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À l’occasion des Jeux Paralympiques 2024, Version Femina a voulu mettre en lumière l’importance de l’entraide et des interactions sociales pour les personnes porteuses d’un handicap. Manon, une jeune femme de 29 ans nous explique comment une rencontre amoureuse a changé sa vie.
Transcription
00:00Après l'amputation, je me suis sentie comme un déchet.
00:04Je me suis sentie plus à ma place dans ce monde.
00:07J'étais fragile, en fait.
00:22J'ai eu une relation avec un pervers narcissique il y a quelques années.
00:26Après environ un an et demi, deux ans,
00:29j'ai déclaré une maladie de Crohn.
00:31Il faut savoir qu'une maladie de Crohn, ça peut venir psychologiquement.
00:35Et c'est cette personne qui me l'a déclenché.
00:37Il y avait autant de violence physique que de violence psychologique.
00:41J'étais de plus en plus malade
00:43parce qu'il refusait un petit peu que j'aille me soigner.
00:46C'était vraiment très, très compliqué.
00:47J'étais sous emprise.
00:49Et à cet âge-là et à ce moment-là,
00:51je ne savais même pas ce que c'était un pervers narcissique.
00:53Je pensais que tous les hommes fonctionnaient comme ça.
00:56Et au final, j'ai fait une occlusion intestinale.
00:58Il n'a pas voulu m'emmener aux urgences.
01:00Donc du coup, j'attendais, j'attendais, j'attendais.
01:03Ça a duré des jours et des jours.
01:05Du coup, mes parents sont venus me chercher.
01:06Ils m'ont déposée aux urgences.
01:08Je me rappellerai toujours, je hurlais de douleur.
01:10J'étais dans un état, mais catastrophique.
01:13Et au final, je suis tombée.
01:15Je suis tombée dans la salle d'attente et ça a été le trou noir.
01:17J'ai fait deux semaines de coma et je me suis réveillée.
01:20C'était super complexe parce que j'étais entourée de machines.
01:23J'étais en réanimation.
01:24Je ne comprenais pas ce qui se passait.
01:25Je ne parlais pas, je ne mangeais plus, je ne buvais plus.
01:28J'étais branchée par des tuyaux, donc nez, bouche, partout.
01:33J'étais vraiment branchée de partout.
01:34Et au final, j'avais la jambe noire.
01:36Je ne comprenais pas trop, trop ce qui se passait au niveau de ma jambe
01:39parce que je suis arrivée pour une occlusion intestinale.
01:42Et les médecins, ils ont pris un petit peu des pincettes avant de m'expliquer.
01:44Ils ont pris des jours et des jours pour déjà encaisser
01:48tout ce qui était en train de se passer.
01:49Et ils sont venus à plusieurs et ils m'ont dit
01:52écoutez, va falloir amputer à un moment donné.
01:54Mais malheureusement, on ne pouvait pas tout de suite
01:56parce que j'étais très faible.
01:57Je pesais moins de 35 kilos.
02:00À ce moment-là, il y avait encore cette personne très toxique dans ma vie
02:03qui a fait un cinéma total en me disant qu'il avait compris
02:09que j'étais l'amour de sa vie, qu'il ne recommencerait jamais,
02:12que c'était le plus malheureux de me voir comme ça.
02:16Je suis restée plus de trois mois à l'hôpital.
02:19Ils m'ont amputée au mois d'octobre.
02:21J'étais très, très fragile.
02:22Et un jour, après quelques mois, on m'a donné une permission pour sortir,
02:26pour faire un nouvel an avec cette personne.
02:30Malheureusement, ça s'est très mal passé.
02:32Il a reposé la main sur moi.
02:33Et là, j'ai compris que j'ai eu le déclic.
02:36Finalement, c'est lui qui a lâché prise.
02:38Donc, les psychologues m'ont expliqué avec le temps.
02:40C'est rare qu'un pervers narcissique lâche sa proie.
02:43Mais ça arrive quand il est vraiment arrivé au bout du bout.
02:45Après l'amputation, je me suis sentie comme un déchet.
02:49Je me suis sentie plus à ma place dans ce monde.
02:53J'étais fragile, en fait.
02:54Et pour moi, je n'étais clairement plus une femme.
02:57Je n'étais plus du tout une femme.
02:58Je...
03:00Non.
03:00Pour se reconstruire, après, c'est super compliqué.
03:03J'avais ma tête qui me disait
03:05je veux mourir, je veux mourir, je veux mourir.
03:06Je ne veux plus être là. Je ne veux plus être là.
03:08Donc, pour moi, il n'y avait pas d'avenir.
03:10Il n'y avait pas d'amour. Il n'y avait pas de...
03:11Mes sentiments étaient bloqués, mais vraiment bloqués.
03:14Pour moi, il n'y avait plus rien. Il n'y avait pas de suite.
03:17Du coup, j'ai continué un peu à être sur les réseaux,
03:19à faire un petit peu ma vie.
03:21Je retrouvais un petit peu cette joie-là de vivre qui était là.
03:25Il y a une lueur en moi qui voulait venir, venir, venir, venir.
03:30Et à force, je l'ai laissé un petit peu venir.
03:32Et un jour, on m'a envoyé un message.
03:34J'étais dans une période où je repoussais les hommes.
03:37Donc, si un homme venait me parler, je disais oui, mais OK.
03:41Je suis amputée, je suis malade, j'ai tout ça, voilà.
03:43J'ai plein de maladies, je suis malade, j'ai des cicatrices partout, ça ne va pas.
03:48Voilà, j'ai envoyé ce message à cette personne et il m'a répondu.
03:51Et alors ?
03:52Il m'a envoyé ce fameux message pour qu'on fasse des festivals de hardcore,
03:57parce qu'on est tous les deux passionnés de musique hard.
