Savon made in Marseille.
Le savon de Marseille raconte à lui seul l'histoire de ce petit port devenu grande cité industrielle. Grâce à la Méditerranée, les matières premières nécessaires à sa fabrication débarquent en plein coeur de la ville. Le mistral, lui, sèche la pâte en un temps record. Dans ces conditions, Marseille gagne le quasi-monopole sur la fabrication de ce petit cube quimarquera le visage de la ville et même au-delà.
Marseille, réveillée par Fernand Pouillon.
A Marseille, au bout de la célèbre Canebière, sur le quai du Vieux-Port, une enfilade d'immeubles constitue l'une des vues les plus connues de la ville. Elle est l'oeuvre d'un architecte audacieux, Fernand Pouillon, qui fait ses armes ici au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Grâce à sa vision novatrice, plaçant toujours l'homme au centre de sa réflexion architecturale, il a contribué à donner un visage moderne à la cité phocéenne. Année de Production : 2022
Le savon de Marseille raconte à lui seul l'histoire de ce petit port devenu grande cité industrielle. Grâce à la Méditerranée, les matières premières nécessaires à sa fabrication débarquent en plein coeur de la ville. Le mistral, lui, sèche la pâte en un temps record. Dans ces conditions, Marseille gagne le quasi-monopole sur la fabrication de ce petit cube quimarquera le visage de la ville et même au-delà.
Marseille, réveillée par Fernand Pouillon.
A Marseille, au bout de la célèbre Canebière, sur le quai du Vieux-Port, une enfilade d'immeubles constitue l'une des vues les plus connues de la ville. Elle est l'oeuvre d'un architecte audacieux, Fernand Pouillon, qui fait ses armes ici au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Grâce à sa vision novatrice, plaçant toujours l'homme au centre de sa réflexion architecturale, il a contribué à donner un visage moderne à la cité phocéenne. Année de Production : 2022
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00:30...
00:48Voilà.
00:49Allez, on y va avec un peu de sel.
00:51Musique douce
00:53Il se déguste comme un grand cru
00:55et fait résonner le nom de sa ville dans le monde entier.
01:00Entre Marseille et son savon,
01:02l'histoire dure depuis plus de six siècles.
01:04Si on va parler à chaque Marseillais, à chaque famille,
01:07il y a un lien, quelqu'un de la famille qui a travaillé dans le savon,
01:11et ce savon, c'est la madeleine de pouce de tous les Marseillais.
01:15Ils le prennent en main et nous racontent leur grand-mère,
01:18leur maison de campagne.
01:19Il y a un lien émotionnel très fort
01:21entre l'histoire de Marseille, des Marseillais et de leur savon.
01:25Au-delà du mythe, se dessine l'histoire de toute une région.
01:29Ce petit cube indémodable raconte comment Marseille,
01:33modeste port, est devenu une grande cité industrielle,
01:37deuxième ville de France.
01:40Dans la région, des dynasties de négociants,
01:43des armateurs et des fabricants ont bâti des fortunes
01:47autour de ce savon magique, à la formule pourtant toute simple.
01:51De l'huile, de l'eau, de la soude et du sel.
01:55L'origine de cette histoire se perd dans la nuit des temps,
01:59en Syrie.
02:03Le savon d'Alep, fabriqué à base d'huile d'olive,
02:07séduisait les favorites des harems princiers
02:09pour ses propriétés antiseptiques et hydratantes et poustouflantes.
02:16Les croisés leurraient alors rapporter dans leur valise
02:19le diffusant dans le bassin méditerranéen.
02:22Très vite, il arrive pas assez de savon d'Alep
02:25par rapport au nombre de commandes qu'on a du reste de l'Europe.
02:29Donc on se met à ne pas refuser ces commandes,
02:32mais à fabriquer du savon de Marseille.
02:34Le savon de Marseille est né sur le port de l'import-export.
02:41A l'époque, c'est à Marseille que débarquent les matières premières
02:45de ce savon miraculeux, y compris l'huile d'olive,
02:48celle de la région étant réservée à la table.
