• il y a 3 mois

Category

📺
TV
Transcription
00:00:30Sous-titrage MFP.
00:01:00...
00:01:15Bonsoir, c'était le 21 février, les 23 membres du groupe Manouchian étaient fusillés.
00:01:21Ce numéro des brûlures de l'histoire est consacré à la restitution de l'histoire de l'affiche rouge, Patrick.
00:01:27Oui, alors il n'y a pas d'archives filmées, évidemment, de la lutte armée ni de l'action clandestine.
00:01:31Pour faire cette émission, nous avons eu recours à des témoins, des témoins survivants.
00:01:35Boris Solban, qui était le chef militaire de ce groupe avant et après Manouchian.
00:01:39Simon Rejman, qui était le frère d'un des héros de ce groupe, Marcel Reymann.
00:01:43Et puis, Christina Boyko, qui était une femme et qui était le chef du service de renseignement de ce groupe,
00:01:49avec un historien, Stéphane Courtois, spécialiste de l'histoire du mouvement communiste pendant la Deuxième Guerre mondiale,
00:01:54tout de suite, il y a un demi-siècle, l'affiche rouge.
00:02:24Stéphane Courtois, bonsoir.
00:02:30C'est en 1955 que Louis Aragon a écrit ce poème intitulé Manouchian,
00:02:35et mis en musique et chanté par Léo Ferré sous le titre l'affiche rouge.
00:02:39Je crois qu'il faut d'abord rappeler que l'affiche rouge, c'était une affiche de la propagande allemande.
00:02:43Absolument, c'est une affiche qui a été conçue par les Allemands et posée par elle sur tous les murs de Paris
00:02:49pour dénoncer un groupe de résistants, qui étaient en fait des étrangers,
00:02:55souvent des juifs et en particulier des communistes,
00:02:58qui ont été connus ensuite sous le nom de groupe Manouchian, qui est un nom impropre,
00:03:02puisqu'en fait, c'était un groupe qui s'appelait les francs-tireurs et partisans de la main-d'oeuvre immigrée.
00:03:06C'était leur nom exact.
00:03:08Alors, je crois que pour comprendre le rôle des francs-tireurs partisans de la main-d'oeuvre immigrée dans la résistance,
00:03:13il faut revenir en arrière, il faut revenir aux années 1920 et 1930,
00:03:16justement à la création de ce mouvement, de la MOI.
00:03:20Absolument, donc, puisque la MOI est créée par le Parti communiste français dès 1925,
00:03:25c'est une organisation spécialisée au sein du Parti communiste
00:03:28qui regroupe tous les militants étrangers qui se trouvent sur le sol français
00:03:32et qui sont ensuite organisés au sein de cette main-d'oeuvre étrangère à l'origine, MOE,
00:03:37qui sont organisés en ce qu'on appelle des groupes de langues.
00:03:40Quelle est la fonction de cette organisation ?
00:03:42Alors ça, c'est un principe, je dirais, constant du communisme international
00:03:47que les militants communistes qui se trouvent dans un pays
00:03:50doivent être organisés par le Parti communiste de ce pays.
00:03:53Alors maintenant, on va voir ce qu'il advient de ces groupes de la MOI au début de la guerre.
00:03:59Ce sont des voyageurs un peu particuliers qu'accueillent en ce jour d'octobre 1938
00:04:04Jacques Duclos et Maurice Thorez.
00:04:07Ces hommes sont des combattants des brigades internationales qui viennent d'être démobilisés.
00:04:12Le point dressé, ils défilent sur les grands boulevards,
00:04:15fiers d'avoir combattu aux côtés des républicains espagnols,
00:04:18meurtris par l'inéluctable défaite.
00:04:22Allemands, Polonais, Tchèques, Roumains, Italiens, Hongrois,
00:04:26ces révolutionnaires sans frontières avaient, le temps d'une guerre civile,
00:04:30trouvé une patrie, l'Espagne.
00:04:32Pour eux, l'ennemi à Madrid n'était-il pas le même qu'à Berlin ou à Rome.
00:04:37D'ailleurs, les avions d'Hitler bombardés Guernica
00:04:40et les légions de Mussolini prêtent un main-forte aux troupes de Franco.
00:04:44Au printemps 1939, les rescapés de l'armée républicaine franchissent les Pyrénées.
00:04:49Avec eux, les derniers combattants des brigades internationales
00:04:52que le gouvernement français parque dans les camps d'internement dans le sud de la France.
00:04:56Parmi eux, Francis Boxer, un des futurs combattants des FTP MOI
00:05:01ou Joseph Epstein qui commandera les FTP de la région parisienne.
00:05:05C'est derrière les barbelés que ces militants communistes, antifascistes d'instinct,
00:05:10apprennent la signature du pacte germano-soviétique.
00:05:14A cette époque, Cristina Bojko est une communiste roumaine de 26 ans.
00:05:19Elle a fui son pays pour venir faire en France des études de biologie.
00:05:23Ce que je ne pardonne pas, c'est les annexes secrètes du pacte qui ont...
00:05:32Du passage à la Pologne ?
00:05:33Oui, le passage à la Pologne, le passage à l'Arabie, ainsi de suite.
00:05:37Et aussi le fait que cela a entraîné une prise de position des partis communistes
00:05:46qui n'étaient pas normales.
00:05:48Les hésitations à combattre l'Allemagne nazie.
00:05:54Dès le déclenchement de la guerre, de nombreux immigrés qui ne sont pas mobilisables
00:05:58se présentent dans les bureaux de recrutement.
00:06:00Beaucoup de communistes étrangers s'engagent.
00:06:06En 1939, Boris Solban a 33 ans.
00:06:09Militant communiste de longue date, ce juif roumain est incorporé dans un régiment
00:06:13de marche des volontaires étrangers.
00:06:15Prisonnier pendant la débâcle, il s'évade.
00:06:19Lorsque les Allemands entrent dans Paris, le parti communiste clandestin est disloqué.
00:06:23La MOI est désorganisée et ses responsables, Louis Gronowski et Arthur London,
00:06:28commencent à renouer les contacts.
00:06:30Le parti communiste gardait son attitude, c'est-à-dire son comportement.
00:06:37C'est-à-dire aucune action contre les Allemands qui, à l'époque,
00:06:43étaient traités par le parti communiste français comme des alliés de Staline.
00:06:49Rue des immeubles industriels dans le 11e arrondissement de Paris.
00:06:52Ici vivent au début de la guerre des familles juives émigrées depuis peu en France.
00:06:57Au numéro 1 habitent les Reimann.
00:07:00Marcel, 18 ans en 1941, et son frère Simon, 14 ans,
00:07:04militent dans des organisations de jeunesse juive.
00:07:07Bientôt, Marcel Reimann commence à participer à des actions de propagande anti-allemand.
00:07:12Ils se réunissaient pour étudier un peu la situation, pour parler un peu de ce qui arrivait.
00:07:19Et puis ça n'a pas duré longtemps.
00:07:22Les premières mesures anti-juives et anti-sémites sont arrivées du gouvernement de Pétain.
00:07:29On a vu que ça allait tourner au vinaigre pour nous, juifs.
00:07:35Je me suis posé la question, est-ce que je vais continuer à coller des papillons
00:07:41et à distribuer des tracts et de tomber dans la main de la police pour si peu de choses ?
00:07:49Cela me paraissait assez peu exaltant.
00:07:52En juin 1941, l'Allemagne se précipite contre l'Union soviétique.
00:08:01Les partis communistes se considèrent délivrés.
00:08:06Ils se considèrent libres dans ces actions contre les Allemands.
00:08:13Pour mener la lutte armée, le Parti communiste dispose des groupes de l'organisation spéciale, l'OS,
00:08:20dont une des branches ne regroupe que des étrangers, c'est l'OS MEI.
00:08:25C'est cette organisation, dirigée par Boxer, qui fait dérailler en juillet 1941
00:08:30deux convois militaires allemands en banlieue est.
00:08:43Vous êtes là, juste où il y avait, le 21 août 1941, le cordon de la police française
00:08:51qui était là, de la boulangerie au café, qui fermait la rue.
00:08:57Et comme ça, tout autour du 11e arrondissement, ils sont venus et ils ont ramassé,
00:09:02alors à ce moment-là, les hommes juifs qui sont venus chercher, je crois.
00:09:08Ils sont venus chez vous ?
00:09:09Ils sont venus chez nous. Ils ont demandé à mon père de s'habiller, de partir avec eux.
00:09:17Et mon frère s'est proposé pour qu'on l'emmène, lui, à la place de mon père.
00:09:24Et il n'y a rien eu à faire. Et cette rave, je crois, a été le détonateur pour mon frère
00:09:32où il a pris une haine contre les Allemands.
00:09:38Quelques temps plus tard, Marcel Reimann s'engagera dans les FTP-Moi.
00:09:45Le 21 août, le colonel Fabien abat un officier allemand au métro Barbès.
00:09:49Les Allemands exécutent des otages, d'autres attentats suivent.
00:09:53Les condamnations à mort se multiplient.
