• il y a 3 mois
Elle n'avait que 9 mois lorsque les Nazis ont débarqué chez elle et ont braqué une mitraillette dans le dos de son père. Il lui a fallu 80 ans pour sortir du silence. Marcelle Chauviré - née Serrier - et sa famille ont échappé au massacre d'Oradour-sur-Glane par la division SS Das Reich qui a causé la mort de 643 personnes le 10 juin 1944, lors de la seconde guerre mondiale. Pas considérée comme rescapée car la famille ne se trouvait par les lieux de supplice, Marcelle souhaite désormais rétablir sa vérité.

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Transcription
00:00Rien que le fait de rentrer au radeau, dans le bourg,
00:05mais pourquoi eux et pas nous ?
00:10Pourquoi ils sont tous morts ?
00:31Ce jour-là, mon papa jouait dehors sur une couverture avec mon frère.
00:35D'un seul coup, il a vu passer des camions d'Allemands,
00:39et puis les Allemands qui descendaient des camions et qui se plaçaient.
00:43Ça l'a intrigué.
00:45Il a fait rentrer mon frère,
00:47et il a dit à ma mère et à Mme Leboutet, la voisine,
00:52« Vous ne bougez pas, je vais essayer de faire un tour. »
00:57« Vous ne bougez pas, je vais essayer de passer par derrière,
01:01par le jardin, pour voir ce qui se passe. »
01:04Il n'a pas pu, parce qu'il y avait un Allemand devant la porte du jardin.
01:08Il est resté dans la maison et il est monté se cacher dans le grenier.
01:12Ensuite, vers 4h de l'après-midi, les Allemands sont arrivés à la maison.
01:16Quand ils sont arrivés, ils ont trouvé ma mère et Mme Leboutet.
01:22Elles nous ont pris dans leurs bras, ma mère m'a pris dans ses bras,
01:25Mme Leboutet a pris Roger.
01:29Les Allemands ont continué à monter dans l'étage.
01:32Ils ont trouvé mon père dans le grenier.
01:36Ils l'ont fait descendre avec un revolver sur la tente et une mitraillette dans le dos.
01:43Les Allemands leur ont fait signe de descendre vers le bourg.
01:46Il y a un Allemand qui s'est mis en travers de la route,
01:49qui a écarté les bras, qui leur a fait blanc et fait comme ça.
01:55Mes parents, ils n'ont pas compris sur le coup.
01:57Puis il leur a refait comme ça.
01:59Alors mes parents sont partis par là.
02:02Ils sont repassés devant la maison.
02:04Ils ont vu des Allemands qui faisaient des torches en papier et qui mettaient le feu à la maison.
02:09Juste après la dernière maison, il y avait un tout petit chemin qui amenait à la forêt.
02:15C'est comme ça qu'on a rejoint les bois et qu'on a vécu pendant 10 jours dans les bois.
02:22Et moi j'avais 9 mois.
02:24Et mon frère 3 ans.
02:28Votre grand-père, il avait 3 ans.
02:32Quand papa nous a fait rentrer assez profondément dans la forêt, il a dit vous restez là.
02:38Moi je vais essayer de m'approcher de la ferme pour essayer d'avoir du lait pour la gamine.
02:43Et donc il s'est approché le plus près possible de la ferme.
02:46Les gens de la ferme ont dit à papa, tu reviens auprès de ta femme et de tes gosses.
02:51Nous on va t'apporter tout ce qu'il faut.
02:53On va passer par derrière la forêt.
02:55Et c'est comme ça que papa a appris aussi ce qui s'était passé dans le bourg.
02:59Que toutes les femmes et les enfants avaient été brûlées dans l'église.
03:03Et que les hommes avaient été mitraillés dans les garages.
03:07Et puis après, au bout de 7-8 jours, on est allé dans une espèce de cabane de berger.
03:15Et puis un matin, mon père était en train de se raser.
03:22Et dans la glace, il a aperçu 2 hommes qui arrivaient au fond du pré.
03:27Ces personnes là, c'était 2 personnes de la préfecture de Limoges.
03:31Ils venaient pour lui dire qu'ils avaient trouvé un logement pour qu'on ne reste plus dans la forêt.
03:38Pour mon père, ça a été très très dur.
03:40Et aller expliquer devant les gens que lui, sa femme et ses enfants ont été sauvés par un Allemand.
03:48C'est pas évident.
03:50Expliquer ça devant les gens qui ont tout perdu.
03:53Un jour, il avait reçu un bond pour aller chercher des vêtements à la Croix-Rouge.
