Antoine Compagnon : "Les activités pour lesquelles il n'y a pas de gain de productivité sont vulnérables"

  • il y a 2 semaines
Antoine Compagnon, académicien, critique littéraire et professeur émérite au Collège de France et auteur de “La littérature ça paye !” (Les Equateurs) est notre invité de 8h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-week-end-du-dimanche-01-septembre-2024-9778947

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00:00A quoi sert la littérature ? Et si la littérature ne servait à rien ? Le grand entretien ce
00:05matin avec Marion Lourds ! Notre invité est un immortel professeur émérite au Collège
00:11de France.
00:12Il a été titulaire de la chaire de littérature française moderne et contemporaine, spécialiste
00:18de Proust et de Baudelaire notamment.
00:20Il enseigne aux Etats-Unis dans la prestigieuse Université Columbia.
00:24Bonjour Antoine Compagnon !
00:26Bonjour !
00:27Merci d'être avec nous, vous êtes un lecteur passionné, vous êtes un écrivain,
00:31ça fait des années que vous travaillez sur ce qui fait littérature et vous publiez
00:36« La littérature, ça paye ! » aux éditions des Équateurs.
00:42C'est assez étonnant, « La littérature, ça paye ! », c'est un titre choc, claquant
00:47comme un étendard, écrivez-vous, agressif, combatif et même un peu provocateur.
00:53Pourquoi cette méfiance ? La littérature, ça paye ou ça paye plus ?
00:57Écoutez, je crois qu'il y a beaucoup de gens qui doutent de la littérature, qui doutent
01:04de la lecture et je voulais faire une apologie, une défense et c'est pourquoi j'ai choisi
01:12un titre qui est en effet une provocation.
01:15Une provocation, la littérature comme placement, la littérature comme produit financier, on
01:20va en parler et j'invite surtout nos auditeurs, lecteurs à vous appeler, à dialoguer avec
01:25vous Antoine Compagnon au 01 45 24 7000 ou à nous interroger sur l'application France
01:32Inter, on est tous à la veille de la rentrée scolaire et c'est une question qui revient
01:37assez régulièrement, comment est-ce que vous osez parler de la littérature comme
01:41d'un produit financier ? Vous êtes un immense spécialiste de Baudelaire, Baudelaire, on
01:46commémorait hier l'anniversaire de son décès, immense écrivain, mais il est mort dans la
01:51misère, il est mort dans la misère la plus totale et la pauvreté, ça n'a jamais payé
01:56la littérature à part pour Marc Lévy et quelques autres.
01:58Et pourtant, Baudelaire disait qu'il fallait investir dans la poésie, Baudelaire pensait
02:05que la littérature était utile et bon, c'est vrai qu'il est un artiste maudit, il est le
02:12modèle des artistes…
02:13Utile mais elle sert à quoi ?
02:14Comment ?
02:15Utile mais elle sert à quoi la littérature ?
02:16Je crois que la littérature sert à mieux vivre, c'est un petit peu la thèse que
02:21je défends dans ce livre, je le crois avec Proust, je le crois avec Baudelaire, je le
02:28crois avec Montaigne, avec tous les écrivains que j'aime et sur lesquels j'ai travaillé,
02:33je crois que si l'on est un lecteur, on vit mieux.
02:38Justement c'est ça, c'est que votre livre parle un petit peu des écrivains et du fait
02:43qu'ils ne vivent pas beaucoup de leur plume, il y en a 15% qui gagnent plus de 9000 euros
02:48par an, donc c'est minimal, il parle beaucoup des lecteurs, vous posez le problème, vraiment,
02:53combien ça leur rapporte aux lecteurs de lire en fait, d'avoir cette rencontre avec
02:59la littérature ?
03:00C'est cela, le livre est consacré marginalement aux auteurs mais principalement aux lecteurs.
03:09Qu'est-ce que j'y gagne ?
03:11C'est la lecture qui, me semble-t-il, doit être défendue aujourd'hui, alors j'explique
03:15pourquoi elle doit être défendue aujourd'hui.