00:09:56En avril 1942, lors d'un procès organisé à la maison de la Chimie,
00:10:0026 militants communistes sont condamnés à mort et exécutés.
00:10:04Au printemps 1942, Staline demande au PC d'intensifier la lutte armée.
00:10:09Le PCF crée les francs-tireurs répartisans, les FTP.
00:10:12Les étrangers de la Moi se regroupent dans les FTP-Moi
00:10:15où s'amalgament les vieux routiers de l'organisation spéciale et les jeunes militants.
00:10:20Boris Solban est nommé chef militaire des FTP-Moi.
00:10:27J'avais une expérience militaire
00:10:30parce que j'avais derrière moi déjà un stage prolongé dans l'armée.
00:10:36J'avais déjà une expérience aussi de la lutte clandestine,
00:10:40des années de prison, etc.
00:10:43Donc pour ces raisons, on m'a nommé responsable de cette formation.
00:10:53Donc Stéphane Courtois, les FTP-Moi,
00:10:55l'organisation est créée au printemps 1942, en mars, avril à peu près.
00:10:59Oui. Alors ce qu'il faut peut-être préciser,
00:11:02c'est que cette création ne se fait pas ex nihilo.
00:11:05Ça ne part pas de rien.
00:11:07Ça part de groupes qui sont déjà existants,
00:11:09qui ont été créés à l'été 1941.
00:11:12On a d'une part un groupe, je dirais, de vieux militants communistes aguerris,
00:11:16en particulier des anciens des brigades internationales,
00:11:19qui sont des vieux combattants.
00:11:21Qui sont les cadres comme Olban.
00:11:23Voilà, qui sont des cadres comme Boris Olban, comme Boksov, etc.
00:11:27Qui sont très communistes et très formés idéologiquement.
00:11:30Et souvent directement commandés depuis Moscou.
00:11:33J'ai retrouvé à Moscou des rapports qui concernent ces gens-là, etc.
00:11:36Et puis il y a les jeunes qui ont à peine 20 ans et qui sortent...
00:11:38Alors voilà, c'est un peu le problème.
00:11:40C'est que sous la pression allemande,
00:11:42et en particulier sous la pression de la répression antisémite,
00:11:45et des rafles antisémites,
00:11:47il y a, dès le début 1942,
00:11:50un certain nombre de jeunes juifs parisiens immigrés, d'origine immigrée,
00:11:54qui ne supportent plus cette situation et qui décident de se battre.
00:11:58– Le prototype c'est Marcel Reymann, le frère de Simon Composantil.
00:12:01– Marcel Reymann est un de ces prototypes,
00:12:03mais on pourrait multiplier les exemples,
00:12:05de ces jeunes, très jeunes souvent, 15, 16, 17 ans,
00:12:09qui décident de se lancer dans la bagarre,
00:12:11parce que ça n'est plus tolérable pour eux.
00:12:13Et évidemment, les relations entre les deux groupes ne sont pas évidentes.
00:12:17– Alors, comment tout ça s'organise ? Comment s'organise le FTP Moï ?
00:12:20– Alors, une fois qu'ils vont être créés,
00:12:22les FTP Moï s'organisent de manière très militaire,
00:12:24c'est-à-dire qu'il y a une direction parisienne,
00:12:28on a donc, si on reprend le schéma qui est indiqué là,
00:12:31on a la direction clandestine du PCF, avec Jacques Duclos, Benoît Frachon,
00:12:35le comité militaire national FTPF, qui est dirigé par Charles Tillon,
00:12:40et puis ensuite, on descend dans la région parisienne FTP,
00:12:44qui commande aussi bien les FTP français que les FTP immigrés.
00:12:48– La direction militaire de Holban dirige, à l'étage en dessous, des détachements militaires.
00:12:53– Alors là, on est donc au niveau parisien, au niveau de la région parisienne,
00:12:56et on a là une direction de trois personnes qui se met en place en mars-avril 1942,
00:13:00avec Boris Holban, qui est le responsable militaire,
00:13:05et puis un espagnol qui s'appelle Olazo, et un tchèque qui s'appelle Karel Stefka.
00:13:11Voilà donc les trois responsables, et en dessous d'eux,
00:13:14alors, ils ont un certain nombre de services et de détachements,
00:13:17d'une part, quatre détachements, premier, deuxième, troisième, quatrième,
00:13:21qui sont des détachements de combattants,
00:13:23c'est-à-dire uniquement ceux qui font les actions armées,
00:13:26et à côté, un certain nombre d'autres services qu'on ne peut pas qualifier d'annexes,
00:13:31parce que ce sont des services importants pour la bataille.
00:13:33– Dont ce fameux service de renseignement que dirige Christina Boyko,
00:13:36qu'on a vu à l'instant dans le film.
00:13:38Alors, quelle est la stratégie, à ce moment-là, militaire, suivie par les FTP Moët ?
00:13:43– Alors, stratégie, c'est peut-être un grand mot,
00:13:45et il est assez difficile de débrouiller la signification exacte
00:13:50de la lutte armée du point de vue communiste,
00:13:52parce que la lutte armée a évidemment un impact militaire,
00:13:55puisqu'on tue des Allemands à Paris, en plein Paris,
00:13:58on attaque des détachements, etc., on fait des attentats,
00:14:01mais ça aussi, et beaucoup, une signification politique, bien entendu,
00:14:05parce qu'il est évident que l'impact politique,
00:14:09le fait de savoir qu'en plein Paris, en 1942,
00:14:12à l'apogée, au triomphe de l'armée allemande, qui ne l'oubliait pas,
00:14:15est sur le Caucase, est à Stalingrad, est pratiquement partout,
00:14:18et occupe toute l'Europe, eh bien, en plein Paris,
00:14:21des gens, revolvers à la main ou grenades à la main,
00:14:23attaquent directement les Allemands.
00:14:25Donc, il y a là un impact politique évident.
00:14:27– L'objectif, c'est de multiplier les attaques
00:14:29contre l'armée d'occupation, contre l'armée allemande,
00:14:31et on va voir maintenant, un certain nombre de ces attaques,
00:14:33comment vivent les combattants de la Moët.
00:14:36– Juillet 1942, le 5, trois combattants ont jeté des bouteilles
00:14:40dans un garage allemand de réparation auto.
00:14:42Plusieurs voitures incendie.
00:14:44Le 10, deux combattants ont abattu deux gendarmes allemands
00:14:47dans le 19ème arrondissement et se sont emparés de leurs armes.
00:14:50Le 15, attaque d'un groupe de militaires allemands dans l'avenue de Wagram.
00:14:54– En octobre 1941, nous avons eu déjà une attaque
00:14:58au stade Jean-Bouin, à Montrouge.
00:15:01Une attaque en plein jour, une attaque ouverte,
00:15:04où les combattants ont grenadé une formation allemande
00:15:10qui faisait l'instruction sur ce stade.
00:15:15– En 1942, les Allemands se sont emparés de leurs armes.
00:15:21En 1942, les Allemands ne s'attendaient pas
00:15:26qu'ils seraient attaqués dans les rues de Paris en plein jour.
00:15:30Ils se promenaient sans aucune protection spéciale.
00:15:34Par la suite, ils se sont rendus compte
00:15:36qu'ils se sont attaqués de tous les côtés,
00:15:38à la sortie du cinéma, à la sortie des bordels,
00:15:42qu'ils pouvaient être attaqués n'importe où.
00:15:46Alors leur protection à tous les échements s'est renforcée.
00:15:51Ils avaient une protection avant, arrière et sur les flancs
00:15:57des soldats avec la mitraillette prête à tirer.
00:16:00Donc le tableau changeait complètement
00:16:04et nous devions tenir compte de ces changements,
00:16:08ce qui a beaucoup compliqué notre activité.
00:16:15– À la fin de 1942, la lutte armée des FTP Moïse se développe.
00:16:19On imagine ce qu'il fallait de courage et de détermination
00:16:22à ces jeunes gens mal armés, munis d'explosifs artisanaux,
00:16:26pour attaquer dans un Paris allemand des objectifs militaires.
00:16:29Il importait que ces actions soient minutieusement préparées.
00:16:32C'était le rôle du service de renseignement
00:16:35créé et dirigé par Christina Boiko.
00:16:37– On ne transmettait pas un objectif comme ça.
00:16:40J'ai vu, il y a un détachement qui passe tous les jours
00:16:43à telle heure, à tel endroit.
00:16:45Non, on l'étudiait de façon très minutieuse.
00:16:51On devait décrire le caractère du quartier,
00:16:55les environnements, la possibilité de l'attaque,
00:16:59c'est-à-dire avec quelle arme on pouvait effectuer l'attaque
00:17:03et en même temps les conditions du repli.
00:17:06– Un qui attaque, l'autre qui achève
00:17:10ce que le premier n'a pas fait et le troisième qui défend.
00:17:15Donc l'attaque avec le minimum de combattants.
00:17:20L'attaque foudroyante, pas surprise.
00:17:25La retraite immédiate.
00:17:28Éviter toute accroche avec les services de l'ordre,
00:17:32soit français, soit allemand.