02:56La ville en devient donc le 1er fabricant français
02:59dès le XVIIe siècle.
03:01Mais les contrefaçons inondent déjà le marché.
03:04Afin de protéger le vrai savon de Marseille,
03:07Louis XIV, informé de la mauvaise qualité de certains savons,
03:11fixe par un édit ses règles de fabrication.
03:13Il y a donc un an,
03:15fixe par un édit ses règles de fabrication.
03:18Il proscrit toute graisse animale
03:20et le savon doit être fabriqué en chaudron et dans la région.
03:26Derrière le vieux port,
03:28l'activité s'organise autour du cours Estienne d'Orve.
03:34On peut encore y déceler les traces de ce glorieux passé,
03:37tels que les cheminées des premières fabriques dans les arrières cours
03:41ou des places aux noms évocateurs.
03:44Les anciens arsenaux des galères
03:46servaient alors d'entrepôt aux commerçants.
03:50Aujourd'hui, bordés de cafés et de magasins en vogue,
03:54on retrouve sur cette place, avec un peu d'imagination,
03:57le décor de la vie marchande à Marseille à cette époque.
04:02Cette place, c'était la plaque tournante
04:04de la rive industrielle Savon de Marseille,
04:07puisqu'ici arrivaient les huiles.
04:09Il y avait au milieu un grand canal
04:12et les bateaux passent et posent leurs cargaisons sur les côtés.
04:17On imagine lui le monter directement,
04:19être transformé dans les usines
04:22et, une fois la matière première transformée en savon,
04:25les cargaisons repartir vers le vieux port et dans le monde entier.
04:30Les fabriques se multiplient, on en compte une soixantaine,
04:34et Marseille se retrouve en quasi-monopole.
04:37Cette activité fait le beurre d'une caste de négociants en huile.
04:41Pour eux, le petit cube est un moyen de valoriser leurs marchandises.
04:46A deux pas de la place aux huiles, la place Estrangens
04:49témoigne de la puissance de ces riches industriels
04:52qui, par un savant jeu d'alliance maritale,
04:55se retrouvent à la fois savonniers, négociants et armateurs.
05:00Ces grands négociants vont prendre une place très forte
05:03dans la vie économique de la ville.
05:05Ils seront fondateurs des banques,
05:07fondateurs des caisses de secours mutuelles.
05:10Je pense à Jules Charleroux, qui crée la caisse d'épargne.
05:13Ils vont avoir une influence sur la nomination
05:16des ministres de l'Economie et des Finances.
05:18Ils vont créer leur siège dans ce quartier
05:20et faire de Marseille une place forte économique
05:23ici, dans ce quartier estranger.
05:27Face à cette effervescence,
05:29le vieux port se retrouve à l'étroit dans sa calanque originelle.
05:33Au milieu du XIXe siècle, il s'étend vers le nord.
05:41On construit des nouveaux bassins, des docks et des entrepôts,
05:44aujourd'hui reconvertis en lieux de vie branchés pour les Marseillais.
05:51Les fabriques de savon suivent le mouvement
05:53en quête de plus grands espaces.
06:00Dans le nord de la ville, dans le quartier Sainte-Marthe,
06:04trône la savonnerie du fer à cheval.
06:06La plus ancienne encore en activité,
06:08ouverte à la visite.
06:10Elle a été créée en 1856, en plein âge d'or de la savonnerie.
06:14Là, il est en train de rouler.
06:16Là, tu l'as bien terminé.
06:18Il lui manquera de mettre un poil d'eau, tout à l'heure.
06:21Impeccable.
06:23Voilà.
06:24C'est une chose vivante, le savon.
06:26A l'époque, quand on faisait le savon, on le laissait sécher.
06:30Comme à Marseille, on était réputés d'avoir le Mistral,
06:33le savon séchait plus vite.
06:39Le savon de Marseille est à la fois utilisé
06:42pour la consommation des ménages,
06:43mais aussi pour les activités industrielles,
06:46comme le textile.
06:47Ces deux débouchés se développent tout au long du siècle.
06:50Le savon de Marseille peut être produit en de plus grandes quantités.
