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_ Guerre d'Algérie _ 1954 - 1962 _ Raphaëlle Branche

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00:008 années. De 1954 à 1962, il a fallu 8 années de guerre au Front de Libération National Algérien, le FLN, pour arracher l'indépendance de l'Algérie à la France.
00:17Durant ces 8 ans, les maquisards se sont évertués à capturer des civils et des militaires, français d'Algérie ou métropolitains. Ces images sont les seules qui existent des prisonniers français dans les maquis algériens.
00:38Le FLN tenait alors à montrer aux yeux du monde que ces captifs étaient bien traités. Dans une guerre de guérillas qui exige rapidité et mobilité, garder des prisonniers est pourtant une lourde charge.
00:52On était en jeu de quelque chose. Mais quoi exactement ? On ne le savait pas. De toute façon, ils ne nous en parlaient pas. Le FLN ne nous en parlait pas.
01:22Faire des prisonniers, c'est pour le FLN compenser une faiblesse sur le terrain militaire par la force d'un symbole. Car dans toute l'Algérie, le combat est inégal. Les maquisards algériens sont soumis à la pression intense de l'armée française, l'une des plus puissantes du monde.
01:42Le FLN décide très tôt de porter la guerre sur un autre terrain et développe une diplomatie internationale pour asseoir la légitimité de son combat. Faire des prisonniers participe de cette stratégie.
01:55Un prisonnier sur trois seulement a survécu à l'épreuve des maquis. Jeunes appelés, paysans, artisans, ouvriers, leur capture fut souvent leur baptême du feu. Durant leur captivité, ils ont vécu au plus près des maquisards algériens. Leur expérience singulière éclaire d'un jour nouveau la guerre d'Algérie.
02:25Les militaires envoyés en Algérie découvrent un pays qu'ils ne connaissent pas. Floron de l'empire colonial, c'est un territoire vaste comme quatre fois la France, peuplé de 9 millions d'habitants. Loin des villes où se concentre une population d'origine européenne, la révolte armée éclate dans les massifs montagneux.
02:55Je suis parti en Algérie. J'avais juste 21 ans. Comme nous disaient certains de nos chefs, il y a quelques petits salopards dans la montagne qui veulent nous faire des histoires. Sinon, il n'y avait rien. On arrivait là en pays conquis. Pendant longtemps, on s'est baladé dans les Djebel avec des pistolets mitrailleurs sans cartouches.
03:25On était là en groupe d'une dizaine à visiter les villages, tout ça, poser des questions. Il y avait des chefs qui posaient des questions aux chefs. Il y avait des salopards. Il y avait des salopards.
03:47On était là en groupe d'une dizaine à visiter les villages, tout ça, poser des questions. Il y avait des chefs qui posaient des questions aux chefs du village. C'est tout. De Félaga, on n'en avait jamais vu. On ne savait même pas ce que c'était.
04:00Appelé Félaga par les autorités françaises, les membres du FLN sont alors considérés comme des criminels de droit commun. Les militaires français sont chargés d'effectuer les contrôles de police et d'arrêter les suspects. Le FLN multiplie les enlèvements de civils pour installer la peur chez les Français d'Algérie.
04:21Ils montent aussi des embuscades pour capturer des soldats.
04:24On rentrait de patrouille. On avait été dans un village pour contrôler des papiers. On avait un chef, un chef de base qui nous commandait. On était sept, on était huit en tout dans la patrouille. Et puis on revenait tranquillement en se baladant, en discutant.
04:52Puis d'un seul coup, paf, ça tire de partout. Et puis les gars à côté de vous s'écroulent et vous vous demandez ce qui vous arrive. Vous n'avez rien compris. Parce que vous n'avez rien compris.
05:07Mon chef à gauche, il est tué. À droite, le US armé juste à côté de moi, il est tué. Vous ne voyez rien du tout. Ils étaient peut-être deux, peut-être dix, peut-être vingt, on ne sait pas combien ils étaient. Simplement, on ne les voyait pas, on ne les voyait pas, on ne voyait personne. On entendait juste les coups de fusil. Voilà, c'est tout ce qui nous arrivait.
05:28Alors quand on se rend, le chef, il nous dit il faut vous rendre parce que c'est fini. On se rend, quand on se rend, là on est entouré par des feux de la grappe, par des gens du pays habillés en normal.
05:42En civil ?
05:43Oui, en civil. Ah oui, tout était en civil. Ce n'étaient pas des militaires, ils n'étaient pas habillés en militaire. Ils étaient habillés en civil. Et là, ils ont des carabines ou des fusils de chasse et puis toi qui vous entoures.
05:58Et là, on a commencé à marcher toutes les nuits ou toutes les deux nuits dans la montagne, de grotte en grotte pendant trois mois.
06:07Claude Gabé est détenu dans le massif des Nemancha, non loin des Ores, là où se développent les premiers maquis à Félène.
06:14On vivait, nous, dans notre coin, assis, et eux, ils vivaient dans leur coin et ils discutaient entre eux et tout, mais on ne comprenait pas ce qu'ils disaient.
06:25Et quand le chef vient, il vous dit quoi ?
06:27Rien, il nous dit, vous savez, je ne me souviens plus très bien, il nous dit qu'on peut écrire à nos parents, voilà, donc voilà.
06:35Il nous donne du papier, puis un crayon et puis voilà, dérouillez-vous, écrivez ça par terre, parce qu'il n'y avait pas de table, il n'y avait rien du tout.
06:44On était par terre dans la montagne, c'est tout.
06:48Ils vous disent ce qu'il faut écrire ?
06:49Oh, ils nous disent ce qu'il faut écrire, ils nous le suffirent.
06:53Non ?
06:54Ils nous disent, ils ne disent pas spécialement ce qu'il faut écrire, mais il faut dire, vous dites à vos parents qu'il faut prévenir les députés et tout ça,
07:04pour qu'ils sachent ce qui se passe ici, et puis voilà, c'est tout.
07:08C'était tout le début de l'insurrection, donc il n'y avait pas, on n'avait pas l'impression qu'ils nous en voulaient beaucoup à ce moment-là, ce n'était pas…
07:22Les premiers maquis FLN n'obéissent que de très loin à des mots d'ordre centralisés.
07:26Les décisions tactiques sont prises sur le terrain au coup par coup.
07:30Ainsi, un chef local donne pour consigne d'incendier les fermes, de tuer les femmes et les enfants des colons.
07:36Et pour les prisonniers faits au combat, les abattre sur le champ.
07:41Le groupe qui capture Claude Gabé fait un autre choix.
07:44Il veut faire des prisonniers, et utiliser leurs proches pour tenter de sensibiliser la métropole à la cause des maquis algériens.
07:51J'écrivais partout, pour essayer d'avoir des nouvelles autrement, mais on ne répondait où, on n'y répondait pas, qu'ils ne pouvaient rien faire.
08:06Vous voyez, Radio Luxembourg, j'écris aussi là, La Croix-Rouge française, j'écris.
