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00:00Élections en Allemagne de l'Est, dans deux länders, en Thuringe et en Saxe.
00:04L'AfD, le parti d'extrême droite, est crédité de 30% des intentions de vote et espère arriver en tête.
00:09A gauche, le nouveau parti de l'ancienne dirigeante de Die Linke, Zara Wagenknecht, a également le vent en poupe.
00:15Elle est crédité de 15 à 20% des suffrages.
00:18Ce scrutin sera regardé de près dans tout le pays à 13 mois des élections législatives.
00:23On écoute quelques électeurs allemands.
00:26« Je suis très anxieuse. Je suis donc impatiente de voir ce qui va se passer aujourd'hui.
00:31Et j'attends aussi avec impatience les projections, car je pense qu'il y a un très grand risque que l'AfD gagne.
00:37Et cela me fait peur, pour mes petits-enfants et pour moi-même. »
00:40« En ce moment, la société est divisée.
00:45Dans mon cercle d'amis, les gens ont également des opinions très différentes
00:49et ne savent pas pour quoi ou pour qui voter.
00:52C'est pourquoi l'ambiance générale est si mauvaise. »
00:58« Bien sûr, la formation d'une coalition sera extrêmement difficile,
01:02car les alliances possibles sont tellement folles.
01:05Je suis donc curieux, très curieux. »
01:11On en parle avec Hélène Myard, Delacroix, professeur d'histoire et de civilisation de l'Allemagne contemporaine
01:16à l'Université de la Sorbonne, spécialiste de l'Allemagne. Bonjour.
01:20Comment s'explique la percée électorale annoncée de l'AfD dans ces deux länder à l'Est,
01:25même si elle progresse dans une moindre mesure à l'Ouest ?
01:30« En fait, les régions orientales de l'Allemagne sont représentatives du reste du pays,
01:36pour ce qui est du mécontentement d'un certain nombre de membres de la population
01:41qui écoutent les promesses du populisme de droite.
01:45Mais il y a en plus dans ces régions, qui ont été longuement communistes
01:50et qui ne sont que depuis 30 ans dans le système ouest-allemand,
01:54une défaillance des partis qui ne sont pas du tout présents.
01:59Il n'y a pas d'organisation qui va chercher les gens
02:02et leur propose l'offre traditionnelle pluraliste de l'Ouest.
02:08Et il y a une propension à se sentir citoyen de seconde zone,
02:12avec une méfiance par rapport au pouvoir qui est là certainement aussi un résultat
02:16à très longue date d'avoir été dans un pays communiste.
02:21Donc vous additionnez ces différents ingrédients
02:25et vous avez des gens qui sont prêts à écouter des promesses
02:28qui sont assez peu réalistes quant à leur possibilité d'être réalisées,
02:34puisque un certain nombre des compétences des lenders
02:40leur permettent juste d'agir sur l'éducation, sur des aides sociales,
02:44mais pas du tout sur la politique internationale par exemple.
02:48Mais la tête de liste, Björn Höcke de l'AFD en Thuringie,
02:51ne fait pas dans la dédiabolisation.
02:53Il avait qualifié le mémorial de l'Holocauste à Berlin de « monument de la honte »
02:57et il n'hésite pas à reprendre des slogans nazis.
03:00Comment est-ce possible ?
03:02Alors en effet, la Thuringie, c'est la région de Erfurt,
03:05on connaît plutôt Jena par exemple, ou Weimar,
03:10est l'endroit dans les 5 lenders de l'Est et dans les 16 lenders d'Allemagne
03:15où l'AFD est la plus radicale.
03:17C'est-à-dire qu'on a là une relative autonomie des lenders
03:21dans l'orientation donnée à l'intérieur du parti
03:23et Björn Höcke est une personnalité qui fascine
03:27par sa capacité à provoquer,
03:30sa capacité à faire comme s'il ne disait pas des choses que tout le monde comprend,
03:34en particulier la reprise de slogans nazis, DSA, « tout pour l'Allemagne ».
03:39Là il les a transformés en « tout pour la Thuringe ».
03:42C'est possible à la fois parce qu'une partie de la population est oublieuse de l'histoire,
03:47ne voit pas tellement le problème,
03:49et aussi parce que cette provocation, c'est exactement ça qui leur plaît,
03:53cette idée de renverser les partis en place,
03:57ce qu'ils perçoivent comme une élite lointaine
04:01que l'on trouve dans un certain nombre de pays,
04:03ce sentiment d'être à la périphérie, d'être abandonné
04:07et d'arriver à attirer l'attention sur soi que par la provocation extrême.
