L'Invité du 13h (13h - 4 Septembre 2024 - Matthieu TARDIS et Dany PATOUX)
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00:0021.615 migrants ont réussi la traversée entre la France et le Royaume-Uni depuis le début de l'année.
00:06C'est un record selon les autorités britanniques.
00:09Mais combien sont-ils à ne pas être allés au bout de ce voyage ?
00:12Hier, 12 d'entre 10 femmes, 2 hommes, la moitié mineure, sont morts dans le naufrage de leur embarcation.
00:18Un canot avec une soixantaine de personnes à bord.
00:21Ce canot s'est disloqué au large du Cap Grinet, au large de Vimereux, à quelques kilomètres au nord de Boulogne-sur-Mer.
00:28Il s'agit du pire naufrage depuis le début de l'année, ce qui fait de l'année 2024 l'année la plus meurtrière depuis le début de ces traversées de migrants.
00:36Pour en parler avec nous, ici en studio, Mathieu Tardis, bonjour.
00:39Bonjour.
00:39Vous êtes co-directeur de Synergie Migration, c'est un centre de recherche sur les questions d'asile, d'immigration et d'inclusion.
00:45Et puis, nous sommes en ligne avec Dany Patou.
00:47Bonjour.
00:48Bonjour.
00:49Vous êtes la présidente de l'association Osmose 62, qui vient en aide aux migrants dans le Boulogne et dans le Montreuil.
00:56Et vous étiez sur place hier après l'annonce de ce naufrage.
01:01Je voudrais avant vous donner la parole, ainsi qu'aux auditeurs de France Inter qui peuvent nous appeler 0145 24 7000 ou témoigner, poser leur question via France Inter.fr.
01:11D'abord, donner la parole à l'un de ceux qui est intervenu hier pour sauver ces migrants en train de se noyer.
01:18C'est un pêcheur de la région, un pêcheur qui est toujours sous le choc.
01:21D'ailleurs, il a été rencontré ce matin par notre envoyé spécial sur place, William Delesseux.
01:26Ce pêcheur s'appelle Gaëtan Bayer et il livre le récit de ce sauvetage qu'il a récupéré à bord de son bateau, notamment des cadavres.
01:35Le Zodiac était en train de couler et après des gilets, il y en avait cinq, six.
01:40En plus, ça ne devrait pas arriver.
01:42C'est la première fois que vous êtes confronté à ce type de réalité là.
01:45Vous le redoutiez peut être.
01:47On a déjà été voir après des Zodiacs, des migrants, mais pas en train de sombrer.
01:54Franchement, quand je suis arrivé, je ne pensais pas avoir des morts.
01:59Je ne pensais pas avoir des morts, nous dit Gaëtan Bayer.
02:02Dany Patou, ça a été la même réaction pour vous hier en fin de matinée ?
02:07Oui, bien sûr, bien sûr.
02:08Nous déplorons l'événement et malheureusement, depuis le début d'année, on déplore un nombre de morts croissants.
02:16Effectivement, comme vous l'aviez dit, c'est une année record, un très, très mauvais record.
02:21Et on alerte, on alerte, il faut que ça change.
02:24Au total, je l'ai dit, douze morts, une cinquantaine de naufragés ont été pris en charge.
02:31Où est-ce qu'ils sont à l'heure où l'on parle, Dany Patou ? Pris en charge, ça veut dire quoi ?
02:36Nous n'avons, nous, Association, aucune information sur ce genre de choses.
02:40Nous sommes tenus à l'écart du contexte officiel et nous n'avons pas d'information.
02:48Ce sont les autorités qui les prennent en charge dans ces cas-là, on est bien d'accord ?
02:52Quand il y a un naufrage avec décès, oui.
02:55Sinon, on déplore aussi qu'il ne soit pas pris en charge d'habitude.
03:00C'est-à-dire que parfois, il y a des naufrages, mais les autorités n'interviennent pas, c'est ce que vous nous dites ?
03:04Tout à fait, oui.
03:06Donc des naufrages qui ont lieu peut-être plus près des côtes ou en tout cas qui n'occasionnent pas de morts ou de disparitions ?
03:12Quand il n'y a pas de morts, il y a très peu de prises en charge.
03:16Je félicite tout le personnel de ces bateaux, tous confondus, les pompiers, etc.