08:12Voilà, une lettre à M. Pierre Mendès France, ça c'est moi.
08:16Et là, M. René Coty, Président de la République, Paris.
08:20Élysée, Paris.
08:24Ça me fait rire maintenant ça, parce que, c'est vrai.
08:28On ne s'est pas lavé pendant trois mois, on n'a pas su ce que c'était qu'une goutte d'eau pendant trois mois.
08:34On mangeait un jour sur deux ou un jour sur trois, ça c'était pas encore trop grave, on arrivait à se débrouiller.
08:42On vivait comme ça par terre, par terre sans aucun confort, on n'avait aucun confort.
08:49On allait aux toilettes comme ça dehors, on s'essuyait derrière avec un caillou.
08:55On n'avait rien du tout, c'était complètement...
08:58On était plein de poux, mais plein de poux, remplis de poux on était.
09:03C'était pas marrant, mais à côté de ça, on n'était pas attachés, on était privés de liberté morale.
09:11Mais la liberté, on l'avait, on pouvait sortir.
09:14Si j'avais voulu, moi, huit jours après que j'étais prisonnier, je pouvais me barrer.
09:19Mais je pouvais me barrer tout seul, alors il n'était pas question que je m'endince tout seul.
09:23Pourquoi ?
09:24Parce qu'il y avait des autres qui étaient là.
09:27Il y avait toute ma bande qui était là, il fallait bien que je ramène tout le monde, je ne pouvais pas m'en aller tout seul.
09:3124 mai, 55, au moment de son évasion.
09:37Et là où il est Claude ?
09:40Oui.
09:43Ils n'ont jamais été bousculés par aucun des faits.
09:46On ne nous a jamais bousculé, jamais maltraité, jamais, jamais, jamais, jamais.
09:51Toujours été assez simple.
09:54C'est pour ça que mes gars disaient, on ne peut pas leur faire ça parce que c'est des braves types.
09:58On ne peut pas leur faire ça ?
09:59On ne peut pas leur taper dessus pour s'évader.
10:04Ils étaient en train de lire le courant, ils avaient leurs carabines qui étaient posées sur leurs genoux.
10:08Je vois encore bien la scène.
10:10Mais c'est sûr que ce n'est pas facile d'arriver face à eux et de leur tomber dessus.
10:16Quelle est la réaction ?
10:18Attention, les deux qu'il y avait, il y en avait un et je pouvais vous dire qu'il était balèze.
10:23Alors j'ai réussi à arracher les carabines.
10:26J'en ai donné une à Mélousse, rapidement, comme ça, tout ça, ça se passe en un éclair de temps.
10:31Et puis moi je les assomme à coup de crotte.
10:33Voilà.
10:34Vous vous y avez tué ?
10:36Non, je ne pense pas.
10:38Je pense qu'ils ont été bien amochés.
10:40Mais enfin, ils n'étaient pas capables de nous suivre.
10:42C'était surtout ça l'avantage.
10:43Et le troisième, il était dans la grotte.
10:45Mais comme c'était un gamin, il avait peut-être 16 ans, 17 ans.
10:49Lui, il était complètement terrorisé.
10:51Alors il était dans un coin, il ne bougeait plus.
10:53Alors lui, on l'a...
10:54Moi, je m'en suis occupé, je l'ai laissé tranquille.
10:56Et j'ai récupéré sa carabine.
10:58Et puis voilà, on est parti.
11:00Et cette scène de l'évasion, vous l'avez souvent revue dans votre mémoire ?
11:04Ah bah oui !
11:28Côté français, on parle toujours de hors-la-loi.
11:31Et on célèbre des soldats valeureux ayant échappé à des bandits.
11:36Les autorités ne prennent pas la mesure de leur adversaire.
11:40Pourtant, non loin de la frontière tunisienne,
11:43dans cette vaste zone où a été enlevé Claude Gabé,
11:46les maquis se renforcent déjà.
11:50Et après, après, vous savez, c'est le deuxième bureau qui vous interroge.
11:54Bref, là, je leur ai dit qu'il y avait beaucoup de monde dans la montagne.
11:58C'est-à-dire ?
11:59Le gars m'a dit, non, c'est pas possible.
12:01J'ai dit, si, c'est possible.
12:03C'est possible, puisqu'on les a vus.
12:05Oui, mais ils devaient pas être autant que vous dites.
12:07Vous savez, moi, le soir, je peux vous dire,
12:09quand je les voyais défiler, ils étaient du monde.
12:11On était juste à la frontière tunisienne.
12:13Bon, nous, on savait pas trop qu'on était à la frontière tunisienne.
12:16Mais maintenant, en regardant les cartes, je m'aperçois que c'était ça.
12:20On était à la frontière tunisienne.
12:22Donc c'était de là qu'ils venaient. Ils venaient de Tunisie, tous ces gars-là.
12:25J'en ai vu défiler un moment, un soir, j'en ai vu défiler.
12:28Il y en avait, je sais pas combien, plusieurs dizaines,
12:31plusieurs centaines qui défilaient comme ça en file indienne.
12:35Ils sont allés, ils rentraient en Algérie.
12:37Ils rentraient en Algérie avec les fusils mitrailleurs sur l'épaule et tout.
12:41C'était, non, c'était une armée.
12:461956. La Tunisie, après le Maroc, vient d'imposer son indépendance à la France.
12:52L'Armée de Libération Nationale Algérienne, l'ALN,
12:56dispose ainsi de bases arrières pour entraîner ses hommes et se ravitailler.
13:04Rares sont les images du maquis.
13:06Celles-ci sont extraites d'un film commandé par le FLN
13:09pour populariser son combat aux yeux du monde.
13:12Djeze Irwuna, notre Algérie.
13:18Le FLN étend son influence à tout le territoire.
13:22Le nord du pays a été divisé par l'administration coloniale française
13:26en trois départements.
13:28Le FLN l'organise en six régions, les wilayahs,
13:31avec à leur tête un conseil dirigé par un officier supérieur.
13:37Recruté par le FLN dès 1956,
13:40Djoudi Hatoumi a passé toute la guerre dans le maquis.
13:45A l'époque, étudiant en comptabilité,
13:47il est affecté à l'état-major de la wilayah 3, en Grande Kabylie.
13:52On avait une renéau, un stencil,
13:54et on travaillait jour et nuit
13:57pour distribuer à toutes les régions d'Algérie
14:01le procès-vapal de la charte de la Soumame.
14:07Cette charte de la Soumame, du nom de la vallée de Kabylie
14:10où s'est tenue la grande réunion clandestine des chefs du FLN à l'été 1956,
14:15fixe les grands principes de la conduite de la guerre.
14:19Faire des prisonniers devient un impératif pour tous.
14:23Il est rappelé à tous les cadres de l'ALN,
14:25l'armée de libération nationale,
14:27les décisions relatives aux prisonniers de guerre.
14:30Il sera inculqué à Noumoudja Eddin
14:32que tout soldat capturé devra être traité humainement.