04:12Est-ce qu'il y aura un cordon sanitaire ?
04:14Comment se positionne la droite, la CDU, le parti de l'ancienne chancelière Angela Merkel ?
04:20C'est exactement la question fondamentale.
04:23Il est fort probable que l'AFD arrive en tête dans ces deux lenders où l'on vote.
04:29Ça va être un peu en Saxe, dans la région de Dresde, pas tout à fait certain.
04:34L'important c'est comment fait-on un gouvernement après ?
04:37C'est une situation qu'on connaît dans plusieurs pays parlementaires.
04:41Ce n'est pas nécessairement le parti en tête qui doit former le gouvernement
04:45parce qu'il doit trouver des alliés.
04:47Or, une autre caractéristique des intentions de vote,
04:51et on va voir ce soir,
04:52et pas seulement une percée assez importante de l'extrême droite,
04:56mais aussi la quasi disparition des forces politiques
04:59qui sont au pouvoir dans le reste de l'Allemagne,
05:02c'est-à-dire les sociodémocrates du chancelier Scholz, les Verts et les libéraux.
05:07On risque de se trouver avec une situation
05:10où les alliances possibles ne pourront être qu'avec les chrétiens démocrates,
05:14donc l'ancien parti d'Angela Merkel,
05:16et l'alliance Zara Wagenknecht,
05:20qui est à gauche pour les questions sociales,
05:25mais qui est très populiste sur la question des migrants en particulier.
05:29Et chacun de ces trois partis dit ne pas vouloir s'allier avec les autres,
05:33il va bien falloir y arriver.
05:34Le cordon sanitaire devrait fonctionner vis-à-vis de l'AFD,
05:38puisque, et ça avait fait absolument un scandale en 2020,
05:42lorsqu'il y avait eu, pour quelques heures d'une journée,
05:47un ministre président libéral qui avait accepté d'être élu
05:50avec les voix de l'extrême droite,
05:52et l'indignation avait été telle dans tout le pays qu'il s'était retiré.
05:56Il me semble même que la CDU, sur le plan local en Thuringe,
05:59serait prête à passer une alliance avec la gauche,
06:01Zara Wagenknecht, qui a quitté, vous en parliez, Dillingue,
06:04pour former son propre parti il y a neuf mois.
06:07Il est crédité de 15 à 20% des intentions de vote.
06:10Là aussi, comment s'explique sa percée dans les sondages ?
06:14Alors, Zara Wagenknecht est une personnalité aussi un peu particulière,
06:17assez charismatique.
06:19On a donc affaire à des partis qui misent beaucoup sur des personnalités,
06:24et elle attire beaucoup par, à la fois, son propre charisme,
06:30sa voix très grave, son habitus à la fois un peu bourgeois
06:34et des paroles, une rhétorique d'extrême gauche,
06:38mais surtout, elle va puiser à peu près dans tous les autres partis.
06:43C'est-à-dire qu'il y a une volatilité de l'électorat en Allemagne,
06:47et elle attire à la fois parce qu'elle raccroche avec une tradition marxiste,
06:53qui a beaucoup marqué la culture politique dans ces régions,
06:57parce qu'elle pose une vraie question,
07:00qui est celle de toutes les social-démocraties européennes,
07:02c'est-à-dire, nous ne pouvons pas laisser à l'extrême droite
07:07un certain nombre de questions que se posent les gens qui travaillent,
07:09qui se lèvent tôt le matin,
07:11et qui sont indignés de voir tant d'immigrés, entre guillemets,
07:15arriver et obtenir les aides sociales.
07:17Donc, elle donne, comme la FD, l'impression de parler des vrais problèmes des gens,
07:24et simplement, là, avec une offre beaucoup plus à gauche,
07:28dans le soutien aux plus démunis.
07:32Elle est également contre le soutien militaire à l'Ukraine,
07:35qui dénonce l'invasion par la Russie,
07:37et sur le plan sociétal, elle semble assez conservatrice.
07:41Oui, en effet, c'est cela qui rend très difficile son classement sur le paysage électoral.
07:48Le fait qu'elle soit hostile à l'aide à l'Ukraine
07:52est assez représentatif d'une opinion assez dominante dans les lenders de l'Est,
07:57qui ont été très longtemps un pays frère de la Russie,
08:01et où il y a cette sensation d'une proximité avec la Russie,
08:06et d'une impossibilité de trouver une solution.
08:09Alors, simplement, ce sont des promesses en l'air,
08:12puisque les lenders n'ont aucune compétence en matière de définition des orientations de politique étrangère.
