• il y a 3 mois
Ce magistrat a fait de la protection de l’enfance son combat. Cela fait maintenant 20 ans qu’il dit aux victimes d’inceste et de violences sexuelles : « On vous croit ». Grâce à ces 3 mots, il a contribué à libérer la parole. Et pourtant, la situation s’est-elle améliorée ? Dans son essai « 160 000 enfants, violences sexuelles et déni social », il alerte sur les plaintes classées sans suite, et la faiblesse des condamnations des personnes poursuivies pour pédocriminalité...

Le système protège-t-il suffisamment les enfants ? Comment lever le voile sur le déni de la société et des pouvoirs publics autour des violences sexuelles sur mineurs ? Comment ne pas se décourager lorsque l’on mène un combat de longue haleine et aussi lourd que celui-ci ? Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit le magistrat Edouard Durand dans « Un monde un regard ».

Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles.

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Transcription
00:00...
00:22-"On vous croit", c'est par cette simple phrase
00:25que j'ai envie de vous présenter mon invité.
00:27On vous croit, vous, les enfants, qui nous dites, à nous, adultes,
00:31que vous avez été victime d'inceste, d'abus sexuels,
00:34d'agressions, d'attouchements.
00:36Cela paraît évident, dit comme cela,
00:38pourtant c'est notre invité qui a contribué
00:41à la libération de cette parole.
00:43C'est un homme qui m'a réconciliée avec la justice,
00:45a dit une victime.
00:47Les gens font la queue pour le remercier
00:49et pour le prier de continuer, malgré les critiques et les pressions.
00:53Protéger l'enfant coûte que coûte,
00:55des adultes toxiques ou criminels, même s'il s'agit des parents.
00:58Voilà la mission qu'il s'est donnée depuis près de 20 ans de magistrature.
01:0220 ans de combat et pourtant, ce livre,
01:05ce tract choc qu'il publie
01:06et dans lequel lui-même délivre des chiffres alarmants.
01:10160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles en France.
01:14Plus de 70 % des plaintes déposées font l'objet d'un classement sans suite.
01:18Seuls 3 % des pédocriminels sont déclarés coupables.
01:22Le chemin de la protection de l'enfance
01:24semble décidément bien long.
01:26Est-ce que cela veut dire qu'on n'avance pas,
01:28qu'on ne progresse pas,
01:30que l'enfant n'est pas mieux protégé aujourd'hui
01:32qu'il y a 30 ou 40 ans ?
01:34Posez-lui toutes ces questions.
01:36Bienvenue à vous, Edouard Durand.
01:38Merci d'avoir accepté notre invitation au Sénat, au Dôme tournant.
01:41Magistrat expert sur la protection de l'enfance,
01:44des violences conjugales et faites aux enfants.
01:47Peut-être, commencez par nous rassurer un petit peu.
01:50Est-ce que l'enfant est davantage protégé aujourd'hui qu'avant,
01:54qu'il y a 30 ou 40 ans ?
01:58Il faut être rassurant d'un certain point de vue, vous avez raison.
02:02Parce que des choses changent.
02:05L'attention pour les enfants change.
02:08Et tout spécialement, ce qui change,
02:11c'est la conscience de la spécificité des besoins des enfants.
02:15Ce qu'on ne peut pas faire,
02:18ce qu'on doit faire
02:19pour permettre à un être humain
02:23de grandir et de construire sa vie.
02:26Ce qui reste insuffisant,
02:28c'est la conscience de la gravité du danger
02:34et de l'urgence de la protection.
02:38À ce moment-là de choix,
02:41on se trouve hésitant.
02:43J'ai revu vos déclarations en 2021, vous parliez du système.
02:47Le système ne protège pas les enfants des violences sexuelles
02:51du stade de la prévention au stade de la protection
02:53si les violences ont lieu, disiez-vous.
02:56Diriez-vous la même chose aujourd'hui ou apporteriez-vous des nuances ?
02:59Le système ne protège toujours pas ?