14:36Chaque combattant devra faire taire ses justes ressentiments
14:39et respecter l'avis de ceux qu'il réussira à capturer.
14:42A chaque fois lorsqu'il y a un prisonnier,
14:44d'abord il fallait s'enquérir de son passé,
14:49de son comportement avec la population
14:51en le présentant à la population
14:53pour que les gens puissent témoigner de sa manière de se comporter.
14:58Est-ce qu'il a les mains propres ?
15:00Est-ce qu'il a tué ? Est-ce qu'il a torturé ?
15:02Mais surtout dans le cas où il a tué,
15:06son sort a été joué d'avance.
15:08C'est-à-dire ?
15:09C'est-à-dire qu'il est exécuté.
15:11Oui, mais il est exécuté de là où il est.
15:14Pas au niveau local. Non, non, absolument pas.
15:16Aucun responsable, quelque soit son grade,
15:19n'a le droit de décider du sort d'un prisonnier.
15:22Et lorsqu'on achemine ce prisonnier,
15:24on joint autant que possible une fiche de renseignement
15:28le concernant sur son comportement dans le poste militaire,
15:31dans le village, dans les environs du poste militaire.
15:35En témoignent ces documents saisis sur des maquisards par l'armée française.
15:39Un chef local attend les consignes au sujet de deux soldats capturés
15:42et ordonne à ses hommes
15:44« Gardez chez vous prisonniers. Stop. Jusqu'à nouvel ordre. Stop. »
15:49Il attend la décision de l'échelon supérieur.
15:52Une semaine plus tard, nouvelle consigne.
15:54Le conseil de la Willaya s'est réuni et a tranché.
15:57« Faites passer immédiatement les deux prisonniers par les armes. Stop.
16:01Nous rendre compte. Stop. »
16:05Il ne faut pas le cacher.
16:07C'est un objet de propagande pour la Hélène.
16:10Quand vous montrez un groupe de prisonniers à la population,
16:14ça veut dire que le mythe de l'armée française est battu en brèche.
16:23Côté français, c'est désormais tout le contingent,
16:26des centaines de milliers de jeunes gens,
16:28qui est mobilisé et envoyé en Algérie.
16:32Inférieurs en nombre et en armes,
16:34les maquisards ne se contentent plus d'embuscades ou d'enlèvements.
16:37Ils attaquent des postes militaires.
16:40Aux confins de la Willaya III, en Grande-Cabilly,
16:43un commando prend d'assaut un poste de l'armée française.
16:47« C'était à la nuit tombante,
16:49ça devait être entre les 6h30, 7h au moins le quart.
16:52Au mois de février, il commence à faire bien nuit. »
17:02Originaire du Languedoc, Robert Bonnet est électricien
17:05quand il est appelé en juillet 1957.
17:08Il est l'un des 15 hommes faits prisonniers
17:10à la suite de l'attaque du poste de la Ourane, en février 1958.
17:14« Il y a eu un rafale de mitraillette
17:16qui m'est passé juste au-dessus de la tête.
17:19Et à partir de là, comme ça commençait à tirer,
17:25on s'est réfugiés dans le plafond de la maison forestière
17:31et tous ceux qui se présentaient en dessous, bien sûr,
17:34on tirait dessus.
17:36Seulement, ce qu'ils ont fait,
17:38ils ont menacé de mettre le feu à la maison forestière.
17:43Ils ont commencé à jeter de l'essence en bas
17:46et s'ils avaient mis le feu, on cramait.
17:49Et qu'est-ce qu'on a fait ? On s'est rendus.
17:52Et puis de là, on est partis.
17:54Et on est partis, on a marché, bien sûr, pendant six étapes.
18:00La première étape, on a dû se taper entre 50 et 60 kilomètres,
18:04si ce n'est pas plus.
18:06Chacun avait un soldat de la LNN derrière son dos.
18:10Pour faire 60 kilomètres dans la nuit, il faut y aller.
18:18On ne marchait pas, on courait pratiquement.
18:22Et de fil en aiguille, on s'est retrouvés dans la forêt d'Alfadou.
18:27Dès le début de cette longue marche,
18:29les prisonniers doivent écrire à leur famille.
18:32Objectif pour le FLN, prendre de vitesse les autorités françaises
18:36en annonçant leur capture et ainsi apparaître comme les maîtres du terrain.
18:40On était enchaînés en permanence.
18:45Le seul moment où on nous détachait,
18:48c'est pour faire la corvée de bois, la corvée d'eau,
18:52aller au feuillet, aux toilettes.
18:56C'est tout.
18:58Au début, on nous a fait creuser des tranchées.
19:02Au bout d'un moment, bien sûr, il y en a qui étaient fatigués.
19:07Puis les restrictions sur la nourriture,
19:10quand on n'y est pas habitué, c'était dur.
19:14Et quand certains ne pouvaient s'arrêter, par exemple, de piocher,
19:18de temps en temps, ils avaient droit à quelques coups de canon de fusil.
19:23Mais jamais sur la figure.
19:26Parce que ça, c'était fait pour que le chef des gardes ne s'en aperçoive pas.
19:32Parce qu'ils avaient la consigne, normalement, de bien nous traiter.
19:36Mais c'est pas toujours ce qui se passait.
19:39Ça ne se passait pas avec tout le monde.
19:42Pas avec tous les gardes.
19:45Il y a eu deux gardes qui ne m'ont jamais tapé dessus.
19:50Jamais.
19:52C'est des gens qui avaient travaillé en France,
19:56qui nous disaient, nous, on est là pour faire la guerre pour l'indépendance,
20:03mais on n'est pas là pour vous taper dessus.
20:06Celui qui est venu nous voir, c'est Amirouche.
20:09Je l'ai vu deux fois.
20:12Il est venu nous dire qu'il fallait qu'on intervienne,
20:17que nos parents interviennent auprès du gouvernement
20:21pour qu'il y ait des transactions entre le FLN et la France.
20:28Amirouche est un chef de guerre redouté.
20:31Il dirige la Willaya III.
20:33Il s'attache à ce que les prisonniers écrivent régulièrement à leur famille.
20:37Durant ces 15 mois de captivité, Robert Bonnet écrira une dizaine de lettres.
20:44Par contre, ce que j'ai appris, c'est que dans notre courrier,
20:51il y avait des lettres de menace d'Amirouche,
20:54que je vous ai fait voir.
20:57Ces lettres formulaires qui accompagnent les courriers des prisonniers
21:01ont un but politique.
21:03Il s'agit de toucher au cœur l'opinion publique française.
21:06Contrairement à une propagande infâme qui veut que nous soyons des égorgeurs,
21:10votre fils est en vie.
21:12Il vous appartient d'agir, de donner à cette lettre la publicité qu'elle mérite
21:16en la communiquant aux journaux éclairés, bien rares, de votre pays.
21:21Sachez que votre fils et ses camarades sont ici pour répondre de l'avis des nôtres
21:25qui souffrent dans vos geôles
21:27Notre gouvernement, ne reculant devant aucune lâcheté, veut exécuter.
