• il y a 2 mois
20% de logements de sociaux, voilà un chiffre totem pour les uns, repoussoir pour les autres...Quelques semaines seulement après que le gouvernement de Gabriel Attal ait souhaité changer les règles de calcul du pourcentage de logements sociaux obligatoires dans les communes, Il était une loi
vous propose de revenir sur un des textes les plus emblématiques portés par la gauche plurielle du gouvernement de Lionel Jospin : la loi de solidarité et renouvellement urbain dite loi SRU.
Si ses objectifs ne se limitent pas à l'introduction d'une part obligatoire de logements sociaux, depuis l'an 2000, elle oblige toutes les communes de plus 3500 habitants de proposer au moins 20 % logements sociaux, un chiffre porté à 25% en 2013.
Présentée comme une réponse au déficit d'offre locative accessible aux plus fragiles, elle a aussi longtemps été combattue pour la rigidité qu'elle impose aux élus locaux. Comment la gauche a-t-elle réussi à imposer ce texte ? 25 ans après son adoption la mesure a-t-elle eu les effets escomptés ? Comment le Sénat a tenté en vain de s'opposer cette obligation ? Et comment Jacques Chirac, contre toute attente, a défendu le dispositif contre sa propre majorité ? Matthieu Croissandeau et ses invités reviennent sur cette histoire politique et parlementaire. Année de Production : 2023

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Transcription
00:00Public Sénat, en partenariat avec les archives nationales présentes,
00:05il était une loi quand le Sénat écrit l'histoire.
00:31La loi SRU
00:39La loi SRU, c'est le droit au logement social pour le plus grand nombre.
00:45Les gens venaient en permanence pour essentiellement deux choses,
00:50trouver un emploi et trouver un logement.
00:52La loi SRU, c'est une loi qui dit, en fait,
00:54c'est l'État qui décide de vous imposer de construire du logement social.
00:58Voilà, pour pouvoir construire des logements sociaux,
01:00on va être obligés d'arracher du vignoble grand cru classé.
01:04Je le veux, mais je ne le veux pas dans mon jardin le plus proche de moi.
01:09Gouverner, c'est d'abord loger son peuple, disait l'abbé Pierre en 1954,
01:14dans un appel qui marqua le début de son long combat.
01:17Contre la pauvreté des bidonvilles et afin d'offrir un toit à chacun,
01:20la priorité des pouvoirs publics fut alors de construire le plus vite possible
01:24des millions de logements, souvent dans les mêmes villes,
01:27les mêmes quartiers, les mêmes cités.
01:29Une politique des grands ensembles au détriment du vivre ensemble
01:32qui reléga au second plan un enjeu pourtant majeur, celui de la mixité sociale.
01:38Au tournant des années 2000 et après plusieurs vaines tentatives,
01:41la gauche au pouvoir se remet au travail.
01:43Il faut bâtir toujours plus de logements sociaux,
01:45mais surtout mieux les répartir sur l'ensemble du territoire.
01:48L'heure n'est plus aux invitations mais aux injonctions,
01:51sous peine de sanctions financières pour les communes qui refuseraient de prendre leur part.
01:56Ce sera l'objet d'un texte fondateur du gouvernement Jospin,
01:59la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain
02:03qui donna lieu à une véritable guérilla parlementaire.
02:06Qui furent les vrais architectes de la loi SRU
02:09et quelles difficultés ont-ils dû surmonter pour faire adopter leur texte ?
02:12Comment la droite, qui voulut plusieurs fois l'abroger,
02:15trouva-t-elle sur son chemin l'abbé Pierre mais aussi Jacques Chirac ?
02:19Et puis, un quart de siècle après, quel bilan tirer de cette loi novatrice ?
02:23C'est l'histoire que nous allons vous raconter.
02:26– Bonjour Jean-Claude Guessot. – Bonjour.
02:48– Vous avez été plusieurs fois élu local,
02:50vous avez été député communiste de Seine-Saint-Denis
02:53et en 1997, après la victoire de la gauche plurielle,
02:56vous entrez au gouvernement comme ministre de l'équipement,
03:00des transports, du logement.
03:02Cette question de la mixité sociale, elle vous habite depuis longtemps ?