03:17On va vous dire, je perds du temps, la société va si vite, le numérique, qu'est-ce que
03:21je gagne à perdre ce temps ?
03:22Voilà, c'est ce que j'essaye d'expliquer, c'est pourquoi je fais un raisonnement économique,
03:28je dis que la lecture fait partie de ces très rares activités pour lesquelles il n'y
03:34a pas eu de gain de productivité, j'ai envie de dire jamais.
03:40Malgré le traitement de texte, ça vous insiste ?
03:42Malgré le traitement de texte, nous ne pouvons pas lire plus vite que les Grecs, alors peut-être
03:48un tout petit peu plus vite, je ne lis pas que marginalement il y ait des progrès dans
03:53la lecture, je lis avec de l'électricité, je suis mieux éclairé donc je lis certainement
03:59un petit peu plus vite que ceux qui lisaient avec des bougies, le papier est de meilleure
04:04qualité, les livres, mais enfin c'est marginal si vous voulez, les gains de productivité
04:09dans la lecture sont marginaux et il me semble qu'il faut repartir de cela, parce que c'est
04:15ça qui rend la lecture fragile dans un monde où tout doit aller plus vite.
04:21Les activités pour lesquelles il n'y a pas de gain de productivité, elles sont toutes
04:25vulnérables, je le dis de la musique, je le dis de tous les arts au fond.
04:32Il y a une image qui est très parlante et j'aimerais que vous nous l'expliquiez, vous
04:38comparez la littérature et votre coiffeur, Antoine Compagnon, vous avez des cheveux
04:44magnifiques mais quoi de commun ? C'est un raisonnement qui vient d'un économiste américain.
04:49Oui, je fais référence à cette fameuse loi de Beaumol, j'ai fait de l'économie quand
04:56j'étais tout jeune et donc je continue à m'intéresser un petit peu à cet aspect des
05:02choses.
05:03Et cette loi de Beaumol nous dit en effet que la culture ça coûte toujours plus cher
05:09et il prend un raisonnement très simple, il dit que produire une symphonie de Beethoven
05:14aujourd'hui, ça prend autant de temps qu'à la fin du XVIIIe siècle et donc comme il
05:20faut bien nourrir les musiciens, ça coûte de plus en plus cher, ça s'appelle la maladie
05:26des coûts.
05:27Et c'est ce qui concerne toutes les activités pour lesquelles l'input principal, c'est
05:32le travail, c'est-à-dire la matière première, c'est le travail et il n'y a pas vraiment
05:42de possibilité de gagner du temps.
05:47Et je dis c'est comme la coiffure parce que si c'est fait plus vite c'est mal fait.
05:52La lecture c'est comme la coiffure et la musique c'est comme la coiffure et la littérature
05:58c'est comme la coiffure, si c'est fait plus vite c'est mal fait.
06:01Il y a la littérature, c'est un mot que tout le monde connaît, mais vous en employez
06:04un autre, la lettrure, la lettrure, Antoine Compagnon, définition ?
06:08Alors j'emploie ce mot qui est un mot de l'ancien français et du français de la langue
06:14de la Renaissance pour désigner cette sorte de compétence que donne la lecture de la
06:23littérature.
06:24L'homme ou la femme lettré, c'est celui qui a de la lettrure, c'était le mot qui
06:30était employé par Charlemagne et c'est un mot qui a donc tout son sens en français
06:42pour désigner, je crois, ce savoir-faire et ce savoir-vivre.
06:49Cet amour des mots, ce jeu entre les mots, cet amour des mots.
06:53C'est l'amour des mots, c'est l'amour du récit, c'est je crois la lettrure ce qui donne une
07:00certaine supériorité à ceux qui l'ont acquise et qui continuent d'être des fidèles lecteurs.
07:09Et Antoine Compagnon, vous faites la liste des bienfaits très concrets, ça peut vous
07:13aider à traverser la rue, la littérature, c'est ce que dit Philippe Dian, je crois,
07:17vous citez Proust qui dit carrément que les lecteurs réussissent mieux dans leur métier,
07:21ça aide à mieux comprendre l'autre, ça aide à mieux se comprendre soi, il y a cette
07:25vision presque utilitariste, vous dites en conclusion même le lettré est l'auteur
07:30de sa vie.