21:31Pour le comité de la Willaya, signé le commandant Amirouche.
21:35Je suis toujours bien traité et bien nourri.
21:38Je pense être libéré d'ici peu,
21:41car les dirigeants de la LN sont en train de parler avec la Croix-Rouge internationale.
21:46En espérant que cette lettre vous rassurera,
21:49et en espérant de vous revoir bientôt, recevez mon meilleur plaisir, Robert.
21:54Alors que c'était archi faux.
21:57Pourquoi ?
21:58Parce que je suis libéré quelques mois après.
22:10La Croix-Rouge internationale, dont parle Robert Bonnet,
22:14c'est le comité international de la Croix-Rouge, le CICR, basé à Genève.
22:19En Suisse, le FLN s'active pour faire connaître sa cause.
22:23Le comité international de la Croix-Rouge est chargé de s'assurer
22:27que les États signataires des conventions de Genève les respectent.
22:31Ces conventions protègent notamment les prisonniers de guerre.
22:35Signataires de ces conventions, la France est pourtant réticente
22:39à les appliquer aux combattants indépendantistes algériens.
22:43De son côté, le FLN se rapproche du CICR
22:46pour imposer l'idée que ces prisonniers sont des prisonniers de guerre
22:50et qu'il y a bel et bien une guerre en Algérie,
22:53ce que la France refuse toujours d'admettre.
23:01En octobre 1956, l'armée française détourne un avion marocain
23:05qui transporte quatre des principaux leaders indépendantistes.
23:09Hamed Ben Bella, Mohamed Kider, Hossein Ayte Ahmed et Mohamed Boudieff
23:15sont exhibés menottes au poing et jetés en prison.
23:19Ce coup de force contraint les dirigeants du FLN à se réorganiser.
23:24Au printemps 1957, ceux qui sont encore en liberté prennent le chemin de l'exil.
23:30Une délégation extérieure était déjà installée au CAIR.
23:34Désormais, c'est toute la direction qui s'installe à Tunis.
23:38La guerre est alors dirigée depuis l'extérieur de l'Algérie.
23:41Des émissaires sont dépêchés auprès des organismes internationaux
23:44susceptibles de peser sur le cours des événements,
23:47en particulier aux Nations Unies à New York comme à Genève.
23:52En Suisse, s'installe un nationaliste de premier plan rallié au FLN,
23:57Ferhat Abbas.
23:58Ancien parlementaire français
24:00et futur président du gouvernement provisoire de la République algérienne,
24:04le GPRA,
24:05Ferhat Abbas est secondé par un jeune juriste,
24:08Mohamed Bejaoui,
24:10tout juste sorti de la faculté de droit de Grenoble.
24:13Pendant toute la guerre, il est le conseiller juridique du FLN à Genève.
24:29Des États de plus en plus nombreux soutiennent le combat du FLN.
24:32En première ligne, les pays de la Ligue arabe qui vont offrir l'asile et des passeports.
24:37Les responsables du FLN peuvent ainsi se déplacer dans le monde entier
24:41et faire connaître l'action des maquisards algériens.
24:44Ils faisaient des prisonniers.
24:47Et il faut imaginer la difficulté multiple qu'il y avait à conserver ces prisonniers,
24:57à les nourrir dans les montagnes, dans les maquis,
25:01à les transbahuter d'un coin à un autre.
25:06Et généralement, ce sont de longues marches de nuit,
25:11à faire de 20 kilomètres toute une nuit pour passer d'un point de la montagne à un autre point, etc.
25:18C'était quasiment héroïque d'avoir des prisonniers,
25:23de les maintenir en vie, de les maintenir en bon état de santé,
25:27pour pouvoir les libérer.
25:29Et ça, c'était une fierté du FLN.
25:32Une fierté du GPRA.
25:35Pour montrer d'abord qu'on respectait certaines règles,
25:38qu'on n'achevait pas les prisonniers,
25:43et pour montrer que nous n'étions pas dehors la loi.
25:47Nous respections la loi.
25:49Et donc, nous avions envie, avec le CICR, d'aller beaucoup plus loin encore,
25:56malgré toutes les difficultés.
26:00Aller plus loin pour le FLN, c'est adhérer aux conventions de Genève.
26:04Mais les respecter au pied de la lettre,
26:06dans une Algérie où les maquisards sont contraints à des déplacements incessants,
26:10est une mission quasi impossible.
26:17Le FLN va pourtant donner des gages au CICR,
26:20et répondre à une de ses demandes récurrentes,
26:23rencontrer des prisonniers français.
26:25En janvier 1958, les maquisards sécurisent une zone,
26:29et convoient dans le plus grand secret,
26:31deux délégués du CICR,
26:33jusqu'à un lieu où sont détenus quatre soldats prisonniers.
26:38Ce sera la seule visite de ce type durant toute la guerre,
26:42largement relayée dans le journal El Moujaïd,
26:45organe officiel du FLN.
26:49À quelques jours d'intervalle,
26:51un caméraman allemand et un photographe libyen
26:53sont conduits auprès des mêmes prisonniers,
26:55et invités à les rencontrer.
26:58Une opération de propagande réussie.
27:03Le reportage complet est publié dans Paris Match.
27:06On y voit des prisonniers bien traités,
27:08gardés par ce qui ressemble à s'y méprendre,
27:10à une armée régulière.
27:12En mettant minutieusement en scène ces captifs,
27:15le FLN se présente comme un interlocuteur,
27:18avec qui il est possible de négocier.
27:21Le FLN insiste sur le fait que la visite a eu lieu en Algérie.
27:26Il entend démontrer ainsi sa maîtrise
27:28d'un territoire censé être sous contrôle.
27:33Quant aux autorités françaises,
27:35elles affirment au contraire que les prisonniers
27:37sont gardés près de la frontière,
27:39mais du côté tunisien.
27:44Plus que jamais, la guerre déborde du territoire algérien
27:47et implique les pays voisins.
27:51À leurs frontières sont installés des camps de réfugiés
27:53fuyant la guerre.
28:00Le FLN obtient le soutien de la Tunisie et du Maroc
28:03pour installer des camps d'entraînement militaire.
28:13Le FLN peut alors répondre à une autre demande du CICR,
28:16fournir des messages enregistrés des prisonniers.
28:20Enregistrement numéro 93 ALM.
28:25Voici des 10 prisonniers du front de libération nationale algérienne.
28:33Message à l'intention de leurs parents
28:36et au bon soin de la Croix-Rouge internationale.
28:42Mineur en Lorraine,
28:44issu d'une famille de 8 enfants,
28:46Jean Dziezuk a été appelé sous les drapeaux en janvier 1957.
28:50Capturé en février 1958,
28:53il passe 10 mois en captivité,
28:554 en Algérie, 6 au Maroc.
