Thomas Sotto reçoit David Douillet, double champion olympique de judo en 1996 et 2000, ancien ministre des Sports.
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00:00Bonjour et bienvenue dans les 4V, David Douillet, merci d'être là de si bon matin,
00:06parce que c'est que vous vous couchez très tard, puisque vous êtes tous les soirs au micro de nos confrères de RMC.
00:11David Douillet, rappelons-le, double champion olympique en 1996 et en 2000, trois fois champion du monde, champion d'Europe.
00:16Je voudrais pour commencer vous montrer une image qui est toute fraîche, il faut la regarder en l'air cette image, très haut,
00:21pour voir Armand Duplantis, le Suédois de 24 ans, c'était hier soir au Stade de France, 22h17.
00:27Il s'élance pour un dernier essai à 6m25.
00:37Et ça passe, qu'est-ce qu'elle vous raconte cette image, David Douillet ?
00:40Elle me raconte qu'Armand Duplantis est sur le toit du monde de la perche,
00:46il bat son propre record, déjà pour commencer, il était archi-favori pour ses Jeux et il gagne ses Jeux à 6m.
00:55Le record olympique était à 6m03, donc il demande une barre à 6m10.
01:01Et là, il passe à 6m10, donc il bat le record olympique, et on peut se dire,
01:06bon bah tiens, il va s'arrêter là, il va garder le reste pour faire des meetings, etc.
01:12Pas du tout, il tente son propre record, il passe à 6m25.
01:16Ça veut dire que le garçon là, il est là pour la compétition, pour le sport, pour la beauté du geste, et puis pour battre des records, et ça c'est magnifique.
01:24Et ça c'est les Jeux olympiques, et ce qui est magnifique aussi, c'est les deux médailles d'argent et des médailles de bronze qui le soutenaient, qui l'encourageaient, qui le poussaient.
01:30Oui, et puis aussi derrière, Renaud Lavignény, qui était avec ses parents,
01:34Renaud Lavignény, ancien champion olympique, détenteur aussi d'un record du monde à la perche,
01:40qui a été associé avec ses parents, et notamment sur la stratégie pour le mener jusque là, c'est quand même incroyable.
01:45Travail d'équipe. Vous, de toute votre carrière, quel est le souvenir le plus fort que vous gardez ?
01:50C'est les Jeux ?
01:52Oui, oui, oui, ce sont les Jeux, parce que c'est une compétition à part.
01:58D'abord, elle a lieu tous les 4 ans, et puis je peux vous dire que chaque athlète, ça ne ressemble pas à la championnat du monde,
02:04chaque athlète vend très cher sa peau, défend très cher son implication.
02:11Personne ne se comporte de la même manière. C'est beaucoup plus difficile d'obtenir un titre olympique qu'un titre mondial.
02:17Et on met combien de temps à réaliser ce qu'on a fait ?
02:19Ce n'est pas pendant le tourbillon des Jeux qu'on réalise, c'est après coup qu'on s'aperçoit qu'on a performé.
02:24Alors, la première fois, ça fait genre j'en ai gagné plusieurs.
02:28Non, mais vous en avez gagné plusieurs.
02:30La première fois, il faut des mois pour réaliser. En réalité, on est tellement concentré, on se met dans une bulle pour être le plus efficient possible,
02:38on a du mal à s'extraire de cette bulle et à se rendre compte qu'en réalité, quand vous êtes champion du monde, vous êtes champion dans votre communauté,
02:47quand vous êtes champion olympique, vous êtes champion dans tous les foyers français.
02:51Et quel conseil vous donnez à tous nos médaillés, tous nos champions qui se retrouvent brutalement en pleine lumière ?
02:57D'en profiter, de déguster les instants présents. Ça va changer leur vie diamétralement.
03:04Il faut prendre tout le positif que ça va leur apporter. Il y a un petit peu de négatif.
03:09C'est quoi le négatif ? A quoi il faut faire gaffe ?
03:12Il y a toujours des gens très intéressés. Il y a toujours des gens qui, d'un seul coup, sont attirés par la lumière.
03:17Des gens, quelquefois, pas très recommandables. Et il faut se protéger.
03:23Il faut construire une espèce de cocon autour de vous qui vous protège, de gens qui essayent de vous utiliser, qui essayent de vous attraper.
03:30Ça vous est arrivé à vous, ça ?
03:31Bien sûr, mais ça arrive à tout le monde. D'ailleurs, j'en ai parlé à pas mal d'athlètes.
03:36Je leur disais, attention, attention aux piques-assiettes.