00:17:3626 novembre 1942, place de la Concorde,
00:17:39dépôt de deux engins au passage d'un détachement allemand.
00:17:42Morts et blessés.
00:17:432 décembre, lancement d'une grenade dans un bureau d'embauche allemand,
00:17:46avenue de Breteuil.
00:17:47Dégâts et blessés.
00:17:4812 décembre, grenadage.
00:17:51– Il n'y avait pas d'hierarchie dans nos rangs
00:17:55pour certains avantages ou privilèges.
00:17:59Tous recevaient la même solde.
00:18:02Tous recevaient la même quantité de carte d'alimentation.
00:18:07Tous se débrouillaient pour savoir, personnellement,
00:18:11pour avoir des planques chez des amis, chez des connaissances.
00:18:16– Chaque combattant est intégré dans un groupe de trois, le triangle.
00:18:20L'organisation le prend en charge, lui fournit une solde de 2300 francs,
00:18:24des faux papiers, il devient un professionnel de la lutte armée.
00:18:29– La famille, je n'en avais pas à Paris, je n'avais pas de famille à Paris.
00:18:33Les relations avec les amis s'étaient donc interrompues.
00:18:40Et alors, après la longue journée de traverser Paris,
00:18:46à droite, à gauche, de tous les côtés, on rentrait le soir
00:18:50sans pouvoir communiquer quoi que ce soit, avec qui que ce soit.
00:18:57Il m'arrivait parfois d'avoir 2 ou 3 heures de libre,
00:19:02c'est-à-dire sans objectif précis, dans l'après-midi.
00:19:07J'entrais dans un cinéma, de préférence dans un cinéma du Champs-Élysées,
00:19:12pour avoir un bon fauteuil et pour avoir un peu chaud.
00:19:16– En principe, le combattant doit couper tout contact avec le monde extérieur.
00:19:20Malgré les précautions et le cloisonnement,
00:19:23la première vague d'arrestations au printemps 1943 frappe une cinquantaine de militants.
00:19:27– Déjà en mars 1943, la police est venue nous arrêter.
00:19:35On venait juste de louer cette planque et donc ils ont perdu notre trace.
00:19:44– Le soir, quand j'entendais des pas, je me demandais,
00:19:47est-ce que c'est pour moi, est-ce que c'est la police, est-ce que c'est la Gestapo ?
00:19:51Quand on frappait à la porte d'une voisine,
00:19:55je n'étais pas du tout sûre que ce n'est pas chez moi qu'on frappe.
00:19:59Et j'ai gardé, je dois dire, comme une chose très morbide, je dois l'avouer,
00:20:06j'ai gardé l'impression qu'on frappe à ma porte.
00:20:11– Mai 43, le 10, 11h45, dépôt d'une bombe à retardement
00:20:16sur le passage d'un étafement allemand au Bourget.
00:20:19Nombreux morts et blessés.
00:20:20Le 27, grenadage d'un détachement rue de Courcelles.
00:20:23Nombreux morts et blessés, un blessé génie.
00:20:26– Il était un peu exalté par le nombre d'actions,
00:20:30par la bravoure de ses copains, par les ennuis qu'ils ont eus.
00:20:35Bon, il y a eu beaucoup de choses, par exemple,
00:20:39une attaque contre un quart de marins allemands
00:20:45où un de ses camarades a été tué, un marin étant descendu
00:20:52et a balayé la rue avec une mitraillette.
00:20:55– Il y avait aussi un facteur, un facteur de nature psychologique,
00:21:02parce que cette tension nerveuse chez les gens
00:21:07qui ont continué cette lutte pendant 2-3 ans,
00:21:11cette tension, cette inquiétude, cette perte du jour de demain
00:21:20a fait un peu aussi baisser la vigilance.
00:21:26– Pour les coups de main les plus audacieux, l'organisation crée en juin 1943
00:21:30l'équipe spéciale formée de combattants d'élite,
00:21:33Marcel Reimann, Léo Kneller, Fontaneau, Koczycki.
00:21:37À la même époque, la direction du PCF demande au FTP Meuil
00:21:41d'intensifier encore la lutte armée, de renoncer au groupe de trois
00:21:44et de monter des opérations de grande envergure
00:21:47engageant un plus grand nombre d'hommes.
00:21:50– J'ai répondu catégoriquement non.
00:21:54La vérité c'était qu'en juillet-août 1943,
00:22:00les Français étaient sensiblement touchés par des chutes,
00:22:06ils sont disparus presque du pavé de Paris
00:22:11et c'était les FTP Meuil qui tenaient la résistance à Paris.
00:22:18– En juillet 1943, Boris Solban est remplacé par Missac Manouchion
00:22:23qui devient responsable des FTP Meuil.
00:22:27– Stéphane Courtois, à la mi-1943, quelle est l'importance militaire des FTP Meuil ?
00:22:32Qu'est-ce que ça représente vraiment au niveau activité ?
00:22:35– Au niveau activité, c'est quand même assez intense.
00:22:37D'abord, la première chose qu'il faut faire remarquer,
00:22:39c'est qu'ils sont pratiquement seuls à ce moment-là sur Paris à se battre
00:22:43parce que la plupart des autres groupes, communistes ou autres,
00:22:46ont été décimés par la répression.
00:22:48– On peut dire qu'en 1943, la résistance armée à Paris, c'est le groupe FTP Meuil ?
00:22:51– Oui, en 1943, on peut dire, c'est le groupe FTP Meuil
00:22:54qui mène la lutte armée sur Paris pour le compte des communistes
00:22:57et ils sont pratiquement seuls, il faut bien le dire.
00:22:59– Comme effectif, ça représente quoi ?
00:23:00– Comme effectif, ça représente, je dirais au maximum, à l'apogée,
00:23:03c'est-à-dire vers février 1943, environ une centaine de combattants
00:23:07et quand les chutes commencent, on va tomber,
00:23:10donc quand je dis de combattants, précisons, une centaine de militants,
00:23:14dont une cinquantaine ou une soixantaine de combattants.
00:23:16– Les autres, c'est les services annexes ?
00:23:18– Les autres, ce sont les services annexes, ce sont les agents de liaison,
00:23:21ce sont tout ce qui entoure les combattants et qui les aide.
00:23:24Quand la répression va commencer à frapper,
00:23:27on va tomber à une moyenne de 60 militants et une quarantaine de combattants.
00:23:32– Donc un petit noyau, peu nombreux, mais extrêmement actif,
00:23:35puisqu'ils font un nombre d'actions absolument incroyable.
00:23:37– Ils sont très actifs, ils font une moyenne d'actions d'environ 15 actions par mois.
00:23:42– Une tous les deux jours.
00:23:43– Une tous les deux jours, ces actions, ce sont des exécutions d'Allemands,
00:23:47des grenadages de local, des attaques de véhicules,
00:23:50et ça va jusqu'au déraillement, ce qui est quand même très important.
00:23:54Ils sont donc sur une moyenne d'environ 15 par mois, mais avec des pointes.
00:23:59On arrive certains mois à 22, 23 actions,
00:24:02donc là, la pression devient très intense sur les combattants.
00:24:05– Ça veut dire que chaque combattant, finalement, tous les 2, 3 jours,
00:24:083, 4 jours, a une action à accomplir.
00:24:10– Oui, tous les 3, 4, 5 jours, le combattant a une action à accomplir,
00:24:14mais c'est plus compliqué que ça,
00:24:16parce que le combattant doit aussi préparer l'action,
00:24:18il doit repérer les lieux, etc.
00:24:19Donc il y a tout un dispositif, toute une préparation de ces actions.
00:24:22Ce ne sont pas des actions improvisées, loin de là.
00:24:25Et au total, quand même, sur 17 mois, c'est-à-dire si on calcule
00:24:29depuis l'entrée en activité réelle des FTP-MOI jusqu'à leur chute,
00:24:34donc de juillet 1942 jusqu'à novembre 1943,
00:24:37on arrive à un total de 229 actions, ce qui est quand même assez considérable,
00:24:42et qui est quand même une action de terrorisme dans Paris,
00:24:46qui indéniablement gêne beaucoup les Allemands,
00:24:48surtout quand ces actions deviennent très spectaculaires,
00:24:51c'est-à-dire qu'on abat certains personnages très importants du Reich,
00:24:55ou qu'on attaque des voitures, etc.
00:24:57– On va le voir, mais alors, à l'été 1943, il y a un débat qui s'engage,
00:25:00un débat stratégique, militaire, sur l'utilisation de ces groupes,
00:25:03et ce débat provoque le remplacement de Boris Holban par Manoukian.
00:25:10– Oui, alors le débat est très simple,
00:25:12il y a trois grandes vagues de répression contre ces groupes des FTP-MOI,
00:25:19une première vague de répression contre les jeunes juifs,
00:25:22tout au début de l'année 1943,
00:25:24une deuxième vague qui intervient au printemps
00:25:26contre le deuxième détachement, qui est le détachement juif,
00:25:29et qui est le plus actif.
00:25:30– Qui accomplit le plus d'actions.
