Jacques Audiard, réalisateur français renommé, a récemment donné une masterclass où il a partagé son expérience et sa vision du cinéma.

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Son dernier film "Emilia Pérez"
Audiard est revenu sur son dernier long-métrage "Emilia Pérez", présenté au Festival de Cannes 2023. Ce film marque une nouvelle direction dans sa carrière, puisqu'il s'agit d'une comédie musicale, un genre qu'il n'avait jamais exploré auparavant.
Son approche cinématographique
Le réalisateur a mis en avant son approche expérimentale du cinéma. Il a notamment évoqué sa collaboration avec la monteuse Juliette Welfling, soulignant l'importance du montage dans son processus créatif.
Évolution de sa carrière
Audiard a parlé de son parcours cinématographique, depuis ses débuts jusqu'à ses films plus récents comme "Un Prophète" et "Dheepan". Il a expliqué comment il cherche constamment à se renouveler et à explorer de nouvelles formes cinématographiques.
"Emilia Pérez" : un tournant
Le réalisateur a décrit "Emilia Pérez" comme potentiellement son meilleur film à ce jour. Cette comédie musicale, qui aborde des thèmes comme le trafic de drogue au Mexique et la fluidité des genres, a été saluée par la critique lors de sa présentation à Cannes. Cette masterclass a offert un aperçu fascinant de la méthode de travail d'Audiard et de son évolution en tant que cinéaste, toujours en quête de nouveaux défis artistiques.
Transcript
00:00Générique
00:29Bienvenue dans Cineau Canap Masterclass, votre nouveau programme de cinéma.
00:33Nous recevons aujourd'hui le cinéaste Jacques Audiard, à qui l'on doit un prophète,
00:37Dippane ou les Olympiades.
00:39Son dernier film, Emilia Perez, suit un narcotrafiquant mexicain bien décidé à devenir une femme.
00:45Auréolée du prix du jury et du prix d'interprétation féminine au dernier Festival de Cannes,
00:50Emilia Perez est un film fou, hybride, quasi-expérimental et qui traverse tous les genres.
01:00Madame ?
01:01Oui ?
01:08Sais-tu qui je suis, madame ?
01:11Manitas del Monte,
01:13tu as un cartel,
01:14tu as le marché des drogues,
01:16et qui peut t'aider, monsieur Del Monte ?
01:21Je veux être une femme.
01:23Je sais que je dois laisser beaucoup de choses derrière.
01:30C'est mon seul espoir de vivre toute ma vie.
01:34Manitas ?
01:37Manitas est parti.
01:38Je suis Emilia Perez.
01:42Je regrette beaucoup de choses.
01:44Je veux faire le bien.
01:54C'est la première fois que je vois moi-même.
01:58Ne pense pas.
01:59De temps en temps,
02:00dans tout ce qu'a fait Manitas.
02:06Je ne sais plus qui est Manitas.
02:13Rencontre avec Jacques Audiard lors du dernier Sofim Summer Camp,
02:16le festival du magazine Sofim.
02:24Bonsoir Jacques Audiard.
02:38Bonsoir.
02:39Merci d'être avec nous ce soir.
02:40On est honoré.
02:41C'est un plaisir.
02:42Est-ce que concernant Emilia Perez,
02:44vous pouvez nous raconter comment le projet a pris la forme d'une comédie musicale ?
02:50Je crois qu'initialement,
02:51vous pensiez davantage à un opéra.
02:53J'ai lu un roman de Boris Razon,
02:57qui s'appelle Écoute.
02:59Et dedans, il y avait un chapitre
03:01qui traitait d'un personnage de narco
03:03qui voulait devenir une femme.
03:05J'ai tourné les pages,
03:07les chapitres,
03:09et l'auteur n'en faisait rien.
03:11J'ai appelé l'auteur et je lui ai dit,
03:13je vais prendre cette idée-là.
03:15Je l'ai développé à ma façon.
03:17Ce qui s'est passé,
03:19le premier jet que j'ai fait,
03:22qui devait faire une trentaine de pages,
03:24était sous forme d'opéra.
03:27J'aurais du mal à expliquer pourquoi.
03:29C'était sous forme d'opéra,
03:30c'était divisé en actes.
03:32Les personnages étaient très archétypaux.
03:34Le temps passait vraiment par ellipse,
03:37par tableau.
03:38Ça a duré assez longtemps,
03:39cette idée d'opéra,
03:41à tel titre qu'il a fallu,
03:43je ne sais pas,
03:44au bout de 6, 7, 8 mois de travail
03:46avec les musiciens,
03:47avec Clément Ducolle,
03:48parce qu'un jour,
03:49on retourne à la maison,
03:50on parle,
03:51et je lui dis,
03:52mais maintenant,
03:53qu'est-ce qu'on fait ?
03:54On fait un opéra ?
03:55On fait une comédie musicale ?
03:56Il me répond,
03:57une comédie musicale.
03:58En fait,
03:59je crois que c'est parce que
04:00l'opéra,
04:01il me devait écrire
04:02deux heures de musique de plus.
04:03Surtout,
04:04c'était ça,
04:05je pense,
04:06la chose décisive.
04:07C'est amusant parce que je trouve
04:08qu'on retrouve des éléments d'opéra
04:09dès vos premiers films.
04:10Un héros très discret,
04:11c'est déjà très opératique.
04:12Un héros très discret,
04:13je travaillais à l'époque
04:14avec Alexandre Desplat,
04:15et on avait caressé,
04:16pendant un bon moment,
04:17l'idée de faire
04:18d'un héros très discret,
04:19un petit opéra,
04:20un petit opéra,
04:21un peu à la
04:22Nixon in China,
04:23ou à la Brèche,
04:24l'opéra de Katsou,
04:25ou alors une chose
04:26qui m'avait beaucoup marqué
04:27qui était une réduction
04:28de Carmen,
04:29de Peter Brook,
04:30une petite forme.
04:31On ne l'a pas fait,
04:32mais il reste dans le film
04:33des espèces de choses.
04:34Un quintet intervient régulièrement
04:35pour chapitrer le film.
04:36C'est ça,
04:37c'est ça,
04:38c'est ça,
04:39c'est ça,
04:40c'est ça,
04:41un quintet intervient
04:42régulièrement
04:43pour chapitrer le film.
04:44Vous avez l'impression
04:45que c'est l'un des fils rouges,
04:46quelque part,
04:47de votre filmographie,
04:48cette dimension mélomane
04:49qu'on retrouve quasiment
04:50dans tous vos films ?
04:51C'est-à-dire ?
04:52C'est-à-dire que la musique
04:53y a une place plus qu'importante,
04:54même dans la forme.
04:55Il y a même une chose,
04:56c'est que pour moi,
04:57c'est très important la musique,
04:58et qu'à un certain moment,
04:59je pense avoir un rapport
05:00musical avec la fabrication
05:01du film,
05:02notamment,
05:03parce que,
05:04je pense que,
05:05je pense avoir
05:06un rapport musical
05:07avec la fabrication du film,
05:08notamment,
05:09parce que,
05:10notamment au montage.
05:11Est-ce que,
05:12en tant que cinéaste,
05:13en approchant ce sujet,
05:14vous avez ressenti
05:15une responsabilité particulière
05:16à l'idée de représenter
05:17des personnes transgenres ?
05:18Est-ce que ça a été
05:19une responsabilité pour vous ?
05:20Oui,
05:21c'est une responsabilité.
05:22D'une manière générale,
05:23représenter quelqu'un,
05:24c'est une responsabilité.
05:25Alors,
05:26je vois bien
05:27ce que ça peut être,
05:28très actuel,
05:29c'est une chose
05:30un peu brûlante même.
05:31Mais,
05:32après tout,
05:33je ne sais plus
05:34qui a dit,
05:35échangerait idées
05:36sur ce sujet.
05:37Je ne sais plus
05:38qui a dit,
05:39échangerait idées
05:40éreintes
05:41contre idées éreintes.
05:42Ça doit être Breton,
05:43je crois.
05:44Je préfère les idées éreintes
05:45aux idées éreintes.
05:46Et du coup,
05:47cette responsabilité,
05:48comment est-ce que
05:49vous l'abordez ?
05:50Est-ce qu'il y a
05:51des recherches ?
05:52Est-ce qu'il y a
05:53des discussions ?
05:54Il n'était pas question,
05:55pour moi,
05:56que le rôle d'Emilia
05:57ne soit pas tenu
05:58par une transgenre.
05:59Ce n'était pas
06:00une femme trans.
06:01Ça,
06:02il n'en était absolument
06:03pas question.
06:04Donc,
06:05j'ai fait beaucoup de castings.
06:06Ça a duré assez longtemps
06:07au Mexique.