06:54Il peut être davantage exporté vers les colonies.
06:57Le domaine colonial français s'accroît.
06:59On change d'échelle.
07:00On a des usines qui sont à la fois des huileries,
07:03des salons, des bâtiments, des bâtiments.
07:05On a des usines qui sont à la fois des huileries, des savonneries,
07:09des fabriques de beurres végétaux.
07:10Ca devient des ensembles industriels très performants.
07:13La fabrication de savon est un métier difficile
07:17et parfois dangereux.
07:20Mais l'oeil de la bonne mère, la vierge protectrice de la ville,
07:24veille sous les travailleurs.
07:25Si le métier a évolué
07:27et que les maîtres ne traversent plus les chauderons
07:30sur des planches en bois,
07:31elle est toujours là pour être sûre que le savon se vende bien.
07:35...
07:39Au sommet de sa gloire,
07:41le secteur du savon embauche jusqu'à 10 000 personnes.
07:44Lorsque l'activité va se mécaniser,
07:46pendant la 2e révolution industrielle,
07:48elle va atteindre une taille très importante
07:51et on va avoir beaucoup d'emplois déqualifiés.
07:53On voit arriver une main-d'oeuvre italienne
07:55qui peut se faire embaucher dans ces usines.
07:58A la fin du 19e siècle, début 20e,
08:00on voit aussi apparaître une main-d'oeuvre algérienne.
08:03Cette main-d'oeuvre, dès que l'usine s'installe
08:05dans le nord de Marseille, dans une zone rurale
08:08où il n'y a pas encore d'urbanisation,
08:10ou encore plus loin, dans le chenal de Caronde,
08:12comme il y en aura dans les années 1920-1930,
08:15si on veut avoir une main-d'oeuvre suffisante
08:17pour faire fonctionner l'usine,
08:19il faut construire des logements, des cités ouvrières.
08:22Cette occupation du terroir, qui existe au début du 19e siècle,
08:25s'est densifiée au point de faire disparaître la campagne
08:28et d'avoir un tissu urbain presque continu
08:30et le port de Marseille traditionnel.
08:35Le succès des savons marseillais fait des émules dans la région
08:39et d'autres villes décident de se lancer dans l'aventure.
08:44Salon de Provence, à 50 km de Marseille, va s'imposer.
08:51Ses importantes ressources en huile d'olive
08:53et surtout l'arrivée du chemin de fer
08:56vont lui permettre de devenir l'autre capitale
08:59du savon de Marseille.
09:02Émerge alors une nouvelle baronie du savon.
09:05L'image de la ville va être complètement transformée
09:08à la fin de ce 19e siècle, au début du 20e.
09:11On va voir la construction de nouveaux quartiers
09:13car ces négociants vont s'installer à Salon
09:16et leur installation va se faire dans les quartiers ouest,
09:19qui sont les quartiers attenant à la gare SNCF.
09:22Ils vont percer des allées, agrandir les rues
09:25pour former des boulevards bordés de platanes
09:28et il va s'installer une sorte de compétition
09:31de point de vue de l'architecture.
09:33Le négociant avait à cœur de montrer sa richesse
09:36dans toutes ses demeures de styles différents, ostentatoires.
09:43Ces négociants à la richesse fulgurante
09:46dessinent la vie mondaine et culturelle de la ville.
09:50Le théâtre, par exemple, est financé par l'un d'entre eux
09:53et l'actuel Palais de Justice a été érigé, en 1903,
09:57par le sieur Armieux, un illustre sauvonnier de l'époque.
10:04Ce style est un style d'impastiche absolu.
10:07Nous avons ici un monument qui a été fait en plusieurs blocs
10:10et ces tuiles, qui ne sont pas des tuiles provençales,
10:13mais bien de l'ardoise, qui était un matériel assez cher aussi
10:17et qui pouvait aussi faire valoir de la richesse de son propriétaire.
10:22Là, on a un style architectural complètement décousu,
10:26alliant le romantisme avec le néo-médiéval.
10:28Et là, c'était vraiment le délire total du propriétaire.