03:23qui viennent prendre en charge ces naufragés, d'habitude quand il n'y a pas de décès.
03:30Mais quand ils sont redéposés sur le quai, très souvent, il n'y a aucune prise en charge.
03:37Ils sont livrés à eux-mêmes sur le quai, à boulogne sur mer.
03:40Plus de 60 personnes sur un zodiaque, c'est le mot qu'a employé ce pêcheur à l'instant.
03:47Très peu de gilets de sauvetage.
03:48Ce matin, le maire du Portel, Désir d'ailleurs, a qualifié les passeurs de salopards.
03:53Est-ce que vous reprenez ce terme à votre compte, Dany Patou ?
03:58Je ne vais pas avoir des adjectifs qualificatifs très sympas pour les passeurs, forcément.
04:05Mais ça me fait rire quand j'entends ça, parce qu'hier, il y a eu toute une mascarade sur le port.
04:14Les personnes officielles sont arrivées, les médias de toutes parts.
04:19Mais je demande aux médias de venir nous suivre au quotidien,
04:23quand nous faisons les maraudes à partir de 5h du matin.
04:26Le quotidien est tout autre.
04:28Là, on ne rencontre pas d'élus.
04:30Les élus ne nous répondent pas quand on les sollicite.
04:34On n'arrête pas d'alerter.
04:36On dit que ça va continuer, que ces décès vont continuer.
04:39Et on ne trouve personne pour nous aider au quotidien.
04:43Mathieu Tardis, vous n'êtes avec nous qu'au directeur de Synergie Migration.
04:47Vous êtes chercheur sur ces questions d'asile et d'immigration.
04:50Pourquoi ce bilan est-il le plus lourd en cette année 2024 ?
04:54Qu'est-ce qui peut expliquer cette aggravation dans les flux migratoires,
04:58par exemple, qui parcourent la France et le continent ?
05:02Il est lourd aussi parce que les personnes migrantes
05:05prennent de plus en plus de risques pour essayer de traverser la Manche ou la mer du Nord.
05:09C'est avant tout ça, au-delà de la question des flux et des arrivées de personnes
05:14sur le territoire européen, en France et au-delà.
05:18Ce n'est pas forcément lié au nombre de migrants qui tentent de se rendre au Royaume-Uni.
05:21C'est lié au fait que les traversées sont de plus en plus périlleuses.
05:24Là, vous avez parlé de 20 000 traversées par la mer, c'est-à-dire qu'il y a encore...
05:28La question de Calais, elle se pose depuis 30 ans.
05:30Ça fait 30 ans que ça existe, des personnes qui sont à Calais
05:34et qui essaient de passer de l'autre côté de la Manche ou de la mer du Nord.
05:37Donc, ce n'est pas nouveau.
05:38Donc, au début, c'était plutôt essayer de passer par le tunnel sous la Manche
05:42en entrant dans les camions et qui allaient sous le tunnel.
05:45Ensuite, ça a été le port de Calais par les ferries.
05:49Et donc là, à chaque fois, en accord avec les Britanniques, avec l'argent,
05:52en accord avec les Britanniques, avec l'argent, souvent britannique,
05:55on a renforcé les contrôles.
05:57Et donc ensuite, ça a été plutôt les départs par la mer et de plus en plus loin
06:02et de manière de plus en plus dangereuse ou rapide.
06:05Donc, je ne dis pas forcément que c'est la responsabilité des autorités,
06:09mais c'est une conséquence du renforcement des contrôles.
06:13Et le seul, finalement, traitement sécuritaire ou le discours sur les passeurs.
06:19Je ne dis pas qu'il ne faut pas combattre les passeurs,
06:22mais un peu court.
06:24D'où viennent, Dany Patou, les migrants que vous aidez avec votre association ?
06:30Hier, une grande partie des victimes étaient originaires d'un pays d'Afrique de l'Est
06:34qui s'appelle l'Érythrée.
06:36D'où viennent les migrants que vous rencontrez ?
06:38Deux pays totalement différents.
06:41Il y a effectivement beaucoup d'Africains de l'Est, Érythrée, Somaliens, Soudanais.
06:47Mais il y a aussi beaucoup Iran, Irak, Libye, Syrie, Afghans, bien sûr.
06:52Il y a une évolution de ce point de vue-là ?
06:54Il y a des nationalités que vous avez vues apparaître ces derniers mois ?
