Maya reçoit, Véronique Sousset, ex-directrice de centre pénitentiaire. Elle présente son ouvrage "Dans la tête de JCR" publié aux éditions Le Cherche-Midi.
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00:00Bonjour Véronique Souffet.
00:01Bonjour.
00:01Merci d'être avec nous ce matin dans la tête de JCR.
00:05C'est le titre de cette fiction publiée au Cherche-Midi.
00:08Vous avez dirigé plusieurs prisons à Nantes, à Rennes ou encore à Saint-Maur.
00:11Vous avez côtoyé Jean-Claude Romand, parmi d'autres criminels condamnés à de longues peines.
00:17Pourquoi lui ? Pourquoi c'est lui qui vous a inspiré ?
00:20C'est un cas assez paroxystique.
00:23Paroxystique parce que cet homme a connu l'enfermement des années dans le mensonge,
00:29des années d'enfermement dans le mensonge, des années d'enfermement en détention.
00:35Et je me suis demandé si cette liberté, de quelle liberté il s'agissait,
00:41et si cette liberté n'était pas encore un enfermement peut-être dans la culpabilité.
00:46Pourquoi pas un livre d'entretien que vous lui avez proposé ou ce n'était pas possible ?
00:50Ce n'était pas possible et du coup je trouvais ça aussi intéressant que de m'essayer à la fiction.
00:57Le livre s'ouvre sur une rencontre entre vous ou une directrice de prison
01:02et le fameux JCR, une fois qu'il est sorti de détention.
01:06Cette rencontre a-t-elle eu lieu ?
01:08Oui, elle a eu lieu. C'est une rencontre fortuite entre lui et moi.
01:12Alors je l'ai un peu romancé, réagencé.
01:17C'est donc dans la file d'attente d'une boulangerie.
01:20Ce n'était pas tout à fait ce lieu-là mais c'était aussi impromptu et aussi fortuit.
01:25Toutes les questions dont je reparle, elles m'ont traversé ces questions.
01:33À ce moment-là, quand on dirige une prison, est-ce qu'on en rêve ?
01:38Est-ce qu'on le craint ce moment où on va peut-être rencontrer par hasard un ancien détenu ?
01:43Alors on n'en rêve pas, on ne le craint pas non plus.
01:48Je veux dire, ça peuple les rêves.
01:50Ce n'est pas un rêve où on se projette en se disant « chouette, est-ce que ça va se passer ? »
01:54En même temps, il y a aussi des personnes qu'on aurait aimé rencontrer dans d'autres lieux, à d'autres endroits.
01:59C'est plutôt les questions qu'on pourrait poser.
02:03C'est-à-dire que, j'indique dans son prologue, je ne pouvais pas lui poser la question « comment allez-vous ? ».
02:08C'était complètement incongru, presque trivial.
02:12« Voilà, peut-être comment vous sentez-vous ? »
02:14C'est surtout toutes ces questions et tous ces mots qui font conversation qui m'échappaient à ce moment-là.
02:20Cette fiction est à la première personne, dans la tête de cet homme,
02:24condamné pour un quintuple meurtre après une vie de mensonge.
02:27On suit son processus de liberté, de libération.
02:33C'est long, on est parfois avec lui quand il a peur d'être reconnu dans la rue.
02:38On comprend sa solitude extrême.
02:41Parfois, on entre en empathie avec lui, tout en se rappelant aussi des crimes horribles qu'il a commis.
02:49On oscille entre ces sentiments-là. Est-ce que c'est votre cas aussi ?
02:53Non, ce que je souhaitais, pas de l'empathie, mais peut-être de la compréhension de ce que signifie cette liberté.
03:01Souvent, j'entendais « on est sortant de prison », « il est sortant de prison »
03:06et « combien d'années reste-t-on sortant de prison ? ».
03:09Ce qui m'intéressait, c'était plutôt d'essayer de comprendre qu'est-on libre parce qu'on est sorti de prison ?