00:25:31– Qui accomplit le plus d'actions, qui est le plus virulent,
00:25:34et qui va tomber à la fin juin, début juillet 1943,
00:25:38à la suite d'une très longue filature,
00:25:40et qui va désorganiser complètement ce deuxième détachement
00:25:43et tout son entourage politique,
00:25:44c'est-à-dire tout le groupe de langue juif de la MOI.
00:25:48Alors à partir de ce moment-là, bien sûr, la direction, elle,
00:25:53la direction nationale de la MOI et du Parti communiste,
00:25:57demande au contraire une intensification de l'action,
00:26:00pour des raisons essentiellement politiques d'ailleurs.
00:26:02Alors à ce moment-là, Boris Holban, qui est le chef militaire,
00:26:05reçoit des ordres, on le demande d'intensifier l'action.
00:26:08C'est précisément au moment où il vient de perdre un détachement entier,
00:26:11qui est le détachement le plus actif.
00:26:13Donc, d'une manière je dirais très raisonnable,
00:26:15il demande au contraire qu'on modère le rythme des actions,
00:26:19qu'on envoie certains combattants à la campagne pour couper des filatures.
00:26:22– C'est pour cette raison qu'il est remplacé par Manoukian.
00:26:24– C'est pour cette raison que d'une manière je dirais très administrative,
00:26:27comme toujours dans le Parti communiste, y compris dans la clandestinité,
00:26:30il est tout simplement déchargé de ses fonctions
00:26:32parce qu'il a refusé d'appliquer strictement les ordres
00:26:34et il est à ce moment-là remplacé par Missak Manoukian.
00:26:37– Et Manoukian, quel portrait on peut en faire à ce moment-là ?
00:26:39Est-ce que c'est un combattant aguerri ?
00:26:41Pourquoi c'est lui qui est choisi, pour se dire,
00:26:43le chef militaire quand même de cette organisation ?
00:26:45– C'est un peu… on n'a pas de rapport très précis là-dessus.
00:26:48– Que dit l'historien ?
00:26:49– Ce qui est certain, c'est que Manoukian est un militant confirmé,
00:26:52c'est un militant engagé, qui est prêt à s'engager.
00:26:56Or, des gens qui soient prêts à s'engager et qui aient un certain niveau,
00:27:00je dirais, une certaine maturité pour organiser ces groupes,
00:27:04pour les gérer, pour organiser les actions,
00:27:06ça ne se trouve pas sous le pas d'un cheval s'il parlait comme ça.
00:27:09Donc, il est très vraisemblable qu'il y avait un choix très limité
00:27:13de cadre à la disposition de la direction.
00:27:18Pour ce qui est de dire que Manoukian serait un combattant aguerri,
00:27:21je ne crois pas qu'on puisse le dire.
00:27:23Il n'a fait jusque-là qu'une seule action
00:27:25et qui n'a d'ailleurs pas été très bien appréciée
00:27:27par la direction militaire des FTP-MOI.
00:27:29En tout cas, il prend la responsabilité des FTP-MOI à l'été 1943,
00:27:33et c'est à un moment critique.
00:27:35Et c'est lui qui va donc diriger ces hommes.
00:27:38Et on va voir maintenant, à titre d'exemple,
00:27:40une des actions les plus spectaculaires,
00:27:41celle qui a été menée contre Julius Ritter.
00:27:44On peut dire que c'était le grand responsable du STO
00:27:47et de l'envoi en Allemagne des travailleurs français.
00:27:51La chance aide les audacieux.
00:27:55C'était en juin, c'était au début de l'été.
00:28:01L'opération a eu lieu en septembre, le 29 septembre.
00:28:07Vous voyez, c'est ici.
00:28:10J'arrivais par la rue de Bourgogne,
00:28:12j'entre dans la rue Saint-Dominique,
00:28:15et tout d'un coup, je me rends compte
00:28:17qu'il se passe quelque chose.
00:28:19Je regarde avec attention,
00:28:21et je vois qu'il y a une barrière
00:28:23qui empêche le passage des piétons,
00:28:26le passage des voitures.
00:28:29Je suis étonnée du fait
00:28:31que même des généraux que j'ai pu apercevoir,
00:28:35parce que je connaissais bien les insignes des militaires,
00:28:40tous avaient quitté leur voiture.
00:28:45Tous avaient quitté leur voiture à la barrière.
00:28:49Alors que j'ai aperçu une voiture qui passait,
00:28:54la barrière s'est largement ouverte,
00:28:56tous les militaires qui étaient là sont restés figés,
00:29:00le salut italien, le bras levé,
00:29:03et la voiture est entrée dans cette cour,
00:29:06et s'est arrêtée là, devant le perron de cette entrée.
00:29:11Ma conclusion a été que c'était une réunion très importante,
00:29:15et que cette réunion avait eu un seul chef,
00:29:19et c'était le type qui était dans la voiture civile ZF-10.
00:29:24Ce personnage devait travailler quelque part,
00:29:27devait être actif quelque part.
00:29:31Le service de renseignement de Cristina Boico
00:29:34décide de surveiller les principaux carrefours,
00:29:36et dix jours plus tard, Jean-Pierre Brevert
00:29:39sort de la voiture Place du Trocadéro.
00:29:42Il était au bord du trottoir avec sa bicyclette,
00:29:46il avait enlevé la roue, il l'avait remise, de nouveau enlevé.
00:29:51Il cherchait un prétexte pour ne pas attirer l'attention,
00:29:55et c'est comme ça qu'il a pu passer.
00:29:59Il est passé vers 9h du matin.
00:30:03Trois jours de surveillance suffisent
00:30:05pour remonter de carrefour en carrefour
00:30:07de la Place du Trocadéro à la rue Pétrarque,
00:30:09distante de 300 mètres.
00:30:11C'est là, au 18, qu'habite le mystérieux occupant de la voiture.
00:30:15L'endroit est propice à une attaque.
00:30:17Lorsque j'ai eu le contact avec Manouchien
00:30:19comme responsable militaire,
00:30:21je lui ai exposé cet objectif
00:30:25que j'avais repéré à la maison de la chimie.
00:30:28Manouchien est resté pensif aussi,
00:30:31mais dans quelques jours, il m'a donné la réponse,
00:30:34et nous avons effectué cette opération.
00:30:37Dans l'équipe, il y avait Alfonso,
00:30:40il y avait Marcel Reimann,
00:30:43et Léo Kneller.
00:30:45Le 28 septembre 1943, à 8h du matin,
00:30:48trois hommes de l'équipe spéciale
00:30:50attendent devant le 18.
00:30:52Kneller est de l'autre côté de la rue, en protection.
00:30:54La voiture ZF-10 sort en marche arrière du 18.
00:30:57Alfonso tire à travers la vitre arrière droite.
00:31:00Blessé, l'Allemand cherche à sortir par la portière gauche.
00:31:03Reimann l'achève.
00:31:05Les trois hommes disparaissent par l'angle de la rue Petrarch.
00:31:08L'équipe spéciale des FTP-Moi viennent d'abattre,
00:31:11sans le savoir, Julius Ritter,
00:31:13qui a rendu général SS,
00:31:15responsable de l'envoi en Allemagne
00:31:17des jeunes Français pour le STO.
00:31:20Quand avez-vous appris l'identité de la victime allemande ?
00:31:24Par la presse.
00:31:26Le lendemain ?
00:31:27Le lendemain, par la presse.
00:31:30Stéphane Courtois,
00:31:32cet attentat contre Ritter a eu un écho très important
00:31:36dans la presse de la collaboration et partout.
00:31:39C'est normal.
00:31:41C'était un des personnages les plus importants du Reich
00:31:44qui était abattu en plein Paris.
00:31:46C'était tout de même assez stupéfiant et spectaculaire.
00:31:49La radio de Londres s'en est fait très largement l'écho.
00:31:52Ce qui est assez spectaculaire,
00:31:54c'est qu'au moment même où l'équipe spéciale mène cette action,
00:31:57ils sont déjà, comme on l'a dit tout à l'heure,
00:31:59sous la surveillance de la police.
00:32:01J'ai là un rapport de filature du 28 septembre,
00:32:03du jour de l'action contre Ritter,
00:32:05et deux inspecteurs qui planquent
00:32:07et qui écrivent leur rapport de filature.
00:32:09Marcel, c'est-à-dire Marcel Rehman.
00:32:11Marcel arrive chez sa mère à 10h40,
00:32:13il en sort à 4h35,
00:32:15prend le métro à la porte de Vincennes, etc.
00:32:17C'est-à-dire que les policiers le prennent en charge,
00:32:20au moment où il revient de faire l'attentat contre Ritter,
00:32:23ce qui montre que la police est sur leurs talons.
00:32:25Alors la police, c'est qui ?
00:32:27Ce sont ces fameuses brigades spéciales de la préfecture.
00:32:29Alors effectivement, il faut d'abord préciser une chose,
00:32:31c'est que toute la répression contre ces groupes de la MOI,
00:32:34durant toute l'année 1943,
00:32:36sont le fait de la police française.