07:31Ça c'est un peu contestable peut-être, parce que quand on regarde Madame Bovary,
07:35qui était une grande lectrice, elle a été presque victime de sa passion pour la littérature.
07:39Ah oui, il y a eu des mots de la littérature au 19ème siècle, il y a évidemment les
07:46cas célèbres qui sont ceux de Don Quichotte, malade de la lecture des romans de chevalerie
07:51et Madame Bovary, malade de la lecture des romans à l'eau de rose.
07:57Mais enfin, cette maladie de la lecture, elle a été surmontée par la plupart, je crois
08:05que statistiquement, les lecteurs sont des gens qui ont, j'ai envie de dire, plus d'expérience,
08:14plus d'expérience de la vie parce qu'ils connaissent d'autres mondes que le leur,
08:21je crois que je dis quelque part, ils résolvent cette contradiction.
08:24Lorsqu'on est un lecteur, on peut en même temps être dans la rue et au balcon et se
08:30regarder passer dans la rue.
08:32La lecture donne cette sorte de distance, d'ironie par rapport à tout ce qui vous
08:38arrive et c'est pourquoi Proust suppose que celui qui est doué de l'étrure, c'est
08:48quelqu'un qui au fond réussit mieux.
08:50Mais c'est un privilège de classe, on pourrait vous dire qu'il y a bourdieux, les héritiers,
08:55ceux qui ont la bibliothèque de leurs parents et les autres.
08:58Eh bien, je ne crois pas dans cette théorie, je crois que c'est une théorie très pessimiste.
09:04Il y a quelques chapitres dans ce livre qui essayent de montrer que cette théorie qui
09:12est en effet décourageante pour les jeunes gens, et on voit aujourd'hui en effet beaucoup
09:19de ceux qu'on appelle des « transclasses » ou des « transfuges de classe », on les voit
09:25se désoler ou parler de leur malheur.
09:29Et vous mentionnez notamment Agnès Ernaux, alors avant de prendre des questions des auditeurs
09:34d'Inter, c'est demain la rentrée des classes, Antoine Compagnon, alors non pas au Collège
09:39de France, mais à quoi ça sert un cours de français aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'on
09:44y apprend ? Quelles compétences peut-on y acquérir ?
09:47Alors voilà, je crois qu'il faut vraiment réfléchir à cela, parce que souvent les
09:53élèves sortent du collège, du lycée et je dirais même de l'université, sans bien
10:00se rendre compte des facultés que leur a données le cours de français et la lecture.
10:09J'ai toujours cru que cette lettrure vous permettait de n'avoir pas toujours le nez
10:23dans le guidon, vous permettait de prendre une distance par rapport à vos activités.
10:29Et je pense qu'un jeune homme ou qu'une jeune femme qui se présente sur le marché
10:36du travail et qui est un lecteur, eh bien je dirais tout simplement qu'il a de meilleures
10:44chances d'être recruté.
10:47Et je ne crois pas que ce soit seulement un privilège de classe.
10:52Je reconnais évidemment que ceux qui sont nés dans des familles mieux dotées du point
11:00de vue de la culture et de la littérature, chez qui il y a des livres, ils ont un avantage.
11:05Mais l'école joue évidemment un rôle important pour mener à la lecture.
11:11Cela dit, je le soutiens aussi dans ce livre, je crois que l'école ne peut pas tout.
11:18Et en plus de ça, les filières littéraires chez nous, ça a souvent été vu comme des
11:23voitures ballées, on a beaucoup privilégié les études scientifiques.
11:26Aujourd'hui encore, même s'il n'y a plus vraiment de spécialité au lycée comme
11:31il y avait avant, on choisit plutôt les élèves la combinaison maths-physique-sciences
11:36de la vie et de la terre, la bio pour résumer, par rapport aux humanités, à la littérature,
11:41à la philosophie.
11:42Ça c'est un phénomène, c'est une erreur française, quelque chose qu'il faudrait
11:45corriger ?
