Pourquoi le dernier film de Daniel Auteuil est si spécial.

  • il y a 15 heures
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Transcription
00:00Pour sa sixième réalisation, Daniel Otteuil a choisi une affaire de féminicide
00:04trouvée dans le blog d'un avocat.
00:06Dans le fil, il interprète lui-même l'avocat commis d'office
00:10et Grégory Gadebois joue l'accusé.
00:12Qu'est-ce qui rend cette affaire particulièrement cinématographique, Philippe ?
00:16On sait que les films de procès, c'est toujours très cinématographique.
00:20L'audience, le tribunal comme un petit théâtre.
00:24Et puis on sait qu'il y aura forcément des rebondissements
00:27entre les plaidoiries, entre les témoignages,
00:29entre les preuves que tout d'un coup on sort.
00:31Et puis là, on a un accusé qui est assez formidable.
00:35Ce que dit le personnage d'Otteuil, qui est son avocat au début.
00:38Il dit, on a l'impression que ce n'est pas coupable,
00:42mais on ne sait pas si c'est un innocent.
00:44Donc voilà, c'est assez passionnant.
00:46Et puis là, il y a un autre enjeu
00:48qui est autour du personnage de Daniel Otteuil,
00:51qui n'a pas plaidé depuis très longtemps
00:53et qui fait son retour au barreau.
00:55Et c'est une histoire de rédemption et tout ça.
00:58Et ce qui est très intéressant, c'est de voir comment Otteuil filme Otteuil.
01:02Et ça, c'est quelque chose de passionnant et de très cinématographique.
01:06Et il va chercher une idée très cinématographique
01:09qui est de comparer avec la corrida.
01:11Alors, est-ce que c'est qu'on cherche la vérité comme on veut mater le taureau ?
01:15Est-ce que c'est le taureau qui va mater le corrida ?
01:18C'est très compliqué.
01:19Mais en tout cas, on va assez loin.
01:21Il y a cette image.
01:22On est au début du film, on a cette image du taureau
01:24et on a l'impression que cette idée du taureau se poursuit.
01:27On a l'impression qu'on est presque dans le tunnel
01:29où le taureau arrive dans l'arène.
01:31Et non, on est en fait dans une voiture,
01:33avec là, au cas où vous voyez, deux profils.
01:35Et puis là, de loin, c'est Otteuil qui se filme en arrivant à la prison.
01:38Donc il va aller au parloir.
01:40Et ce qui est très intéressant, c'est de voir comment,
01:42donc on l'a vu de profil flou,
01:44on l'a vu au loin dans la profondeur de champ
01:47et là, on le suit de dos sur la nuque
01:49jusqu'à temps qu'enfin, il va parler
01:52après avoir appuyé sur le bouton.
01:56C'est pour le parloir avocat.
01:59Et à partir de là, il y a une espèce de symphonie.
02:02Regardez, écoutez sur la bande son.
02:04Portes qui grincent.
02:06Clé.
02:08Et on est avec lui.
02:10On est dans cette angoisse
02:12parce que là, ça va être juste la rencontre avec...
02:14Mais il a déjà en tête ce procès.
02:16Regardez comment il se remet son col.
02:19Mais il y a cette idée-là.
02:21Et c'est très intéressant d'avoir ce fil
02:23qu'on va suivre pendant tout le film
02:25de comment se comporte cet avocat.
02:28C'est très intéressant de voir
02:30comment il se filme lui-même.
02:32Mais c'est aussi surprenant dans sa filmographie
02:34parce qu'en tant que réalisateur,
02:36il avait fait des remakes de Pagnol,
02:38il avait fait une comédie sur le couple
02:40et bam, il débarque avec ça.
02:42Ça produit un électrochoc ?
02:44Pas surprenant.
02:46Dans ma cinématographie,
02:48d'abord c'est Hugolin, c'est Lucide.
02:50Et c'est vrai que là,
02:52en tant que réalisateur,
02:54il reprend quand même l'histoire amoureuse.
02:56Amoureux de ma femme, c'était une histoire d'amour.
02:58Fanny, Marius, c'était une histoire d'amour.
03:00Il reste dans le Sud, c'est toujours cette référence.
03:02Après, je ne suis pas trop d'accord avec toi
03:04parce que la partie qui me dérange,
03:06c'est tout ce rapport à la corrida.
03:08Pourquoi ? C'est intéressant.
03:10Vous connaissez mon amour pour le cinéma français
03:12qui s'exporte hors de Paris.
03:14C'est très importante que Daniel Auteuil aille
03:16filmer le Sud de la France,
03:18mais toutes ces séquences avec les taureaux,
03:20pour moi, on les enlève.
03:22Même les flamants roses, ça n'a pas d'importance.
03:24L'impact, c'est vraiment l'enjeu.
03:26C'est deux moments du film qui sont vraiment forts.
03:28Il y a la fois où son ex-femme
03:30et compagne de travail lui dit
03:32tu n'es pas là pour sauver des gens,
03:34tu es là pour les défendre.
03:36Et là, c'est vraiment toute la trajectoire
03:38de son personnage.
03:40Et la deuxième citation, c'est la première fois
03:42qu'il est face à Grégory Gadebois.
03:44Si vous regardez le film, faites très attention
03:46à l'espace où il se trouve.
03:48C'est une forme de huis clos entre ces deux personnages.
03:50On ne sait pas lequel est le plus enfermé.
03:52C'est ce duo-là
03:54qui nous intéresse, le rapport au verbe
03:56entre les deux.
03:58Ce qui m'a vraiment intéressé
04:00dans le film, c'est Daniel Auteuil.