06:08Et j'étais très satisfait
06:09des actrices que je voyais,
06:10professionnelles ou non-professionnelles.
06:11La transition était
06:12le geste de leur vie.
06:13Et c'est comme si
06:14elles ne pouvaient pas
06:15vraiment se décoller de ça.
06:16Donc,
06:17ça créait des espèces
06:18de choses dans le jeu
06:19qui étaient un peu aberrantes.
06:20Et c'est vrai que
06:21Carla Sofia,
06:22je ne sais pas si c'est moi
06:23qui suis tombé sur elle
06:24ou elle,
06:25si c'est elle
06:26qui m'est tombé dessus,
06:27mais une fois que
06:28j'ai trouvé Carla Sofia,
06:29c'était d'une évidence.
06:30C'était limpide.
06:31C'était absolument limpide.
06:32Et puis,
06:33j'ai trouvé
06:34qu'elle était
06:36C'était absolument limpide.
06:37Parce qu'il y a cette chose
06:38chez Carla Sofia,
06:39c'est que,
06:40avant de s'appeler Carla,
06:41elle s'appelait Karl.
06:42Quand elle était Karl,
06:43quand il était Karl,
06:44il était acteur,
06:45il avait vraiment une carrière.
06:46Et que pour elle,
06:47quand elle a fait sa transition
06:48et qu'elle est devenue Carla,
06:49elle a continué,
06:50en femme,
06:51sa carrière.
06:52Et donc,
06:53la transition
06:54ne donnait aucune place
06:55vraiment dans son jeu,
06:56dans sa vie.
06:57Du coup,
06:58il y a eu
06:59de...
07:00de...
07:01de...
07:02de...
07:03de...
07:04Du coup,
07:05il y a eu des discussions
07:06avec elle sur ce sujet.
07:07Oui, c'était...
07:08C'était...
07:09Comment c'est...
07:10Moi, je suis...
07:11On en parlait tout à l'heure
07:12jusqu'où va la documentation
07:13sur un sujet.
07:14Là,
07:15c'est allé jusqu'à
07:16un certain point.
07:17Mais surtout,
07:18j'avais,
07:19avec Carla,
07:20une interlocutrice
07:21tellement savante
07:22sur le sujet,
07:23tellement juste
07:24là-dessus,
07:25que je me fis à elle.
07:26Quand j'avais...
07:27Quand je me posais
07:28des questions,
07:29des questions sur
07:30qu'est-ce que c'est
07:31que la transition ?
07:32Même,
07:33qu'est-ce que je peux filmer ?
07:34Des choses...
07:35Elle me répond...
07:36C'était des échanges de mails.
07:37Elle me répondait
07:38très carrément.
07:39Et puis, voilà.
07:40Très honnêtement,
07:41c'est pas du tout pour...
07:42Je le dis très simplement.
07:43Sans...
07:44Sans Carla,
07:45il n'y a pas de film.
07:46On va passer
07:47à la première question
07:48de nos amis
07:49de Sens Critique.
07:50J'aurais aimé...
07:51Ils auraient aimé
07:52vous demander
07:53comment vous en êtes venu
07:54à travailler
07:55avec la compositrice Camille
07:56et Clément Ducolle
07:57et comment est-ce
07:58que ça s'est passé
07:59concrètement ?
08:00Ça aussi,
08:01il y a eu
08:02une espèce de...
08:03Il y a quand même
08:04une petite histoire.
08:05Je fais le...
08:06Je fais la tournée de...
08:07Enfin, plutôt,
08:08je...
08:09Je contacte
08:10des musiciens
08:11comme Tom Waits,
08:12Damon Albarn,
08:13qui d'autres encore.
08:14Enfin, des choses égarées,
08:15quoi.
08:16Et à la faveur de...
08:17J'ai un ami,
08:18un grand ami
08:19qui est producteur,
08:20très mailoman,
08:21Philippe Martin.
08:22Et je lui dis...
08:23Je lui pose la question.
08:24Est-ce qu'il connaît
08:25des musiciens,
08:26des trucs comme ça ?
08:27Il me fait une liste,
08:28deux, trois.
08:29Moi, j'ai...
08:30J'ai une liste
08:31de trois.
08:32Puis je dis, tiens,
08:33j'appelle Clément
08:34et ça se fait tout de suite.
08:35Et j'ignorais, moi,
08:36à l'époque,
08:37que Clément était...
08:38était le compagnon
08:39de Camille.
08:40Donc,
08:41d'une pierre,
08:42deux coups.
08:43Hop.
08:44Là,
08:45on a gagné du temps.
08:46Et concrètement,
08:47ça se passe comment ?
08:48Vous vous isolez
08:49avec eux ?
08:50Quelle est
08:51la relation au travail ?
08:52Oui, exactement.
08:53Ça se passe
08:54comme...
08:55Ça se passe un peu
08:56comme un travail
08:57scénaristique.
08:58On s'enferme,
08:59on s'enferme.
09:00Combien de chansons ?
09:01Quelle chanson ?
09:02Quel moment chanter ?
09:03Des choses comme ça.
09:04Voilà.
09:05C'était déterminé, ça.
09:06Et après,
09:07ils se lançaient
09:08sur des maquettes.
09:09Et puis,
09:10on nous faisait écouter...
09:11J'étais avec
09:12Thomas Bidgan,
09:13mon consénariste.
09:14Et on écoutait le soir.
09:15On discutait de ça.
09:16Et puis, hop.
09:17Voilà.
09:18C'était des couches successives.
09:19Et Camille,
09:20elle m'avait demandé
09:21une chose.
09:22Elle,
09:23ce dont elle avait besoin
09:24pour écrire,
09:25c'était ce qu'elle appelle
09:26des hooks,
09:27des hameçons.
09:28Et en fait,
09:30une de mes tâches,
09:31c'était de la fournir,
09:33de lui fournir
09:34trois lignes,
09:35quatre lignes,
09:36comme ça,
09:37dont elle allait s'en parier
09:38et développer.
09:39Donc,
09:40dans la fabrication du film,
09:41il y a eu
09:42une interpénétration permanente,
09:43scénario,
09:44composition,
09:45ça s'est créé ensemble ?
09:46Oui, tout à fait.
09:47Ça, c'était un peu...
09:48On était très, très vierges.
09:50Moi,
09:51je découvrais la chose
09:52en la faisant.
09:53Mais c'est ça.
09:54C'est une espèce
09:55de roue
09:56qui tourne,
09:57qui tourne,
09:58qui tourne.
09:59Quand j'ai découvert
10:00le film à Cannes,
10:01j'ai été frappé
10:02par le fait
10:03que chaque numéro musical
10:04est,
10:05pour vous,
10:06j'ai l'impression,
10:07l'occasion de tester
10:08des choses,
10:09d'un point de vue formel,
10:10dans l'expérimentation.
10:11C'est possible.
10:12C'est une sorte
10:13de laboratoire,
10:14ce film,
10:15quelque part,
10:16pour vous ?
10:17Non, je ne dirais pas ça.
10:18Moi,
10:19il s'avère que j'ai fait,
10:20dans une autre vie,
10:21j'ai fait des clips.
10:22J'ai beaucoup aimé ça.
10:23Donc,
10:24j'avais ce rapport
10:25quand même toujours en tête,
10:26un peu ce rapport
10:27que j'avais.
10:28En fait,
10:29la question
10:30qui s'est posée
10:31à un moment donné,
10:32c'est,
10:33d'où devait venir
10:34l'unité sonore
10:35du film,
10:36la matière sonore
10:37du film ?
10:38Le fait que
10:39on écoute,
10:40on sait où on est,
10:41on est dans
10:42Emilia Perez.
10:43Et moi,
10:44j'étais persuadé
10:45que c'était
10:46les chansons
10:47qui devaient faire ça.
10:48Et en fait,
10:49au bout d'un moment,
10:50j'ai compris une chose,
10:51ça a été vraiment
10:52une révélation,
10:53c'est que
10:54les chansons étaient là
10:55pour amener
10:56du dynamisme,
10:57du contraste
10:58et que c'est la musique
10:59de score
11:00qui devait faire l'unité
11:01de ça.
11:02Et l'idée
11:03de la musique
11:04de score
11:05sur ce film,
11:06c'est de mettre
11:07la voix au centre
11:08du score.
11:09C'est peut-être pas
11:10un laboratoire,
11:11mais j'ai quand même
11:12l'impression que,
11:13en tout cas,
11:14ce que je veux dire par là,
11:15c'est que chaque
11:16moment musical,
11:17il y en a certains
11:18qui sont de l'ordre
11:19du plan séquence,
11:20il y en a d'autres
11:21qui sont beaucoup
11:22plus rythmés,
11:23il y a des expérimentations
11:24formelles sur fond noir,
11:25une mise en danger,
11:26si je puis m'exprimer
11:27comme ça,
11:28en tout cas,
11:29des choses que vous
11:30tentez en tant que cinéaste.