00:32:38Et pas de n'importe quelle police française,
00:32:40d'une police spéciale, qui s'appelle les brigades spéciales,
00:32:43qui ont été créées,
00:32:45qui avaient déjà été créées en 1940,
00:32:47dans le cadre de la lutte anticommuniste,
00:32:49mais qui ont été réorganisées à l'été 1941,
00:32:52justement quand le parti communiste a lancé la lutte armée,
00:32:55à la première section des renseignements généraux,
00:32:58a été créée d'abord une brigade,
00:33:01et puis ensuite au début 1942, une deuxième brigade,
00:33:03spécialisée dans la lutte contre les résistants,
00:33:06et surtout contre les communistes,
00:33:08et plus encore, contre les communistes de la MOI.
00:33:11Quels sont les effectifs de ces brigades ?
00:33:13Est-ce qu'ils ont des paquets ?
00:33:14Oui, ces effectifs sont assez importants,
00:33:16c'est-à-dire que ce sont des dizaines d'inspecteurs,
00:33:18bien souvent, d'ailleurs au départ,
00:33:20des inspecteurs qui ont été affectés là d'office,
00:33:23avec ensuite des modifications en 1943,
00:33:26parce que des inspecteurs plus motivés idéologiquement,
00:33:29si je puis dire, rentrent dans ces brigades,
00:33:31vraiment pour chasser les communistes,
00:33:33et chasser les étrangers.
00:33:35Donc ce qu'il faut savoir, c'est que la BS2,
00:33:38la deuxième brigade,
00:33:39elle est spécialisée contre les communistes,
00:33:42que dans cette brigade,
00:33:43il y a cinq groupes de recherches de policiers,
00:33:46et que le cinquième groupe s'occupe uniquement de la MOI,
00:33:50c'est celui-là qui mène les enquêtes
00:33:52auxquelles vous venez de faire allusion.
00:33:54Alors vous avez eu accès à ces rapports de filature,
00:33:56à ces archives,
00:33:57où on voit très très bien que les policiers,
00:34:00finalement, ils ont utilisé les méthodes classiques de flics,
00:34:02c'est-à-dire les longues filatures.
00:34:03Alors, les policiers,
00:34:05alors effectivement, j'ai fini par mettre la main,
00:34:07y compris sur les rapports quotidiens de filature,
00:34:10qui nous montrent dans le détail comment ça se passe.
00:34:13Les filatures sont menées par peu de policiers, finalement.
00:34:17On s'aperçoit que peu d'inspecteurs travaillent,
00:34:19mais ils travaillent très bien, malheureusement.
00:34:21Il faut dire que la filature,
00:34:22c'est une très grande spécialité de la police française,
00:34:24qui a été mise au point par un fameux préfet de police Bertillon
00:34:27à la fin du XIXe siècle,
00:34:29avec des méthodes sur lesquelles, d'ailleurs,
00:34:31les policiers sont peu bavards, en général,
00:34:34parce que c'est une arme presque imparable, la filature.
00:34:37Presque imparable.
00:34:38C'est-à-dire que quand la police décide de mettre le paquet
00:34:41et de prendre le temps,
00:34:42il est presque impossible d'échapper au filet.
00:34:45Donc on voit que ce sont d'excellents policiers français
00:34:48qui vont obtenir, hélas, d'excellents résultats.
00:34:51On va le voir maintenant.
00:34:55Mon frère a participé à la traversée de Pantin à la nage.
00:34:59Ça faisait quand même une course de 3 ou 4 kilomètres.
00:35:04Vous voulez dire que Marcel Rayman,
00:35:05entre deux actions militaires, allait faire un peu de natation ?
00:35:09Il venait faire beaucoup de natation.
00:35:11Pas seulement un peu.
00:35:12On allait souvent deux ou trois fois par semaine à la piscine.
00:35:17On allait des fois, mais qu'est-ce qu'on pouvait faire d'autre ?
00:35:26Marcel Rayman se rend à la piscine de Pantin à 17h30.
00:35:29Il en sort à 19h50.
00:35:31À 20h40, il pénètre dans l'immeuble au 68 boulevard Soult.
00:35:35Il n'est pas revu de la soirée.
00:35:37Les policiers de la brigade spéciale
00:35:39suivent Marcel Rayman depuis le 20 juillet.
00:35:41En quelques jours, ils connaissent la planque de sa mère
00:35:44et de son frère Simon, 68 boulevard Soult,
00:35:47et une des planques de Marcel, 296 rue de Belleville.
00:35:56L'équipe spéciale attaque à la grenade
00:35:58la voiture du général Von Schomburg, commandant le Grand Paris,
00:36:01au coin de la rue Paul Loumer et de la rue Nicolau.
00:36:03Les combattants, s'étant retirés immédiatement,
00:36:05ils n'ont pas le temps de constater leur échec.
00:36:08Von Schomburg n'était pas dans la voiture.
00:36:14Marcel sort du 296 rue de Belleville portant un paquet
00:36:17et se rend sur les terrains vagues situés à la porte de Lilla,
00:36:20face à la rue Axo.
00:36:22Il rejoint à cet endroit trois hommes qui étaient assis sur l'herbe.
00:36:25Il est 18h30.
00:36:28Les inspecteurs donnent ensuite le signalement de ces trois hommes
00:36:30en les nommant Omer, Pia et Lilla.
00:36:33Il s'agit en fait de Kneller, Fontaneau et Koczycki.
00:36:37Ce 29 juillet, la BS2 a devant elle les quatre membres
00:36:40de l'équipe spéciale qui, la veille, ont participé
00:36:43à l'action contre le général Schomburg.
00:36:47Ligne Paris-Reims, près de l'affaire Témillon.
00:36:49Déraillement d'un train de permissionnaires allemands,
00:36:51morts et blessés.
00:36:54Le 2 août, une nouvelle filature démarre
00:36:56à partir du 97 avenue Simon Bolivard
00:36:59où les policiers ont repéré un certain Legri.
00:37:02Il s'agit de Léon Goldberg, de l'équipe des dérailleurs.
00:37:05Selon le rapport des BS du 8 septembre 1943,
00:37:08Goldberg, filé toute la journée, mène involontairement
00:37:11les inspecteurs sur les traces de quatre membres
00:37:14du détachement des dérailleurs dont Glatz
00:37:16que les policiers appellent Laporte.
00:37:19Laporte se rend avenue de la porte d'Ivry
00:37:21où à 15h, il rencontre un individu
00:37:23que nous surnommerons Ivry.
00:37:25Signalement d'Ivry, 38 ans, 1m70, chatin clair,
00:37:28coiffé raie à gauche...
00:37:30C'est Joseph Boxor, chef du groupe des dérailleurs,
00:37:33vétéran de l'action clandestine.
00:37:35Les inspecteurs le prennent en charge.
00:37:39Ivry prend le métro à Luxembourg et descend à Bourg-la-Reine.
00:37:42Il attend 20 minutes et à 9h20 est rejoint par un homme
00:37:45que nous surnommerons Bourg.
00:37:47Il répond au signalement suivant.
00:37:4938 ans, 1m65, corpulence forte,
00:37:52cheveux brun bouclé, coiffé en arrière,
00:37:55teint mat, type oriental, nez fort, le sourcil épais.
00:37:59Les inspecteurs suivent Bourg jusqu'aux 11 rues de Plaisance
00:38:02dans le 14e arrondissement.
00:38:04L'ABS ignore l'identité de Bourg
00:38:06mais elle vient de repérer Missak Manouchion,
00:38:08chef militaire des FTP Moë.
00:38:12Le 28 septembre, Manouchion est suivi
00:38:14jusqu'à la gare de Meriel dans l'Oise.
00:38:16Il rencontre là Joseph Epstein
00:38:18qui depuis août a remplacé Rol Tanguy
00:38:20à la tête des FTP de la région parisienne.
00:38:24Le 18 octobre, les inspecteurs suivent Boxor
00:38:27qui a rendez-vous avec Dupont
00:38:29qui n'est autre que Joseph Davidovitch,
00:38:31responsable politique des triangles de direction de la Moë FTP.
00:38:35Il repère sa planque rue La Fontaine à Clamart.
00:38:38Le 21 octobre, en suivant Boxor,
00:38:40les policiers repèrent 4 autres membres du groupe des dérailleurs.
00:38:44Ainsi, de juillet à octobre, par une longue filature,
00:38:48l'ABS2 a suivi et repéré l'équipe spéciale,
00:38:51la direction FTP Moë,
00:38:53avec Manouchion et Davidovitch
00:38:55et même le responsable militaire FTP, Epstein.
00:39:01Tout au long de cette filature,
00:39:03les détachements de la Moë ont effectué,
00:39:05outre l'action contre Ritter, 12 déraillements,
00:39:0715 exécutions d'Allemands,
00:39:09des grenadages de camions,
00:39:1114 grenadages de restaurants, cafés et bordels
00:39:13fréquentés par la Wehrmacht.
00:39:15Le 26 octobre, la police décide d'arrêter Davidovitch
00:39:18à la gare de Conflans-Saint-Honorin.