03:04Le mot système
03:06dit bien la réalité du déni.
03:10Une construction sociale,
03:14ancienne, persistante,
03:17structurée,
03:20qui explique les chiffres que vous avez rappelés.
03:24Plus de 70 % des plaintes classées sans suite.
03:28Les violences sexuelles faites aux enfants
03:31sont d'abord des crimes ou des délits.
03:33C'est l'institution judiciaire qui est interrogée.
03:36Mais ce système de déni
03:39se voit aussi dans le fonctionnement des institutions du soin,
03:43des soins spécialisés du psychotraumatisme,
03:45dans les systèmes d'éducation et de protection de l'enfance.
03:51Système parce que 160 000 enfants chaque année,
03:58c'est plusieurs enfants
04:00pendant le temps qu'aura duré cette émission.
04:04Et ceci depuis longtemps, depuis toujours.
04:09Ce moment où les adultes ont décidé
04:13qu'ils pouvaient s'approprier le corps des enfants.
04:16Et l'écart entre le déni
04:20et les déclarations d'intention de protection des enfants
04:24me semble décrire un système d'impunité des agresseurs.
04:29Mais il y a des pas qui ont été faits, c'est vrai.
04:32Et ces dernières années, plusieurs lois,
04:35notamment, nous sommes au Parlement,
04:37merci de m'accueillir au Sénat,
04:41plusieurs lois ont été votées.
04:43La loi du 21 avril 2021,
04:45à l'initiative d'une sénatrice, Annick Billon,
04:47qui a fixé un seuil d'âge en-dessous duquel
04:52l'élément constitutif du viol ou de l'agression sexuelle,
04:55l'asymétrie, le pouvoir, la contrainte, en réalité,
04:59résultait de l'enfance de l'enfant.
05:02Et puis, plus près de nous, en mars 2024,
05:06la loi sur l'autorité parentale
05:10qui retire systématiquement l'autorité parentale
05:13à un père condamné pour des faits d'inceste.
05:16C'est bien le moins, d'ailleurs. Tout le monde s'étonnait.
05:18Comment on peut être déclaré coupable d'avoir violé son enfant
05:22et conserver l'autorité parentale ?
05:24C'était absurde. C'était à la loi de remédier à cette absurdité.
05:28J'ai une archive à vous proposer, Edouard Durand.
05:30C'est un des rituels de cette émission.
05:32Je vais vous la confier et la lire pour les gens qui nous écoutent.
05:34Il s'agit d'une tribune bien connue publiée dans Le Monde
05:37le 26 janvier 1977.
05:39Puis, dans Libération, signée par 69 intellectuels,
05:42dont, je rappelle quelques noms, Jean-Paul Sartre, Roland Barthes,
05:45Simone de Beauvoir, Philippe Solers, Jack Long,
05:47Bernard Kouchner, André Glucksmann,
05:49tous venant au secours de trois personnes accusées de pédophilie.
05:52Je cite quelques mots.
05:53« Les enfants n'ont pas été victimes de la moindre violence,
05:56mais, au contraire, ont précisé aux juges d'instruction
05:58qu'ils étaient consentants », écrivait-il alors.
06:01« Argants d'une réalité quotidienne d'une société
06:03qui tente à reconnaître, chez les enfants et les adolescents,
06:06l'existence d'une vie sexuelle.
06:08» Est-ce que vous arrivez à mesurer le mal
06:10qu'a pu faire une telle tribune ?
06:13Et l'atmosphère dans laquelle on évoluait à ce moment-là ?
06:18Oui, et je vous remercie de dire les choses ainsi aussi clairement,
06:21madame, le mal.
06:24C'est bien de cela qu'il s'agit.
06:26En effet, et c'est d'ailleurs pour ça que nous avons voulu
06:29que cet épert rapport de la civise
06:33soit structuré d'abord
06:36par ce que nous avons appelé les piliers.
