Megalopolis : chef-d'œuvre incompris ?

  • il y a 16 heures
Les chroniqueurs du Cercle débattent autour d'un film sortant en salles ou en diffusion sur CANAL+
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Transcription
00:00Le retour du maestro, A.V. Francis.
00:03Après 13 ans d'absence, Francis Ford Coppola, le réalisateur du Parrain et d'Apocalypse
00:09Now, revient avec un film qu'il a entièrement financé lui-même, présenté en compétition
00:14à Cannes, Mégalopolis.
00:15Adam Driver y campe un architecte allumé qui veut reconstruire la ville fictive de
00:20New Rome après une catastrophe, en s'opposant à un maire ultra conservateur joué par Giancarlo
00:25Esposito, le célèbre trafiquant de la série Breaking Bad.
00:29Cet architecte visionnaire, est-ce que c'est un autoportrait de Coppola, Frédéric ?
00:34C'est difficile de ne pas y penser.
00:36C'est difficile de ne pas entendre Coppola, de ne pas voir Coppola derrière les traits
00:40de ton cher Adam Driver.
00:41Il est à tout le monde, Adam Driver, on ne va pas commencer.
00:46On y pense tout le temps, on sait pourtant que ce personnage d'architecte a été emprunté
00:51à des figures d'urbanistes de New York, mais également de la Rome antique.
00:54Et ce que raconte Coppola, c'est l'histoire d'un créateur.
00:58C'est-à-dire l'histoire d'un créateur qui voudrait fabriquer quelque chose, une ville,
01:02une utopie, qui survivrait à la fin d'une civilisation ou d'une société qui se serait
01:07assassinée elle-même.
01:08Qu'est-ce qui va rester ? Donc faire œuvre de culture, finalement.
01:10C'est ça qui survivra.
01:11Et il va pour cela devoir affronter, comme vous le disiez, des ennemis, des banquiers,
01:17des politiciens mégalomanes, toutes les forces réactionnaires qui voudraient l'empêcher
01:22d'aller au bout de son utopie.
01:23Et Coppola, fidèle à son art, fidèle à ce qu'il a toujours fait, va raconter ce combat
01:30du créateur contre ses forces à la manière, on va dire, du fils d'immigrant italien qu'il est.
01:35C'est-à-dire à la fois un Américain, il fait un peu du sopopéra, et aussi également
01:41du bel canto de l'opéra.
01:43Et il a de l'opéra partout.
01:44Et vous allez voir comment il organise un duel entre une ambitieuse et un démagogue
01:50au dernier degré.
01:51Joué par Shia LaBeouf qui en fait des caisses dans le film.
01:54Mais regardez bien son ancien Travelling arrière, écoutez la musique et regardez les gestes
01:58des acteurs.
01:59Synchronisés comme dans une comédie musicale.
02:11C'est exactement comme une chorégraphie.
02:13À ce moment-là, au Travelling arrière, va s'opposer le Travelling avant pour aller
02:17chercher Aubrey Plaza qui joue sa rivale.
02:20Ils vont se rencontrer.
02:30Exactement comme dans un opéra, elle fait presque un récitatif.
02:33Elle est en train de dire à haute voix ce qu'elle pense avant ce duel.
02:36Et là, on les a retrouvés sur la scène.
02:39Comme sur une scène d'opéra, comme sur une scène de théâtre, légère contreplongée,
02:43ce décor extraordinaire.
02:45Et à ce moment-là, le duel, la comédie, le spectacle peut commencer.
02:49Et je vous disais qu'il y avait un rapport entre le soap opéra, son dynastie, il y a
02:54vraiment des histoires comme ça dans le film, et en même temps l'opéra.
02:57C'est-à-dire que ce film qui cite beaucoup Shakespeare, L'art de Coppola, c'est pour
03:03ça qu'il faut aller voir ce film qui est au-delà de tout ce qu'on nous a raconté
03:06d'un film extrêmement compliqué, d'un labyrinthe narratif, de référence.
03:11Il faut aller le voir d'abord pour le plaisir, pour le plaisir d'avoir une histoire qu'on
03:14nous raconte, et à la fois où on mélange le sublime et le vulgaire.
03:18Je ne suis pas sûre que Marie a eu autant de plaisir que vous devant ce film, Frédéric.
03:21Non, mais je rejoins Frédéric sur le fait qu'il faut aller le voir parce que, évidemment,
03:25c'est un des films événements de l'année.
03:26C'est-à-dire que ça fait presque 15 ans qu'on attend le nouveau film de Coppola.
