Offensive ukrainienne et attaque de drones à Moscou : le point sur l'évolution du conflit entre l'Ukraine et la Russie

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00:00Et nous sommes donc en ligne avec Guillaume Ancel, bonjour, merci de répondre à France 24.
00:04Vous êtes ancien officier de l'armée française, vous avez écrit plusieurs ouvrages,
00:08dont Saint-Cyr à l'école de la Grande Muette, c'est paru chez Flammarion.
00:12D'abord, comment est-ce que vous analysez cette tentative d'attaque au-dessus de Moscou ?
00:17Kiev n'a rien revendiqué, est-ce annonciateur d'une nouvelle étape ?
00:21Oui, clairement, on est rentré dans cette nouvelle étape avec l'offensive contre la région russe de Kursk.
00:29En fait, jusqu'à cette offensive qui a commencé le 6 août, il y a déjà plus de deux semaines,
00:33tout le monde pensait que la situation était pliée pour l'Ukraine.
00:37Vous l'avez très bien montré dans le sujet,
00:40le rouleau compresseur qui ressemble à celui des soviétiques avance inexorablement dans le Donbass,
00:46de quelques kilomètres seulement par jour, mais avec des pertes effroyables et sans jamais s'arrêter.
00:52Et donc on pensait que les Ukrainiens n'auraient pas d'autre sort que de céder le Donbass.
00:56En réalité, quand ils ont lancé cette offensive surprise,
01:00ils ont bien sûr créé un choc, un choc psychologique pour les Russes
01:05qui n'ont jamais été attaqués sur leur territoire depuis la Deuxième Guerre mondiale.
01:09Poutine a immédiatement essayé de minimiser cette offensive en la présentant comme une incursion terroriste.
01:16Et là, on est dans la prolongation de ce retour de la guerre sur le territoire russe avec une attaque de drones,
01:24au moins une quarantaine de drones cette nuit qui ont ciblé des objectifs militaires,
01:29mais y compris dans la région de Moscou et qui montrent à la Russie que la guerre s'est invitée sur son territoire.
01:37Et en fait, c'est ça pour moi que veut montrer le président ukrainien Zelensky,
01:42c'est qu'il a déplacé la guerre sur le territoire russe.
01:47On reste quand même dans un effet psychologique.
01:49On voit mal les Ukrainiens, là, engager une offensive sur la capitale.
01:54Oui, clairement, si les Ukrainiens voulaient envahir la Russie qui fait 17 millions de kilomètres carrés,
02:01ce n'est pas avec les 1000 kilomètres carrés qu'ils ont conquis en deux semaines dans la région de Kours
02:05qu'ils pourraient l'espérer.
02:07Ce n'est pas du tout ce qu'ils visent, effectivement.
02:09Et ce ne sont pas forcément des objectifs militaires stratégiques.
02:13Le but pour eux, c'est de montrer aux Russes le miroir de ce qu'ils font en Ukraine,
02:19qui aujourd'hui, en Russie, pourrait reprocher aux Ukrainiens d'avoir bombardé, y compris Moscou,
02:26puisque c'est ce qu'ils font depuis 30 mois au quotidien contre l'Ukraine.
02:31En fait, les citoyens russes étaient à peu près persuadés par la propagande de Poutine
02:36que cette guerre était une guerre de libération contre les nazis.
02:39Le problème, c'est que là, ils découvrent que de vouloir envahir son voisin, c'est une chose.
02:43De risquer d'être envahi, en tout cas d'être sous la guerre à cause de lui,
02:48c'en est une autre.
02:49Il y avait déjà eu, si ma mémoire est bonne, des attaques de drones sur la capitale russe,
02:57tout près du Kremlin, je crois.
02:59Qu'est-ce qui a changé depuis ?
03:01Alors, l'attaque que vous évoquez, qui avait eu lieu à deux reprises, en fait, était très limitée.
03:06C'était un ou deux drones qui avaient été interceptés.