06:38Et le premier des piliers est
06:41« Qu'est-ce qu'un enfant pour les humains ? »
06:44Quel devoir nous reconnaissons-nous envers les enfants
06:50au fil de notre histoire ?
06:51Et l'histoire contemporaine récente des années 70
06:56montre un affaiblissement
07:02néfaste et coupable
07:04de la conscience du devoir envers les enfants.
07:06Et dans les mots que vous avez prononcés,
07:08extraits de cette tribune,
07:11fort malvenue,
07:14j'en retiens plusieurs,
07:16l'incapacité de faire la distinction
07:19entre la violence et la sexualité.
07:24Rien n'est plus opposé dans l'existence humaine
07:28que la violence et la relation.
07:33Or, la sexualité est en soi
07:37une modalité relationnelle des humains.
07:41La violence n'est dite sexuelle
07:45que parce que l'arme est le sexe,
07:49pas parce qu'elle est au cœur de la sexualité.
07:53Elle s'en sépare radicalement.
07:57Ensuite, le consentement.
08:00Ces personnes n'ont fait aucun mal
08:02et les enfants ont dit qu'ils étaient consentants.
08:05Et voyez-vous, ce matin même,
08:08en allant chercher le RER pour aller au tribunal,
08:13eh bien, j'ai croisé un homme, un homme adulte,
08:17qui est venu vers moi dans la rue
08:21pour parler de son enfance,
08:24pour parler du mal subi
08:27et toujours actuel.
08:30Vous voyez, les mots, parfois,
08:33contiennent le mal que vous avez décrit à l'instant, madame,
08:37parce qu'il ne s'agit pas de vérifier
08:39comment on a arraché le consentement à un enfant,
08:44mais comment on a respecté sa liberté
08:48et sa souveraineté sur son corps.
08:51Et c'est en ça que cette intellectualisation
08:55de la violence sexuelle
08:58a été et reste tragique.
09:01Vous avez parlé de la CIVIS,
09:04la Commission indépendante sur les incestes et les violences
09:07faites aux enfants.
09:09Est-ce qu'on a, et depuis longtemps, peut-être même depuis toujours,
09:12une fausse image de l'enfant ?
09:14Est-ce qu'on se trompe ?
09:16Est-ce qu'on le voit comme une quantité négligeable ?
09:18Est-ce qu'on a méprisé l'enfant ?
09:19Parce qu'enfant, parce que, soi-disant, plus faible que l'adulte.
09:23Est-ce qu'il y a quelque chose de ça ?
09:24Vous parliez d'un déni enraciné.
09:26Est-ce que c'est pas ça qui est enraciné,
09:27cette fausse image de l'enfant ?
09:30Absolument. C'est extrêmement important
09:34de réexaminer toujours notre rapport à l'enfance.
09:40Et peut-être peut-on dire
09:43que l'humanité d'une société
09:47se mesure à l'attention qu'elle porte à ses enfants.
09:53Le premier écueil
09:55est de penser que les enfants sont pour demain,
10:01que la réalité de l'humanité de l'enfant
10:04n'est que postérieure.
10:07Ce sont les adultes de demain,
10:09mais ils sont déjà parmi les humains d'aujourd'hui.
10:14L'autre écueil est de penser
10:16que le processus de développement de soi
10:21ne se joue pas dans la qualité du présent qui est donné.
10:26D'une certaine manière, grandir,
10:28c'est déjà parler au futur antérieur.
10:31Il aura pu.
10:34Elle aura reçu.
10:37Ils auront été soutenus.
10:40La réalité, c'est que,
10:43ce que nous avons beaucoup de mal à faire en nous-mêmes collectivement,
10:48c'est d'arriver à voir que les enfants ne sont pas des objets.
10:52La construction de la protection de l'enfance dans l'histoire
10:55a été extrêmement lente.
10:58Les premiers enfants protégés
11:02étaient les enfants orphelins, c'est-à-dire sans parents,
11:06et même sans maison, gouvernés par la patria potestas,
11:10et les vagabonds considérés comme des délinquants.
