• l’année dernière
Transcription
00:00par elle à nous raconter.
00:01– Oui, elle nous entraîne dans l'intimité de l'histoire Stéphane, chaque jour.
00:04– Mais oui, Clémentine Portier-Kaltenbach.
00:06– Je vous parle des célibataires aujourd'hui messieurs.
00:09– Dans l'intimité des célibataires ?
00:10– Oui, ah ben non, mais c'est quand même un grave problème,
00:13parce que toutes les civilisations de tout temps ont dû lutter contre le célibat.
00:18Comment une société peut-elle survivre sans enfants
00:21avec des hommes qui choisissent strictement d'être célibataires ?
00:23Alors bon, par exemple, dans l'Antiquité, à Sparte,
00:26une fois par an, tous les hommes célibataires étaient réunis.
00:29À poil, tout nus, devant l'hôtel d'un temple, et les femmes,
00:33ah ça devait être le bon temps mesdames,
00:35les femmes étaient autorisées à leur taper dessus.
00:38– Pour tester la marchandise ?
00:39– Oui, non, pour dénoncer ces égoïstes qui refusaient de se marier, tout simplement.
00:44Donc une fois par an, tous à poil devant l'hôtel.
00:47– Et elles étaient nues elles aussi ?
00:48– Ah non, non, non, non, pas du tout, pas du tout.
00:50D'ailleurs, les hommes réunis sur la place devaient leur chanter
00:54des remerciements pour les coups qu'ils recevaient,
00:56ça devait être très étrange.
00:59Et rassurez-vous tous, autant que vous êtes passés à un certain âge,
01:02les célibataires en Dursie étaient quand même dispensés de la cérémonie.
01:07Mais voyez-vous, les Grecs, et avec à commencer par Solon,
01:10le grand législateur grec dans sa constitution,
01:14favorisent les mariages par tout moyen,
01:16afin de donner à la République, bien sûr, le plus grand nombre de citoyens.
01:19Et Platon, dans son traité des lois,
01:21exige que l'on prenne femme entre 30 et 35 ans, obligatoire,
01:24et que sinon, on donne une amende chaque année à tous les récalcitrants.
01:28Il faut éviter la multiplication des célibataires, naturellement,
01:31et on va jusqu'à leur interdire de témoigner en justice.
01:36Quand un citoyen grec vient prêter serment,
01:38la première question qu'on lui pose, Stéphane,
01:42en ton âme et conscience, as-tu un cheval ?
01:45As-tu une femme ?
01:47Et oui, et oui, et oui.
01:48— Et le cheval passe avant la femme ?
01:49— Oui, à peu près. — Je notais cet ordre.
01:51— Oui, oui, tout à fait, le cheval passe avant la femme, naturellement.
01:53— C'est scandaleux. — Oui, oui, vous savez, oui, comme...
01:55Enfin, bon, ne me détournez pas, ne me faites pas digresser,
01:58vous savez, c'est ma spécialité.
01:59Alors, à Rome, au premier siècle avant notre ère, pareil.
02:02Le consul Métellus Numidicus, un consul certes un peu réac,
02:07parce qu'on est à l'époque des Grecs, donc lui, il est plutôt réac,
02:09mais il s'adresse aux citoyens romains et il leur déclare,
02:11« Romains, si nous pouvions nous passer d'épouse,
02:14assurément, aucun de nous ne voudrait se charger d'un tel fléau,
02:19mais puisque la nature... » — Oh non !
02:20— Si, si, si, oui, oui, oui, Métellus Numidicus.
02:23« Mais puisque la nature a disposé des choses de telle sorte
02:26qu'on ne puisse ni vivre agréablement en compagnie d'une femme,
02:30ni se perpétuer sans femme, assurons la pérennité de notre patrie,
02:33plutôt que le bonheur de notre courte vie. »
02:36C'est sympa, les gars.
02:37Bon, alors, un siècle plus tard, peut-être celui qui aurait été
02:40le plus gratiné dans l'histoire de l'Empire romain,
02:43dans sa politique anti-célibataire, c'est Auguste, le premier empereur.
02:46L'empereur Auguste, il s'en prend aussi violemment au célibat
02:49avec sa loi Julia.
02:50Voilà, vous retiendrez ça, la loi Julia.
02:52Elle décernait des privilèges aux parents d'au moins trois enfants,
02:55mais elle interdisait aux célibataires, et elle interdisait aux ménages inféconds
03:00de recueillir des héritages de personnes étrangères et leurs familles.
03:03Donc vous pouviez hériter, quand même, en famille,
03:05mais impossible de laisser ces biens.
03:07Vous savez, ça se pratique beaucoup.