28:58Maintenant, c'est monsieur Dziezuk Jean
29:01qui arrive, là, il s'est fait prisonnier
29:04dans la région d'Aflou,
29:06dans la région d'Aflou,
29:09dans la région d'Aflou,
29:11le 26 février 1958.
29:13À vous.
29:15Ici Dziezuk Zalot,
29:17prisonnier de l'armée de libération nationale,
29:20habitant à Vaux-le-Morache-les-Mines,
29:22Moselle, qui vous parle.
29:24Chers parents, frères et sœurs,
29:26pour mon compte, tout va pour le mieux.
29:28La santé est bonne et le moral l'est également.
29:31Pour le sujet de la nourriture,
29:33je n'ai pas à me taindre,
29:35car vous savez, chers parents,
29:37je suis un grand morphague.
29:39Il ne me reste plus qu'à terminer
29:41et je vous embrasse tous bien fort,
29:43papa, maman,
29:45Vladi, Jojo,
29:47la motocomfort 125,
29:49Pierre, René,
29:51aux amis et, naturellement,
29:53aux amis vieux.
29:56Vous ne voudrez plus repasser cette cassette-là.
29:59Tellement ça me...
30:01Vous savez, quand vous restez pendant des mois
30:04couchés à même le sol
30:06et sur une descente de lit,
30:08c'est tout ce qu'on avait comme...
30:10comme matelas.
30:12Et puis...
30:14On en a souffert, oui.
30:16Et là, c'était faux.
30:18D'après ce qu'on dit, là,
30:20naturellement, on était tenus
30:22à dire qu'on mangeait bien.
30:24C'était une volonté des...
30:26des Fels, quoi, quand on le fait.
30:28C'est pas...
30:30Jean-Diesuc et les autres prisonniers
30:32sont contraints de marcher
30:34pendant 4 longs mois à travers les hauts plateaux.
30:37Le but de leurs gardiens,
30:39les conduire dans une base arrière au Maroc.
30:42On était fatigués et tout.
30:44Les chaussures foutues.
30:46On marchait presque pieds nus,
30:48pour certains, moi, entre autres.
30:50Bon...
30:52Ce qu'il y a, c'est que...
30:54Qu'est-ce que je peux dire ?
30:56On se déplaçait.
30:58C'est-à-dire, on se déplaçait
31:00la nuit.
31:02On était dans des grottes.
31:04On était...
31:06Et on voyait pas de village.
31:08Jusqu'au jour
31:10où on a passé la ligne
31:12qui séparait
31:14l'Algérie au Maroc.
31:18Chaque fois que possible,
31:20le FLN déplace ses prisonniers
31:22de l'autre côté des frontières.
31:26Mais leur passage devient
31:28de plus en plus périlleux.
31:30Les autorités françaises font
31:32de ces zones frontières
31:34des no-man's land réputées infranchissables,
31:36parcourues de champs de mines
31:38et de lignes à haute tension.
31:42Des milliers d'Algériens y laisseront leur vie.
31:44Alors là, on est passé
31:46à 20 m, peut-être, d'un mirador,
31:48avec des lumières qui allaient.
31:50Et ce qu'il y a, c'est que si on était
31:52au-delà, ils nous auraient vus.
31:54Mais comme on était près,
31:56les miradors, les phares
31:58ne plongeaient pas.
32:00Ah, même le mirador,
32:02il tournait autour à 20 m.
32:04Et nous, on est passé dans ces 20 m,
32:06où ils nous ont pas vus.
32:12Ils nous ont dit,
32:14bon, il y aura des bouts de blanc.
32:16Il faudra mettre les pieds
32:18là-dessus, parce que c'était
32:20miné.
32:24Là, ils nous ont commencé
32:26à tirer dessus.
32:28L'armée française.
32:30Aussi bien du mirador que...
32:32Bon, on n'a pas été blessés,
32:34on a eu une chance, parce que
32:36les balles, les grenades, elles tombaient
32:38et puis ça a explosé.
32:40Jusqu'à un moment donné,
32:42on arrive à un endroit,
32:44on était au Maroc, là.
32:46Jean Diezuc est détenu avec 14 autres
32:48prisonniers à Oujda, au Maroc,
32:50à quelques kilomètres de l'Algérie.
32:52C'est là qu'est installé le PC de la Willaya 5.
32:54On cogère même le sol, là, voilà.
32:56Une pièce qui faisait 7 mètres,
32:58et puis sur 2,50 mètres,
33:00voilà notre...
33:04le parcours qu'on pouvait faire, quoi.
33:06Ah oui.
33:08Mais...
33:10Et en plus,
33:12ce qui était, c'était le manger.
33:14Alors là, je peux dire
33:16que c'était pas...
33:18On mangeait mieux quand on était dans la montagne,
33:20parce qu'il y avait de temps en temps du mouton,
33:22de la machin,
33:24mais quand on était en captivité, il n'y avait rien.
33:26Jean Diezuc passe
33:28toute l'année 1958
33:30aux mains du FLN.
33:32Cette année-là marque un grand tournant pour la guerre en Algérie.
33:34Au printemps, la France connaît
33:36un bouleversement politique
33:38dont l'origine immédiate est liée
33:40à la question des prisonniers.
33:42Depuis 2 ans déjà,
33:44des dizaines de militants nationalistes algériens
33:46sont condamnés à mort pour atteinte
33:48à la sûreté de l'État.
33:50En avril, le rythme des exécutions
33:52s'accélère.
33:54Trois militants sont guillotinés le 23,
33:56trois autres le 24.
33:58Parmi eux, Abderrahman Taleb,
34:00artificier des bombes qui avaient ensanglanté
34:02Algérie.
34:04En réponse, le FLN, au nom de la
34:06loi du Talion, annonce qu'il a passé
34:08par les armes Robert Rechaume,
34:10René Decourtré et Jacques Feuillbois,
34:12capturés 15 mois plus tôt.
34:14Leurs photos mises en scène durant leur captivité
34:16sont adressées peu avant à la presse française.
34:20Musique
34:22Musique
34:24Musique
34:26L'annonce de leur exécution
34:28met le feu aux poudres à Alger.
34:30Le 13 mai 1958,
34:32une cérémonie en hommage aux trois soldats
34:34tourne à l'émeute.
34:36Les partisans de l'Algérie française
34:38se révoltent.
34:40Les autorités sont débordées.
34:42Les généraux chargés
34:44de maintenir l'ordre en Algérie
34:46constituent un comité de salut public.
34:48C'est le début
34:50de la fin de la quatrième république.
34:52A Paris,
34:54le président René Coty
34:56charge le général de Gaulle
34:58de constituer un nouveau gouvernement.
35:00Alger,
35:023 juin 1958,
35:04le général de Gaulle a obtenu
35:06les pleins pouvoirs de l'Assemblée nationale.
35:08C'est en Algérie qu'il fait son premier déplacement.
35:14La France considère
35:16que dans toute l'Algérie
35:18il n'y a que des Français.
35:22À un moment donné,
35:24ils nous ont fait écouter la radio.
35:26Ils nous ont mis l'arrivée
35:28de de Gaulle à Alger.