11:31C'est bizarre parce que
11:32mise en danger,
11:33je ne sais pas trop.
11:34Des tentatives,
11:35en tout cas.
11:36Oui, c'est essayer
11:37quelque chose,
11:38c'est échapper
11:39à un ennui,
11:40à quelque chose
11:41comme ça
11:42et donc,
11:43effectivement,
11:44créer de la forme.
11:45Et ça renvoie aussi
11:46à autre chose.
11:47Longtemps,
11:48pendant un bon moment
11:49en tout cas,
11:50j'ai pensé
11:51tourner le film
11:52à partir du moment
11:53où c'était un scénario
11:54et une comédie musicale.
11:55Je pensais le tourner
11:56en décor naturel au Mexique.
11:57Donc,
11:58on est allé là-bas
11:59plusieurs fois,
12:00on a fait des repérages
12:01et tout ça.
12:02Et un jour,
12:03j'ai compris
12:04que c'était une aberration
12:05qu'il fallait retourner
12:06d'une certaine façon
12:07à ce qui était
12:08l'ADN du film,
12:09c'est-à-dire l'opéra
12:10et donc,
12:11le faire en studio.
12:12Et donc,
12:13en studio,
12:14là,
12:15j'arrive à la réponse,
12:16c'est que le studio
12:17motorisait effectivement
12:19des formes,
12:21voilà,
12:22sans lesquelles
12:23j'aurais été
12:24très malheureux.
12:25Donc,
12:26vous avez tourné
12:27en studio en France ?
12:28Oui,
12:29à Brissurman.
12:30Et ça n'aurait pas été
12:31quelque chose de possible
12:32au Mexique,
12:33évidemment ?
12:34En studio au Mexique ?
12:35Non,
12:36même en décor naturel ?
12:37Non,
12:38c'était impossible.
12:39Impossible,
12:40et puis,
12:41ce n'était pas
12:42la forme du film.
12:43C'est un film,
12:44comment,
12:45très stylisé.
12:46C'est un film
12:47qui traverse des genres,
12:48la télé-novella,
12:49le film narco,
12:50le drame musical,
12:51et que,
12:52voilà,
12:53ça change.
12:54Le personnage,
12:55c'est comme la métonymie
12:56du personnage principal,
12:57c'est que le personnage
12:58a changé,
12:59trans,
13:00et le film,
13:01transgenre.
13:02Et ça,
13:03c'était seul le studio
13:04qui me permettait ça.
13:05Vous disiez aussi
13:06que ces diverses
13:07expérimentations,
13:08c'était par peur
13:09de vous ennuyer ?
13:10Vous avez peur
13:11de vous ennuyer
13:12en tant que cinéaste ?
13:13C'est une crainte
13:14que vous avez ?
13:15Ah oui,
13:16bien sûr.
13:17Très bien.
13:18L'ennui,
13:19comment,
13:21l'ennui,
13:22comme la peur,
13:23sont des puissants moteurs.
13:24Moi,
13:25je les connais bien.
13:28Moi,
13:29en tout cas,
13:30c'est ce qui m'a frappé
13:31dans le film,
13:32c'est l'impression
13:33d'avoir douze films
13:34en un,
13:35voire plus,
13:36avec toujours une unité.
13:37Et c'est peut-être
13:38un trait comme ça
13:39que je fais
13:40qui ne va pas vous parler,
13:41mais vous allez me dire,
13:42ça m'a rappelé
13:43ce que j'avais lu
13:44à votre sujet
13:45sur vos films d'adolescence
13:46où vous faisiez des films
13:47très expérimentaux
13:48chez vous.
13:49Comment vous avez
13:50raconté ça ?
13:51C'était du Super 8,
13:52de la pellicule Kodak
13:53Inversible,
13:54des petites cartouches jaunes,
13:55des trucs comme ça.
13:56Et moi,
13:57j'avais une caméra
13:58très rudimentaire,
13:59une Beaulieu,
14:00je ne sais plus combien.
14:01Et en fait,
14:02j'avais commencé
14:03à faire quelque chose.
14:04En fait,
14:05je filmais des films
14:06à la télévision
14:07à basse vitesse,
14:08un truc comme ça,
14:09pour éviter
14:10le balayage.
14:11Quand j'avais
14:12le résultat de ça,
14:13je m'étais dans mon projet
14:14et je me suis dit,
14:15c'est ça,
14:16c'est ça,
14:17c'est ça,
14:18c'est ça,
14:19c'est ça,
14:20je m'étais dans mon projecteur
14:21et je refilmais ça
14:22jusqu'à presque
14:23disparition
14:24de l'image.
14:25Et j'avais fait
14:26une descente
14:27de l'escalier,
14:28une descente
14:29à la cave
14:30de Psychose,
14:31d'Hitchcock,
14:32qui devait durer
14:3320 minutes
14:34ou un quart d'heure,
14:35comme ça.
14:36Donc vous ralentissez
14:37l'image et vous filmez.
14:38Oui,
14:39je ralentissais.
14:40Bref,
14:41c'est des détails
14:42techniques.
14:43Mais j'avais
14:44un projecteur aussi
14:45dont je pouvais
14:46freiner le truc.
14:47Mais c'était
14:48pas très épanouissant.
14:49En tout cas,
14:50ça traduit
14:51un rapport
14:52quelque peu obsessionnel
14:53au cinéma,
14:54déjà à un jeune âge.
14:55Oui,
14:56je crois qu'un mec
14:57qui fait ça,
14:58il est quand même
14:59sérieusement entamé.
15:00C'est à cet âge-là,
15:01alors je ne sais pas
15:02exactement quel âge
15:03on parle,
15:04on parle de 15 ans
15:05peut-être ?
15:06Non,
15:07non,
15:08pas du tout,
15:09c'est plus tard,
15:10plus tard,
15:11plus tard.
15:12Non,
15:13non,
15:14ça devait être
15:1518 ans,
15:1619 ans.
15:17Donc,
15:18c'est le rapport
15:19au cinéma
15:20qui vous habite
15:21à l'époque.
15:22Quel film vous habite ?
15:23C'est les films
15:24de l'époque ?
15:25D'abord,
15:26je crois qu'à toute
15:27une époque,
15:28je reviens vite là-dessus
15:29parce que c'est pas
15:30très intéressant,
15:31j'étais pensionnaire
15:32longtemps,
15:33donc c'était
15:34des sorties
15:35très courtes.
15:36Et comme je m'ennuyais
15:37de manière vraiment
15:38granitique,
15:39quand j'allais à Paris,
15:40c'était l'époque
15:41où les cinémas
15:42étaient permanents.
15:43Donc,
15:44je pouvais voir
15:45des films
15:46pour les films
15:47de genre,
15:48les films
15:49de Dracula,
15:50des choses comme ça.
15:51Donc,
15:52c'était une espèce
15:53comment j'étais
15:54omnivore,
15:55c'était tous
15:56les films.
15:57Et c'est à partir
15:58d'un certain moment,
15:59je crois que la cinéphilie
16:00commence à se caler
16:01et je pense que
16:02la ciné...
16:03C'est pas très,
16:04très original,
16:05mais je crois que
16:06la cinémathèque
16:07a son rôle
16:08là-dedans.
16:09Et ce qui va
16:10me fasciner,
16:11me fascine toujours,
16:12le cinéma,
16:13le cinéma muet,
16:15m'a bouleversé.
16:16Langue,
16:17Murnau.
16:18Oui,
16:19Murnau,
16:20absolument,
16:21le dernier des hommes,
16:22chef d'oeuvre.
16:23Oui,
16:24ce qui m'a frappé
16:25en revoyant vos films,
16:26c'est quand même,
16:27j'ai l'impression
16:28que votre cinéma
16:29est très infusé
16:30par un cinéma aussi,
16:31Hitchcock,
16:32par exemple,
16:33plus tardif
16:34que ceux de Fritz Lang.
16:35J'ai l'impression
16:36que dans
16:37Sur mes lèvres,
16:38on peut trouver
16:39du Fenêtres sur cours,
16:40sur le toit,
16:41par exemple,
16:42voire du Body double
16:43par exemple,
16:44dans Hitchcock.
16:45Est-ce que c'est un cinéma,
16:46ce cinéma des années 50,
16:4760,
16:48puis 70,
16:49qui a été important
16:50dans votre construction cinéphile ?
16:51Oui,
16:52oui,
16:53oui,
16:54bien sûr,
16:55il y a des films d'Hitchcock,
16:56je les ai vus tellement de fois.