03:09On en a parlé l'autre jour avec le discours sacré.
03:11Quand vous êtes Romain, vous allez devant le Grand Pontif,
03:13vous dites « je laisse mes chaussettes et mon pot de chambre à mon copain Mathieu Noël »,
03:16bon, alors...
03:18Et Tacite raconte même qu'il existait à Rome
03:21un système de surveillance avec des délateurs rémunérés.
03:24Qui allaient dire « oui, là, là, vous, là, célibataire, allez, on y va ! »
03:28– Mais comment on peut savoir si on est célibataire, Marguerite ?
03:30– Quand même, vous faites une enquête de voisinage.
03:32Moi, je pense que si je viens traîner dans votre quartier,
03:35vous, c'est une femme, bien sûr, je vais demander à votre boulangère.
03:37Lui, là, vous l'avez vu ?
03:39Parce qu'il a une femme et un enfant.
03:40– On ne va pas acheter forcément le pain en famille.
03:43– Oui, mais on peut envoyer ses enfants l'acheter.
03:49– Un pain à 80, moi, je me souviens quand j'étais petite, en 70, un pain à 80.
03:53Bon, alors, nous allons nous détourner.
03:56– Vous êtes vraiment la reine de la digression.
03:57– Mais oui, c'est terrible.
03:58– Même sur un pain, vous pouvez partir.
03:59– J'étais sur Auguste, laissez-moi sur Auguste.
04:02Alors, il y a les célibataires romains qui, bientôt,
04:05qui, évidemment, réclamaient l'abrogation de cette loi Julia.
04:09Et Auguste, devant une assemblée de célibataires romains, déclara
04:13« Je ne sais de quel nom vous appelez, citoyen,
04:16alors que vous laissez périr la cité, romain,
04:18quand vous vous efforcez d'abolir ce nom.
04:21Vous êtes meurtrier.
04:23En n'engendrant pas les enfants qui devraient naître de vous,
04:27vous êtes impur en éteignant le nom et la mémoire de vos ancêtres. »
04:31C'est la loi Julia, ça.
04:33Alors, bon, comme il y avait parmi les consuls romains,
04:35il y avait des célibataires, toutes ces lois, progressivement,
04:38ont été ensuite abolies.
04:40Et puis, après l'effondrement de l'Empire romain,
04:42naturellement, le triomphe du christianisme
04:45va assurer pour longtemps la défense du célibat.
04:47Est-ce qu'on pouvait, vous voyez, l'Église catholique
04:49ne pouvait pas interdire aux laïcs ce qu'elle imposait aux prêtres et aux moines ?
04:52Alors là, on vante le célima quand il s'agit de louer Dieu,
04:56on ne va pas dire aux laïcs comme vous et moi,
04:58dites donc, pour les moines c'est bien, pour vous c'est pas bien.
05:01Et il faut attendre, alors là, vous nous allez tomber de l'armoire,
05:04la fin du XVIIIe et la Révolution,
05:06pour repartir de plus belle à la chasse aux célibataires.
05:09Le célibataire est un poids inutile à la terre qui le nourrit.
05:13Et ouais, le décret du 1er janvier 1791
05:17porte donc augmentation d'impôts pour les célibataires âgés de plus de 20 ans.
05:21Après, il y aura une loi de niveau.
05:23Les loyers d'habitation des célibataires
05:25sont surhaussés de moitié de leur valeur.
05:28Et mieux encore, un conventionnel propose
05:32de faire porter un costume spécial aux célibataires,
05:35avec un chapeau absolument débile,
05:38pour que tout le monde puisse bien les identifier comme tels.
05:41Et là, ils disent « Ah, toi, t'es célibataire ! ».
05:43Certains demandent à ce que le célibat soit déclaré « crime capital ».
05:47C'est la Révolution française.
05:48– Non, mais là, ça va très loin, quand même.
05:49– Oui, oui.
05:50Le Conseil général de la Seine refuse d'admettre les célibataires dans ses bureaux.
05:54Et puis, la Constitution de l'an II
05:55écarte les célibataires des conseils des anciens.
05:57C'est comme si aujourd'hui, on disait « Vous êtes célibataire,
05:59vous n'avez pas le droit d'être député ou sénateur ».
06:01– Mais on devait être marié ou en concubinage, si c'était bon ?
06:03– Euh, non, parce que le concubinage...
06:06– Je vous pose la question.
06:07– Non, non, parce qu'après, il y a toute la question de la filiation, si vous voulez.
06:09– Non, c'est le mariage.
06:10– C'est le mariage, c'est le mariage.