35:30Ils attendaient
35:32que de Gaulle dise
35:34l'indépendance et tout.
35:36Il a dit l'Algérie française.
35:38C'était en juin 1958.
35:40Alors là, ils étaient furieux.
35:42Auparavant, de Gaulle
35:44disait qu'il allait nous arranger.
35:46Quand il a dit ça,
35:48de Gaulle le souhaitait au diable.
35:50Vous avez eu peur à ce moment-là ?
35:52Pas plus peur qu'avant.
35:54Je me disais
35:56que s'il avait dit
35:58l'Algérie algérienne,
36:00on serait libérés, pour nous.
36:04Ça ne s'est pas déroulé comme ça.
36:06Les changements politiques en métropole
36:08incitent le comité international
36:10de la Croix-Rouge
36:12à s'intégrer au comité de la France.
36:14Il leur demande l'application
36:16des règles minimales du droit de la guerre.
36:20C'est à ce moment-là
36:22que le CICR nous avait saisi
36:24d'un mémorandum
36:26dont il a adressé
36:28également un exemplaire
36:30au gouvernement français à Paris.
36:32Nous disons
36:34aux uns et aux autres,
36:36à nous comme au gouvernement français,
36:38de respecter au moins
36:40un des articles
36:42de ce qu'on appelle les quatre conventions de Genève
36:44du 12 août 1949.
36:48Le libellé même du document
36:50est déjà un succès pour le FLN.
36:52Parler de belligérance
36:54et de conflit franco-algérien,
36:56c'est admettre qu'il y a deux camps en Algérie,
36:58que le FLN est l'un d'entre eux.
37:00La France ne voulait pas,
37:02bien sûr, reconnaître la rébellion
37:04en tant qu'institution étatique
37:06ou quoi que ce soit.
37:08C'était donc
37:10une petite révolte interne.
37:12C'était une opération de police
37:14que voulait mener le gouvernement français.
37:16Mais il n'a jamais,
37:18à notre connaissance,
37:20à la mienne en tout cas,
37:22aujourd'hui, il n'a jamais répondu
37:24au CICR.
37:26Pour sa part,
37:28la direction extérieure du FLN ordonne
37:30à toutes les Willaya un recensement
37:32des prisonniers détenus dans les Maquis
37:34et demande leur nom, grade,
37:36matricule, région d'origine,
37:38date et lieu de capture.
37:40En septembre 1958,
37:42un pas décisif
37:44est franchi par le FLN.
37:46Sa direction en exil
37:48devient le premier gouvernement provisoire
37:50de la République algérienne,
37:52le GPRA.
37:54Président du GPRA, Ferhat Abbas,
37:56avait initié les négociations
37:58avec le Comité international de la Croix-Rouge.
38:00Huit jours, exactement,
38:02huit jours après sa création,
38:04le GPRA a annoncé
38:06la libération
38:08inconditionnelle,
38:10la libération inconditionnelle
38:12de prisonniers français
38:14et les affaires aux maîtres.
38:16Alors vous imaginez d'ailleurs tout ce travail,
38:18tout ce travail de passer
38:20de montagne en montagne, de traverser
38:22500 ou 600 kilomètres
38:26d'un territoire en fusion,
38:28d'un territoire
38:30en guerre,
38:32pour arriver
38:34jusqu'à Tunis et remettre
38:36aux CICR
38:38ces prisonniers français.
38:50Ces quatre prisonniers sont ceux-là
38:52même qui avaient reçu la visite du CICR
38:54au début de l'année.
38:56Le gouvernement provisoire
38:58de la République algérienne
39:00présente leur libération comme une amnistie.
39:02Ils s'affirment ainsi
39:04comme l'autorité d'un nouvel État.
39:08Un mois et demi plus tard,
39:10cette fois au Maroc.
39:12Huit jeunes soldats français faits prisonniers
39:14au début de l'année en Algérie
39:16ont été libérés à Rabat par le gouvernement provisoire
39:18de la République algérienne.
39:20En présence de son Altesse royale, la princesse
39:22La Haïcha, présidente de l'entraide nationale,
39:24ils ont été remis aux délégués
39:26de la Croix-Rouge internationale.
39:28Si Jean Diézuc et ses camarades
39:30retrouvent enfin la liberté,
39:32sur les quinze prisonniers détenus à Oujda,
39:34ils ne sont que huit à regagner la France.
39:38C'est des terreaux au sort.
39:40Donc sur les quinze,
39:42il y en avait huit
39:44qui sont sortis de ces huit là.
39:46On nous a dit, bon maintenant vous allez dans l'autre pièce
39:48à côté, parce qu'il y a la même chose
39:50que là où on était à quinze.
39:52Il dit, vous allez là
39:54et en passant,
39:56il y en a un
39:58qui avait tellement,
40:00quand il n'a pas été nommé,
40:02il voulait se tuer.
40:04Il est rentré dans le mur
40:06avec la tête comme ça,
40:08de désespoir.
40:10Alors on l'a pris
40:12et on l'a réconforté
40:14comme on pouvait.
40:18L'EFLN garde la main sur la libération
40:20des prisonniers.
40:22Se réserve la possibilité de s'en servir
40:24pour maintenir la pression sur les autorités françaises.
40:44Pour Jean Diézuc,
40:46la guerre est finie.
40:50En Algérie,
40:52la guerre continue et pour trois années encore.
40:54Le général de Gaulle
40:56fait de l'Algérie son dossier prioritaire
40:58et donne mission à un nouveau commandant en chef,
41:00le général Schall,
41:02d'anéantir les maquis de l'armée de libération nationale.
41:14A partir de 1959,
41:16des opérations de grande ampleur
41:18balaient les massifs montagneux d'ouest en est.
41:20La répression compromet
41:22les libérations de prisonniers
41:24promises par l'EFLN.
41:40Les maquis n'ont plus aucun répit.
41:42Les prisonniers en paient le prix.
41:44On était dans des zones interdites
41:46et qu'il y avait de temps en temps
41:48ce qu'on appelait ratissage
41:50de l'armée française.
41:58La nuit du 13 au 14 mars,
42:00il y a eu un ratissage.
42:06Et il a fallu bien sûr
42:08que l'on parte
42:10de l'armée française
42:12que l'on parte
42:14tout de suite.
42:16Bon, on nous a enchaîné, comme d'habitude,
42:18les mains dans le dos, une chaîne qui nous réunit
42:20par cinq, et on est parti.
42:22Mais il se trouve que
42:24dans cette nuit-là,
42:26il y a eu de la pluie,
42:28de l'orage, de la grêle,
42:30mais alors quelque chose d'épouvantable.
42:34Et on a traversé
42:36des oued.
42:38Et les oued
42:40au mois de mars, là-bas,
42:42avaient le dieu Jura à côté,
42:44l'eau n'était pas chaude.
42:46Et on avait de l'eau jusque-là.
42:48Et dans l'état
42:50de fatigue qu'on était,
42:52on a passé une nuit
42:54complètement...