00:39:20Une perquisition effectuée dans une de ses planques achoisies
00:39:23permet de découvrir des listes d'effectifs,
00:39:25des comptes rendus d'opérations,
00:39:27des ordres du jour, l'état numérique des détachements.
00:39:32À partir du moment où Davidovitch a été arrêté,
00:39:36la psychologie de Manouchion avait changé.
00:39:39J'avais le sentiment qu'il était vraiment inquiet.
00:39:44Il y avait des informations
00:39:47qui parvenaient par les camarades français
00:39:52qui avaient des liaisons vagues,
00:39:55plus importantes ou moins importantes,
00:39:58à la police, par des policiers résistants.
00:40:03Et c'est à travers eux qu'on a appris d'abord,
00:40:08comme on disait, que Davidovitch est mis à table.
00:40:12Le 16 novembre, les policiers suivent Manouchion
00:40:15jusqu'à la gare d'Evry-Petitbourg
00:40:17où il a son rendez-vous hebdomadaire
00:40:19avec son supérieur militaire, Joseph Epstein.
00:40:21Les deux hommes se sentant menacés
00:40:23fuient vers les berges de la Seine.
00:40:25Rattrapés, ils sont alors maîtrisés
00:40:27sans avoir pu se servir de leurs armes.
00:40:29Un peu plus tard, Rayman, Boxor
00:40:31et presque tous ceux qui ont été repérés
00:40:33au cours de la filature sont arrêtés.
00:40:35En tout, 68 personnes.
00:40:37Les FTP Moï de la région parisienne
00:40:39n'existent pratiquement plus.
00:40:42Je suis sitôt arrivé au brigade spéciale
00:40:44en passant dans le couloir.
00:40:46J'ai vu mon frère sur un tabouret.
00:40:49Il avait les menottes aux mains,
00:40:51les chaînes aux pieds.
00:40:53Dans une pièce où il était tout seul,
00:40:55c'était les coups de poing,
00:40:57les coups de pied, les coups de poing dans le ventre
00:41:00et surtout les séances de nerfs de bœuf.
00:41:03Ils se sont mis à cinq sur moi
00:41:05et je suppose que mon frère,
00:41:07ils ne lui ont pas fait de cadeau
00:41:09parce qu'après je ne l'ai pas revu.
00:41:11Je ne l'ai revu qu'une seule fois.
00:41:13Il m'a dit, par exemple,
00:41:15si chaque juif avait tué autant d'Allemands que moi,
00:41:18il n'y aurait plus d'armée allemande.
00:41:20La mère de Simon et Marcel Reimann,
00:41:22également arrêtée, peut voir ses fils.
00:41:27Oh, ça a été...
00:41:29C'est très émouvant.
00:41:34Ma mère, il essayait de...
00:41:37Ma mère nous caressait tous les deux.
00:41:40Il m'a dit, ce qu'il a dit après dans sa dernière lettre,
00:41:45j'espère que tu t'en sortiras.
00:41:48Toi, peut-être que toi tu t'en sortiras.
00:41:51Alors rends maman heureuse.
00:41:54La mère de Simon et Marcel Reimann,
00:41:56déportée, sera gazée.
00:41:58Leur père, raflé en 1941
00:42:00et abattu par les SS à Auschwitz.
00:42:03Au brigade spéciale,
00:42:05j'étais dans la même pièce que Manouchian,
00:42:08j'étais dans la même pièce que Olga Bensik,
00:42:12j'étais dans la même pièce que Alfonso,
00:42:15c'est là que j'ai appris que Davidovitch avait tout donné.
00:42:19Alfonso, c'est Alfonso qui,
00:42:21un jour, revenant d'un interrogatoire,
00:42:25m'a dit, tu sais,
00:42:28toi j'ai confiance,
00:42:30t'es le frère de Marcel,
00:42:33maintenant pour moi c'est fini,
00:42:36pour moi c'est terminé,
00:42:38je peux plus m'en sortir,
00:42:40on a un de nos chefs
00:42:42qui vient de mettre un nom
00:42:45sur tous les numéros de matricule
00:42:48qu'il avait sur lui,
00:42:50les listes des actions qui ont été faites
00:42:53par les francs-tireurs MOI,
00:42:55et les gars, ils n'ont plus qu'à lire,
00:42:58numéro untel dans toi,
00:43:00tu as fait ça, ça, ça et ça.
00:43:02Le 3 décembre 1943,
00:43:04Joseph Davidovitch,
00:43:06le commissaire politique arrêté le 26 octobre,
00:43:08se présente chez une camarade de l'organisation.
00:43:11Il affirme s'être évadé au cours d'un transfert
00:43:14et demande à reprendre contact
00:43:16avec la direction de la MOI FTP.
00:43:18Boris Solban, remplacé par Manouchion à l'été,
00:43:21vient de reprendre ses fonctions de chef militaire,
00:43:24on lui demande de s'occuper du cas Davidovitch.
00:43:27En général, il n'y avait pas d'évasion
00:43:31chez les Allemands,
00:43:33chez la Gestapo.
00:43:35On commence à les filer,
00:43:37on le voit un jour se diriger dans le 16ème,
00:43:42entrer dans un immeuble
00:43:45entouré d'un grand jardin et d'une grille,
00:43:49il sonne à la porte,
00:43:52un militaire allemand l'ouvre,
00:43:55il entre dans ce bâtiment.
00:43:59La commission centrale MOI
00:44:02nous fournit un villa
00:44:06à Bourg-la-Reine,
00:44:08Christine Boyko s'amène chez lui
00:44:11et lui dit, voilà, ce soir tu as l'occasion
00:44:14de rencontrer le responsable.
00:44:16Il m'a suivi d'abord avec...
00:44:20pas avec réticence,
00:44:23il m'a dit...
00:44:25il voulait tergiverser.
00:44:28Il dit, maintenant comme ça, d'un seul coup,
00:44:31il faut tout de même que je prévienne les gens.
00:44:34Je lui ai dit, voilà, j'ai un pistolet,
00:44:37si par hasard on est coincé quelque part,
00:44:41j'ai un pistolet pour te défendre.
00:44:44Et j'ai été très surprise.
00:44:46Il m'a pas dit, mais donne-le-moi ce pistolet,
00:44:50c'est pas à toi de me défendre.
00:44:52Et s'il avait tenté de s'échapper,
00:44:54vous l'auriez descendu?
00:44:55Non, mais s'il avait tenté de prendre le pistolet,
00:44:58j'en avais un autre.
00:45:00Christine arrive à pied.
00:45:04Il entre.
00:45:07On lui posait des questions.
00:45:10Il répondait d'une manière évasive
00:45:13et toujours en affichant son innocence.
00:45:18Alors, d'un seul coup, on a dit,
00:45:21bon, maintenant écoute-nous ce qu'on te dira.
00:45:27Et on a commencé à lui exposer
00:45:30tous les détails de la surveillance,
00:45:34tel et tel jour, tel et tel endroit.
00:45:38Et là, il a resté.
00:45:42En lançant des cris,
00:45:44je suis perdu, je suis perdu.
00:45:50Après ces aveux,
00:45:53on s'est retiré, moi, avec Segundo,
00:45:57avec Cristina Boico,
00:45:59avec les participants à l'interrogatoire.
00:46:03Il y avait ce combattant italien,
00:46:06Segundo Terragni,
00:46:09qui a dit à un moment donné,
00:46:11vous savez, moi je suis un sentimental.
00:46:14Quand je vois un film triste, je pleure.
00:46:17Mais je peux pas être sentimental
00:46:20envers quelqu'un qui nous a trahis
00:46:22et qui a donné dans les mains de la Gestapo
00:46:25nos camarades et qui est sorti pour en donner d'autres.
00:46:29Tous d'accord, tous absolument d'accord.
00:46:33On est revenus,
00:46:36on lui a communiqué la sentence,
00:46:40on l'a exécutée.
00:46:43Alors Stéphane Courtois, il y a quelques années,
00:46:45il y a eu une polémique extrêmement vive
00:46:47sur les conditions de la chute
00:46:49de ce qu'on a appelé le groupe Manouchian.
00:46:51Maintenant, peut-être avec le recul et la sérénité,
00:46:54et puis surtout après avoir consulté pas mal les archives,
00:46:56je crois qu'on peut essayer de faire le point,
00:46:59le groupe Manouchian a-t-il été trahi ?
00:47:02Non, je crois que maintenant, effectivement,
00:47:04et surtout grâce à la documentation nouvelle,
00:47:06on peut dire que le groupe Manouchian n'a pas été trahi.
00:47:09C'est clair et net.
00:47:11Il n'y a aucun élément, même aucun indice
00:47:13qui semble indiquer que le groupe a été trahi.
00:47:15Précisément, quand on dit trahi,
00:47:17c'est trahi par la direction du Parti communiste ?
00:47:19Ou trahi par la direction communiste ?
00:47:21Ou trahi par des responsables communistes ?
00:47:23Puisque c'était l'hypothèse qui avait été avancée.
00:47:26Il n'y a aucun élément qui vienne maintenant
00:47:28confirmer cette hypothèse.
