
21:27à peu près le même discours, elles disent, mais en fait, on a quasiment tous les moyens
21:33législatifs pour lutter contre le cyber-harcèlement.
21:36On est un des pays les mieux équipés juridiquement contre le cyber-harcèlement.
21:41Donc en fait, ce qui nous manque, c'est la volonté politique de régler ça.
21:47Et cette volonté politique, elle passe par le fait de mettre des enquêteurs en nombre
21:51suffisant, mettre des moyens en nombre suffisant, et puis à un moment aussi d'avoir une volonté
21:58sociale de dire stop au cyber-harcèlement.
22:00Et ça, aujourd'hui, ça n'est pas le cas.
22:02Et moi, je voudrais juste, parce que moi, j'ai la parole et moi, je suis quelqu'un
22:05qui peut me défendre face à ça, je voudrais quand même qu'on dise que l'essentiel
22:09des cyber-harcelés aujourd'hui sont des femmes.
22:12Souvent, d'ailleurs, les femmes racisées sont plus cyber-harcelées que les autres,
22:17les femmes handicapées sont plus cyber-harcelées que les autres, et bien de ces personnes sont
22:22des personnes qui subissent toutes seules, sans aucun moyen de se défendre et sans aucun
22:26moyen d'avoir accès à la parole publique, et nombre de cyber-harcèlements se situent
22:30certes sur les réseaux sociaux, mais aussi maintenant sur des boucles Telegram ou des
22:33choses comme ça, qui sont inaccessibles à la juridiction parce que ça reste un cercle
22:40privé.
22:41Donc, je voudrais avoir une pensée très forte pour toutes ces personnes-là et leur
22:43dire qu'on va se battre pour qu'ensemble, on arrête ce cyber-harcèlement et qu'ensemble,
22:50on arrête de subir ça.
22:51Par quelles voies et moyens ? Aujourd'hui, j'ai du mal à le savoir parce qu'encore
22:55une fois, ça n'est pas une question d'arsenal législatif.
22:57Justement, Emmanuel Macron avait dit en septembre qu'il voulait que les auteurs de cyber-harcèlements
23:01soient privés de leurs réseaux sociaux pendant les six mois qui suivent une condamnation,
23:05douze mois en cas de récidive.
23:07C'est un projet de loi, encore.
23:09Vous en pensez quoi ? C'est une bonne direction ?
23:11Mais les macronistes font partie des cyber-harceleurs.
23:16Les réseaux macronistes, moi j'ai pas mal de comptes qui lancent des cyber-harcèlements
23:24qui sont dans la sphère de renaissance et d'Emmanuel Macron, donc bon déjà.
23:30Et la deuxième chose, c'est que oui, on peut priver de cyber-harcèlement, mais encore,
23:34faut-il qu'il y ait des condamnations.
23:35Et aujourd'hui, on n'arrive pas aux condamnations.
23:37Donc c'est comme pour les violences faites aux femmes, c'est-à-dire que si on a 0,6%
23:43de condamnations pour viol, on peut alourdir la peine de viol.
23:46Mais à la fin, c'est pas ça qui est l'essentiel de la lutte contre le viol.
23:50Mais vous, quand vous êtes allé porter plainte, concrètement, ils vous ont demandé quoi ?
23:53De sortir des tweets, des preuves ? Vous avez été entendue directement ?
23:56Mais pour la personne qui a été condamnée à un an, j'ai dû y aller deux fois.
24:01Parce que la première plainte, j'avais un dossier qui faisait 4 ou 5 centimètres d'épaisseur.
24:05Il y avait plus de 100 pages.
24:08Bon, et ça n'avançait pas, donc je suis retournée déposer plainte une seconde fois,
24:14faire une annexe à la plainte, et c'est là que ça a déclenché l'action.
24:18Et en fait, il faut aussi se rendre compte qu'on ne peut pas déposer plainte non-stop.
24:24Moi, si je devais déposer plainte à chaque cyberharcèlement,
24:26j'y serais jour et nuit dans le commissariat.
24:28Ce n'est pas possible.
24:29Et par ailleurs, là-dessus, je dois aussi dire que je suis tombée sur des policiers
24:33qui avaient une conscience différente du cyberharcèlement.
24:36Je suis tombée sur des policiers qui comprenaient l'enjeu et l'importance de ce cyberharcèlement.
24:42Je suis aussi tombée sur des policiers qui n'en comprenaient pas du tout les enjeux
24:45et qui trouvaient que j'exagérais quand même un peu de venir et de prendre un peu de temps de la police pour ça.
24:50Donc voilà, il y a aussi ça, et il faut le dire.
24:53Et c'est pour ça que je vous dis que c'est avant tout une volonté politique qui nous fera changer les choses,
24:59parce qu'il faut aussi que la police soit consciente des dégâts que ça peut provoquer,
25:02notamment chez les plus jeunes.
25:04Qu'est-ce que vous pourriez dire à un jeune aujourd'hui qui en est victime, ou même à ses parents ?
25:11Déjà je voudrais dire à ses parents que c'est extrêmement destructeur pour les enfants
25:16et que donc il faut prendre ça au sérieux.
25:17Ce n'est pas la question de quelques tweets ou quelques messages.
25:20Je voudrais dire aux parents, c'est grave.
25:22Je voudrais dire aux enfants, n'ayez pas honte de ce que vous subissez.
25:29Ne pensez pas un seul instant que c'est vous qui êtes visé.
25:34Ne pensez pas un seul instant que c'est réellement votre personnalité, votre caractère, votre corps qui est ciblé.
25:44Dites-vous, parce que c'est la réalité, que s'il y a cyberharcèlement, c'est ce que vous représentez.
25:52C'est-à-dire que peut-être parce que vous avez eu une sexualité libre,
25:56peut-être parce que vous avez un corps qui s'assume,
25:58peut-être parce que juste vous voulez vivre votre vie.
26:02Et en fait, c'est cette liberté-là qui est attaquée par les cyberharcèleurs.
26:05Ce n'est pas vous.
26:07Et n'imaginez pas un seul instant que c'est votre personne,
26:12parce que si vous imaginez ça, alors ça va atteindre votre estime de vous et ça va avoir des conséquences.
26:18Et en plus, ça n'est pas ça qui est visé.
26:20Le cyberharcèlement, ça vise la représentation sociale d'une personne.
26:25Et c'est pour ça que c'est un cyberharcèlement, c'est pour ça que c'est un harcèlement de masse,
26:30parce que ça s'adresse à la représentation sociale de quelque chose, d'une liberté.
26:35Eh bien, continuez à être libres, soyez fiers de ça.
26:38Merci beaucoup Sandrine Rousseau de nous avoir livré votre témoignage et votre vision sur le cyberharcèlement.
26:43Surtout, si vous en êtes aussi victime, n'hésitez pas à contacter le 30 18,
26:47qui est le numéro national pour les victimes de violences numériques.

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