11:13Mais penser l'humanité des enfants dans leur maison,
11:19il a fallu attendre la fin du XIXe siècle,
11:22c'est-à-dire un temps très proche.
11:23Le basculement de la puissance paternelle à l'autorité parentale,
11:27c'est 1970.
11:28L'éradication de la violence légitime dans la maison,
11:33c'est de l'instantané, c'est du maintenant.
11:36Je voudrais revenir sur la parole de l'enfant.
11:39Vous leur dites qu'on vous croit.
11:40Il y a eu cette affaire Outreau, qui a peut-être fait beaucoup de mal,
11:44notamment à la parole de l'enfant,
11:46puisqu'on s'est aperçu que la parole de l'enfant,
11:48si elle n'est pas mensongère, elle peut être fragile.
11:51Est-ce que c'est une affaire qui a fait du mal
11:55pour que les adultes puissent croire en la parole de l'enfant,
11:58d'après vous ?
12:00A l'évidence, c'est une affaire qui a fait beaucoup de mal,
12:06qui continue de faire beaucoup de mal.
12:10Bien qu'étant magistrat, et parce que je le suis,
12:13je n'en parle que de l'extérieur.
12:16Je n'ai pas eu à la connaître.
12:17Si ça avait été le cas, je n'en parlerais pas.
12:20Ce que nous savons, c'est que tous ces enfants ont été violés,
12:26agressés sexuellement plusieurs fois,
12:29par plusieurs personnes, pendant longtemps.
12:32Ceci est indéniable.
12:35Vous pouvez mettre vos deux mains à couper
12:40pour dire que ceci est indéniable.
12:44Outreau est un échec collectif majeur,
12:49parce qu'il a été le prétexte
12:53pour se permettre n'importe quoi,
12:57et même le plus obscène, avec la parole des enfants.
13:01N'oubliez jamais que les enfants victimes de viol
13:05ont été placés dans le box des accusés pendant le procès.
13:13Un enfant, c'est ça, vous voyez.
13:16Un avocat, c'est grand, avec une grande robe noire.
13:20Un enfant, c'est ça.
13:22C'est ça pour toujours.
13:23L'homme que j'ai croisé ce matin dans la rue,
13:26c'était l'enfant aussi qui parlait.
13:28Cet enfant-là...
13:30On a tous été des enfants.
13:32On oublie comment les enfants regardent les adultes.
13:35On fin de croire qu'on oublie
13:40comme il est facile d'effrayer, de terroriser un enfant
13:44et de lui faire dire ce qu'on veut qu'il dise.
13:48Mais tous ces enfants, dans cette affaire d'Outreau,
13:52ont subi des viols et des agressions sexuelles.
13:54Personne ne saurait le contester.
13:57Dans cette émission, nous nous penchons aussi
13:59sur le parcours plus personnel de nos invités.
14:01Vous ne dérogerez pas la règle, même si vous êtes très pudique.
14:04Vous étiez à trois dans l'aube.
14:07Quand vous étiez petit, vous alliez écouter votre père plaider,
14:10puisqu'il était avocat pénaliste.
14:11Votre mère était travailleuse sociale.
14:13Elle a créé une des premières missions locales de la ville.
14:16Et vous dites,
14:17j'ai eu mes causes de joie et mes causes de souffrance,
14:19mais j'ai eu la chance d'être aimé par mes parents
14:21et que ma maison soit un lieu de sécurité.
14:23Qu'est-ce qui, dans cette enfance, explique votre engagement ?
14:27Est-ce que c'est le croisement des deux professions de vos parents ?
14:33Je me retournerai sur le chemin parcouru
14:37quand il sera l'heure de le faire.
14:39C'est trop tôt.
14:40J'espère.
14:43Oui, sans doute.