10:41Le sieur Armieux était amoureux d'une cantatrice belge
10:45et cette chanteuse, qui se produisait un peu partout en Europe,
10:49pour elle, il a voulu construire une salle de spectacle
10:53dans sa demeure, dans ce petit château Armieux.
10:55C'était vraiment un lieu de rencontre et un lieu où les notables
10:59et la haute société savonnaise venaient se rencontrer ici.
11:04Les savonniers vont faire souffler un vent de modernité
11:07sur la petite ville de Salon de Provence.
11:10Certains font appel au savoir-faire des ingénieurs
11:13et des artisans les plus pointus,
11:15comme dans cette demeure de la fin du XIXe siècle,
11:18aujourd'hui habitée par Nathalie Delsalle,
11:20qui s'est passionnée pour cette histoire.
11:26J'étais fascinée par ces décors et par leur fragilité aussi.
11:29J'ai été particulièrement sensible à ce bâti intermédiaire,
11:32qui est entre un savoir très ancien et un savoir industriel,
11:35de type Eiffel, avec une architecture métallique,
11:37quelque chose de beaucoup plus moderne.
11:41On a effectivement travaillé les décors.
11:44On est allés chercher des sols qui n'étaient pas présents localement,
11:47des carreaux de grès cérame dans le centre de la France,
11:50une société qui, à l'époque, avait été primée
11:52à Paris, grande exposition de 1900.
11:55On a réalisé des gypseries dans le vestibule,
11:58qui est notre salon de musique.
12:00On a fait faire des peintures, les toiles de Bdelpia.
12:03Donc on est allés chercher un peintre
12:06qui était une référence décorative à Marseille.
12:10La lumière dans le vestibule est fabuleuse.
12:13Elle est zénithale.
12:14Le vestibule est, a priori, une pièce aveugle,
12:18mais elle est surélevée pour pouvoir l'éclairer de douze œils de bœuf,
12:22qui sont des vitraux qui représentent
12:24ce qui a fait la fortune du Savoignier,
12:26c'est-à-dire des rameaux d'oliviers.
12:29Tout ce qui a fait la richesse du propriétaire
12:32est quand même largement représenté.
12:38Le rameau d'oliviers,
12:40symbole de richesse, d'immortalité et d'espérance.
12:46Si l'âge d'or du Savon de Marseille s'achève dans les années 40,
12:50le petit cube reste dans l'air du temps
12:53et continue de faire briller l'image de la région
12:56dans le monde entier.
12:58Musique douce
13:00...
13:12Musique sombre
13:15...
13:19A Marseille, au bout de la célèbre artère de la Canobière,
13:23sur le quai du Vieux-Port,
13:25une enfilade d'immeubles
13:27constitue l'une des vues les plus connues de la ville.
13:30Elle a été réalisée dans un contexte rocambolesque
13:34par un architecte prolifique,
13:36audacieux, à la destinée romanesque
13:39et pourtant méconnu du public,
13:41Fernand Pouillon.
13:43Au cours de sa carrière,
13:45Pouillon a construit en région parisienne,
13:48en Algérie et même en Iran.
13:50Mais c'est à Aix, et surtout à Marseille,
13:53qu'il a fait ses premières armes et marqué la ville
13:56en plaçant toujours les habitants
13:58au centre de sa réflexion architecturale,
14:01mais aussi urbaine.
14:02Je pense que la ville serait bien avisée
14:06de modifier le nom du quai du Port,
14:08de l'appeler quai du Port Fernand Pouillon.
14:10Ca serait rendre hommage à cet architecte
14:13qui n'est pas suffisamment connu par le grand public
14:16et puis, également, de rappeler la mémoire de son oeuvre.
14:20Ca serait une bonne chose que de dire
14:22quai du Port Fernand Pouillon.
14:24Au sortir de la Seconde Guerre mondiale,
14:27le premier besoin des Français est d'être logés.
14:31A Marseille, il faut surmonter le traumatisme
14:34de l'expropriation de 20 000 habitants
14:37du quartier du Vieux-Port
14:38et de la déportation d'une partie d'entre eux.