16:57Mais il y a aussi
16:58tout le cinéma,
16:59tout le cinéma
17:00noir et blanc,
17:01de genre,
17:02comme Nightmare Alley,
17:03des choses comme ça,
17:04de Goulding,
17:05des choses,
17:06Todd Browning,
17:07des choses,
17:08des choses vraiment,
17:09vraiment marquantes.
17:10Tout ce que je cite là,
17:11même,
17:12ça va avoir quand même
17:13un petit peu
17:14avec l'expressionnisme.
17:15Qu'est-ce qui vous intéresse
17:16dans ce mouvement-là ?
17:17Dans ce quoi ?
17:18Dans ce mouvement-là,
17:19l'expressionnisme.
17:20Tout est un petit peu là,
17:22vous savez,
17:23comment ces figures
17:26très fantasmatiques,
17:27ce noir et blanc
17:30très charbonneux,
17:31charbonné,
17:32avec le vignettage,
17:33on a l'impression
17:34que la lumière
17:36vient d'un tréfond
17:37de quelque chose,
17:38c'est bouleversant.
17:41Question plus personnelle,
17:43évidemment,
17:44mais est-ce que vous êtes
17:45marqué à un jeune âge
17:46par le cinéma de votre père ?
17:49Non, je ne crois pas, non.
17:51Est-ce que vous grandissez avec ?
17:52Avec mon père, oui.
17:53Avec votre père.
17:55Mais pas ses films,
17:56pas forcément.
17:57Ce que je préfère dans son travail,
17:58c'est évidemment son travail
18:00de dialoguiste,
18:01où il y a certains films
18:02où il y a quelque chose
18:04de vraiment si personnel,
18:06unique.
18:08Emilia Perez,
18:09je pense que c'est votre
18:10premier film
18:11quasi exclusivement féminin,
18:13en tout cas avec une troupe de femmes,
18:15évidemment récompensé à Cannes.
18:17Le titre de votre premier film
18:19au début des années 90,
18:21c'est Regarde les hommes tombés,
18:23qui est quand même un titre
18:24assez matriciel.
18:25J'avais l'impression...
18:27J'ai respecté le programme.
18:28Vous avez respecté le programme,
18:29complètement,
18:30de manière assez évolutive.
18:32Bien sûr.
18:33Je me demandais si ce rapport
18:35à la masculinité,
18:37à ses failles,
18:38à sa toxicité,
18:40vous pouviez le considérer
18:41comme un fil rouge de votre oeuvre.
18:43Oui, indé.
18:45C'est possible.
18:46Moi, ce qui me frappe,
18:49c'est que je pense qu'Emilia,
18:51je n'aurais pas pu le faire
18:52il y a 10 ou 15 ans.
18:54Pour quelles raisons,
18:55je n'en sais rien,
18:56mais je n'aurais pas pu le faire.
18:58Je n'en aurais pas eu la pensée.
19:00Donc, il a bien fallu
19:01que quelque chose évolue.
19:03Des sensibilités se développent.
19:05D'autres disparaissent,
19:06mais certaines apparaissent.
19:08Je trouve ça important.
19:12À l'âge de 60 ans,
19:14il y a une dizaine d'années,
19:15vous dites qu'il y a 15 ans,
19:16vous n'avez pas pu le faire.
19:17Ça y est, il a parlé de mon âge.
19:18Non, je ne veux pas parler de votre âge.
19:19Ça fait deux films
19:21où mon nom est suivi
19:23de parenthèse 72 ans.
19:26Avant, c'était 70.
19:28Mais c'est quand même étonnant.
19:31En fait, ce n'est pas tellement
19:32pour parler de votre âge.
19:33Est-ce que, par exemple,
19:34à Catherine Deneuve,
19:36Isabelle Huppert,
19:38je vous la souhaite bonne.
19:42En fait, ça partait d'un compliment à la base.
19:44En tout cas, d'une tentative.
19:45Je le prends comme un compliment.
19:47Je ne voulais pas évoquer votre âge.
19:50Simplement, je trouve que
19:53certains cinéastes,
19:55à l'âge, disons,
19:57âge arbitraire de 60 ans,
19:59peuvent avoir tendance à ronronner
20:01et à rester sur des acquis.
20:03J'ai un début d'exposition.
20:05Vous voyez où je vais.
20:06Oui, je crois.
20:08Alors, oui, moi,
20:10ce n'est pas que j'ai réfléchi.
20:12Quand je réalise mon premier film,
20:14moi, j'ai le droit de dire mon âge.
20:16J'ai 42 ans.
20:18Je n'ai rien dit.
20:20Je ne suis pas tout à fait un perdreau de l'année.
20:22Donc, voilà.
20:24Je vois que les gens
20:26qui font leur premier film,
20:28à ce moment-là,
20:29ont une dizaine d'années minimum
20:31de moins que moi.
20:32Et en fait, je crois que
20:34j'ai tout de suite été
20:36sans le savoir,
20:38dans la situation
20:40où je devais à chaque fois
20:42répéter un présent.
20:44Ne pas raconter ma vie,
20:47mais raconter un présent,
20:49un présent narratif, un truc comme ça.
20:51Alors que je vois mes consoeurs, mes confrères
20:53que j'admire, que j'aime beaucoup,
20:55ils faisaient un cinéma très générationnel,
20:57très proche d'eux.
20:59D'une certaine façon, très,
21:01ouvrez les guillemets, biographique,
21:03fermez les guillemets.
21:05En tout cas, sous une forme
21:07frontale comme ça, ça ne m'a pas effleuré.
21:09Moi, j'étais obligé de fabriquer
21:11toujours une forme différente.
21:13C'est concluant ou pas ce que je dis ?
21:15C'est complètement concluant, parce que c'est là où je voulais en venir.
21:17Je trouve ça bien, à votre âge.
21:19Pardon.
21:21C'est le gros relou.
21:23Ce que je veux dire par là,
21:25c'est qu'il y a des tentatives en permanence
21:27et en fait, c'est hyper vivifiant.
21:29C'est hyper agréable de voir du cinéma
21:31qui soit comme ça,
21:33dans une espèce de survie.
21:35On ne sait pas quel fil on va voir.
21:37Et ça, c'est chouette.
21:39Je vous en prie.
21:41Mais en tout cas,
21:43pour raccrocher un peu les wagons avec Emilia Perez,
21:45vous disiez en tout cas,
21:47à une époque, que la dimension
21:49clanique des hommes entre eux,
21:51vous a toujours dérangé.
21:53Oui, absolument.
21:55Ça date de mon enfance en pension.
21:57Mon enfance en pension,
21:59et je sais que mon premier tournage,
22:01j'ai été,
22:03j'en parlais tout à l'heure,
22:05j'ai eu le sentiment
22:07d'être bisuté,
22:09comme en pension.
22:11Et j'ai trouvé cette société d'hommes
22:13sur le plateau, pas agréable du tout.
22:15L'expérience était suffisamment
22:17désagréable pour moi,
22:19que je me suis dit,
22:21c'est terminé, je ne fais plus de films, je m'en fous.
22:23Je retourne à l'écriture,
22:25j'écris des scénarios.
22:27Et finalement, le film est sélectionné
22:29à Cannes, et c'est une surprise pour vous ?
22:31Ah oui, c'est un très...
22:33Sélectionné, oui, dans la semaine
22:35de la critique.
22:37Moi, je ne voulais pas qu'il sorte, le film.
22:39Vous en aviez honte ?
22:41Je le trouvais tellement
22:43imparfait, tellement...
22:45Ça avait été dur,
22:47ça m'avait semblé très dur à fabriquer.
22:49On n'avait pas
22:51beaucoup d'argent, et certains jours,
22:53les scènes
22:55que j'allais tourner, c'était celles que je n'allais pas tourner.
22:57J'arrachais des feuilles.
22:59Et ce qui fait que Juliette, au montage,
23:01elle avait le strict minimum.
23:03Le strict minimum.
23:05Je ne sais plus si c'est à l'époque ou c'est plus tard,
23:07mais en tout cas, vous avez dit que les deux acteurs principaux,
23:09Kassovitz et Trintignant, vous les avez
23:11filmés comme des femmes.
23:13Je ne sais pas, vous avez entendu
23:15la voix de Trintignant ?
23:17C'est quand même
23:19très particulier.
23:21Non ? Si, absolument.
23:23Moi, je trouve ça
23:25totalement bouleversant.
23:27Mathieu, il avait cette espèce de...
23:29de comment ?
23:33Fragilité, peut-être ?
23:35Oui, c'était une chose...
23:37Il était mais irrésistible.
23:39Irrésistible.