11:46C'est quelque chose qu'il faudrait corriger, que personne n'a réussi à corriger depuis
11:50très longtemps.
11:51Mais pourquoi ?
11:52La sélection, quand on parlait des sections S, on disait S ça ne veut pas dire science,
11:56ça veut dire sélection.
11:57Et aujourd'hui, ça n'a pas été véritablement modifié par les sélections qui sont faites
12:06aujourd'hui parmi des majeurs.
12:08Je le dis, c'est évidemment un défaut français et quand on pense aux classes préparatoires,
12:18les classes préparatoires scientifiques et commerciales, on y maintient de la culture
12:22générale, parce qu'on sait bien qu'il est important pour ceux qui deviendront ingénieurs
12:30ou ceux qui iront dans les écoles de commerce, qu'ils aient un certain bagage de culture
12:37et de lecture.
12:38J'ai toujours insisté pour qu'il y ait autant de culture générale au lycée professionnel,
12:47dans les BTS et dans les IIT.
12:49Et il me semble que c'est encore plus indispensable, puisque ces jeunes gens et ces jeunes filles,
12:56ils changeront de métier, d'activité plusieurs fois dans leur vie, on le sait très bien.
13:01Ma génération, il y a encore des gens qui n'ont pas changé d'employeur jusqu'à
13:07leur retraite.
13:08Mais ça ne sera pas le cas des jeunes gens et des jeunes filles d'aujourd'hui et
13:13ils auront à s'adapter à diverses activités et je crois que rien ne leur permettra de
13:21mieux s'adapter que d'avoir cette distance que donne la lecture et la lecture de la littérature.
13:27Bonjour Philippe et bienvenue sur France Inter, vous nous appelez de Paris, vous êtes professeur
13:34et vous avez une question à poser à Antoine Compagnon.
13:36Oui bonjour, alors je suis professeur documentaliste et je travaille dans un centre de
13:43documentation et je voulais vous dire que c'était de plus en plus difficile de faire
13:49lire les élèves de nos jours, parce qu'ils sont sollicités par les écrans, mais je
13:55crois qu'on y arrive, on y arrive parce qu'il y a des solutions.
14:01Alors les élèves aiment beaucoup les mangas, et ça peut être une porte d'entrée à
14:07la lecture.
14:08Ensuite, le pass culture a quand même permis aux élèves d'acheter des ouvrages et ça
14:16c'est important, notamment des livres de poche et puis des solutions existent localement
14:23comme le club lecture où on donne un peu la parole aux élèves pour qu'ils parlent
14:30de leur lecture et aussi les 15 minutes de lecture par jour où là, on prend un temps
14:41de faire lire les élèves.
14:42Merci en tout cas pour votre témoignage, il n'y a pas de fatalité.
14:46Antoine Compagnon, c'est une question sur laquelle vous revenez longuement dans votre
14:49essai et vous parlez même de l'objet livre, là en l'occurrence Philippe parlait des
14:54mangas, il parlait des écrans, mais vous abordez même les livres en édition originale,
15:01en format poche, pourquoi est-ce que ça compte autant ?
15:03Ça compte parce que moi je suis un enfant du livre de poche.
15:07Toute ma culture, je la dois au livre de poche des années 60, où soudain, toutes les semaines
15:15on pouvait aller dans les librairies et voir les livraisons de la semaine et je fais partie
15:21des bénéficiaires de cette démocratisation de la lecture qui a commencé à la fin des
15:29années 50 et s'est largement développée dans les années 60.
15:31Alors je voudrais bien que les générations suivantes bénéficient de la même façon
15:36de la démocratisation aujourd'hui qui est peut-être celle du livre numérique.
15:42Je n'ai absolument rien contre le fait de lire sur une tablette et je lis moi-même
15:47beaucoup sur une tablette.
15:49Je ne suis certainement pas hostile à ces nouveaux formats.
15:54Bon, je suis peut-être un peu plus sceptique à l'égard du livre audio, de l'audio
15:59livre, nous aurons à reparler.
16:01Pourquoi ?