14:41Les forces occupantes allemandes,
14:43soutenues par les autorités françaises,
14:46dynamitent, en janvier 1943,
14:48une partie de ce quartier,
14:50qualifiée de repère de la pègre internationale par Vichy.
14:56Pour que le quartier renaisse, il faudra plus de 10 ans.
15:00Le projet est colossal et, à la libération,
15:02les architectes s'engagent dans une lutte âpre
15:05pour récupérer le meilleur de la commande.
15:10Fernand Pouillon,
15:11jeune architecte d'une trentaine d'années
15:14qui a fait ses études à l'école des Beaux-Arts de la ville
15:17et construit quelques immeubles avant-guerre,
15:19récupère dans un premier temps un projet
15:21dans les hauteurs du Vieux-Port,
15:23à la jonction avec le quartier populaire du Pannier.
15:28C'est l'ensemble de la Tourette.
15:34On est au début de la reconstruction.
15:36C'est la période la plus intéressante.
15:38Tout le monde tâtonne. Il a un espace de liberté.
15:41Il s'est fabriqué un espace de liberté.
15:43C'est une opération clé, indéniablement,
15:45la Tourette.
15:48Pouillon a l'intuition
15:50qu'une manière de remporter la commande,
15:52c'est d'apporter une réponse efficace
15:55pour ces personnes qui attendent une reconstruction
15:57sur la base de leurs dommages de guerre.
15:59Qu'il y ait une reconstruction de qualité,
16:02des surfaces convenables.
16:03Donc, d'une certaine manière, il y a une dimension humaine,
16:06même altruiste, même généreuse, il faut bien le dire,
16:10en apportant du beau, du mieux,
16:12du plus grand, plus rapide,
16:15dans un prix raisonné et maîtrisé.
16:20Fernand Pouillon met en place son vocabulaire moderne,
16:23truffé d'artisanat et de références méditerranéennes.
16:29Dans cet axe-là,
16:30il y a cette grande composition, ce mouche-arabier.
16:33On voit déjà l'intervention, le goût qu'il a
16:36pour faire intervenir ses amis artistes ex-soi.
16:38Là, en particulier, on a un mouche-arabier
16:41de fer sourdi, voilà, donc céramique émaillé,
16:44au four, avec cette dimension décorative,
16:47artisanale et décorative,
16:49dans une manière d'être qui n'est pas du tout folklorique.
16:52Il évite, c'est ça qui est incroyable,
16:55il y a le retour à la tradition, sans le folklore.
17:04La manière de rentrer dans l'immeuble est toujours très soignée,
17:07très réfléchie, le sol, la marche, l'emmarchement,
17:09l'encadrement, la poignée,
17:11parce que tout ça,
17:12c'est ce qui va rattacher l'habitant à la ville.
17:19C'est un architecte qui pense urbain, qui pense ville,
17:22qui pense relation au reste de la ville.
17:25Il n'est jamais dans l'objet isolé, jamais, jamais, jamais,
17:29parce que, justement, il ne croit pas que sa gloire passera par là.
17:35L'ensemble de la tourette,
17:37orientée d'un côté vers la mer Méditerranée
17:40et de l'autre vers le port et la ville,
17:42offre de larges vues aux habitants,
17:44mais aussi une connexion aux quartiers environnants.
17:49Pour réaliser ces 260 logements rapidement,
17:52Fernand Pouillon a recours à la préfabrication,
17:56à la standardisation,
17:57et met au point des techniques de construction
18:00comme la pierre banchée.
18:02La pierre qui lui permet des jeux de matière et de lumière,
18:06ainsi qu'un dialogue avec l'architecture historique de la ville.
18:10Là, on est bien sur les teintes de Marseille.
18:12C'est des blancs, des dégradés de blanc.
18:15Ca tourne autour du calcaire.
18:17C'est la couleur du calcaire, le calcaire violent sous la lumière,
18:20qui vraiment prend bien la lumière.
18:22Ce sont des immeubles qui ont presque 70 ans.
18:25Ils sont extrêmement dignes.