03:09On s'était même posé la question à un moment de savoir si ce n'était pas les Russes eux-mêmes
03:12qui avaient mis en scène cette soi-disant attaque.
03:15Là, ce qui change, c'est qu'en fait, les Ukrainiens passent leur temps à frapper
03:20là où les Russes ne s'y attendent pas.
03:22En fait, les Russes se comportent comme Goliath et ils sont face à David.
03:27Si David voulait arrêter Goliath dans le Donbass, il n'en a pas la puissance.
03:32L'armée russe est quatre fois plus importante que l'armée ukrainienne.
03:35Mais quand David frappe là où on ne l'attend pas, dans la région de Koursk, à Moscou,
03:39sur des bases militaires qui ne sont pas assez bien défendues,
03:42là, les Russes sont très perturbés alors que les Russes, comme les Ukrainiens,
03:48savent qu'à un moment ou un autre, ils devront négocier une sortie de cette crise.
03:53Et le but pour les Ukrainiens, c'est que ce ne soit surtout pas une capitulation,
03:57c'est-à-dire qu'ils aient de vraies cartes à mettre sur la table de discussion.
04:01Donc, on est en train de préparer la suite des négociations à paraître en position de force
04:06alors qu'il y a un balai diplomatique qui se remet en place.
04:08Le Premier ministre indien qui est attendu à Kiev,
04:11le Premier ministre chinois qui est aujourd'hui à Moscou ?
04:14Très vraisemblablement, ces discussions commenceront par les échanges de prisonniers.
04:18Les Ukrainiens ont fait des centaines de prisonniers russes dans la région de Koursk,
04:22région de Koursk dans laquelle, donc maintenant,
04:25plus de deux semaines après le début de leur opération,
04:28les Ukrainiens continuent à progresser.
04:30Et donc, ils utiliseront cet échange de prisonniers pour amorcer une première discussion.
04:36Je ne serais pas étonné que cette discussion aille bien au-delà
04:40parce qu'en l'état, les Ukrainiens ont parfaitement conscience
04:43qu'ils n'ont pas les moyens de chasser l'intégralité de l'armée russe
04:47qui a envahi 18% de leur territoire.
04:49Mais les Russes ont conscience qu'ils n'ont pas les moyens d'aller au-delà du Donbass.
04:53Pour revenir sur Koursk, comment vous analysez la réaction des Russes ?
04:58Visiblement, ils n'arrivent pas à faire reculer les Ukrainiens.
05:00Ça fait 15 jours que cette incursion, cette offensive des Ukrainiens a commencé.
05:06Il y a la volonté de dissimuler la réalité pour Poutine ?
05:11Oui, et surtout, Poutine veut minimiser l'importance du fait.
05:15Comme il a échangé à sa société, finalement, une espèce de contrat de
05:20« je suis d'une brutalité, d'une violence absolue,
05:23mais je vous garantis la sécurité et la puissance de la Russie »,
05:26c'est inacceptable pour lui de dire que la Russie a pu être envahie en plus
05:32par un pays qu'il a lui-même cherché à soumettre depuis deux ans et demi.
05:36Mais au-delà du discours de minimisation, il y a aussi une volonté de la part des Russes
05:41de ne pas tomber dans le piège que leur tendent les Ukrainiens,
05:44qui serait de dégarnir le front, notamment dans le Donbass,
05:48et de risquer une contre-attaque.
05:50Donc les Russes sont obligés de faire extrêmement attention
05:53à la manière dont ils vont déplacer ou pas leurs meilleures unités,
05:56qui aujourd'hui sont dans le Donbass, qui est à plus de 700 kilomètres par la route.
06:01Ils savent que si jamais ils réagissent trop fortement à cette opération,
06:06les Ukrainiens leur tendent forcément d'autres surprises.
06:10On voit, pendant que vous parliez Guillaume Ancel,
06:12Poutine arriver hier soir en Tchétchénie,
06:15République russe du Caucase, qui est dirigée d'une main de fer par son allié Ramzan Kadyrov.