14:48Je voudrais rajouter une troisième inspiration,
14:52indissociable de celles qu'ont été et que sont toujours
14:56mon père et ma mère,
14:57qui est celle d'un homme exceptionnel, Robert Gallet,
15:00qui a été sénateur, ici même,
15:03qui était maire de Troyes,
15:05compagnon de la Libération, français libre,
15:08à 18 ans, qui part dans l'inconnu
15:12pour s'engager.
15:16Et dans la magistrature,
15:20dans la justice de l'enfance,
15:22évidemment, on retrouve le tribunal, la justice.
15:28On retrouve tout ce que j'ai connu, dans ces années,
15:33à la mission locale, auprès de ma mère.
15:35Ces joies-là, quand on travaille avec les enfants, on grandit.
15:41Il y a beaucoup de joie, beaucoup de peine, mais beaucoup de joie.
15:44Et puis, il y a le service public, la France,
15:49qu'incarne Robert Gallet, il ne faut pas l'oublier.
15:52Et ceci est présent dans ma vie,
15:55dans ce qui me motive.
15:58Et il y a aussi la recherche,
16:03comme tout enfant, d'ailleurs, je pense,
16:06de quelque chose qu'on pourrait appeler une vocation.
16:13Comment se donner intégralement
16:16dans un engagement social
16:21et...
16:24le besoin
16:26d'être dans la rencontre avec mes semblables.
16:30Je ne voulais pas un engagement professionnel
16:34qui me confronte à des concepts et à des dossiers,
16:38des dossiers encore moins.
16:40Et dans cet engagement du juge des enfants,
16:44c'est être tous les jours dans la rencontre, dans la vie.
16:49Vous parlez de vocation, j'ai envie de parler de sacerdoce.
16:52Vous avez failli être prêtre, vous avez fait deux ans de séminaire,
16:55ça fait aussi partie de votre parcours.
16:57Est-ce que le sacerdoce que vous vous êtes choisi,
16:59c'est la protection de l'enfance, comme un sacerdoce ?
17:05Je voudrais vous laisser le dernier mot,
17:07et j'espère qu'on pourra dire ça.
17:10En tout cas, je me sens à ma place
17:13dans...
17:16Je conçois ma fonction de juge des enfants comme...
17:23être dans l'enjeu de créer un espace
17:26où le langage redevient possible,
17:29en nommant la loi, en nommant la réalité
17:32de ce que vit l'enfant.
17:34Dans la justice de l'enfance, le mot, c'est le mot de danger.
17:38Et par le fait de dire les choses
17:42d'une manière claire, sans équivoque,
17:47sans tromperie, sans incertitude,
17:50créer cet espace où le langage redevient possible.
17:56Et oui, c'est ce que je voudrais faire.
18:00Chaque fois que j'y suis parvenu, si c'est le cas,
18:04j'en serai honoré.
18:06Ernestine René, psychologue pionnière
18:08dans la lutte contre les féminicides,
18:11dites que vous êtes habité.
18:12Elle parle de nécessité impérieuse, de volonté farouche.
18:16Vous vous sentez habité par cette cause ?
18:19Oui.
18:20Oui.
18:22D'abord, parce que c'est un enjeu de solidarité.
18:29Dans ces engagements-là, on est là tout entier, tel qu'on est.
18:32Et si on écoute
18:35ce que les personnes qu'on reçoit nous disent,
18:40alors, cette parole nous oblige.
18:42Pendant trois ans, à La Civilis, j'ai dit que cette parole nous oblige.
18:45Mais pour de vrai, comme disent les enfants.
18:48Parce qu'elle vient nous chercher
18:51et nous mettre face à la réalité telle qu'elle a été vécue.
18:57Et ceci m'habite.
19:00Ne pas faire semblant.
19:03Et...
19:04Pour répondre honnêtement et loyalement à votre question,
19:07je dirais que je ne veux pas être spectateur.
19:10Alors que les autres sont spectateurs ?
19:12Je ne sais pas, mais je ne veux pas l'être.
19:16Cet écart entre le nombre d'enfants violés, agressés sexuellement,
19:21et le nombre d'enfants
19:24à qui la société rend justice
19:27est tel qu'il est possible de dire que la société, le système,
19:33préfère la position du spectateur.