16:02Parce que je ne crois pas que l'oreille puisse véritablement lire, c'est l'œil
16:10qui lit et c'est l'œil qui lit avec le cerveau et je ne crois pas, je crois que
16:14les neuroscientifiques nous montreraient que ce ne sont pas les mêmes zones du cerveau
16:19qui sont activées par cette lecture à l'oreille.
16:24Je crois que la lecture pourrait être véritablement profitable, c'est une lecture solitaire,
16:31attentive avec les yeux et le cerveau.
16:33Votre homonyme Antoine est en ligne avec nous.
16:36Bonjour Antoine et bienvenue sur France Inter, vous avez une question pour Antoine Compagnon.
16:40Oui, bonjour, je vous remercie de me prendre en ligne.
16:44Vous avez indiqué que la lecture et l'écriture avaient très peu gagné en productivité
16:49depuis des siècles, je me demandais en quelle mesure l'intelligence artificielle pouvait
16:53changer la donne, aussi bien pour la lecture que pour l'écriture d'ailleurs ?
16:57Merci Antoine, l'intelligence artificielle, évidemment gros problème, il y a des milliards
17:03et des milliards qui sont dépensés aujourd'hui pour l'intelligence artificielle mais là
17:07aussi nous ne connaissons pas du tout la rentabilité qu'aura cette intelligence artificielle.
17:13Mais il y a déjà des livres écrits à l'intelligence artificielle sur Amazon et ailleurs.
17:17Il y a des livres, j'évoque ces livres qui sont au fond des livres sans auteurs et c'est
17:22des livres qui peuvent donner du plaisir au lecteur de la même façon que, bon, ce qui
17:27se vend aujourd'hui le plus en France c'est le New Romance, le New Romance peut très
17:32bien être écrit.
17:33Traduction en bon français monsieur l'académicien ?
17:34Je ne sais pas très bien, c'est la littérature à l'eau de rose d'aujourd'hui, mais si
17:41vous voulez, cette littérature de l'intelligence artificielle ce n'est pas une littérature
17:49novatrice, c'est une littérature qui reconduit des stéréotypes, ça a toujours existé,
17:55ce n'est pas nouveau.
17:56L'intelligence artificielle va-t-elle accélérer la lecture ? Je crois que ce n'est pas le
18:05cas, elle nous produit, il m'arrive, j'utilise l'intelligence artificielle comme tout le
18:11monde.
18:12Je peux lui demander de résumer un article, un article de ce qu'on appelle littérature
18:18grise, un rapport, littérature grise, ce sont les rapports, je peux lui donner un rapport
18:25et me demander de résumer ou un article de presse, mais je ne peux pas demander à l'intelligence
18:33artificielle de me résumer un poème de Baudelaire, d'ailleurs elle ne fait pas la distinction
18:38entre des vers de Baudelaire et les vers des autres poètes, c'est un objet de ses profondes
18:44erreurs.
18:45Donc l'intelligence artificielle, je ne pense pas qu'elle puisse véritablement accélérer
18:51la lecture, j'ai envie de dire, de la littérature qui n'est pas grise, de la littérature qui
18:56est noire et blanc ou en couleur.
18:58Notre auditeur documentaliste tout à l'heure parlait de l'appétence des jeunes, notamment
19:02pour les mangas, mais en dehors de ça, beaucoup de parents se demandent à la veille de la
19:07rentrée, comment est-ce qu'on peut arriver à pousser nos jeunes, nos enfants vers les
19:12livres, comment arriver à les faire lire aujourd'hui ?
19:15Alors, les enfants petits aiment les livres et ils bénéficient de très beaux livres,
19:23beaucoup plus beaux que ceux des générations précédentes.
19:26Donc les enfants lisent, aiment l'objet livre.
19:30Je crois que l'objet livre ne mourra pas, il est quasi parfait, il est idéal.
19:36Oui, mais les livres d'adultes sont beaucoup moins ludiques, beaucoup moins colorés.
19:39Ce qui pose problème aujourd'hui, c'est le passage de la lecture à l'adolescence
19:45et chez les jeunes adultes, et encore plus chez les garçons que chez les filles, même
19:50si la différence n'est pas tellement énorme.