18:27Si tous les immeubles des grands ensembles
18:30avaient été faits de cette manière,
18:32on n'en serait peut-être pas où on en est aujourd'hui.
18:35En 1948, au pied de ce chantier,
18:38Pouillon achève la station sanitaire portuaire,
18:42actuelle musée Regards de Provence.
18:46Son agence est en train d'exploser
18:48et cherche à se faire sa place sur le marché.
18:51Pour cela, toutes les méthodes, ou presque, sont bonnes.
18:56Comme lorsqu'il s'empare d'un projet sur une parcelle de la Cannebière,
19:00laissé vide depuis le dramatique incendie des nouvelles galeries
19:03en 1938, pour y construire le building Cannebière.
19:13Pouillon raconte dans ses mémoires qu'en 1947-1948,
19:16il va passer deux nuits par-dessus les barrières avec des copains
19:20pour pouvoir mesurer le terrain et faire un contre-projet
19:23qu'il va présenter aux investisseurs
19:25en expliquant que son projet sera plus rapide, moins cher,
19:28plus rentable, comme d'habitude, la recette.
19:31Porté par un imaginaire américain, il appelle son immeuble le building
19:35et joue sur une esthétique moderne, efficace,
19:38avec une façade rythmée non porteuse.
19:42Le programme, initialement pensé pour des bureaux,
19:45s'enrichit pour devenir une sorte de ville dans la ville,
19:49à la jonction de la Cannebière et du quartier historique de Belsens.
19:53On le sent vraiment porté par beaucoup de cultures,
19:56beaucoup de connaissances.
19:57Je trouve que cet immeuble ressemble à la Casa Milà
20:00d'Antonio Gaudi, à Barcelone,
20:02qui est un immeuble massif qui va recréer la ville en lui-même.
20:06Il a la taille d'un îlot complet, comme ici.
20:08Pour se densifier comme ça, il va avoir des cours intérieurs
20:12avec des formes souples.
20:13C'est un immeuble où on va pouvoir s'intégrer
20:16à l'histoire de la ville.
20:18C'est un immeuble qui va être un immeuble
20:20avec des formes souples.
20:21C'est un immeuble où la ville est à l'intérieur de l'immeuble.
20:25Vous avez des parkings en dessous, des commerces au rez-de-chaussée,
20:29au-dessus des bureaux, des résidences.
20:31En gros, tous les programmes de la ville sont à l'intérieur.
20:34Et ici, il avait lui-même une garçonnière au 7e étage.
20:39Son agence s'est installée ici, à l'entre-sol.
20:44C'est cette idée de l'immeuble qui comprend tout en même temps.
20:50Musique douce
20:52...
20:56A cette époque, à côté de la gare sur le campus universitaire,
21:00Fernand Pouillon imagine la bibliothèque Saint-Charles.
21:04...
21:09Mais il est surtout en train d'achever, à l'est de la ville,
21:12dans la vallée de Louvaune, l'usine Nestlé.
21:14...
21:16L'entreprise suisse avait souhaité s'implanter
21:19dans la cité phocéenne, point d'importation et d'exportation
21:22de café et de cacao.
21:24Problème, la parcelle achetée va se retrouver coincée
21:27entre un cimetière et l'autoroute en construction.
21:30Il se trouve que Pouillon connaissait
21:33l'implantation exacte de cette future autoroute.
21:36Ca lui a permis peut-être d'avoir assez d'informations
21:39pour arriver de lui-même, avec son intuition,
21:42à proposer de détourner 3 km de l'autoroute en projet,
21:48en expliquant que ce détournement permettrait de faire des économies
21:52et permettrait ainsi de dégager le terrain de l'usine Nestlé
21:56de cette emprise autoroutière.
21:58Donc ce serait cet entregeant inventif
22:01à trouver des solutions là où il n'y a pas de solutions
22:04qui aurait fait que Nestlé aurait gardé Pouillon.
22:07...
22:10On le voit, ordonateur urbain,
22:12et c'est vraiment sa grande qualité
22:15qui va le distinguer de tous ses collègues de sa génération architecte.
22:19C'est qu'il arrive à qualifier les espaces.
