Anne-Isabelle Tollet, grand reporter, raconte son expérience en Iran et relate le combat des femmes sur place : «Leur combat, elles le portent en elles».
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00:00ou même complètement inaccessibles, les visas ne sont pas du tout octroyés par la République islamique.
00:05Donc j'ai trouvé un superfuge, je me suis fait passer par une touriste en trouvant une agence de voyage
00:12qui réalisait encore des voyages organisés en Iran, petite agence iranienne,
00:15parce qu'en France, même les agences occidentales n'emmènent plus les touristes en Iran.
00:20Pourquoi ? Parce qu'il y a des arrestations arbitraires, parce que l'Iran use de la diplomatie des otages,
00:25c'est-à-dire qu'ils font des arrestations de Français, d'étrangers, il y en a encore trois dans les geôles iraniennes,
00:33pour pouvoir dealer des échanges avec d'autres prisonniers ou dégeler des avoirs qui seraient gelés en raison des sanctions envers le régime.
00:41Donc j'ai eu cette chance inouïe de pouvoir obtenir ce visa de touriste.
00:47Et ça veut dire qu'à la journée vous faites des visites touristiques ?
00:49Oui, alors j'ai menti évidemment sur ma profession, j'ai dit que je faisais des audits en entreprise,
00:54et puis la journée je faisais des visites avec une autre voyageuse qui elle ne savait pas,
00:58elle ignorait totalement que j'étais journaliste, pour aussi la préserver, pour des raisons de sécurité.
01:03Et la nuit, comme une petite fille, je faisais le mur et j'allais à la rencontre du peuple iranien.
01:08Est-ce que vous vous êtes sentie en danger parfois en réalisant cette enquête ?
01:12Alors en permanence, après c'est mon métier, les terrains dangereux c'est mon métier,
01:16mais tout comme les Iraniens on se sent en permanence en danger,
01:19d'ailleurs le guide qui m'accompagnait m'a rappelé dès le début,
01:23vous savez ici en Iran les murs ont des oreilles mais ils ont aussi des yeux,
01:27et ce qu'on se représente mal c'est que l'Iran est un pays moderne,
01:30parce que là on a l'impression que c'est moyen âgeux, sombre,
01:32et effectivement c'est sombre, on est sous une chape de plomb de l'obscurantisme,
01:36mais il y a des caméras vidéo partout, et y compris dans la voiture,
01:39si vous ne portez pas votre voile, vous vous faites flasher comme un radar de vitesse,
01:45et les personnes reçoivent des amendes ou les gardiens de la révolution,
01:49vont frapper à leurs portes et peuvent les jeter en prison pour cette raison.
01:53Qu'est-ce que vous avez découvert finalement de l'Iran d'aujourd'hui,
01:57alors j'imagine que c'est long à dire,
01:59mais par rapport à ce qui s'est passé il y a deux ans,
02:02ce vent de révolte qu'il y a eu dans le pays,
02:03est-ce que ça a bougé un petit peu cette chape de plomb ?
02:05Finalement pas du tout.
02:06Ah si, alors ça a considérablement évolué,
02:09il y a un avant septembre 2021 où effectivement Marsa Amini,
02:15cette kurde iranienne a été tuée en détention pour un port de voile non conforme,
02:20pour deux mèches qui dépassent de son voile tout simplement,
02:23et aujourd'hui, dans la mesure où si il y a deux ans on a vu des manifestations massives
02:27dans les rues et qu'aujourd'hui on les voit moins,
02:29et bien c'est parce que le combat n'est plus dans la rue,
02:31il est omniprésent et c'est surtout une révolte des mentalités.
02:35Les états d'esprit ont changé,
02:37les femmes que j'ai pu voir dans toutes ces villes,
02:39parce que j'ai traversé le pays, j'ai fait toutes les grandes villes,
02:41de Téhéran à Hispane, en passant par Shiraz, Yaz et même la ville sainte de Qom,
02:47et bien ces femmes ne portent plus le voile pour leur grande majorité,
02:53c'est leur manière de défier le pouvoir, donc leur combat, elles le portent en elles.
02:56Elles ne descendent plus dans la rue pour manifester ce désir
02:59de pouvoir avoir le choix de porter le voile ou non,
03:02carrément, elles l'enlèvent,
03:04et là c'est un défi face au régime qui est fragilisé.
03:07Et ce peuple, vous l'avez senti en colère toujours ?
03:11Ah oui, en colère, prêts à mourir pour retrouver l'Iran qu'ils aiment,
03:18parce qu'en fait, au-delà du voile, c'est toutes ces interdits que la jeunesse,
03:23parce que 60% des Iraniens ont moins de 30 ans,
03:26et donc cette jeunesse qui a accès au monde extérieur grâce aux VPN,
03:30les filtres pour pouvoir déjouer justement la censure Internet,
03:34et bien ils ont accès au reste du monde,
03:37et ils ne comprennent pas pourquoi ils ne vivent pas comme tout le monde,
03:39parce qu'il faut rappeler aussi que les hommes ont des interdictions,
03:42ils ne peuvent pas porter de bermudas, des bardeurs,
03:45ils ne peuvent pas avoir la coupe de cheveux qu'ils souhaitent,
03:46ils ne peuvent pas se tatouer,
03:48et les jeunes ne peuvent pas vivre normalement, librement et de manière égalitaire.
03:52Ce qui est fou et ce qui m'intéresse, c'est qu'on a un peuple qui est capable de se révolter,
03:57des femmes qui décident de ne plus porter le voile,
03:59qui se rebellent finalement contre ce pouvoir.
04:01Qu'est-ce qui fait que ce pouvoir est toujours en place aujourd'hui ?
04:03Eh bien le pouvoir, malgré tout, ça fait 45 ans qu'il est là,
04:07et d'ailleurs la France est en partie responsable,
04:09puisque c'est elle qui a préparé cette révolution islamique
04:12en hébergeant l'Ayatollah Romani en 1978 à Neuf-le-Château.
04:17Eh bien, il faudrait que la communauté internationale prenne son courage à deux mains,
04:21décide que les gardiens de la révolution soient une organisation terroriste,
04:25que les sanctions soient encore plus dures, plus fortes,
04:27et que le fils du chat d'Iran qui est réfugié, exilé à Washington aux Etats-Unis,
04:34puisse apporter cette alternance avec le soutien de la communauté internationale.
04:38Mais pour ça, il faut beaucoup de courage,
04:40et les politiques en ont moins que le peuple iranien.