04:00Lorsqu'il s'est présenté à la Croix-Rouge avec son papier,
04:03le gars qui l'a vu regarde mon père droit dans les yeux et lui dit
04:07« Il faut croire que t'as une belle femme pour que les boches l'aient épargnée. »
04:11Et là, papa a dit « Heureusement que monsieur Leboutet était là pour retenir mon bras. »
04:15Parce qu'il dit « Je crois qu'il en aurait pris une, oui. »
04:18Et à partir de ce jour-là, ça a été terminé.
04:20Mon père n'a plus jamais voulu en parler.
04:23Eh bien moi, je l'ai compris la première année où je suis allée à l'école.
04:28J'avais 6 ans.
04:29Parce que le 10 juin, la maîtresse a arrêté les cours vers 11h30 le matin
04:34et elle nous a raconté l'histoire du village de Radour-sur-Glane.
04:37Et puis qu'il y avait quelques personnes qui avaient réchappé du massacre,
04:42que ces gens-là n'avaient pas de revenus et qu'il fallait les aider.
04:47Alors elle demandait si on pouvait donner une petite pièce pour aider ces gens.
04:53Et puis j'arrive à la maison, toute fière, pour raconter à maman
04:56« Maman, tu sais ce que la maîtresse nous a dit ?
04:59Elle nous a raconté l'histoire de Radour. »
05:01Puis elle a demandé si on pouvait donner une petite pièce.
05:03« Est-ce que tu crois que tu pourras me donner une pièce ? »
05:05Et maman me dit « Écoute, on va attendre que papa soit là
05:09et on en parlera quand papa va rentrer pour manger. »
05:12Et c'est là que mes parents m'ont raconté.
05:14Ah, c'est continuellement présent.
05:16Et c'est de plus en plus dur.
05:18Quand on va au Radour, rien que le fait de rentrer au Radour,
05:24dans le bourg,
05:29mais pourquoi eux et pas nous ?
05:31Pourquoi ils sont tous morts ?
05:35Bien sûr papa nous a sauvés.
05:38Pourquoi est-ce que ça s'est passé comme ça ?
05:41Parce que je devais être là aujourd'hui pour vous dire tout ça.
05:45Alors que je l'ai gardé, je ne voulais pas en parler.
05:49J'en parlais avec mes amis qui connaissaient, avec ma famille.
05:53Mais jamais j'en parlais avec des gens que je ne connaissais pas.
05:56Jamais, jamais.
05:57Et c'est mes petits-enfants qui m'ont poussé à le faire.
06:00Pour eux, pour mes parents, pour mon frère,
06:04c'est pour eux que je l'ai fait.
06:07Et aussi pour mes neveux.
06:09Les trois petits-enfants de mon frère portent le nom de Serrier.
06:13Et pour eux c'est beaucoup plus dur à porter.
06:16Moi je porte plus dans là.
06:19Mais pour eux c'est dur à porter.
06:23Parce qu'ils savent qu'on est sortis vivants du bourg de Radeau-sur-Glane
06:27et qu'on ne fait pas partie des rescapés.
06:29Parce que les rescapés, c'est ceux, les hommes qui sont allés dans les lieux de supplice
06:34et qui ont réussi à sortir des granges.
06:38Et madame Honfange, qui est la seule femme qui est sortie de l'église.
06:42Eux ce sont des vrais rescapés.
06:44Mais nous, on n'a pas été vers les lieux de supplice.
06:48Donc ils ne nous considèrent pas comme rescapés.
06:56Le 16 juin 2024, pour les 80 ans,
07:00à la demande de mes petits-enfants et de mes petits-neveux,
07:05nous sommes allés tous ensemble pour faire une photo devant la maison
07:12et commémorer ces 80 ans.
07:14Ils m'expliquaient que c'était mon histoire, mais c'était aussi la leur histoire.
07:19Et pour que cette histoire se continue dans la famille,
07:23il fallait des preuves en fait.
07:25Et ça leur faisait du bien qu'on aille ensemble à Auradour.
07:30C'était très émouvant, mais j'étais très contente.
07:35J'étais très très contente parce qu'au moins je me soulageais
07:40de ce mutisme que j'avais gardé pendant toute ma vie.
07:45Quand j'y pense, c'est différent maintenant.
07:47C'était une journée formidable grâce à Hugo, mon petit-fils.
07:50Parce que c'est lui qui a beaucoup voulu que je parle
07:54et je ne le remercierai jamais assez.

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