06:22Il n'était pas rendu sur place depuis 2011, le président russe.
06:25Qu'est-ce qu'il vient chercher au juste ?
06:28Il vient surtout afficher une forme de déni.
06:31Vous voyez, normalement, dans une crise comme celle actuelle,
06:34il aurait dû aller dans la région de Kours pour rassurer les gens,
06:37pour leur montrer qu'il ne mobilisait tous les moyens pas du tout.
06:40Il va en Tchétchénie, qui n'a absolument aucune importance pour le pouvoir russe,
06:45qui sont juste des vassaux,
06:46mais pour bien montrer qu'il n'est pas préoccupé par la situation militaire.
06:50Ce qu'il veut passer comme message, c'est ne vous inquiétez pas,
06:54cette petite incursion terroriste des Ukrainiens, nous l'écraserons facilement.
06:58Et ce que les Ukrainiens veulent passer comme message,
07:01c'est bien au contraire, vous avez voulu nous faire la guerre,
07:05et bien nous, nous déplaçons la guerre sur votre territoire.
07:09Un mot du président Zelensky, qui fait part de sa lassitude en début de semaine,
07:14il veut obtenir le feu vert des Occidentaux
07:17pour utiliser leurs armes à longue portée en territoire russe.
07:20Est-ce qu'il a raison ?
07:22Est-ce que ça changerait quelque chose tactiquement ?
07:25En fait, il est très logique.
07:28Ce que le président Zelensky réclame, c'est de pouvoir se battre contre les Russes
07:31avec une main qui n'est pas attachée dans le dos par ses alliés.
07:34Il y a 54 pays qui soutiennent l'Ukraine.
07:37Et aujourd'hui, ces pays alliés, ou plutôt jusqu'au 6 août,
07:40ces pays alliés refusaient que les Ukrainiens utilisent des armes occidentales
07:44pour frapper le territoire russe.
07:46Puis finalement, ils l'ont accepté avec l'offensive contre Koursk,
07:49que tous les alliés connaissaient bien sûr,
07:51parce qu'on est dans la zone frontalière.
07:53Et ils estiment que finalement, c'est une zone tampon par rapport à la frontière.
07:57Mais ce que Zelensky dit, c'est,
07:59attendez, les Russes nous frappent tous les jours,
08:02y compris à des centaines de kilomètres de la zone de front,
08:05pourquoi est-ce que nous, on ne peut pas faire la même chose ?
08:08Vous nous empêchez de nous battre à armes égales.
08:11Et donc, en frappant avec des drones aujourd'hui,
08:14ce que les Ukrainiens ont voulu montrer,
08:16c'est que ça n'était pas une ligne rouge,
08:19et que demain, ils devraient le faire avec des missiles Scalp, Storm Shadow ou JA-2SM,
08:24l'équivalent du Taurus fourni par les Américains.
08:27Ce qu'ils doivent montrer, c'est qu'il faut qu'on laisse les Ukrainiens se battre à armes égales contre les Russes.
08:33Et c'est un argument qui pourrait faire mouche, qui pourrait faire évoluer les Occidentaux ?
08:37Oui, très clairement.
08:38On se souvient qu'il y a encore un an et demi,
08:41on se posait tous la question de,
08:43est-ce qu'on a le droit de fournir du matériel militaire occidental
08:46sans que les Russes ne nous menacent d'armes nucléaires ?
08:50Aujourd'hui, l'armée ukrainienne est dans une région russe,
08:53elle bombarde Moscou,
08:55et le pouvoir de Poutine montre juste son extraordinaire fragilité.
09:00Merci infiniment, Guillaume Ancel, pour votre analyse toujours aussi limpide.
09:04Je rappelle le titre de votre ouvrage,
09:06Saint-Cyr à l'école de la Grande Muette,
09:09paru chez Flammarion.

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