23:41Quand il arrive
23:43et qu'il joue, c'était
23:45irrésistible. Il avait une espèce de doué,
23:47de choses très féminines, à la fois
23:49un garçon qui ferait un peu
23:51de la muscu, mais en même temps,
23:53très doux.
23:55Le fait que
23:57vous ayez un certain rejet des hommes
23:59entre eux, entre guillemets,
24:01de filmer les groupes
24:03d'hommes, ça me ramène aussi
24:05à un autre cinéma des années 60-70
24:07avec lequel vous avez forcément grandi.
24:09Un cinéma considéré comme culte.
24:11Je pense par exemple à La Horte Sauvage de Sam Peckinpah
24:13qui est un groupe de cow-boys.
24:15Quel est votre rapport à ce cinéma-là
24:17très masculin ?
24:19Il faudrait citer peut-être d'autres noms
24:21parce que je n'aime pas trop Peckinpah.
24:23Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?
24:25Je trouve que La Horte Sauvage est un film
24:27qui ne m'intéresse pas.
24:29C'est une esthétique très lourdingue.
24:31Il y en a...
24:33The Getaway, c'est beau.
24:35Il y a quelque chose de beau
24:37dans The Getaway.
24:39A la même époque,
24:41il faut savoir qu'il y a des films de Bob
24:43Raffelson, des choses comme ça.
24:45Il y a des épices, des trucs
24:47qui sont magnifiques.
24:49Vous n'avez pas de clan cinéphile.
24:51En tout cas, de collaborateurs
24:53de cinéma à proprement parler.
24:55Mais il y a quand même des gens avec lesquels
24:57vous tournez très régulièrement,
24:59voire toujours. Et ça m'amène
25:01à la deuxième question de Science Critique.
25:03Quel est le rapport à votre monteuse
25:05Juliette Welding qui a monté
25:07l'intégralité de Volontéfages ?
25:09Oui, absolument. Toute mon oeuvre.
25:11Mon oeuvre à moi.
25:15Alors Juliette,
25:17c'est même une préhistoire.
25:19Je passe par le montage.
25:21Je suis assistant monteur, puis je monte
25:23des bandes annonces, des trucs comme ça.
25:25Et on se
25:27rencontre avec Juliette.
25:29Elle doit avoir 21 ans, 22 ans.
25:31Moi j'en ai 3 ou 4 de plus.
25:33Et puis voilà, on est très amis.
25:35Et moi je me suis toujours dit que...
25:37Pas longtemps après.
25:39Il ne m'est pas venu
25:41à l'idée de demander à qui que ce soit d'autre.
25:43Vous voyez ?
25:45C'est vrai que depuis,
25:47c'est une longue
25:49histoire incroyable et que je ne...
25:53Un jour...
25:55Parfois elle est méchante.
25:59Un jour,
26:01je me souviens,
26:05le prophète
26:07devait aller en tournage, etc.
26:09Elle me dit, Jacques, il faut que
26:11je te vois, il faut que je te parle.
26:13On se retrouve dans un restaurant.
26:15Elle me dit, tu sais, les Américains m'ont proposé
26:17un film, je crois une
26:19comédie musicale.
26:21Elle me dit, donc je ne peux pas faire de film.
26:23Moi j'ai la mâchoire qui tombe sur la table.
26:25Je prends ma veste et je me casse.
26:29Voilà.
26:33Moi je sais parler aux femmes.
26:37Je ne pourrais pas faire de film sans Juliette.
26:39C'est impossible, absolument impossible.
26:41Et ça se passe comment ? Elle monte pendant que vous tournez ?
26:43Oui, oui, tout à fait.
26:45Moi je ne regarde pas les rushs.
26:47Elle me fait des notes, parfois sur les rushs,
26:49surtout quand ça ne va pas.
26:51Sinon c'est Thomas Bilguin qui me fait des notes sur les rushs.
26:53Elle monte.
26:55Ça veut dire qu'elle fait les choix.
26:57Les choix des prises.
26:59Et puis des vraies options
27:01de montage.
27:0310 jours ou 15 jours après la fin de tournage,
27:05elle me montre
27:07un ours.
27:11Je vais prendre un exemple assez précis.
27:13Vous utilisez souvent le procédé du ralenti.
27:15Dans pas mal de vos films,
27:17il y a des ralentis.
27:19Est-ce que c'est des choses qui sont indiquées au scénario ?
27:21Ou est-ce que c'est elle qui a la sensation
27:23qu'elle doit le faire ?
27:25Donnez-moi des exemples.
27:27Par exemple, un prophète.
27:29À deux reprises.
27:31Dans la voiture.
27:33C'était évident
27:35que j'allais faire du ralenti.
27:37La bonne question,
27:39c'est de savoir jusqu'à quel point
27:41j'ai ralenti au tournage.
27:43Accélérer.
27:45Jusqu'à quel point ?
27:47Je ne peux pas vous le dire.
27:49Aujourd'hui,
27:51les ralentis digitaux
27:53sont d'une telle qualité
27:55que je ne vois pas pourquoi on s'ennuierait
27:57à les faire sur le tournage.
27:59Mais n'empêche que c'était prévu
28:01au scénario.
28:03C'est ça ma question.
28:05À quel degré est-elle autonome ?
28:07Et à quel degré peut-elle tenter des choses que vous n'avez pas écrites ?
28:09Par exemple,
28:11elle a des idées géniales, cette femme.
28:15Il y avait un passage de temps
28:17qui marchait mal dans un prophète.
28:19C'était difficile de traiter le temps.
28:21Parce que dans la prison, c'est un présent sans cesse répété.
28:23Et je sais
28:25qu'à un moment donné,
28:27on avait un plan
28:29de courant neigé.
28:31Ça n'a l'air de rien.
28:35Elle en a fait une tête de partie.
28:37Et ça changeait tout.
28:39Tout à coup, le temps était passé.
28:41Il y a un autre procédé
28:43très récurrent dans vos films.
28:45Un procédé où le cadre est
28:47très assombrit et on voit juste des petits bouts
28:49du cadre qui sont illuminés.
28:51Est-ce que vous pouvez me raconter l'approche esthétique ?
28:53Ce sont des choses que je faisais en Super 8.
28:55Comme je vous le disais,
28:57j'avais une caméra très rudimentaire.
29:01J'avais découvert un truc
29:03quand je voulais faire des fondus au noir
29:05ou l'inverse.
29:07Ou des ouvertures fondues,
29:09ou des fermetures fondues.
29:11Je mettais ma main devant l'appareil
29:13et je fermais la lumière.
29:15Parfois aussi, je m'étais aperçu
29:17qu'on pouvait presque faire
29:19des irises naturelles
29:21en laissant juste un point.
29:23Maintenant, je le fais,
29:25ça coûte plus cher.
29:27C'est le même procédé.
29:29Il y a une chose aussi
29:31que j'ai découverte.
29:33C'est qu'avec le numérique,
29:35et là, c'était 5D,
29:37puis on tournait,
29:39c'était du scope,
29:41du 2.35.
29:43Avec le numérique,
29:45l'image est intégralement nette.
29:47Est-ce que vous voyez
29:49dans le combo
29:51que vous avez sur le plateau,
29:53vous pouvez vous dire
29:55que ce sera l'image définitive.
29:57Moi, je suis gêné par ça,
29:59donc j'essaie régulièrement,
30:01c'est un peu nerveux, un peu hystérique,
30:03mais j'essaie de masquer
30:05des bouts de cadre.
30:07Je trouve qu'on voit trop,
30:09donc je dissimule, je mets ma main.
30:11Peut-être qu'à un moment donné,
30:13j'ai besoin d'une subjectivité,
30:15ça va m'aider à créer ça.
30:17C'est un point de vue très fort.
30:19Je me posais aussi la question
30:21de votre rapport aux scènes de violence,
30:23la scène de fusillade finale
30:25d'Un prophète est très stylisée.
30:27Elle crée une sorte de huis-clos
30:29comme ça dans une voiture.
30:31Il y a une sorte d'étirement du temps.
30:33C'est quoi là encore l'idée derrière ?
30:35Est-ce qu'à tout hasard,
30:37il y a l'idée de contourner la frontalité
30:39de la violence et...
30:41Sans doute, et c'est de trouver,
30:43oui, vous avez raison,
30:45c'est de trouver finalement
30:47le point de vue le plus intéressant
30:49et bizarrement, le point de vue le plus intéressant
30:51dans ce cas de figure de violence,
30:53c'est celui qui est le plus irréel,
30:55le plus invraisemblable.
30:57Moi, j'étais content
30:59parce que
31:01tout ce que j'avais écrit avant
31:03n'était vraiment pas bien sur cette scène de violence
31:05et d'avoir compris qu'il fallait le mettre
31:07dans un espace totalement clos
31:09et que là, ça devenait vraiment intéressant.