00:47:31Et je dirais même que c'est plutôt le contraire,
00:47:33puisqu'on a maintenant, à travers les rapports de filature,
00:47:36la preuve que la police était considérablement renseignée
00:47:40sur le fonctionnement et la vie de ce groupe,
00:47:43surtout dans la dernière période,
00:47:45c'est-à-dire entre octobre et novembre 1943.
00:47:48Donc, action efficace de la police,
00:47:50plus arrestation et retournement et trahison,
00:47:53on peut le dire, de Davidovich,
00:47:55ça suffit pour expliquer pourquoi tout le groupe est tombé ?
00:47:57Oui, même sur ce point, je serais réservé,
00:47:59parce que Davidovich a été retourné
00:48:03une fois qu'il a été arrêté.
00:48:05Mais son arrestation n'a pas fait beaucoup progresser
00:48:08la police dans sa connaissance du groupe.
00:48:10Elle avait déjà repéré la plupart des combattants,
00:48:12nous en avons la preuve.
00:48:14Le seul apport que lui fait Davidovich,
00:48:17c'est d'indiquer peut-être les responsabilités
00:48:20des divers combattants qu'elle a repérées
00:48:22et dont elle ne sait pas très bien
00:48:24quelles sont ses responsabilités.
00:48:26Une autre accusation qui avait été lancée,
00:48:28c'est le groupe Manouchian, le groupe de la FTP-Moi,
00:48:30a été lâché, a été abandonné, sans armes,
00:48:33sans ressources, en plein Paris.
00:48:36Alors ça, je crois qu'on y avait déjà en partie répondu
00:48:39lors des premières polémiques,
00:48:40mais maintenant la documentation est encore plus précise.
00:48:42Il n'y a aucun doute que ce groupe n'a pas non plus été lâché.
00:48:45C'est-à-dire qu'à la fin, le 16 et le 17 novembre 1943,
00:48:50quand c'est la grande chute,
00:48:51les combattants ont des armes, ils ont de l'argent,
00:48:55ils ont une direction.
00:48:56– La police trouve des armes dans les planches.
00:48:58– Bien sûr, bien sûr.
00:48:59Ils ont de l'argent, ils ont une direction.
00:49:02Cette direction est toujours en contact
00:49:04avec la double direction de la MOI et des FTP.
00:49:08Donc ce groupe est dans une situation, je dirais,
00:49:10tout à fait normale du point de vue de son fonctionnement
00:49:13comme groupe de résistance armée.
00:49:15– Alors reste une question, c'était pourquoi avoir maintenu en activité
00:49:19des groupes qui étaient archi repérés par la police ?
00:49:22– Alors ça, c'est peut-être la vraie question maintenant qui se pose.
00:49:26C'est, en fait, pourquoi la direction communiste
00:49:29a-t-elle décidé de maintenir en place un groupe ou des groupes
00:49:33dont, en fait, depuis au moins l'été 1943,
00:49:36on savait qu'ils étaient sous une surveillance étroite de la police ?
00:49:39Alors là, c'est une tout autre question.
00:49:42Il y a d'une part la réponse à cette question qui est
00:49:44pourquoi la direction communiste les maintient ?
00:49:47Essentiellement, je crois, pour des raisons politiques.
00:49:50– C'est-à-dire ?
00:49:51– Il ne faut pas oublier qu'à l'été et à l'automne 1943 surtout,
00:49:55la bagarre politique pour, en vue de la libération de la France,
00:49:58est déjà très largement engagée,
00:50:00entre le général de Gaulle qui est à Alger d'un côté,
00:50:03les forces de résistance métropolitaines en France,
00:50:06dont le parti communiste qui est la force la plus importante.
00:50:09Et que dans ce cadre-là, il est évident qu'arriver à maintenir sur Paris
00:50:12un groupe de lutte armée qui combat les Allemands en permanence,
00:50:15c'est un plus, je dirais, politique, psychologique, symbolique,
00:50:20extrêmement puissant.
00:50:21– Et il n'y a pas d'autre groupe que celui-là ?
00:50:23– Et il n'y en a pas d'autre.
00:50:24Donc c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le parti lui-même,
00:50:27la direction communiste, demande d'intensifier l'action.
00:50:30Parce que dans les négociations qui s'engagent
00:50:32entre le parti communiste français et le général de Gaulle à ce moment-là,
00:50:35il est évident que ça pèse d'un poids considérable.
00:50:37– C'est ce qui explique pourquoi un certain nombre de survivants,
00:50:40de familles, de témoins, estiment que les combattants
00:50:44ont été sacrifiés à cette cause supérieure.
00:50:47– Il est clair que les combattants ont été sacrifiés.
00:50:50Le problème, c'est que parmi les combattants,
00:50:52il y a maintenant deux attitudes.
00:50:54Il y a les gens qui revendiquent ce sacrifice en disant
00:50:56nous étions des combattants communistes
00:50:58et on ne se faisait pas d'illusion sur ce qui nous attendait
00:51:00et on a lutté jusqu'au dernier moment.
00:51:02– On peut même dire que pour ceux qui étaient les jeunes juifs communistes,
00:51:05c'était un choix, ils avaient choisi de mourir comme ça,
00:51:07les armes à la main d'une certaine manière.
00:51:09– Absolument, un certain nombre d'entre eux, c'était clair,
00:51:11voulaient aller jusqu'au bout, ils n'avaient plus rien à perdre.
00:51:13D'ailleurs, leur famille avait déjà été raffaillée,
00:51:15elle était déjà passée dans les fours à Auschwitz,
00:51:17ils n'avaient plus rien à perdre.
00:51:18Bon, d'autres, qui n'avaient peut-être pas perçu
00:51:21la portée idéologique et politique de leur engagement,
00:51:24qui l'avaient perçu uniquement comme un engagement contre les Allemands
00:51:27et un engagement patriotique, ont peut-être été surpris
00:51:31après la guerre, de la manière dont les choses ont été interprétées
00:51:34par le Parti communiste, et à ce moment-là,
00:51:36ont peut-être commencé à regretter que le combat ait été poussé
00:51:41jusqu'à sa dernière extrémité, c'est-à-dire jusqu'aux arrestations,
00:51:44jusqu'aux fusillades, jusqu'à la déportation.
00:51:46– Donc, ni trahi ni lâché, mais peut-être sacrifié dans ce sens-là.
00:51:49– Dans ce sens-là, oui.
00:51:50– On va voir maintenant ce qu'il advient avec le procès,
00:51:52le fameux procès et la fameuse affiche, l'affiche rouge.
00:51:56Les Allemands ont décidé de donner au procès des combattants de la Meuille,
00:51:59qui s'ouvre le 15 février, une publicité particulière.
00:52:03La cour martiale s'est installée dans une immense salle de l'hôtel continental.
00:52:0724 francs-tireurs comparaissent, à l'exception de trois,
00:52:10ils sont tous étrangers.
00:52:129 sont juifs, la moitié des accusés à moins de 25 ans,
00:52:154 n'ont pas 20 ans.
00:52:17La presse de la Collaboration commence à rendre compte des audiences le 19 février.
00:52:21« 9 des bandits sont juifs », souligne le petit Parisien.
00:52:24« Le mouvement ouvrier immigré était dirigé par des juifs
00:52:27qui prenaient leurs ordres à Moscou », insiste Paris Soir.
00:52:30« Presque tous les assassins font montre d'une bestiale inconscience »,
00:52:34c'est le commentaire du matin.
00:52:36Devant le tribunal, les accusés revendiquent avec fierté
00:52:40l'assassinat d'un juif de Paris Soir.
00:52:44Devant le tribunal, les accusés revendiquent avec fierté leurs actes.
00:52:48Alfonso et Rayman expliquent comment ils ont exécuté Ritter.
00:52:52« Marcel Rayman, je me considérais comme un soldat.
00:52:56C'était une question de vie ou de mort.
00:52:58Je ne voyais pas d'autre moyen d'entrer en lutte contre l'armée d'occupation. »
00:53:02Le 22 février, la presse annonce leur condamnation à mort.
00:53:06Les 23 partisans avaient été exécutés la veille à 15h au Mont-Valérien.
00:53:10Quelques jours plus tard, l'affiche rouge apparaît sur les murs de Paris.
00:53:22« Quand je suis un matin de février, je suis descendu dans le métro
00:53:27et j'ai vu cette immense affiche rouge
00:53:31et le médaillon noir où étaient les visages des dix combattants
00:53:38parmi les 23 qui ont été dans le procès.
00:53:42Là, j'ai ressenti, j'ai eu un choc formidable.
00:53:46J'ai quitté le métro, je suis sortie et j'ai respiré profondément
00:53:53et à ce moment-là, ce n'est pas la peur qui m'a envahie.
00:54:00J'avais le sentiment que c'est la mort qui m'enveloppait. »
00:54:04Stéphane Courtois, la propagande allemande, a voulu utiliser largement ce procès.
00:54:08On a vu les unes des journaux de la collaboration qui en faisaient état largement.
00:54:12Les Allemands ont fait filmer ce procès en longueur.