42:56Je veux dire,
42:58c'était le déluge
43:00qui nous tombait sur la tête.
43:02Et à cette époque-là,
43:04on est quand même restés 15 jours dehors.
43:06Ceux qui étaient faibles,
43:08malheureusement,
43:10il y en a qui n'ont pas suivi.
43:12Parce qu'il faut savoir
43:14qu'il y a même des
43:16soldats de la LN
43:18qui étaient dans le même cas que nous.
43:20Je veux dire, ils étaient
43:22à la limite.
43:24Il y en a qui ne pouvaient plus avancer.
43:26Et on s'entraidait l'un l'autre.
43:28Quand ce n'était pas
43:30le militaire
43:32qui entraidait
43:34le maquisard, c'était le maquisard
43:36qui entraidait le militaire.
43:40Ils étaient à bout comme nous.
43:42Ils n'en pouvaient plus.
43:46Ils étaient comme nous.
43:48Ils essayaient de sauver leur peau.
43:56Sur tout le territoire algérien,
43:58la répression s'abat
44:00avec une violence inconnue jusqu'alors.
44:04L'armée française multiplie
44:06les opérations,
44:08les arrestations de suspects.
44:10Elle force l'armée de libération nationale algérienne
44:12à se disperser en tout petits groupes.
44:14Les maquis sont démantelés.
44:16Le colonel Amirouche,
44:18qui détient le groupe de Robert Bonnet,
44:20tombe dans une embuscade.
44:22La direction de la Willaya III
44:24est décapitée.
44:26Peu après la mort d'Amirouche,
44:28son successeur libère tous ses prisonniers.
44:30Et c'est le
44:3216 mai
44:34que là, on nous a enlevé les chaînes,
44:36on nous a
44:38donné
44:40les vêtements propres,
44:42on s'est lavé, on nous a rasé et compagnie.
44:44Et dans la nuit
44:46du 16 au 17
44:48et du 17 au 18,
44:50on est partis.
44:52Les genoux nous ont dit
44:54bon, vous partez dans cette direction,
44:56là-bas vous avez une route
44:58et cette route elle menait
45:00vers Kouraine.
45:02On nous a amené à l'hôpital
45:04de Tizi Ouzou.
45:06Bon, ils nous ont regardé
45:08notre état de santé, grosso modo,
45:10bien sûr.
45:12Un délégué du comité international
45:14de la Croix-Rouge vient aussitôt
45:16s'enquérir de l'état de santé des prisonniers.
45:18En plus
45:20de Robert Bonnet et des autres militaires,
45:22étaient détenus six civils.
45:24Un directeur d'école,
45:26un instituteur, un cultivateur,
45:28un chauffeur routier,
45:30un charpentier et un employé.
45:32À part quelques articles
45:34dans la presse d'Alger,
45:36on ne fait pas grand cas de cette libération.
45:38Ce sont les photographes militaires
45:40qui opèrent et laissent deviner
45:42l'ampleur des souffrances endurées.
45:46Vous étiez combien dans votre groupe ?
45:50Alors nous, au début,
45:52je dis bien, au début,
45:54quand on a été fait prisonnier,
45:56il y avait été dix militaires
45:58du poste de la Ourane.
46:00Dix.
46:02Sur les dix,
46:04il y en a trois qui sont revenus.
46:06C'est-à-dire ?
46:08Trois qui sont revenus en vie,
46:10qui ont été libérés.
46:12Les autres, ils sont morts sur place.
46:14Sept.
46:16Sur les sept,
46:18j'en ai enterré trois.
46:20Donc quatre.
46:22Ça se passait comment ?
46:26On faisait un trou
46:28et on les mettait dedans
46:30et puis c'est tout.
46:32C'est bien simple.
46:34Pendant deux, trois, quatre jours,
46:36je sentais le mort.
46:38Parce que,
46:40et on y reviendra peut-être,
46:42mais l'hygiène était déplorable.
46:44Pendant deux, trois jours,
46:46je sentais le mort.
46:48L'odeur du mort sur moi.
46:50Ça,
46:52j'ai toujours...
46:54D'ailleurs,
46:56comment dirais-je ?
46:58Quand on enterre des gens
47:00comme ça,
47:02ça...
47:04C'est bien simple,
47:06quand je vais au Monument aux Morts,
47:08pour les cérémonies officielles,
47:10au moment où
47:12ça sonnerait au Mont Rotenti,
47:14je ne suis plus afro-antillien.
47:20Je suis...
47:22de l'autre côté.
47:34Appelés et engagés
47:36continuent à être envoyés régulièrement en Algérie.
47:38Au total,
47:40ils sont 1 700 000 soldats français
47:42à avoir foulé le sol algérien.
47:44En dépit de la répression,
47:46le FLN fait toujours des prisonniers.
47:48Certains vont rester détenus longtemps.
47:50Très longtemps.
47:521037 jours.
47:54De détention.
47:56Voilà.
47:58C'est précis, hein ?
48:00J'imagine qu'on s'en souvient.
48:021037 jours.
48:14Cultivateurs en Chine
48:16Cultivateurs en Champagne,
48:18Maurice Lenfroy est appelé
48:20en juillet 1957.
48:22Capturé deux ans plus tard,
48:24il passe près de trois ans de captivité au Maroc.
48:26On a gardé l'espoir,
48:28parce que
48:30ceux qui nous gardaient,
48:32c'était des anciens
48:34de France
48:36et de l'armée française.
48:38Ils étaient gradés dans l'armée française,
48:40ils étaient médaillés dans l'armée française,
48:42et c'était eux qui nous gardaient,
48:44mais c'était des chibanis,
48:46des vieux.
48:48Et ils étaient vachement sympas avec nous.
48:52Ce qui nous donnait l'espoir de revenir un jour.
48:54Qu'est-ce qu'ils vous disaient ?
48:56On parlait comme ça,
48:58de leur travail qu'ils faisaient.
49:00Il y en a qui travaillaient dans les mines du Nord.
49:02Les premières libérations
49:04interviennent comment ?
49:06C'est-à-dire, au bout de six mois,
49:10ils sont venus
49:12les piller en militaire, tous,
49:14avec un brassard
49:16du croissant rouge.
49:20Et puis,
49:22je ne sais plus vers quelle heure, c'était le soir,
49:24ils sont venus chercher,
49:26mais il y en a deux qui ont parti,
49:28puis moi j'ai resté.
49:30Vous, vous êtes resté ?
49:32Oui.
49:34J'étais resté tout seul.
49:38J'étais trois mois tout seul, là.
49:40Je vous garantis
49:42que c'était pénible.
49:46J'étais moins gros qu'aujourd'hui.
49:50Mais est-ce que...
49:52Comment vous expliquez,
49:54quand vos camarades s'en vont
49:56et que vous, vous restez,
49:58comment vous expliquez ça ?
50:00On ne pense à rien.
50:02Pourquoi ?
50:04C'est tout.