31:11J'étais sur retard, c'est tout.
31:13Et c'est créé du hors-champ,
31:15vous êtes deux au montage,
31:17vous êtes aussi quasiment tout le temps deux
31:19à l'écriture, vous n'aimez pas
31:21à écrire seul ?
31:23C'est bizarre parce que quand
31:25l'Emiya Péresse, tout le début, je l'écris seul.
31:29C'est bizarre.
31:31Et je crois que les Olympiades, j'ai eu tout un moment
31:33où j'ai écrit seul.
31:35C'est un ping-pong qui vous nourrit ?
31:37Oui, je pense qu'à un moment donné,
31:39je ne peux pas travailler
31:41au circuit fermé. Au bout d'un moment,
31:43il y a une lassitude pour moi de l'écriture.
31:45Vraiment de lassitude.
31:47Il faut donc que
31:49quelqu'un me donne confiance, des idées,
31:51ce que vous voulez. Quelqu'un prend le relais ?
31:53Quelqu'un prend le relais. Par exemple,
31:55Tom sur un prophète, il a pris un sacré relais.
31:57Thomas Bidguin ? Oui, pardon, Thomas Bidguin.
31:59Ça se passe comment, l'écriture
32:01avec Thomas Bidguin, concrètement ? Vous vous écrivez
32:03ensemble ou chacun séparément ?
32:05C'est discussion des scènes,
32:07généralement le matin, puis l'après-midi,
32:09écriture chacun de son côté.
32:11Il y a
32:13aussi un film qui s'appelle
32:15Mortel Randonné, que vous avez
32:17co-écrit avec votre père.
32:19Comment ça s'est passé, cette expérience-là ?
32:21Ça s'est passé d'une drôle de façon.
32:23Mon père
32:25avait lu un livre
32:27d'une série noire de Mark Baim
32:29qui s'appelait Mortel Randonné.
32:31Ça l'avait vraiment,
32:33ça l'avait marqué.
32:35Il m'a proposé,
32:37il m'a dit, lis-le.
32:39Je l'ai lu, j'ai trouvé ça bien.
32:41Il m'a proposé de l'écrire avec lui.
32:43C'est comme ça que ça s'est fait.
32:45C'était
32:47assez singulier comme histoire, parce que ça raconte
32:49l'histoire d'un
32:51père, Michel Serrault,
32:53qui recherche sa fille
32:55qui est probablement
32:57morte.
32:59Mon père avait perdu son fils,
33:01et moi j'avais perdu mon frère aîné.
33:03Donc voilà.
33:05C'était gay comme truc.
33:07Et vous l'évoquiez
33:09vous-même tout à l'heure,
33:11mais vous réalisez votre premier
33:13film assez tard.
33:15Après, je ne veux pas insister, votre âge.
33:17Après, évidemment,
33:19une très grande expérience de scénariste et de monteur.
33:21Une expérience de scénariste
33:23longue et pas heureuse.
33:27Je travaille sur
33:31pas de très bons films.
33:33Donc vous n'êtes pas satisfait de ce que vous faites en tant que scénariste.
33:35Non.
33:37Et vous n'êtes pas satisfait des films que ça donne.
33:39Non.
33:41Dont Mortel Randonnée.
33:43Moi j'aime bien Mortel Randonnée, mais je ne suis pas non plus...
33:45Je trouve que c'est un film très littéraire,
33:47très écrit, surécrit.
33:49Alors il y a des gens, je sais qui sont, il y a des turriféraires,
33:51mais moi je ne suis pas fanatique
33:53de ça. Je trouve que c'est un film qui est
33:55devenu trop luxueux en chemin.
33:57Donc oui, vous réalisez
33:59votre premier film après toutes ces expériences.
34:01Est-ce que quelque part, il y avait une forme
34:03d'intimidation ? Est-ce que vous étiez intimidé à l'idée de passer
34:05derrière la caméra ?
34:09Non. Ce qui est bizarre, c'est que
34:11quand je le fais, même si
34:13le tournage, ce que je vous disais tout à l'heure,
34:15c'était une expérience un peu curieuse,
34:17je savais un petit
34:19peu le latin.
34:21Et en fait, je me suis aperçu d'une chose,
34:23c'est à partir du deuxième film ou troisième
34:25film, c'est que j'aurais dû commencer
34:27plus tôt. Voilà, c'est tout.
34:29Mais bon, je vais encore vous citer
34:31quelque chose, ça ne va peut-être pas vous plaire, mais à un moment donné,
34:33vous avez dit, jusqu'à 40 ans,
34:35je suis un mélancolique,
34:37vaguement suicidaire.
34:39Est-ce que c'est le passage à la réalisation,
34:41parce que c'est à ce stage-là que vous
34:43commencez à réaliser, est-ce que c'est le passage à la
34:45réalisation qui a fait que vous vous êtes senti
34:47accompli ?
34:49Je m'aperçois, chemin faisant,
34:55que le cinéma est le lien que j'entretiens
34:57avec le monde. Alors,
34:59le monde, ça peut être d'abord
35:01un co-scénariste, puis après, ça peut être
35:03une équipe technique, et puis après,
35:05ça peut être un public.
35:07Et ce rapport-là me convient
35:09parfaitement bien.
35:11Comment est-ce que vous avez, en quelque sorte,
35:13trouvé Tahar Rahim ?
35:15Est-ce que c'est le flux du hasard ?
35:17Ou est-ce que c'est un casting traditionnel ?
35:19Vous allez confronter les histoires, parce que Tahar vient demain,
35:21je ne pourrais pas le voir.
35:23Donc moi, j'ai mon histoire.
35:25Alors, répétez la question,
35:27répétez la question.
35:29J'ai l'habitude de répondre
35:31à l'arrière d'une voiture.
35:35En fait, l'histoire, c'est que je
35:37vais voir un copain à l'époque
35:39qui tourne en banlieue,
35:41et il faut
35:43revenir sur Paris, et dans la voiture
35:45de production, il y a deux jeunes
35:47acteurs, dont Tahar.
35:49Et c'est vrai que,
35:53alors que je cherchais beaucoup,
35:55à ce moment-là, c'est vrai que sur le moment,
35:57j'ai été séché. Je me suis dit,
35:59c'est lui, il ne faut pas que je le montre trop,
36:01je ne sais pas quoi.
36:03Et ça s'est fait comme ça.
36:05Et après, il y a eu beaucoup, beaucoup, beaucoup de répétitions.
36:07C'est quoi ? C'est une intuition, dans ce moment-là ?
36:09C'était un mélange
36:13d'âge, de physique,
36:15de tout, de taille,
36:17de regard. Il avait une chose,
36:19il avait une chose à la fois douce
36:21et fiévreuse, à laquelle
36:23j'étais très sensible à ça.
36:25Est-ce qu'il y a la crainte aussi,
36:27dans cette
36:29situation-là, de tourner
36:31un rôle, de donner
36:33un rôle si important à quelqu'un qui a
36:35finalement si peu d'expérience ? Est-ce qu'il y a forcément
36:37une appréhension ? Oui, il y a un moment donné,
36:39moi je pense que
36:41vous aurez la chance d'avoir Tahar demain,
36:43donc ça sera bien de lui poser des questions.
36:45Mais Tahar, j'ai dû être
36:47dur,
36:49je pense, avec lui. Il a dû mal le vivre.
36:51Oui, je crois d'ailleurs
36:53qu'il me l'a dit. C'est
36:55parce qu'il a peur,
36:57j'ai peur de ne pas y arriver,
36:59j'ai besoin de gages,
37:01il a du mal à m'en donner.
37:03Voilà, ça se passe comme ça.
37:05Et après, c'est comme...
37:07Et après, il y a plein de choses à résoudre
37:09aussi, mais c'est peut-être
37:11propre à un prophète.
37:13Moi, je sais que la première semaine de tournage
37:15d'un prophète, franchement,
37:17j'aurais dû la recommencer,
37:19je ne sais pas bien
37:21ce que c'est pas bien, et donc,
37:23je dois être un peu dur avec Tahar aussi,
37:25mais c'est moi...
37:27Et en fait, je découvre une chose.
37:29Et à partir du moment où
37:31je découvre cette chose-là,
37:33tout s'allège et tout s'envole.
37:35En fait,
37:37je commence un prophète en faisant comme...
37:39en m'y prenant comme d'habitude,
37:41c'est-à-dire que je mets
37:43les comédiens principaux devant,
37:45je les fais jouer,
37:47je fais passer la figuration
37:49derrière, ou ce que vous voulez,
37:51les oiseaux, les voitures, n'importe quoi.
37:53Et ça ne marchait pas.
37:55Ça ne marchait pas du tout.
37:57Il fallait faire exactement l'inverse.