06:12– Oui, c'est l'institution du mariage qui est obligatoire.
06:14– Bien sûr, et la filiation pour l'héritage, tout ça, c'est très important, et le nom.
06:17Alors, la stigmatisation du célibataire ne va pas cesser au XIXe,
06:20parce qu'au XIXe, le nombre de jeunes filles sans mari augmente
06:24et les naissances sont plus rares.
06:25Donc, le célibat est à nouveau considéré comme un fléau public.
06:29Et il y a eu un projet de loi au début du XXe.
06:31Vous voyez, c'est Pavieux, qui était un projet de loi dit « du remplacement ».
06:35Donc, tout Français qui n'était pas marié, qui n'avait pas d'enfants,
06:37devait pourvoir à son remplacement,
06:40puisqu'on considérait que tous les Français devaient être mariés à 25 ans
06:43et à 30 ans devaient nourrir deux bouches.
06:45Donc, ce député qui propose cette loi au tournant du XXe,
06:48il dit « Ben écoutez, si vous n'avez pas d'enfants à 30 ans,
06:51ben vous payez quand même pour deux. »
06:53Bon, ça ne sera pas passé.
06:56Mais enfin, l'apparition du quotient familial en 1942
06:58relève bien de cette même considération.
07:00Favoriser les naissances, taxer les célibataires.
07:03Alors, qu'en auraient pensé Beethoven, Descartes,
07:07Kant, Nerval ou Voltaire, tous célibataires ?
07:11Aurait-il donné raison à Octave Feuillet ?
07:13Le mariage est un ignoble éténoir.
07:16Un artiste marié est un artiste fini.
07:18Tiens, regarde Rossini, qui s'est marié.
07:21Qu'est-ce qu'il fait maintenant ? Il pêche à la ligne.
07:24Ces célibataires célèbres, aurait-il approuvé Raymond d'Orgelès,
07:27inoubliable auteur des Croix de bois ?
07:29L'homme doit rester célibataire parce que la femme rend lâche.
07:32C'est elle qui conseille aux grévistes de rentrer à l'usine,
07:35à l'artiste de faire du commerce, aux soldats de plier le dos,
07:39parce qu'elle ne pense qu'à la party,
07:41qu'elle a un poteau-feu dans le cœur.
07:44Bon, non, mais là, je me rends compte, je suis en train de me tirer une balle dans le pied.
07:47Parce que moi, perso, je suis marié depuis 30 ans.
07:49Donc, concluons plutôt avec le célèbre éditeur, éditérateur,
07:53Edsel, vous savez Edsel, Stéphane Edsel,
07:56Edsel de Edsel qui a édité tous les Jules Verne.
07:58– Ah oui, bien sûr. – Vous connaissez ses beaux livres.
08:00Alors, voilà qui nous dit Edsel,
08:02un célibataire et presque toujours un sot,
08:06qui après avoir craint de faire un mariage d'amour
08:08avec quelques belles et charmantes jeunes filles dans sa jeunesse,
08:11finit dans ses vieux jours par faire un mariage de convenance avec sa cuisinière.
08:16– Ah, on peut voir les choses comme ça aussi, c'est bien vu.
08:18On a vraiment eu tous les côtés de l'équation.
08:21– Mais ce qui me fascine, c'est quand vous parlez des célibataires,
08:24c'est toujours des hommes.
08:25À aucun moment dans l'histoire, on s'intéresse aux femmes.
08:29C'est fou, l'histoire est très misogyne en fait.
08:33Quand on dit des célibataires, c'est des hommes célibataires.
08:36– Oui, bien sûr.
08:37– Même quand c'est pour les accuser.
08:38– Bien sûr, parce qu'en plus, en effet, la femme non mariée qui porte un enfant,
08:41c'est la disgrâce, c'est la honte,
08:43elle est chassée de son village, chassée de sa famille,
08:45c'est une vraie malédiction.
08:48Et puis ceux qui payent des impôts, ce sont les hommes,
08:50jamais les femmes.
08:51Et encore, tout le monde n'en paie pas jusqu'à une période récente,
08:54il y avait le suffrage censitaire.
08:56Je vous rappelle que les femmes n'ont quand même le droit de vote que depuis 1945 en France.
09:00– En tout cas Stéphane, vous avez découvert que vous avez échappé à un sacré impôt.
09:03– Stéphane, j'aurais pu avoir à vous balader avec un beau costume et un chapeau à la noix.
09:06– Un chapeau ridicule, oui.
09:08Je sais bien.
09:09Je me suis dit, maintenant tout le monde veut se marier.
09:12– Oui, tout le monde se marie, c'est beau.
09:14– Merci Clémentine.