06:58Les derniers mois, on a vu apparaître beaucoup de Vietnamiens aussi.
07:01Ça, ça nous a posé question aussi.
07:03Et vous savez pourquoi ?
07:06Chacun fuit. Je ne vais pas prendre le détail de chaque pays, mais chacun fuit.
07:10Non, mais concernant les Vietnamiens, par exemple ?
07:12Le train de vie vietnamien qui est très, très difficile.
07:18L'inflation, c'est ce qui nous explique.
07:21Mais les Vietnamiens s'expriment peu quant à leurs conditions personnelles.
07:26Mathieu Tardy, sur ce point ?
07:28Sur les Vietnamiens, ça fait quand même plusieurs années qu'on les voit sur le littoral.
07:34Pas forcément dans les campements principaux, ils sont plutôt à part.
07:37Et là, on est vraiment sur des réseaux de traite, d'esclavage moderne,
07:40comme l'appelleraient les Britanniques,
07:43de personnes qui sont amenées du centre du Vietnam,
07:48qui passent par les Pays de l'Est, par Paris, qui est un point de transit,
07:51pour ensuite aller travailler dans les bars à ongles ou les maisons à marijuana au Royaume-Uni.
07:57Donc, on est là vraiment dans un cas un peu à part de réseaux de traite qui est très organisé
08:02et qui est très difficile finalement à démanteler.
08:05À tel point que les autorités du Royaume-Uni ont mis en place des campagnes sur YouTube en vietnamien
08:11au printemps dernier, à destination précisément de ces migrants,
08:16pour les dissuader de rejoindre le Royaume-Uni.
08:19Beaucoup de familles aussi, Dany Patou, la moitié hier,
08:24familles ou très jeunes, c'est ce qu'on constate quand on voit le bilan de ce drame hier.
08:30Oui, bien sûr, il ne faut jamais oublier, là on parle de chiffres, on fait des statistiques,
08:34mais il ne faut jamais oublier que derrière tout ça, il y a des vies humaines.
08:38Il y a des familles dans tous les différents pays qui attendent des nouvelles de leur fils,
08:42de leur frère, de peut-être leur mari.
08:44Et il faut vraiment avoir en tête que ce sont des vies humaines et non pas des chiffres.
08:49Effectivement, je rejoins ce que disait tout à l'heure ce monsieur,
08:52en disant que les passages étaient de plus en plus dangereux,
08:57les forces de l'ordre se multiplient, percent les bateaux, gazent les gens,
09:01même quand le bateau est percé, et les gens prennent de plus en plus de risques.
09:06Les bateaux percés sont nombreux et donc il y a moins de bateaux pour les traverser
09:12et sont de ce fait surchargés.
09:14C'est une véritable équation mathématique, c'est-à-dire qu'il faut qu'on arrête ce schéma
09:20de renforcer la répression, les forces de l'ordre,
09:24puisqu'on voit bien mathématiquement, de toute façon,
09:27que ça n'engendre que des morts supplémentaires.
09:30Avant de venir aux solutions éventuelles que vous préconisez aux relations notamment au Royaume-Uni,
09:34un dernier mot Dany Patou, des bénévoles de votre association Osmos 62.
09:38Je crois que l'un de vos bénévoles très jeune avait sauvé un bébé de la noyade
09:43il y a quelques semaines.
09:45Dans quel état sont-ils après une journée comme celle d'hier ?
09:49On est tous accablés et très en colère.
09:52On n'arrête pas d'alerter les politiques, les élus.
09:55On dit que ça va recommencer.
09:57Nous sommes vraiment anéantis et on déplore vraiment forcément.
10:02Là, le nombre important de morts, il faut que ça s'arrête.
10:05Il faut vraiment que quelqu'un prenne les choses en main.
10:08Il faut que les pays se réunissent.
10:10L'Europe, le Royaume-Uni, il faut que des décisions autres aient lieu.
10:17Précisément, Gérald Darmanin sur place hier, ministre de l'Intérieur des missionnaires.
10:21Mathieu Tardis explique que la clé, ce serait un accord entre la France et le Royaume-Uni
10:25et que la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a compliqué les choses sur ce point.
10:31Est-ce que c'est l'une des clés du problème ?
10:33C'est l'une des clés.
10:35Je trouve que c'est un peu tardif d'amener cette question aujourd'hui.