08:19Là où elle va poser un problème aux chrétiens démocrates,
08:23qui pourraient former un gouvernement avec elle,
08:25c'est qu'elle pose aussi un certain nombre d'exigences,
08:28en particulier celle de refuser l'installation de fusées américaines sur le sol de l'Allemagne,
08:36et en particulier dans le Land.
08:38Alors, on voit comment elle met le doigt sur, finalement,
08:42les répercussions locales de grandes questions globales.
08:46Et c'est, je crois, une des grandes lignes de cette élection,
08:50que l'on voit aussi dans d'autres pays,
08:52où, au niveau local, les individus sont très inquiets d'évolution au niveau global,
08:56et pensent proposer une réponse avec une offre qui leur promet,
09:01un petit peu, comme on dit en allemand, le bleu du ciel.
09:04Et comme vous me l'aviez dit, par contre, sur le plan social,
09:07l'emploi et les salaires, elle est très à gauche.
09:09Qu'est-ce qu'elle dit sur le passé de la RDA ?
09:12Alors, elle fait partie de cette population d'Allemagne de l'Est,
09:17qui, d'une certaine façon, en a un peu assez d'entendre parler de la RDA.
09:21Alors, on peut accepter, en effet, que 30 ans après,
09:25on peut avoir quand même tourné la page.
09:2730 ans, c'est une génération,
09:29et on peut considérer qu'on est normalement arrivés dans l'Allemagne de l'Ouest.
09:34Alors, ce qu'elle dit, c'est que, et là, elle pointe aussi des réalités,
09:37c'est que, malgré un fort rattrapage en Allemagne de l'Est,
09:42dans les régions orientales de l'Allemagne,
09:44il y a encore un décalage de salaires, un décalage des retraites,
09:48même si c'est comblé progressivement.
09:50Et elle joue, si l'on veut, sur des codes qui viennent de la RDA,
09:56qui sont la solidarité, l'égalité, bien évidemment.
09:59Et là où elle est troublante, de notre point de vue,
10:03c'est qu'elle joue sur la corde du rejet des migrants.
10:08C'est-à-dire que les migrants sont présentés comme des corps étrangers,
10:13d'une certaine façon, qui empêcheraient l'amélioration des salaires
10:19par une tradition de faire baisser les salaires en prenant des populations moins formées.
10:25Et là, elle pose un problème que les gens ressentent,
10:30sauf qu'il n'y a absolument pas la solution au réel problème des régions de l'Est de l'Allemagne,
10:35c'est-à-dire un manque de main-d'œuvre.
10:37Et ces régions qui essaient de rattraper l'Ouest par l'industrie,
10:41par une activité économique efficace,
10:44risquent de se trouver très en difficulté
10:48s'ils ne font pas appel à des populations étrangères qualifiées
10:54ou qu'ils vont qualifier pour faire tourner le pays.
10:56On parle des gastarbeiter.
10:57Est-ce que son succès, d'après vous, va faire débat au sein de la gauche européenne ?
11:02Alors ça, c'est la vraie bonne question.
11:04C'est la vraie bonne question si on fait une comparaison avec la France.
11:08Zara Wagenknecht remue un peu les choses comme le fait Jean-Luc Mélenchon.
11:13Simplement, elle le fait différemment et il y a une dimension régionale
11:18et de cette histoire particulière de cet électorat
11:21qui, bien qu'étant depuis 30 ans dans l'Allemagne réunifiée avec son modèle occidental,
11:30n'a pas encore acquis, ne s'est pas approprié la culture politique
11:38et notamment les références, beaucoup des références de l'Ouest,
11:42c'est-à-dire le tabou absolu du passé nazi
11:47et puis le respect aussi très fort du parlementarisme,
11:52de la tolérance, du pluralisme, du respect de l'opinion des autres.
11:57Ce qui est très frappant dans cette campagne électorale,
11:59c'est le côté finalement assez autoritaire,
12:02tant dans la façon de parler que dans les propositions faites.
12:06Il y a une radicalité, si l'on veut,
12:08qui frise avec aussi une demande d'autorité de personnes très clivantes
12:13et donc c'est intéressant de voir comment cette population,
12:17ces électeurs vont réagir à ces offres.
12:21Mais ce sont des messages divers et difficiles à décrypter
12:25puisqu'il y a une pluralité d'avis dans cette population.
12:30Merci beaucoup Hélène Millard de Lacroix d'avoir été avec nous.
12:33Merci pour votre décryptage de la situation politique en Allemagne.