37:59La prison, c'est un être vivant, c'est un milieu.
38:01Donc, à partir du moment où j'ai compris
38:03qu'il fallait mettre en route les 150 figurants,
38:05les faire jouer au ballon,
38:07que les acteurs
38:09circulaient là-dedans,
38:11puissent éventuellement prendre de mauvais coups, des trucs comme ça,
38:13là, c'était parti.
38:15Et je pense que Tar aussi trouvait ses marques.
38:17Est-ce que...
38:19Vous avez tourné les Frères Sisters
38:21avec Joaquin Phoenix et John Cirelli,
38:23donc une expérience américaine, en tout cas, peut-être,
38:25dans l'écosystème, pour les acteurs.
38:29Est-ce que ça change quelque chose, vous,
38:31dans votre méthode de la direction d'acteurs ?
38:33Est-ce que ça marche très différemment dans France, par exemple ?
38:35Oui, oui, tout à fait.
38:37En même temps, c'est un petit peu
38:39ce que je voulais. Je cherchais quelque chose de différent.
38:41C'est-à-dire qu'en France,
38:43en Europe,
38:45le metteur en scène est très...
38:49très directif.
38:51L'acteur a l'habitude de poser des questions
38:53au metteur en scène, qu'il doit lui répondre,
38:55des choses comme ça.
38:57Les acteurs américains, c'est pas du tout le cas.
38:59Quand ils arrivent, ils ont travaillé
39:01de leur côté.
39:03Tout à coup, ils jouent,
39:05et boum, un personnage se dresse devant vous.
39:09Ils ont fait très tôt
39:11la différence entre
39:13théâtre et cinéma, entre comédien et acteur.
39:17L'acteur de cinéma,
39:19c'est un métier à part entière.
39:21Et donc, chez vous, ça change quoi, concrètement ?
39:23Est-ce que vous avez dû innover ? Est-ce que vous avez dû travailler
39:25différemment ?
39:27Je ne sais pas trop.
39:29Après,
39:31c'est pas parce qu'ils arrivent
39:33comme ça, avec un personnage très construit
39:35qu'ils ne vont pas
39:37écouter ce que vous allez leur dire
39:39sur le personnage
39:41et faire bouger la chose. Donc, c'était ça,
39:43mon rapport avec eux.
39:45Après, un acteur comme Joaquin Phoenix,
39:47il est quand même très particulier.
39:49C'est-à-dire ?
39:51C'est quand même le type, au début du tournage,
39:53je lui demande comment tu veux qu'on communique,
39:55il me regarde, par télépathie.
40:01Ok, gars.
40:05Vous avez eu une communication...
40:07C'était brouillé.
40:09C'était pas uni.
40:11Je crois que vous avez tendance à ne pas devenir
40:13ami avec les acteurs.
40:15C'est pas quelque chose de...
40:17C'est pas quelque chose de...
40:19de complètement raisonné,
40:21formidé, tout ça.
40:23C'est un fait
40:25que j'ai observé, que je dois admettre.
40:27Mais c'est parce que comment je...
40:29Je pense que le temps d'un tournage,
40:31la création d'un personnage,
40:33moi, l'observateur
40:35de cette création,
40:37parfois le metteur en scène de cette création,
40:39ça épuise
40:41toute une intimité.
40:43Après, qu'est-ce qu'on va faire ?
40:45On va aller boire des coups ensemble ?
40:47Non, c'est vrai, je trouve que c'est...
40:49C'est très engageant,
40:51un tournage. C'est très engageant.
40:53Il y a des relations qui se créent sur un plateau
40:55qui peuvent difficilement exister différemment
40:57devant le plateau ?
40:59Oui, et puis peut-être qu'elles ne m'intéressent pas.
41:01Ces relations...
41:03Moi, d'un côté, les actrices,
41:05les acteurs,
41:07ce livre,
41:09ce livre, c'est pas rien.
41:11Moi, je crois que
41:13mon admiration pour les acteurs, en grande partie,
41:15vient du fait que
41:17je ne pourrais pas être acteur. Je ne saurais jamais
41:19faire ce qu'ils font. Je n'aurais pas
41:21ce sens de l'abandon,
41:23de...
41:25Oui, c'est ça, de projeter son image.
41:27Dans les années
41:2990, vous réalisez
41:31pas mal de clips, dont ceux de Bachung,
41:33quelques-uns de Bachung.
41:35Est-ce que vous pouvez nous parler de cette expérience-là ?
41:37Qu'est-ce qu'elle vous apporte ? Et surtout, votre relation de travail avec Alain Bachung.
41:39Alors, comment le...
41:41Moi, ce que j'aime beaucoup dans le clip, à cette époque-là,
41:43les trucs ont changé, ça n'a quand même pas mal changé,
41:45c'est que moi, ça me ramène finalement
41:47au super 8. Ça me ramène à une chose
41:49comme ça, des choses très rapides,
41:51des mises en œuvre assez simples,
41:53et puis...
41:55Et puis, ne plus avoir
41:57cette obsession du sens,
41:59des dialogues,
42:01voilà, que ce soit assez abstrait.
42:03Et alors, mes relations avec Bachung,
42:05moi, c'est quelqu'un que j'ai beaucoup aimé,
42:07je l'admirais,
42:09et c'est rare
42:11de se dire, tiens,
42:13d'avoir croisé quelqu'un qui était un poète.
42:15C'est un poète, voilà. Moi, je sais que j'ai croisé un poète,
42:17c'était Alain.
42:19Est-ce que c'est comme un acteur ? Est-ce que vous avez du mal à entretenir une relation en dehors ?
42:21Je me souciais de lui,
42:23mais j'avais pas de...
42:25Il était loin.
42:27C'était un poète.
42:31Toujours dans le domaine musical, une question très précise,
42:33mais qui m'a intrigué, en revoyant De Ruyedos,
42:35et notamment le générique,
42:37j'ai vu qu'il y a la musique de Bruce Springsteen,
42:39dans De Ruyedos, je ne dis pas de bêtises,
42:41et au générique, vous remerciez Antoine Decaune. Or, on sait qu'Antoine Decaune
42:43est très proche de Bruce Springsteen.
42:45Je me demande, est-ce qu'il y a une histoire derrière cette chose ?
42:47Oui, il y a une histoire formidable, une histoire
42:49d'ambassadeur.
42:51Il s'avère que,
42:53un soir, dans une boîte, j'entends...
42:55Alors,
42:57Stage Chopper, c'est ça la chanson ?
42:59Stage Chopper, c'était dans
43:01l'album Nemraska.
43:03Et j'entends dans une boîte un remix,
43:05je ne sais plus comment, un remix d'un Finlandais,
43:07et je trouve le remix
43:09formidable.
43:11On le pose
43:13sur le film avec Juliette,
43:15c'était vraiment épatant.
43:19C'est vachement difficile
43:21d'aller voir
43:23Springsteen
43:25et de commencer à avoir les droits
43:27d'une chanson qui s'est fait piquer.
43:31Donc, on n'a pas
43:33les droits, on n'a pas les droits, on n'a pas les droits,
43:35jusqu'à, je ne sais pas, peut-être
43:37Cannes, un truc comme ça. Et finalement,
43:39Antoine, qui connaît bien
43:41Springsteen, qui n'en avait strictement rien
43:43à faire, il dit, ben oui, qu'il fasse
43:45ce qu'il veut, voilà, comme ça. Mais bon...
43:47Je cautionnais
43:49un vol, quand même, vous voyez ce que je dis ?
43:51Ça a l'air d'être assez facile à raconter comme ça.
43:53Oui, c'est un peu paniquant.
43:55Il y a une chose
43:57assez étonnante chez vous, mais peut-être
43:59c'est propre à pas mal de cinéastes, c'est que vous avez
44:01tendance à ne pas tellement revoir vos films
44:03et à très vite passer à autre chose.
44:05Qu'est-ce que ça traduit ?
44:07J'ai l'impression que...
44:09Quand un film est terminé,
44:11par exemple Emilia Perez,
44:13j'ai vu beaucoup, beaucoup, beaucoup de fois,
44:15vous voyez déjà, ça compte.
44:17Alors après, c'est pas vrai non plus
44:19que je ne revois pas...
44:21Je revois des bouts de mes films.
44:23Quand je me pose une question, je sais que la même
44:25question s'était posée peut-être dans tel ou tel
44:27film que j'avais réalisé, je vais voir
44:29comment j'avais essayé de la résoudre.
44:31Et puis, parfois, j'ai pas
44:33de réponse, d'ailleurs.
44:35Et vous avez un rythme assez effréné.