00:54:16Ils voulaient faire un film de propagande, visiblement, qui a disparu d'ailleurs.
00:54:21On l'a recherché pour cette émission, on l'a recherché en Allemagne,
00:54:23on l'a recherché partout, on ne l'a pas retrouvé.
00:54:25Si on lance un appel, si jamais on le retrouve, ce serait intéressant.
00:54:28Ils ont fait publier cette brochure que j'ai sous les yeux,
00:54:32c'est l'armée du crime, qui raconte les exploits vus par les collaborateurs et les Allemands du groupe Panouchian.
00:54:41C'était un procès à grand spectacle, utilisé contre la résistance.
00:54:45Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'on est là à l'hiver, printemps 1944,
00:54:51et que, évidemment, la tension est maximale entre, d'un côté, les Allemands,
00:54:55le régime de Vichy qui est de plus en plus collaborationniste et les ultra-collabos,
00:54:59et puis la résistance, parce que chacun sent bien qu'on est bientôt au dénouement.
00:55:05Donc tout le monde attend avec impatience ce fameux débarquement qui est annoncé déjà depuis un an ou deux,
00:55:10et donc la tension est à son maximum, et les Allemands, effectivement,
00:55:14et les ultra-collabos lancent des grandes campagnes contre la résistance.
00:55:18Au dos de l'affiche rouge, à côté de l'affiche rouge, il y avait ce texte,
00:55:22voici la preuve, si les Français pillent, volent, sabotent et tuent,
00:55:25ce sont toujours des étrangers qui les commandent, ce sont toujours des Juifs qui les inspirent,
00:55:30c'est l'armée de crime contre la France, c'est le complot de l'anti-France,
00:55:33c'est le rêve mondial du sadisme juste, etc. Donc la propagande est très claire là-dessus.
00:55:37C'est une propagande violemment xénophobe et violemment antisémite
00:55:40qui tend à faire croire que la résistance « française » n'est pas du tout française,
00:55:46qu'elle est étrangère, juive et anglaise, ou anglo-américaine.
00:55:50Alors justement, ce qui s'est passé dans les années d'après-guerre,
00:55:53est-ce que, d'une certaine manière, cette mémoire de l'affiche rouge,
00:55:58cette mémoire de ce groupe n'a pas été un peu occultée ?
00:56:01Est-ce qu'on n'a pas voulu oublier, ou faire oublier,
00:56:04que les étrangers avaient tenu une place si importante dans la résistance armée ?
00:56:09Dans un premier temps, non.
00:56:11C'est-à-dire dans les deux années qui suivent immédiatement la libération,
00:56:14je dirais 1944-45-46, non.
00:56:17Tout simplement parce que les organisations de communistes étrangers sont encore puissantes en France.
00:56:22Beaucoup des cadres de ces organisations ne sont pas encore repartis en Europe de l'Est
00:56:26construire le socialisme, comme on disait à l'époque.
00:56:28– Socialisme réel.
00:56:29– Socialisme réel, quand on a vu ce qu'il est devenu.
00:56:32Et donc, il y a une mémoire importante de ces groupes,
00:56:37et en particulier, par exemple, j'ai là un ouvrage qui a été publié dès 1946
00:56:43par les éditions des FTP, post-facé par Charles Tillon,
00:56:48qui sont les lettres de fusillés dans lesquelles on trouve les lettres de 5 ou 6 membres
00:56:53des 24 du groupe qui a été fusillé le 21 février 1944, des FTP et MOI.
00:56:59Bon, ce qui est très curieux, c'est que là on est en 1946,
00:57:02ce qui est très curieux, c'est que très rapidement,
00:57:05ces noms vont disparaître des mêmes ouvrages.
00:57:07Et en particulier, j'ai là une autre brochure qui s'appelle
00:57:12« Lettres des communistes fusillés » qui a été publiée en 1951
00:57:15avec une préface d'Aragon, et qui a été publiée curieusement à Moscou,
00:57:18les éditions en langue étrangère, où alors là,
00:57:21tous les noms des membres des FTP et MOI ont disparu de la liste.
00:57:26Donc, on assiste à une francisation, je dirais, totale des combattants,
00:57:30parce qu'il n'y a pas de doute qu'à un moment en 1951,
00:57:36on est en pleine guerre froide, le parti communiste, évidemment,
00:57:38attaqué un peu de tous côtés, et il cherche à mettre en valeur
00:57:43son engagement patriotique, et patriotique purement français.
00:57:47Donc, on élimine les étrangers, et puis un peu plus tard,
00:57:50dans les années 1970, Jacques Duclos préface une nouvelle édition
00:57:53de ces « Lettres de fusillés ».
00:57:55C'est le même texte.
00:57:56Ce sont les mêmes textes, bien sûr, mais alors cette fois-ci,
00:57:58on réintègre un ou deux combattants, un seul en fait, Manouchian,
00:58:03mais cette fois-ci, on l'a francisé, c'est-à-dire qu'on l'appelle
00:58:06Michel Manouchian, alors que de fait, il s'appelait Missac.
00:58:10Et puis alors, plus récemment, dans les années 1980,
00:58:13précisément au moment de la fameuse polémique sur l'affaire Manouchian,
00:58:16le parti communiste édite une nouvelle édition de ces lettres,
00:58:19où alors là, on cite expressément 4 ou 5 lettres
00:58:23des membres du groupe fusillé, le 21 février.
00:58:26Donc, vous le voyez, bon…
00:58:28– Ce sont les fluctuations de la mémoire.
00:58:29– Ce sont les fluctuations de la mémoire, en fonction en fait
00:58:32d'impératifs politiques assez subalternes, il faut bien le dire.
00:58:36– Bon, en tout cas, on peut signaler qu'avant-hier, il y a deux jours,
00:58:39il y a un square Marcel Reimann qui a été inauguré à Paris.
00:58:43Et puis, comme c'est toujours le cas à la fin des émissions,
00:58:46pour ceux qui veulent en savoir davantage, on va passer en revue
00:58:50l'ensemble d'ouvrages qui ont servi à préparer cette émission.
00:58:52D'abord, je signale que dans la revue L'Histoire du mois de février,
00:58:56la revue publie l'interview intégrale donnée par Boris Solban
00:59:01pour cette émission, donc pour ceux qui veulent connaître le texte.
00:59:05Et puis, Boris Solban, toujours, a publié ses souvenirs.
00:59:10Après 45 ans de silence, le chef militaire des FTP Moïques de Paris parle
00:59:14chez Calman Levy, c'était publié en 1989.
00:59:16– Ça s'appelle Testament, comme titre de l'ouvrage.
00:59:19– Un mot de commentaire ?
00:59:21– C'est un ouvrage tout à fait excellent, où, pour la première fois,
00:59:25et après 45 ans, le chef parle et surtout donne beaucoup de documents.
00:59:30Parce qu'il est le seul, pour l'instant, à avoir conservé des documents de l'époque.
00:59:33– Et comme il n'avait pas été arrêté, il avait gardé un salon de l'archive.
00:59:36– Il n'avait pas été arrêté, il a réussi à sauver tout ça, par quel miracle ?
00:59:39– Évidemment, celui-ci, Le sang de l'étranger, par des auteurs que vous connaissez bien,
00:59:44Stéphane Courtois, Denis Péchanski et Adam Reski qui étaient…
00:59:49– Adam Reski qui était le chef, alors, du groupe de langue juif de la MOI
00:59:53pendant la guerre en zone nord.
00:59:55– Voilà, vous vous êtes mis à trois pour écrire Le sang de l'étranger,
00:59:58les immigrés de la MOI dans la Résistance.
01:00:00Et dans ce livre, je le signale, pour la première fois,
01:00:02sont utilisés très largement les archives de police, avec toutes les filatures,
01:00:06qui permettent de reconstituer toute l'histoire de ce groupe et l'histoire de sa chute.
01:00:10Il faudra signaler à votre excellent éditeur chez Fayard
01:00:13que ce livre est épuisé et qu'on ne le trouve plus.
01:00:15– Oui, ben…
01:00:17– Je signale encore Anet Yevorka,
01:00:19ils étaient juifs résistants communistes chez De Noël, qui racontent la même histoire.
01:00:23– Oui, alors ce sont plutôt, alors là, c'est une approche plus personnelle, je dirais,
01:00:27des combattants, d'un certain nombre de combattants spécifiques
01:00:30qui sont interviewés et qui racontent leur propre histoire.
01:00:32– Voilà, je signale enfin Les étrangers dans la Résistance en France,
01:00:37une belle brochure qui a été publiée par le musée de la Résistance de Besançon,
01:00:42sous la responsabilité de Philippe Joutard et François Marcon.
01:00:46Voilà, l'émission est terminée, merci.
01:00:48– Je vous remercie.
01:00:50– La semaine prochaine, les brûlures de l'Histoire
01:00:52vous raconteront la décolonisation de l'Afrique noire
01:00:54et le rôle du général de Gaulle dans cette décolonisation.
01:00:56Ce sera De Gaulle, l'Africain. Bonsoir.
01:01:56– Sous-titrage ST' 501