03:31On l'attend, on le découvre à Cannes, il est avec Adam Driver, autant vous dire que
03:36je n'étais pas en retard à la projection.
03:38Et donc, l'effet déceptif est là aussi, mais en même temps, une sorte de fascination,
03:44d'abord une admiration pour le geste, pour le panache, parce que c'est vraiment un cinéaste
03:48qui fait tapis, il y met tout.
03:51En fait, je me dis que tous les films qu'il n'a pas réalisés depuis une quinzaine d'années,
03:54ils sont dans le désordre.
03:56C'est comme une sorte de puzzle.
03:57Il y a de la philosophie, il y a de l'opéra, il y a de la farce, il y a du drama.
04:01Et mille histoires, pardon, mais mille histoires emberlificotées dont il faut tirer les fils.
04:07Et c'est là où j'ai un immense regret, c'est-à-dire que j'aurais préféré voir
04:11dix films de Coppola.
04:13Il y en a un sur le veuf éploré, avec des visions très belles d'Adam Driver auprès
04:18de son épouse morte.
04:19Il y en a un autre, effectivement, sur cette histoire d'architecte.
04:24Voilà, sont-ils des prophètes ? Qui est visionnaire ?
04:26Il y a un côté, effectivement, carnet d'esquisses géant, avec des visions fulgurantes et puis
04:32des croûtes aussi, quoi, non ?
04:34Tu parles de films Somme, un petit peu de Coppola, ce qui est intéressant, c'est qu'ils
04:37se replongent quand même un peu dans ses origines, dans ses origines italiennes.
04:40Tu parles d'opéra.
04:41Et il s'est quand même vachement penché sur la question de la Rome antique.
04:45C'est ça qui est un peu fou dans le Paris, c'est que la dystopie, normalement...
04:47Penché ou perdu ?
04:48Ça, ça viendra après, mais au début du projet, quand même, je pense qu'il y a vraiment
04:52un intérêt pour la Rome antique, pour l'histoire de son pays.
04:54Et puis la dystopie, normalement, on part du présent pour inventer les dérives du
04:59futur.
05:00Là, il va mélanger passé et présent pour inventer un éventuel futur.
05:03Donc il y a quelque chose de l'ère de la fusion, une théorie qu'il n'a pas inventée.
05:06La nouvelle Rome, ce n'est pas un mythe qu'il a tiré de son chapeau, c'est des théoriciens,
05:10des intellectuels, des historiens américains qui s'y intéressent depuis des années.
05:13Après, là où ça capote un petit peu, c'est formellement, je trouve que cette fusion...
05:17Bien sûr, ça donne un décor Rome très patapouf.
05:20C'est ça.
05:21Alors que c'est passionnant.
05:22Essayer d'allier la chute de l'Empire romain à la chute de l'Empire américain...
05:25Mais c'est ce qu'il a toujours un peu travaillé, la question du temps, ça a toujours travaillé
05:28son oeuvre.
05:29Oui, mais le problème, c'est est-ce qu'il réussit ou est-ce qu'il ne réussit pas ?
05:33C'est intéressant, l'extrait qu'a apporté Frédéric, parce que je trouve que le film,
05:37il est très beau dans les promesses et l'extrait que tu montres, c'est la promesse.
05:41Sauf que la rencontre, quand elle a lieu, elle est décevante, comme toutes les rencontres
05:45dans le film.
05:46C'est-à-dire qu'à chaque fois, souvenez-vous, à Vancane, on avait présenté cet extrait
05:49d'Adam Driver qui était sur le toit, etc.
05:52Quelle vision !
05:53Qui arrêtait le temps.
05:54Qui arrêtait le temps.
05:55Et on se disait, waouh !
05:56Comme on a dit, l'artiste arrête le temps.
05:59Ça va être quoi ? Ça va être extraordinaire et puis finalement, quand on voit le film,
06:02la scène est bien là, mais on n'en fait rien de plus.
06:05Et du coup, le film, c'est ça, c'est un mélange de fulgurance et de choses qui sont
06:09constamment inabouties parce qu'on est passé à autre chose.
06:12Ce qui manque au film, c'est un producteur.
06:14C'est un producteur, c'est quelqu'un qui va le prendre par la main et lui dire, stop
06:20là-dessus, etc.
06:22Est-ce que pour montrer la décadence, on montre des jeunes femmes en boîte de nuit
06:27qui se prennent de la cocaïne sur leur soutien-gorge, ça paraît un peu…
06:32Désolé, mais il faut se rappeler, il porte la marque de quand il a été inventé aussi
06:37ce concept-là.