04:02Vous avez tous fait le marché.
04:04Il y a un moment donné,
04:06il faut tirer un fil dans ce film-là.
04:08Philippe parlait de la façon dont on allait filmer
04:10Daniel Auteuil, dont il se filmait.
04:12Je trouvais ça très intéressant.
04:14Daniel Auteuil, on l'a déjà vu dans un film
04:16qui s'appelait Un silence de Joachim Lafosse,
04:18où déjà il jouait un magistrat
04:20qui était dévoyé.
04:22Et là, on sent un type qui cherche la rédemption
04:24et peut-être se perd un peu
04:26dans son idée de rédemption.
04:28C'est un peu ça l'enjeu du film.
04:30Ce type qu'on a connu,
04:32Daniel Auteuil, qui était le Hugolin
04:34du cinéma français,
04:36qui incarnait un devenir de la qualité française
04:38à partir des années 80.
04:40Qu'est-ce qu'il est devenu aujourd'hui et comment il se regarde ?
04:42J'ai l'impression qu'il se regarde comme quelqu'un
04:44qui est porteur d'un cinéma français
04:46en train de vieillir, peut-être
04:48qui s'est trompé sur certaines problématiques.
04:50Ce que je trouve intéressant dans le film,
04:52c'est qu'il y a énormément de choix de mise en scène.
04:54Il se filme fatigué, un peu comme Clint Eastwood
04:56l'a fait à une certaine époque.
04:58Et même dans la mise en scène, il y a quelque chose de lugubre,
05:00quelque chose de mortifère.
05:02Par moments, on a l'impression d'être au purgatoire,
05:04un peu comme dans Le Verdict de Sidney Lumet.
05:06C'est parce que c'est un film qui doute d'absolument tout
05:08et je suis tout à fait d'accord avec toi sur Le Verdict.
05:10En fait, ce qui se passe,
05:12c'est que le cinéma de procès,
05:14le cinéma judiciaire, c'est par essence
05:16du cinéma à thèse.
05:18Déjà, on choisit quel angle. Est-ce qu'on va être du côté
05:20de la défense, du côté des magistrats, du côté des accusés,
05:22du côté des jurys ? Il y a moult exemples
05:24et c'est autant d'occasions de dire
05:26ce qu'on a à dire sur la société
05:28qui se trouve réunie dans ce petit théâtre.
05:30Sauf qu'Auteuil, ce qui fait d'ici très intéressant,
05:32c'est parler exclusivement de doute.
05:34Parce que, finalement, la manifestation
05:36de la vérité, est-ce que ça va soulager les gens ?
05:38On ne s'est pas dit. Est-ce que l'important, c'est d'être coupable
05:40ou innocent ? Ce n'est pas non plus
05:42si évident que ça. Finalement, tout ce qui compte face
05:44à une énorme machine judiciaire qui ne peut
05:46que broyer, broyer les victimes,
05:48broyer leurs proches, broyer les partis civils,
05:50c'est juste trouver l'humanité. Où sont les humains là-dedans ?
05:52Et essayer de les entendre et de laisser
05:54leur voir la vérité se manifester.
05:56Et il arrive à capturer ça, je trouve,
05:58avec beaucoup de justesse et justement
06:00sans en faire des caisses, en laissant la place...
06:02dans ce lien entre cet avocat
06:04commis d'office qu'il incarne et ce
06:06désigné coupable, en fait.
06:08Et il y a quelque chose de très doux dans le film
06:10qui le distingue des autres films de procès
06:12qu'on voit beaucoup au cinéma.
06:14Ne serait-ce que sa manière
06:16de filmer l'audience,
06:18il se concentre vraiment sur les visages.
06:20On voit finalement très peu les jurés, on voit très peu
06:22le public. C'est presque
06:24filmé comme un envoûtement. C'est-à-dire que
06:26Daniel Lauteuil est envoûté
06:28par son client
06:30et il n'a Dieu
06:32finalement que pour lui. C'est quasiment
06:34une histoire d'amour entre les deux et je crois
06:36que ça raconte aussi que peut-être le seul endroit
06:38peut-être possible de paix,
06:40de rédemption dans un monde où on parle
06:42de féminicide, etc., c'est peut-être dans ce
06:44dernier lien de réserve
06:46d'illusion qu'a cet avocat-là
06:48vis-à-vis de son client.
06:50Et puis il faut voir le film pour en savoir plus.
06:52Et on ne pense pas à Garde à vue de
06:54Claude Miller, Philippe ?
06:55C'est autre chose parce que Garde à vue était
06:57vraiment en une nuit, était concentré.
06:59Il y avait des répliques extrêmement
07:01brillantes et on était
07:03dans l'opposition
07:05vraiment du flic
07:07avec le prévenu.
07:09Alors que là, c'est très bien ce que dit Maroussia,
07:11enfin je suis vraiment à 100% d'accord avec ça,
07:13c'est une histoire d'envoûtement. C'est-à-dire que rien
07:15ne l'obligeait à prendre cette affaire.
07:17Il venait faire la disposition
07:19la nuit, avocat commis d'office
07:21mais après il choisit,
07:23il choisit de le défendre, il choisit
07:25de faire son retour avec cette affaire-là
07:27parce qu'il est fasciné par le bonhomme.
07:29Et parce que ça faisait 15 ans qu'il ne plaidait plus
07:31dans ce genre d'affaires.
07:33Le film en cinémascope, il y a quelque chose de très
07:35beau, c'est-à-dire qu'il cherche aussi à nous
07:37envoûter par cette affaire.

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