19:53C'est donc au moment de l'adolescence que la lecture est souvent abandonnée et la classe
19:59d'âge qui lit le moins, c'est celle de ce qu'on appelle les jeunes adultes qui commencent
20:03leur vie professionnelle et chez qui on ne trouve souvent plus de livres du tout.
20:10C'est assez impressionnant Antoine Compagnon de voir le nombre de témoignages de nos auditeurs
20:14sur l'application France Inter, il y a ceux qui vous disent pas de meilleur ami qu'un
20:20livre, en reprenant les mots de Voltaire, c'est des objets qui nous accompagnent encore
20:25et toujours.
20:26Plusieurs personnes nous disent que le livre permet de vivre, et même l'un de nos auditeurs
20:32qui nous dit que la littérature m'a aidé à naître, les livres sont mes meilleurs
20:36amis.
20:37Pourquoi ce vocabulaire de l'amitié Antoine Compagnon pour parler du rapport à un objet
20:42ou à un produit financier, puisqu'on va filer la métaphore jusqu'au bout ?
20:46Alors le livre comme ami, ça vient de l'Antiquité, c'est un lieu commun, je dis ça très positivement,
20:55c'est un topos que nous devons à l'Antiquité, les livres sont des amis, on dit parfois que
21:01ce sont des compagnons, les seuls vrais amis avec lesquels on peut dialoguer sans fin.
21:08J'ai parlé de Montaigne, Montaigne est d'une certaine manière le modèle du lecteur.
21:14Et n'oublions pas qu'il se met à lire, parce qu'il a perdu son ami.
21:19Mais comment les garder ses amis à l'âge adulte ?
21:24Alors comment garder ses amis à l'âge adulte ?
21:27Eh bien, il me semble que, bon, je le dis, l'école peut jouer un rôle, mais je crois
21:32que ce n'est pas seulement l'école qui peut jouer ce rôle.
21:36Je pense que la radio, vous, la presse, doivent contribuer à faire lire, moi-même, je suis
21:46un défenseur de la lecture, s'il y a quelques jeunes gens et jeunes filles qui nous écoutent
21:52ce matin, j'espère qu'ils vont par la suite aller dans les librairies ou dans les bibliothèques
21:58ou en ligne pour trouver des livres.
22:02Ou au musée !
22:03Où ?
22:04Au musée !
22:05Au musée ?
22:06Parce que vous êtes un guide formidable, au Louvre notamment, et là, par exemple,
22:09vous parlez de la lecture de Manet, qu'on peut voir au musée, qui donne envie de lire,
22:14un tableau qui donne envie de lire, c'est curieux, mais vous avez un regret, et juste
22:19pour conclure, la littérature, ça paye, vous regrettez de ne pas avoir été un collectionneur,
22:24un collectionneur comme les grands collectionneurs de livres, comme Pierre Bergé, quand le livre,
22:29pour le coup, a une valeur monétaire réelle ?
22:32Voilà, je ne suis pas un bibliophile, je ne suis pas un collectionneur, et c'est vrai
22:36que j'aurais pu l'être, j'avais commencé à acheter des manuscrits quand j'avais 20
22:43ans, c'était un bon investissement, mais j'ai voulu mentionner cela parce que, sous
22:48le titre « La littérature, ça paye », cet aspect des choses, cette valeur marchande
22:54du manuscrit et du livre devait être évoquée, mais ce n'est pas le principal, le principal,
23:00c'est de montrer que la lecture, c'est un investissement à long terme, la lecture
23:07est lente, dans un monde de rapidité, elle est donc fragile, mais c'est un investissement
23:13important.
23:14Cet investissement important est venu de défendre la lenteur, non pas la nonchalance,
23:18l'indolence, l'apathie, mais l'investissement à long terme, la lecture et la littérature.
23:23Merci infiniment Antoine Compagnon d'avoir été notre invité ce matin, c'est passionnant,
23:28la littérature, ça paye ! Point d'exclamation, c'est publié aux éditions des Équateurs.
23:33A suivre la revue de presse.

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