06:38C'était à l'époque d'Apocalypse Now, c'est-à-dire les années 70.
06:40Oui, mais 79 ! Et la scène ! On ne peut pas comparer avec la scène des Plymouth au fond
06:46de la jungle.
06:47Il y avait une démesure.
06:48Laissez parler, Claire !
06:49Là, vous avez ouvert la porte de Pandore, on ne peut pas, on ne peut pas comparer.
06:52Non, mais le problème, c'est ça, c'est qu'on voit le côté visionnaire, on sait
06:55que ça fait 40 ans qu'il veut faire ce film, mais justement, d'être à la fois
06:58scénariste, producteur et réalisateur, c'est comme si personne ne pouvait lui mettre un
07:02hola et qu'il est allé à fond dans toutes ses idées.
07:05Il a des super acteurs, ça c'est clair, et Shia LaBeouf, moi je trouve qu'il est
07:08vraiment extraordinaire dans ce qu'il propose.
07:10Quel guignol !
07:11Mais c'est vraiment des propositions qui se noient après dans la narration du film
07:17et c'est vrai que c'est compliqué de comprendre l'histoire qu'on aura.
07:19Est-ce qu'il faut comprendre ?
07:21Ce qui me plaît dans le film, c'est que chaque geste du film, que ce soit un geste
07:26esthétique, un geste de montage, un geste de colorimétrie, ou que ce soit un geste
07:30d'acteur, comme on l'a vu dans l'extrait, c'est un spectacle.
07:34Voilà, tout est un spectacle comme à l'opéra, tout devrait avoir du sens, tout devrait
07:39être à un moment donné sursignifiant pour nous amener à réfléchir ou peut-être à
07:45participer avec le film et le défaut pour moi du film, c'est que d'une certaine
07:49façon, ce systématisme du spectacle rend le film un peu à tône, c'est-à-dire en
07:54fait, je le trouve presque monotone alors qu'il est exubérant, c'est une exubérance
07:58monotone, c'est assez curieux quand même.
08:00Il y a quand même le fait qu'il a tout fait déjà et en moins bien, l'opéra, l'opéra,
08:04mince, revoyons le Parrain 3, où il y a Cavalia Rusticana et cette fin sur les marches de
08:10l'opéra qui est extraordinaire.
08:11Mais c'est intéressant que tu dises est-ce qu'on a besoin de comprendre, il y aurait
08:15une vraie question sur est-ce que son film avait besoin d'être à ce point narratif
08:20par exemple, parce que ce qui fait très mal au cœur, et vraiment c'est un crève-cœur,
08:24c'est une grande tristesse ce film, j'ai l'impression tout à coup qu'Aupola ne s'est
08:27plus raconté une histoire.
08:28Ça lui est déjà arrivé, on ne va pas se cacher à son petit doigt, les films qu'il
08:34a faits dans les années 2000, Stwick, Tetro, L'homme sans âge, ça n'allait pas.
08:38Est-ce que son film aurait besoin de raconter une histoire, est-ce qu'on ne pourrait pas
08:43se contenter des visions qu'il a, je pense au rêve du personnage d'Adam Driver qui
08:48voit tout à coup un bras de nuage s'étendre et saisir la lune, finalement est-ce que cette
08:53beauté-là n'aurait pas suffi, or l'histoire bouffe tout, l'histoire elle est omniprésente
08:57parce que le film est extrêmement bavard.
08:59Elle est omniprésente mais elle est très pauvre, parce que c'est quand même ce génie
09:02incompris face aux pragmatiques financiers qui ne veulent pas que le monde réponde.
09:06Mais ça c'est la guerre éternelle.
09:07Oui mais ce n'est pas que la guerre, c'est à un moment donné réussir aussi à trouver
09:13un allié dans le pragmatisme.
09:15Mais c'est d'une négativité quand même.
09:16Oui, Coppola essaie malgré tout de raconter à travers ce film et de montrer une sorte
09:22d'héritage de ce qu'il pourrait se construire au-delà de lui.
09:25Je sais que c'est très naïf, c'est un peu ingénu, mais c'est assez touchant à la fin
09:29du film.
09:30Mais tu vois ce qui est génial, c'est qu'on est à peu près tous d'accord et qu'on se
09:31discute quand même.
09:32On va devoir discuter d'Adam Driver.
09:33Mais vous vous discutez et donc il faut aller le voir en salle.
09:35Ça on est tous d'accord, ça on est tous d'accord.

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