44:37Vous me disiez, il y a quelques jours,
44:39que c'était long pour vous,
44:41trois ans entre chaque film. Or, dans la norme des cinéastes,
44:43c'est quand même assez peu. Vous tournez
44:45très vite, vous avez ce rapport très
44:47énergique, en tout cas, à la création.
44:49Je trouve, oui.
44:51Il y a quand même beaucoup de cinéastes qui attendent six, sept ans.
44:53Vous, il y a quelque chose de l'ordre de l'urgence.
44:55Ça va, c'est qu'ils ont le temps, les pauvres.
44:57Moi, je n'ai pas le temps.
44:59C'est là que je mène, toujours cette histoire.
45:01Bien sûr.
45:05Est-ce qu'aujourd'hui, vous avez envie
45:07d'explorer encore d'autres univers ?
45:09Il y a une ouverture
45:11avec les Frères Sisters, puis même les Olympiades,
45:13Emilia Perez. Est-ce qu'aujourd'hui, vous êtes dans une logique encore
45:15d'expansion ?
45:17D'autres continents, je veux dire.
45:19Je suis dans
45:21une situation qui est un peu particulière. D'habitude,
45:23quand je fais un film, j'ai toujours un projet devant,
45:25dans mes tiroirs, dans mes carnets,
45:27des trucs comme ça.
45:29Là, je n'en ai pas parce que celui
45:31que j'avais devant, je l'ai tourné. C'était les Olympiades.
45:33La mise en œuvre d'Emilia Perez
45:35a duré tellement longtemps
45:37que j'ai eu le temps de faire un film au milieu.
45:39Mais donc, maintenant, je n'ai plus rien.
45:41Je n'ai plus rien.
45:43Mais est-ce que ça fait partie de vos envies, en tout cas,
45:45de continuer à explorer ?
45:47Non, mais je ne peux pas.
45:51Je ne me lève pas le matin
45:53avec un tempérament d'explorateur.
45:55Je ne dis pas, tiens, je vais aller explorer.
45:57Non, ce n'est pas...
45:59Il y a une espèce de...
46:01En ce qui me concerne, ça passe au moins
46:03autant par la lecture que par
46:05les images.
46:07Je réfléchis à des choses,
46:09des trucs comme ça.
46:11Mais ce ne sont pas des sujets,
46:13ce sont des formes.
46:15Ce sont des formes, c'est difficile à dire.
46:17Des formes narratives,
46:19des formes de lumière.
46:21Et puis, tout à coup,
46:23une idée va tomber là-dedans
46:25et hop, ça va faire sujet
46:27et ça va cristalliser tout le truc.
46:29Ça peut être un plan,
46:31ça peut être n'importe quoi.
46:33C'est difficile.
46:35C'est peut-être une question difficile
46:37et vous allez peut-être me tomber dessus.
46:39Mais est-ce que, quand vous regardez votre oeuvre aujourd'hui,
46:41s'il est possible d'avoir un peu de hauteur et un peu de recul,
46:43est-ce que vous diriez que vous en êtes heureux
46:45ou fier ?
46:47Quel est votre rapport à votre corpus ?
46:51Corpus Christi.
46:55Je n'ai pas d'oeuvre.
46:57Non, je ne sais pas.
46:59Vous avez quand même
47:01Dorothy Johnson qui est une
47:03nouvelliste américaine extraordinaire.
47:05La Colline aux pendus,
47:07Territoire indien.
47:09Beaucoup de ses films
47:11ont été adaptés, beaucoup de ses nouvelles ont été adaptées.
47:13L'homme qui doit à Liberty Valance,
47:15c'est elle à l'origine.
47:17Sur sa pire tombale, elle avait fait écrire
47:19Paid.
47:21Payé.
47:23Très bien.
47:25Écoutez, je crois qu'on
47:27va pas tarder à être pris par le temps.
47:29Je vous propose de passer aux questions du public.
47:31Avec joie.
47:33Bonsoir.
47:35Bonsoir.
47:37C'était
47:39magnifique en fait.
47:41Ça me fait rappeler beaucoup
47:43à mon adolescence
47:45au Mexique.
47:47Est-ce que vous avez regardé beaucoup de télé-novellas ?
47:49Non, je n'aime pas trop ça en fait.
47:51Et pourtant, c'est un très très bel télé-novella.
47:53C'est vrai ?
47:55J'ai essayé d'en faire un peu
47:57de la télé-novella.
47:59Et aussi, vous savez, une référence que
48:01j'ai beaucoup aimée, c'est que
48:03Emilia Perez vient de Monterrey.
48:05Un transgenre qui
48:07est un état le plus conservateur du Mexique.
48:09Mais en vrai,
48:11elle vient de Madrid.
48:13Merci beaucoup.
48:15C'est moi monsieur, merci infiniment.
48:17Bonsoir.
48:19Je m'appelle Juan González, je suis Colombien.
48:21Le film me touche
48:23aussi beaucoup parce que c'est très proche
48:25de la réalité qu'on vit.
48:27Par contre, j'ai une question
48:29concernant la réaction du public.
48:31Parce que je pense
48:33que le public européen-français
48:35ne va pas réagir de la même
48:37façon que le public américain
48:39ou latino-américain.
48:41Moi j'en ai très peur.
48:43Et ça,
48:45j'apprécie beaucoup le film, mais
48:47ma peur c'est
48:49de voir
48:51une version romantique
48:53ou une version
48:55colorée d'une réalité
48:57assez dure de nos pays.
48:59Ça faisait partie
49:01des questions que vous me posiez
49:03au tout début.
49:05Quelle distance
49:07on a à voir avec ça, que ce soit
49:09la transidentité ou
49:11le problème mexicain.
49:13Moi,
49:17je fais ce film
49:19au Mexique pour parler du Mexique.
49:21Ne pas se méprendre.
49:23C'est un postulat.
49:27On a affaire à une tragédie.
49:29Si c'est vraiment tragique, chantons-le,
49:31dansons-le.
49:35Je ne sais pas si c'est satisfaisant,
49:37mais si je suis
49:39très frontal avec ça,
49:41parce qu'il y a des films mexicains formidables,
49:47je m'approcherais du documentaire.
49:49C'est pas ça.
49:53J'ai la fiction chevillée au corps.
49:55Il faut qu'il y ait de la fiction.
49:57Et que ça peut être dérisoire,
49:59un peu gênant, un peu ridicule.
50:01Mais bon,
50:03j'assume.
50:05Bonsoir.
50:07Ma question, c'était presque deux questions.
50:09La première, est-ce que vous considérez
50:11que c'est un film politique ?
50:13Et la deuxième, est-ce que vous n'avez pas tourné
50:15au Mexique à cause des cartels ?
50:17Non, pas du tout.
50:19Un film politique ?
50:21Oui, j'ai l'impression, un petit peu.
50:23Quand même.
50:25J'ai cherché des formes
50:27esthétiques à des problèmes.
50:29Des problèmes de société, des problèmes.
50:31Non, je n'ai pas tourné
50:33au Mexique, parce que tourner en décor naturel,
50:35j'ai pensé à un moment de tourner en studio
50:37au Mexique, à Charabusco.
50:39Mais si je n'ai pas tourné en décor
50:41naturel, c'est parce que
50:43je ne pouvais pas styliser.
50:45J'étais collé à la réalité.
50:47Les murs étaient trop durs.
50:49Ça n'allait pas.
50:51Et puis le film, comme je le disais déjà,
50:53au départ, c'est un opéra.
50:55Quand je tourne en studio, je retrouve l'ADN du film.
50:57La scène.
50:59J'ai une question plutôt sur l'image.
51:01Comment a été la collaboration avec Paul Guillaume,
51:03votre chef opérateur ?
51:05Comment ça s'est passé ? Qu'est-ce qu'il vous a apporté ?
51:07Alors pour lui, comme pour moi d'ailleurs.
51:11Moi, je n'avais aucune pratique
51:13du studio. Lui, en avait.
51:15Un tout petit peu.
51:17C'est quelque chose d'avoir une petite pratique du studio
51:19et de faire entièrement un film en studio.
51:21Donc lui, il a
51:23résolu
51:25des problèmes d'éclairage,
51:27de lumière.
51:29Moi, je sais qu'entre
51:31ces dix dernières années à peu près,
51:33je ne sais pas si c'est dix ans,
51:35les sources de lumière ont énormément
51:37changé au cinéma. Il y a les LED,
51:39il y a tous ces trucs-là.
51:41Maintenant, il n'est pas rare de voir votre opérateur
51:43faire sa lumière sur son téléphone portable.
51:45Il fait comme ça.
51:47Ça, c'est fou.
51:49Ça, c'est un petit peu la génération de Paul.
51:51Voilà.
51:53Merci beaucoup, Jacques Odiard. Je vous remercie infiniment.
51:55Merci.

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