03:39Aujourd'hui, votre fils du judo s'appelle Teddy Riner. Mais est-ce qu'il y aurait eu Teddy Riner s'il n'y avait pas eu David Douillet avant ?
03:45De la même manière, est-ce qu'il y aurait eu Zidane s'il n'y avait pas eu Platini ou Coppa avant ?
03:48Ça, je ne peux pas y répondre. Toujours est-il que ce qui est génial, c'est que le témoin, les générations s'enchaînent.
03:57Moi-même, j'ai eu quelqu'un qui a allumé cette flamme en moi, qui s'appelle toujours Fabien Canut,
04:03qui est le patron de l'INSEM, qui était venu dans mon club lorsque j'étais gamin.
04:06Lorsqu'il m'avait raconté, lorsqu'il nous avait raconté sa vie de champion, il a allumé cette flamme.
04:13Duplantis, on en parlait, Armand Duplantis, il regardait Gosse, Renaud Lavillény, et il a rêvé en voyant Renaud sauter et son style.
04:22Vous Teddy Riner, vous l'avez croisé au PSG. Il était un gamin.
04:24Ah bah oui, oui. Il m'arrivait là. Maintenant, c'est un petit peu l'inverse.
04:28Comment il fait pour avoir encore faim à 35 ans ? Vous l'imaginez à Los Angeles dans 4 ans, vous ?
04:32Moi, je l'imagine parce que…
04:3439 ans dans 4 ans.
04:35Oui, 39 ans. Mais ce n'est pas une question d'âge. D'abord, c'est une question d'envie.
04:38Ça, c'est la première chose. Il n'y a que lui qui peut gérer ça. Mais surtout, c'est le physique.
04:43La seule contrainte qu'un athlète, lorsqu'il a toujours envie, peut avoir, c'est son physique.
04:49Or là, et c'est ce qu'il a fait jusqu'à maintenant, parce que même, je peux vous dire que d'arriver là à 35 ans, c'est déjà un exploit.
04:55Parce que nous, on voit la face immergée de l'iceberg, mais la vie d'un sportif de haut niveau, ce n'est pas la fête.
05:00Je dirais, j'oserais dire que les Jeux Olympiques, c'est la cerise sur le gâteau.
05:04C'est la récompense pour un athlète de haut niveau, pour un compétiteur. Le fait de participer à une compétition, c'est sa récompense.
05:10Le plus dur, c'est le quotidien, c'est la routine, c'est le sac qu'il faut emmener, le kimono qu'il faut enfiler,
05:17les centaines de kilomètres qu'il faut courir, les tonnes qu'il faut soulever, les milliers de répétitions de mouvements.
05:24C'est ça le plus dur.
05:25Et le risque, c'est qu'on oublie tout ça, qu'on s'habitue, qu'on banalise les victoires de Riner, non ?
05:29Oui, c'est ça qui est dommage.
05:30Comme celle de Léon Marchand, d'ailleurs.
05:31Bien sûr, j'ai entendu souvent dire « Ah, il n'a remporté que la médaille de bronze », par exemple.
05:37Mais vous ne vous rendez pas compte de ce que c'est que d'être médaille olympique ?
05:40Ne serait-ce que d'être médaille olympique, c'est contrat rempli, c'est quelque chose d'immense que de monter sur un podium, déjà, en tant que tel.
05:47Je vais vous poser la question la plus absurde du jour.
05:49Mais si on mettait sur un tatami Teddy Riner et le David Douillet de 2000 ou de 1996, qui gagnerait ?
05:56Vous ne pouvez pas demander ça à un compétiteur.
05:59C'est une question...
06:01Vous pensez que vous auriez vos chances ?
06:03Évidemment !
06:05C'est normal.
06:06Je voudrais qu'on revoie une image aussi qui dit beaucoup du sport et de l'esprit olympique et de l'esprit des judokas, notamment.
06:11C'est le japonais Tatsuo Saito, deux fois battu par Riner, en individuel et puis en équipe.
06:15Il a fini les larmes aux yeux, il a dit « J'ai l'impression que je ne peux pas retourner au Japon ».
06:19Dans ces moments-là, le sport, il est impitoyable et d'une cruauté absolue, aussi.
06:23Oui, mais c'est ce qui fait aussi qu'il est beau.
06:26C'est cette dureté, c'est le tranché, c'est toute la difficulté de la compétition.
06:31Et surtout, par rapport à la philosophie japonaise, la psychologie japonaise, pour lui, ça va être un peu compliqué.
06:38Il a eu un papa illustre, qui a été lui-même champion olympique.