50:06Maurice L'Enfroi
50:08ignore qu'il est devenu monnaie d'échange
50:10contre un officier de la Hélène.
50:16Le commandant Ben Cherif,
50:18membre du comité national de la révolution algérienne,
50:20fait prisonnier
50:22le 25 octobre 1960
50:24par l'armée française
50:26et condamné à mort par un tribunal militaire.
50:28Tous deux sont au cœur
50:30d'un bras de fer
50:32entre le FLN
50:34et le plus haut niveau
50:36de l'État français.
50:38Le général de Gaulle,
50:40qui a fini par entamer
50:42des négociations
50:44avec le gouvernement provisoire
50:46de la République algérienne,
50:48suit personnellement le dossier
50:50du prisonnier français.
50:52Son premier ministre,
50:54Michel Debré,
50:56nul soldat français
50:58ni le maquisard algérien
51:00ne sont libérés.
51:06Les négociations,
51:08entamées deux ans plus tôt
51:10sur l'avenir de l'Algérie,
51:12aboutissent enfin.
51:14Première étape vers l'indépendance,
51:16un accord de cesser le feu
51:18est signé à Evian
51:20entre les représentants du GPRA
51:22et les représentants du gouvernement français.
51:24L'article 11 prévoit
51:26que tous les prisonniers
51:28faits au combat
51:30seront libérés dans les 20 jours.
51:32La France commence
51:34à libérer les siens.
51:36Le commandant Ben Cherif
51:38fait partie des premiers
51:40à recouvrer la liberté.
51:42Mais côté algérien,
51:44certains responsables
51:46refusent d'appliquer
51:48les accords d'Evian
51:50et Maurice Lenfroy
51:52à la fin du 9 mai 72.
51:54Nous ne pouvons malheureusement
51:56avoir d'espoir excessif
51:58mais nous agissons en leur faveur
52:00jusqu'au dernier espoir.
52:02Oui parce que c'était signé
52:04à la fin de la guerre et puis
52:06on n'était pas libérés.
52:08Alors que la guerre était finie ?
52:10Oui.
52:12C'était signé.
52:14Mais c'était pas fini.
52:16Des semaines après le cesser le feu,
52:18la France attend toujours le retour
52:20aux armes civiles et militaires
52:22portées disparues et présumées prisonniers.
52:26Le premier ministre Georges Pompidou
52:28qui succède à Michel Debré
52:30annonce un ultime bras de fer.
52:32Le gouvernement a suspendu
52:34la libération des prisonniers FLN
52:38afin d'avoir en main
52:40un gage solide
52:42pour la suite
52:44des démarches en ce domaine.
52:46Mais le gouvernement Pompidou
52:48ignore que sur les centaines
52:50de disparus, il ne reste
52:52que quelques survivants.
52:54En mai 1962,
52:56seuls quatre prisonniers
52:58gardés au Maroc sont finalement libérés.
53:00Parmi eux, Maurice Lenfroy.
53:02On a été
53:04au Val-de-Grâce.
53:06Ça a duré
53:0810 minutes.
53:10On nous a questionné
53:12de savoir si on était malade ou pas malade.
53:14Et après,
53:16on nous a envoyés
53:18chez nous comme des malpropres
53:20parce qu'il n'y avait aucune autorité
53:22civile ni militaire
53:24pour nous accompagner
53:26chez nous.
53:30Si en France,
53:32on est pressé de tourner la page,
53:34en Algérie,
53:36l'indépendance est célébrée dans la liesse.
53:44Trois mois plus tard,
53:46Ahmed Benbella, premier président
53:48de la République algérienne,
53:50est reçu à Washington par le président Kennedy.
53:52Pour le FLN,
53:54la stratégie des prisonniers
53:56s'est révélée payante.
53:58Face à la puissance coloniale
54:00qui leur refusait toute existence,
54:02les Algériens ont su gagner le soutien
54:04de la communauté.
54:06Les prisonniers
54:08ont été libérés.
54:10Les Algériens ont été libérés.
54:12Les Algériens ont été libérés.
54:14Les Algériens ont été libérés.
54:16Les Algériens ont été libérés.
54:18Les Algériens ont été libérés.
54:20Les Algériens ont su gagner le soutien
54:22de la communauté internationale.
54:24Il est dans la vie des peuples
54:26des heures
54:28où le destin
54:30s'arrête
54:32pour choisir son chemin.
54:36Avant l'indépendance,
54:38le gouvernement provisoire
54:40avait même réussi à adhérer aux conventions de Genève,
54:42alors qu'il n'existait pas encore
54:44d'État algérien.
54:46Pas à pas,
54:48les Algériens n'ont pas
54:50obtenu sa légitimité aux yeux du monde.
54:52Ce recours aux textes
54:54et aux institutions internationales
54:56pour obtenir la reconnaissance
54:58d'un peuple en lutte
55:00sera une source d'inspiration
55:02pour d'autres mouvements de libération.
55:04En France,
55:06il a fallu attendre 1999
55:08pour que les opérations
55:10de maintien de l'ordre en Algérie
55:12soient officiellement qualifiées de guerre.
55:14Pour autant,
55:16les Algériens n'ont jamais pu
55:18obtenir un statut spécifique.
55:26J'ai voulu un jour
55:28avoir la médaille des évadés.
55:30On m'a envoyé un questionnaire
55:32en me demandant dans quel stalagme
55:34j'étais.
55:36C'était les imprimés encore ?
55:38Je l'ai.
55:40Dans quel stalagme j'étais ?
55:42Tout un tas de trucs sur les prisonniers
55:44en 1945.
55:52Il y a deux ou trois présidents
55:54d'anciens combattants
55:56qui voulaient me faire avoir
55:58la Légion d'honneur.
56:00Pourquoi on met la Légion d'honneur
56:02à tous les chanteurs
56:04et tout le bazar
56:06et qu'ils ne nous mettent rien ?
56:08A votre avis ?
56:10Guerre, à mon avis,
56:12ça égale prisonnier de guerre
56:14et rien d'autre.
56:16Moi, les médailles,
56:18tout ce qu'on peut me donner,
56:20je m'en fous.
56:22Mais la seule chose que je demande,
56:24c'est que je sois reconnu
56:26prisonnier de guerre du FN.
56:28C'est ce que je suis, d'ailleurs.
56:30Je ne suis pas autre chose.
56:32Sur le millier de civils
56:34et de militaires français
56:36capturés par le FLN,
56:38très peu sont revenus.
56:44La plupart n'ont pas survécu
56:46aux blessures, aux maladies,
56:48à l'épuisement.
56:50Certains ont été exécutés.
56:52Au total,
56:54plus des deux tiers ont disparu.
56:56Négligés pendant les événements,
56:58l'histoire des prisonniers
57:00du FLN a sombré dans l'oubli,
57:02comme si aujourd'hui encore,
57:04on peinait à reconnaître
57:06leur épreuve
57:08et à lui donner du sens.
57:30Musique douce
57:32...
58:00...

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