10:39Même s'il y a eu ce drame, parce que ça fait plusieurs années,
10:42depuis le Brexit, qu'un certain nombre d'experts et d'associations demandent à rentrer dans ce type de négociation
10:48pour mettre en œuvre ce qu'on appelle des voies légales,
10:50permettre à des personnes qui sont en France ou ailleurs en Europe à accéder légalement au territoire britannique,
10:58particulièrement lorsqu'elles ont des liens, des liens familiaux,
11:01et ce casse souvent des millions d'accompagnés.
11:04Le Brexit est un peu compliqué dans le sens où on pouvait, avec les règles européennes,
11:09on pouvait permettre à certaines personnes d'y accéder, justement par l'unité familiale.
11:14Donc c'est un peu compliqué.
11:15Mais ce n'est pas une excuse non plus dans le sens où les relations franco-britanniques sont des relations bilatérales
11:22et tous les traités qu'il y a eu sont des traités bilatéraux qui ne sont pas dans le cadre de l'Union européenne.
11:26Et le Royaume-Uni n'était pas dans Schengen avant.
11:29Donc c'était déjà une frontière Schengen.
11:31Donc finalement, on n'a pas changé fondamentalement.
11:34C'est juste ce petit aspect qui est important pour quelques centaines certainement de personnes par an,
11:38de pouvoir permettre, des personnes dont on est sûr qu'elles vont tout faire pour arriver au Royaume-Uni,
11:42parce qu'elles ont de la famille, de le permettre, de le faire légalement.
11:46Mais on pourrait aussi très bien le faire de Grèce, d'Italie, et c'est en ça où c'est aussi une question européenne.
11:50Les électeurs britanniques se sont prononcés ces dernières années.
11:52Ils ont voté pour Rishi Sunak et son programme qui était très anti-immigration.
11:57Ils ont voté pour le travailliste Keir Starmer il y a quelques mois, qui lui aussi dit vouloir lutter contre l'immigration.
12:03De ce point de vue-là, à part l'abandon du projet d'envoyer les migrants au Rwanda le temps que leur dossier soit étudié,
12:10il n'y a pas un changement majeur.
12:11Il dit vouloir lutter contre l'immigration irrégulière, ce qui est un peu différent.
12:14Et l'immigration n'a jamais été aussi importante au Royaume-Uni depuis le Brexit.
12:18Donc il faut remettre tout ça dans un contexte plus large.
12:21C'est-à-dire que c'est moins des Européens, du coup, c'est plus des ressortissants de pays tiers non-européens.
12:25Donc c'est l'immigration irrégulière et donc c'est les arrivées irrégulières.
12:29Sachant qu'un nombre de ces personnes pourraient demander l'asile et l'obtenir, que ce soit au Royaume-Uni, en France ou ailleurs.
12:35Donc la question est beaucoup plus complexe.
12:38Bien sûr qu'aujourd'hui, la politisation de la question de l'immigration, que ce soit au Royaume-Uni,
12:42et c'est encore plus important qu'ici ou en France, fait qu'on a une difficulté d'avoir un discours complexe sur ces questions-là.
12:49Et on va se réduire à dire qu'il faut lutter contre les passeurs.
12:53La question est beaucoup plus complexe.
12:54Et soit finalement on a été très inefficaces contre les passeurs et qu'on a dépensé des dizaines de milliards d'euros sur ces politiques-là pour rien.
13:03Soit il faut reconnaître un peu plus la réalité du monde et que la question est quand même complexe.
13:08Qu'il faut aussi proposer des conditions d'accueil.
13:11L'immigration est un fait normal.
13:12Il va continuer.
13:13On est aussi là dans des populations plutôt en migration forcée.
13:17Et les conflits dans le monde montrent qu'ils vont être de plus en plus importants.
13:21Vous demandez aussi l'ouverture de couloirs d'immigration légale vers le Royaume-Uni.
13:25Ça, ça dépend de Londres ?
13:27Oui, bien sûr.
13:28Plus les trajectoires seront sécures, moins forcément il y aura de mort à déplorer.
13:34Merci à tous les deux d'avoir accepté notre invitation.
13:36Mathieu Tardis, co-directeur de Synergie Migration.
13:39Dany Patou, présidente de l'association Osmose 62, notamment à Boulogne-sur-Mer.
13:4513h45 sur Inter.