06:42Il est jeune, il a encore le temps de progresser.
06:45On aura le temps d'en revenir là-dessus.
06:47Mais malgré tout, vous savez, en discutant avec Clarisse, avec Roman, qui étaient programmés pour l'or et qui n'ont qu'une médaille de bronze,
06:56ils se rendent compte de la difficulté et ce ne sont pas forcément des échecs.
07:00Et sur ce type d'échecs-là, lorsqu'on rate un petit peu, on construit les futures victoires, je vous assure.
07:05Votre coup de cœur des Jeux, vous n'avez pas le droit de répondre ni Léon Marchand ni Teddy Riner.
07:08Aïe, ça va être dur.
07:11Mon coup de cœur des Jeux, c'est un moment en fait.
07:15C'est un moment où, en finale des équipes mixtes judo, on est à égalité avec le Japon.
07:26Et vous avez un tirage au sort de la catégorie qui doit recombattre.
07:30Pour savoir qui va jouer le dernier match.
07:32Et c'est ce moment-là précisément.
07:34Dans ma tête, je me dis, mais quel scénario !
07:36S'il avait fallu qu'on écrive ce scénario, on n'aurait pas osé le faire.
07:40Tellement c'est dingue.
07:41Et je vois cette roulette, les catégories de poids qui défilent.
07:45Bon, secrètement, j'avais envie que ce soit Teddy.
07:48Et je vois sa catégorie partir, partir, partir.
07:51Et d'un coup, pouf, elle tombe.
07:52Je me dis, mais c'est pas possible.
07:53C'est juste incroyable.
07:55Et à côté de moi, j'avais le président de la fédération japonaise de judo.
07:58Là, je l'ai regardé, et il m'a fait...
08:01Et je lui ai fait, bah oui, c'est comme ça.
08:03Il n'y avait pas de gruge possible sur ce tirage au sort ?
08:05Impossible.
08:06C'est bon de le dire.
08:07Non, non, totalement impossible.
08:08Vous avez eu plusieurs vies, ministre des Sports ou Nicolas Sarkozy.
08:10En émotion, ça apporte quoi, la politique, par rapport au sport ?
08:13Ah, c'est autre chose.
08:14Là, on est dans le cœur du réacteur pour faire des choses,
08:17pour être dans l'action, pour améliorer,
08:19pour faire en sorte que ces témoins qui m'ont été passés,
08:24qu'on a nous-mêmes passés, notre génération,
08:27puissent encore perdurer, perdurer.
08:29Pourquoi vous ne voulez plus faire la politique, alors ?
08:31Parce que moi, je considère qu'en politique,
08:33il faut que ce soit borné dans le temps, dans une vie.
08:36Voilà.
08:37Moi, j'avais décidé de ne pas dépasser 10 ans.
08:39J'ai respecté mon contrat personnel,
08:41parce qu'on doit avoir une vie avant,
08:44on doit avoir une vie après.
08:46Ne faire que de la politique,
08:47je ne suis pas sûr que ce soit forcément très sain.
08:49Si on vous appelle, quel que soit le nouveau Premier ministre
08:51ou la nouvelle Première ministre, pour dire « tu reviens, tu viens faire le... »
08:53Je dirais « bonjour » et j'essaierai de trouver une idée
08:56pour trouver quelqu'un qui sera plus efficient que moi.
08:59Dernière question.
09:00Où est-ce que vous la mettriez, la vasque olympique, après les Jeux ?
09:02Celle qui est au-dessus de Réiki.
09:03Je la laisse là.
09:04Il faut la laisser là ?
09:05Je la laisse là.
09:06Pour toute la vie ?
09:07Bien sûr.
09:09Je crois qu'il y aura un débat, on le voit d'ici, sur le palais éphémère.
09:12Il s'est passé tellement de choses ici.
09:14Là où il y avait les compètes de judo ?
09:16En particulier.
09:17Mais je trouve que maintenant, les Jeux ont...
09:20Comme la tour Eiffel, lors de l'exposition universelle.
09:24On devait la démonter, elle est toujours là, elle est toujours belle.
09:27Voilà, ça fait partie maintenant de l'histoire de Paris.
09:30Donc, mesdames et messieurs, ne touchez pas à la vase,
09:31sinon vous allez avoir à faire à David Douillet.
09:33Merci d'être venu dans les 4V.
09:34Merci.
09:35Merci également à Sophie Charbet qui a traduit cette interview en langue des signes.
09:38Je rappelle que vous retrouvez sur RMC tous les jours, le midi et le soir.