22:22Il arrive à dessiner le vide entre les bâtiments.
22:25Il va composer ça comme un ensemble urbain complexe
22:28en essayant de le structurer avec du vocabulaire simple de ville.
22:33La place, le cours, l'allée de Platane.
22:36Et c'est ce qu'il a appelé l'usine verte.
22:39L'usine va être une espèce de grand parc habité par des bâtiments d'usine.
22:44Défenseur de la pierre,
22:46Fernand Pouillon s'est aussi utilisé et mettre à profit le béton armé.
22:51Sur un principe poteau-poutre répété,
22:54il joue sur la texture des éléments de remplissage préfabriqués
22:58pour donner à son usine son identité.
23:00On va arriver à décliner tout un vocabulaire
23:04qu'il va adapter à chaque bâtiment en fonction de ses particularités.
23:09La partie chocolat va avoir des gravillons lavés
23:13qui vont être plutôt des schistes rouges
23:15ou des porphyres avec des petits grains de terre cuite
23:18qui vont leur donner cette couleur de cacao.
23:21Les bâtiments de l'usine de café vont plutôt avoir du silex cassé.
23:25Ils vont se retrouver avec une teinte plutôt marron de café.
23:29Avec les mêmes matériaux, décliner toute une série de qualités
23:32pour qualifier différemment les bâtiments.
23:37Menant tous ces chantiers de front et prouvant son efficacité,
23:41Fernand Pouillon, travailleur insatiable,
23:43s'attire les faveurs du ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme.
23:49Eugène Claudius-Petit, alerté par le maire de Marseille
23:52qui voit d'un mauvais oeil le projet sur le quai du Vieux-Port
23:56de l'architecte André Lecomte, interrompt les travaux
23:59et demande à Fernand Pouillon de rectifier le tir.
24:02A 40 ans, il récupère le programme le plus prestigieux
24:05de la reconstruction de la ville.
24:08Il y avait un projet, c'est le projet Lecomte,
24:11qui avait prévu de faire une grande barre sur le Vieux-Port,
24:15qui, à l'arrivée, n'a pas été retenue.
24:17Effectivement, ça aurait été, je crois, une erreur.
24:20Pouillon, lui, a repris le projet et a préféré faire plusieurs immeubles
24:24avec des espaces entre les immeubles,
24:26de telle façon qu'il y ait une osmose entre le Vieux-Port
24:29et les quartiers environnants,
24:31à savoir les quartiers de l'hôtel de ville et le panier,
24:34et voire même Belzès.
24:38Avec cet alignement de blocs d'immeubles,
24:42il réussit une belle synthèse entre ordonnancement classique,
24:46modernité rationnelle et utilisation de matériaux locaux,
24:50comme la pierre de Pont-du-Gare,
24:52qui donne une teinte, un ton, une élégance à l'ensemble.
24:58En façade, des pilastres monumentaux
25:01offrent de profondes logias dans les étages
25:04et cadrent le paysage.
25:08Au rez-de-chaussée,
25:11les arcs en plein centre des galeries
25:13invitent à la déambulation,
25:15allègent et dynamisent les bâtiments.
25:19Ces arcs-à-l'oeuvre ont un double avantage.
25:22D'abord, ils permettent à la population qui se déplace
25:25de pénétrer dans l'oeuvre de Pouillon
25:27et de permettre une ventilation du rez-de-chaussée de l'immeuble,
25:30d'avoir accès aux différents commerces
25:33dans un cadre agréable.
25:35Comme il l'avait dit dans un de ses ouvrages,
25:37l'architecture, c'est être au service de l'homme.
25:41Cette période de la reconstruction a été décisive
25:44dans la carrière de Fernand Pouillon.
25:47Sortir de ce chantier lui conférera une réputation de dur,
25:50lui qui formulera tous ses projets
25:53en termes de pari, de défi ou de combat.
25:56Bientôt, il va transposer et étendre sa vision de l'architecture
26:00à de plus vastes projets encore,
26:02notamment autour de Paris
26:04et de l'autre côté de la Méditerranée, en Algérie.