03:16Est-ce que, quelque part, la peine ne se poursuit pas ?
03:19Et qu'est-ce que signifie cette liberté ?
03:21Est-ce que ce n'est pas une vie minimale ?
03:23De quoi est-elle faite ?
03:25Et c'est plutôt, j'allais dire, la description de quelqu'un, vous voyez, vieux, seul, plutôt qu'âgé et solitaire.
03:37Vraiment, c'était plutôt de donner à comprendre ce que signifiait cette liberté, si elle en est vraiment une.
03:45– Il a du mal, c'est des détenus qui purgent de longues peines,
03:48est-ce que ce sont des monstres ?
03:50Comment ils se définissent ?
03:51Lui-même, il a du mal à se définir, vous lui prêtez des mots, il dit « je suis haïssable »,
03:56un pari à un trou noir transparent,
03:58il faut reconstruire complètement une identité,
04:00sachant qu'il n'en avait pas puisqu'il a menti toute sa vie.
04:02Est-ce que vous le voyez comme un monstre ?
04:05– Non, je crois que si on le voit comme un monstre,
04:07on ne peut pas travailler et travailler dans l'administration pénitentiaire,
04:12dans la participation à l'exécution de cette peine,
04:14à la préparation, à la sortie, à la lutte contre la récidive.
04:17Non, et puis je trouve que ce sujet du monstre,
04:21finalement c'est quelque chose de désincarné,
04:23comme si on n'avait rien en commun avec eux,
04:26comme s'il fallait justement de ne pas leur ressembler.
04:29Et je crois que d'assumer aussi les faits, d'assumer qu'il y ait des victimes,
04:33c'est se dire ce n'est pas un monstre, comme dans la mythologie,
04:37mais c'est bien un être humain qui a commis ces faits monstrueux.
04:41Les faits sont monstrueux, l'homme n'est pas un monstre.
04:45– Vous avez dirigé plusieurs prisons, Saint-Maur, donc Nantes,
04:48la prison pour femmes de Rennes.
04:49On dit que vous avez beaucoup compté dans la libération de Jean-Claude Romand.
04:54Vous, quelle est votre vision de la prison ?
04:56Un lieu de privation de liberté, mais qui doit réparer aussi ?
04:59– Exactement, la prison est un lieu de relégation,
05:02on pourrait même dire d'expiation, mais si elle n'est que ça,
05:06alors elle rate, elle manque son objectif.
05:08C'est aussi, et c'est tout le sens de la peine,
05:12c'est aussi le temps d'exécution d'une peine pour la préparation à la sortie.
05:16Considérer les personnes détenues comme des citoyens,
05:19c'est aussi le meilleur rempart pour la lutte contre la récidive.
05:23C'est leur garder une place, le temps venu dans la communauté des hommes.
05:27– Vous êtes aujourd'hui directrice interrégionale adjointe
05:29des services pénitentiaires du Grand Est,
05:31qui chapote 22, je crois, établissements.
05:34Un mot sur l'état général de nos prisons,
05:36dans quel état se trouve-t-elle aujourd'hui ?
05:40– Je suis très fière d'appartenir à cette administration
05:42qui doit faire et composer avec les établissements
05:46et avec ce sujet de la surpopulation carcérale,
05:50et en tout cas, on travaille tout à fait alignés dans cet objectif,
05:56en tout cas, de ne pas majorer dans le quotidien
06:00ces conditions de détention qui sont parfois difficiles.
06:03Il faut rester attentif, humble, et je suis très engagé.
06:08– Combien de temps reste-t-on en sortant de prison
06:10une fois libérée lorsqu'on est un assassin ?
06:11C'est l'une des questions que vous posez dans ce livre,
06:13dans la tête de JCR, un livre qui donne à réfléchir
06:16une fois qu'on l'a refermé.
06:18Merci beaucoup Féronique Cécile d'avoir été avec nous ce matin.
06:20– Merci.