04:00Et un jour, du coup, je suis partie avec une personne de ma famille.
04:05Je ne voulais pas être seule.
04:06Elle m'a accompagnée chez lui pour prendre les places de ce festival hardcore.
04:11J'ai ouvert la porte. Mon cœur, il a explosé.
04:13Je ne peux pas expliquer cette sensation.
04:17Waouh !
04:18On n'arrivait pas à se décrocher de l'un de l'autre.
04:20Du coup, on est partis en festival, on a commencé à faire des sorties,
04:23mais un peu des sorties d'amoureux, finalement, des sorties de flirte.
04:26À un moment donné, tous les soirs, j'étais chez lui.
04:30Et on voyait 2h, 3h du matin,
04:33et on parlait tellement que c'était tellement fluide qu'on ne voyait pas le temps passer.
04:37Et tous les soirs, je me rappelle, c'était marrant quand même,
04:39il me disait mais reste, reste, reste.
04:42Et moi, j'avais très peur.
04:43J'avais très, très peur parce qu'avec tout ce que j'ai vécu,
04:46la relation, pour moi, c'était l'amour.
04:49Non, je n'en voulais pas.
04:50Et un jour, j'ai mis un sac dans ma voiture.
04:53Je me suis dit peut-être que ce soir, je vais rester, et je suis restée.
04:56Il y a eu le premier bisou.
04:58De là, après, ça a été fluide, en fait, comme le départ.
05:02Ça a été vraiment fluide.
05:04J'ai emménagé chez lui au bout de un mois, un mois et demi.
05:07Pendant le début de relation, j'étais dans un très, très, très mauvais état d'esprit
05:11dans le sens où, pour moi, on ne pouvait pas m'aimer.
05:14C'était impossible de m'aimer.
05:16C'était impossible de me trouver belle.
05:19Et tous les jours, je lui disais, en fait, qu'est-ce que tu fais ?
05:22Pourquoi tu perds ton temps ?
05:24Pourquoi tu te mets avec moi ?
05:26Et la seule réponse qu'il me donnait, c'est parce que c'est toi, quoi.
05:31Je n'ai pas de réponse à te donner
05:33parce que c'est quelqu'un qui ne s'est jamais arrêté sur mon handicap,
05:36qui ne s'est jamais arrêté sur tout ce que j'avais, en fait,
05:39sur toutes mes maladies, rien.
05:41Et à un moment donné, j'ai lâché pris.
05:43Je pense qu'à force de me faire aider,
05:45à force de...
05:46Qu'aussi, lui aussi, il me conforte dans cette idée de, dans la rue,
05:50de me prendre la main devant les gens, de m'embrasser, de me faire des câlins.
05:53Je me disais, il n'y a pas honte de moi.
05:55Alors que moi-même, j'ai honte de moi.
05:57Il m'apporte de la joie, ce petit truc qui me manquait, en fait, à ma vie.
06:00Je parle de lui depuis tout à l'heure,
06:02mais on n'a même pas dit son prénom. Il s'appelle Corentin.
06:05Et clairement, oui, c'est mon aidant.
06:07C'est mon aidant. Il a sa journée de travail.
06:09Parfois, quand j'ai des journées très, très dures,
06:12physiquement, ou c'est très compliqué,
06:14et même moralement,
06:16il arrive et, en fait, il prend en charge, quoi.
06:19Il m'aide. Il m'aide beaucoup, oui.
06:21Et c'est là où, justement, il faut avoir une petite balance et se dire,
06:24OK, mais il est là.
06:27C'est notre amoureux.
06:29Mais, en fait, la situation, elle est comme ça.
06:31Et moi, je ferais pareil dans le sens inverse.
06:34Du coup, ça fait...
06:36J'ai bientôt 7 ans de relation et l'année dernière, on s'est mariés.
06:40Quand je suis avec lui,
06:42je fais plus attention à ce qui se passe autour de moi.
06:45Voilà, je m'en fiche.
06:47On peut parler, on peut me regarder, on peut tout faire.
06:50C'est pas grave, je suis dans ma bulle, je suis avec mon chéri.
06:52C'est comme un bouclier, en fait, quand il est avec moi.
06:55Et des fois, quand je suis pas avec lui
06:57et que j'ai des périodes où c'est dur,
06:59là, par contre, je ressens ce besoin de...
07:01Ah ! Il est pas avec moi. Ouf !
07:04C'est un peu plus dur de supporter le regard des gens.
07:07J'allais retrouver mon côté femme
07:09parce qu'avant de me mettre avec lui,
07:12et même au début de la relation,
07:14je faisais tout pour cacher mon handicap.
07:16Pour moi, je me rappelle, je mettais des pantalons,
07:19je mettais carrément des petits bandanas
07:22pour cacher la démarcation de la jambe.
07:24Enfin, j'étais partie très, très loin.
07:26Si je pouvais donner des conseils à des femmes
07:28qui sont en situation de handicap
07:30et qui ont peur
07:31ou qui ne veulent pas d'amour par rejet, etc.,
07:35mais il faut pas. Il faut pas avoir peur.
07:37On n'est pas des pestiférés.
07:39Il faut pas nous mettre dans des cases.
07:41On peut très, très bien être aimé par tout le monde, en fait,
07:44et c'est ça qui est beau.
07:46C'est ça, l'amour, elle vient s'accrocher à de la vulnérabilité.
07:49Et c'est magnifique parce qu'au final,
07:52combien de fois j'ai entendu une personne handicapée
07:54être avec une personne handicapée ?
07:56Mais si on prenait beaucoup d'exemples comme ça,
07:59ça serait compliqué, mais non.
08:01On a quelqu'un sur cette Terre qui peut nous aimer.

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