19:35Je ne veux pas être un spectateur.
19:37Je ne veux pas aller à la fenêtre,
19:39regarder la tragédie se déployer sous mes yeux
19:46en restant les bras ballants.
19:48Cela vous attire aussi quelques grincements de dents,
19:50dans la profession, d'après le monde.
19:53Vous seriez pour certains trop militant, trop dogmatique, trop médiatique.
19:56Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
19:58Et est-ce que ça vous porte préjudice dans votre carrière ?
20:03Manifestement...
20:05ça a conduit à ce que je ne sois pas maintenu à la civise,
20:10comme...
20:14me paraissait évident,
20:16de continuer ce travail qui ne faisait que commencer.
20:20Mais peu importe.
20:25Trop militant...
20:27Je veux bien dire un mot, parce que je n'ai jamais compris le sens.
20:33On dit trop militant comme si c'était une faute,
20:38comme si c'était un mauvais positionnement.
20:41Je ne sais pas si je suis militant.
20:43Ce que j'ai à dire, je le dis.
20:47Juger, c'est trancher, c'est discriminer, c'est séparer.
20:54Tout n'est pas toujours nuance.
20:56On ne peut pas se réfugier constamment, perpétuellement,
21:00derrière la nuance, la complexité.
21:04La nuance n'existe que parce qu'avant tout,
21:07il y a des couleurs qui sont distinctes
21:10et qui se voient à l'œil nu.
21:12C'est la condition même de la nuance.
21:17Et tout n'est pas toujours nuance.
21:20Et quand il y a ce que vous avez appelé,
21:24au début de notre entretien, le mal,
21:27quand il y a le choix du passage à l'acte,
21:32le choix de la transgression,
21:35ce n'est pas militant de dire
21:39qu'on ne transgresse pas la loi impunément.
21:43À l'allure de celui que vous êtes,
21:45quel conseil donneriez-vous au petit garçon que vous étiez ?
21:48Qu'est-ce que vous lui diriez avant qu'il ne se lance dans la vie ?
21:54N'aie pas peur.
21:57Tout est grâce.
22:00Vous me prenez de court, là ?
22:02C'est une question rituelle, que je pose à tous mes invités.
22:09Bon, puisque vous m'avez pris de court,
22:12je répondrai en citant une phrase de Julien Grine,
22:16dans son journal, que j'aime beaucoup,
22:18et qui dit, quoi qu'il arrive, malgré tout,
22:22il y a toujours la joie de Dieu qui passe
22:25comme le vent dans les arbres.
22:29Voilà ce que je lui dirais.
22:31J'ai des photos à vous proposer.
22:36Voici cette première photo que je voudrais vous proposer.
22:38C'est une photo illustrant le viol antisémite abominable
22:41qui a eu lieu à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, en juin 2024.
22:44La victime est une petite fille de 12 ans.
22:46Les agresseurs, les violeurs présumés, ont 12 et 13 ans.
22:50Ce sont des enfants qui commettent des crimes
22:52sur d'autres enfants.
22:54Comment le juge de la protection de l'enfance
22:57perçoit-il des crimes où ce sont des enfants eux-mêmes
23:01qui s'agressent entre eux et qui ne se protègent pas ?
23:05Ce crime est terrifiant à plusieurs égards.
23:11Et y compris pour la raison que vous venez de dire.
23:18Un nombre important de viols et d'agressions sexuelles
23:21commises contre des enfants le sont par d'autres enfants.
23:27La stratégie de déni social,
23:31dont nous parlions en commençant,
23:33est alors d'invoquer le prétexte des jeux sexuels,
23:37de la découverte, de l'inconscience,
23:41de l'absence de discernement.
23:45En réalité, on observe qu'il y a toujours un rapport de force,
23:49un écart d'âge, un écart de pouvoir.
23:52La violence, quelle qu'elle soit,
23:54y compris quand elle passe par le sexe,
23:57y compris quand elle est commise par un ou des enfants,
24:01est une arme de pouvoir.
24:05Tu m'appartiens, je ne veux pas que tu existes.
24:10Plusieurs enfants.
24:13Une enfant vulnérable par l'isolement,
24:18ce n'est pas un jeu, à l'évidence,
24:20c'est une succession de choix
24:28jusqu'au viol lui-même.
24:32Ce qui me conduit à dire
24:34qu'il ne faut jamais banaliser la transgression
24:39quand on parle de viol ou d'agression sexuelle, jamais.
24:42Il y a dans ce passage à l'acte
24:44qui montre bien que le sexe n'est jamais qu'une arme,
24:50une volonté de détruire,
24:54de déclarer l'illégitimité d'un être humain,
24:58ici une petite fille, en raison de sa religion.
25:03J'ai une deuxième photo à vous proposer,
25:05c'est une de Télérama,
25:07avec Judith Gaudrèche,
25:08avec laquelle vous partagez le combat contre les violences sexuelles.
25:12Elle plaide pour que vous teniez un rôle plus important,
25:15officiellement, et que vous reveniez à la tête de la civise.
25:19C'est un coup de cœur, Judith Gaudrèche,
25:22c'est une rencontre comme on en fait rarement dans la vie,
25:25c'est quelqu'un qui booste votre combat.
25:28Vous lui dites bravo, vous lui dites merci, à Judith Gaudrèche.
25:31Oui, oui, et oui.
25:33Et oui, bravo, bien sûr, et merci, bien sûr.
25:37Je sais, plus intime de moi-même,
25:41qu'en l'écoutant, en la regardant,
25:45dans le secret de leur maison,
25:48un nombre très important de femmes et d'hommes,
25:52et d'enfants peut-être même,
25:55ont été sortis de la solitude,
25:59ont été sortis de la solitude
26:03par les mots, la voix, la présence de Judith Gaudrèche.
26:09Elle l'a vécue,
26:11elle le dit,
26:13elle est vivante.
26:15Je ne suis pas seule.
26:19J'ai droit à vivre, moi aussi.
26:22Je peux aller là où elle est.
26:27Et par sa notoriété,
26:31cette prise de parole de Judith Gaudrèche
26:34est un acte que je pense être d'une très grande générosité.
26:40Dans la chaîne de ces actes de très grande générosité
26:45qu'ont été les prises de parole de Camille Kouchner,
26:49de Christine Angot...
26:51De toutes ces femmes qui témoignent.
26:54De femmes et hommes qui l'ont fait,
26:56et que je voudrais pouvoir citer toutes et tous.
26:58C'est très important. On parle de paroles écrasées.
27:03De paroles dont on conteste la légitimité.
27:08Et les personnes, comme Judith Gaudrèche,
27:11prennent un risque extrêmement important,
27:14avec un prix à payer,
27:17pour dire la notoriété que j'ai,
27:20je la mets au bénéfice
27:24de toutes les personnes à qui on ne reconnaît pas
27:27la légitimité de s'exprimer.
27:29La civise, vous savez, était créée
27:31après la publication du livre de Camille Kouchner.
27:33Familia grande.
27:35Une dernière question en lien avec le lieu où nous sommes.
27:38Nous sommes entourés de 4 statues qui représentent chacune une vertu.
27:41Il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
27:45Avec laquelle de ces vertus avez-vous envie de terminer cette émission ?
27:50Avec la sagesse.
27:53Ce sera votre mot.
27:54Un cœur qui écoute.
27:57Un cœur intelligent.
27:58Merci beaucoup, Bézard Durand, d'avoir été avec nous.
28:02Merci de vous être livré, comme vous l'avez fait.
28:04Merci de nous avoir suivis, comme chaque semaine.
28:07L'émission est retrouvée en podcast, mais aussi en replay
28:10sur notre plateforme publicsena.fr.
28:12Merci encore. Merci, à très bientôt sur Public Sénat.

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