03:06– Depuis l'âge de 17 ans et demi,
03:08je suis concerné par les problèmes qui sont liés à la justice sociale.
03:12J'ai habité dans un petit village,
03:15puis à Béziers et puis à Drancy où j'ai été député maire.
03:18J'ai été en HLM et qu'ai-je vu ?
03:22J'ai vu que tu avais d'un côté les beaux quartiers,
03:27de l'autre côté la banlieue, les quartiers défavorisés.
03:31Tu avais ceux qui avaient le droit à prétendre un jour
03:34avoir accès à leur pavillon et leur logement
03:38et puis ceux qui étaient coincés dans un ghetto.
03:41– Cette loi SRU, elle répond à une urgence sociale ?
03:44– C'est pas la question du logement social seulement,
03:47c'est la question du vivre ensemble,
03:49d'une politique sociale du logement qui concerne tout le monde.
03:55Et la loi SRU, c'est 70% des ménages de France
04:00qui ont droit au logement social.
04:03C'est-à-dire que c'est l'inverse du ghetto,
04:07en quelque sorte de la misère et du désespoir.
04:10– Ça n'était pas réservé à une frange de la population les plus modestes.
04:14C'était pour la majeure partie de la population et des Français.
04:17– Voilà.
04:18– Et d'ailleurs vous avez décidé d'y travailler en amont,
04:22sur tout le territoire, avec un processus qui est assez inédit à l'époque.
04:25Vous avez décidé de rencontrer des citoyens et des habitants.
04:29– Et plutôt que de partir d'une approche simple d'experts ou de spécialistes,
04:35dont nous avons absolument besoin,
04:37nous avons décidé qu'il y ait ce croisement.
04:40Nous l'avons fait dans 6 villes de France,
04:43Orléans, Perpignan, Nîmes, Lyon, Dijon, Lille,
04:49pour voir les problèmes tels qu'ils se posent.
04:52– Vous ne vouliez pas que cette loi SRU soit élaborée seulement par des experts.
04:56Vous vouliez vous appuyer sur la parole des citoyens et des habitants.
04:59– Et des élus, et des associations.
05:02Pourquoi l'abbé Pierre et toutes les associations,
05:04le secours populaire, le secours catholique et tout ça,
05:07ils étaient à fond avec ma démarche-là.
05:10– La consultation citoyenne, elle est clôturée par Lionel Jospin à Paris.
05:15– Lionel Jospin nous rejoint, va s'installer au pupitre.
05:19– Nous avons inscrit dans la loi, en 1990, déjà l'objectif de mixité sociale.
05:28Il est aujourd'hui urgent de nous donner les moyens de le mettre en œuvre.
05:33Les centres doivent redevenir le lieu où tous se croisent et se rencontrent.
05:39Le logement social doit fonctionner de façon plus solidaire.
05:44Solidarité entre les villes, solidarité dans les villes, solidarité dans les quartiers.
05:51– Lionel Jospin dit que l'objectif de mixité sociale avait été fixé
05:54par la loi d'orientation pour la ville, celle de Louis Besson,
05:57ministre de logement, sous Michel Rocard,
05:59mais qu'on ne s'en était pas donné les moyens.
06:02Vous allez décider de jouer sur deux leviers,
06:04l'obligation de 20% de logements sociaux dans chaque commune de plus de 3500 habitants
06:10et pour celles qui ne le font pas, des sanctions.
06:13– La contrainte, elle vient uniquement par rapport au rejet de l'hypocrisie.
06:22– C'est-à-dire ?
06:24– C'est-à-dire que ceux qui sont pour les 20% mais qui disent
06:28on ne peut pas les appliquer parce que chez nous on ne veut pas de ces gens-là.
06:32– Les 20% de logements sociaux dans chaque commune ?
06:34– Eh bien ça je pense que c'est de l'hypocrisie
06:38et même pour certains cas de l'apartheid.
06:41Le mot est très fort, moi on m'a répondu dans une émission,
06:45on ne veut pas de ces gens-là, c'est quoi ça ?
06:50– Qui était désigné par ces gens-là ?
06:52– Ils étaient désignés les pauvres, les noirs, les arabes, la ségrégation.
07:02Et puis j'en ai un autre député qui m'a dit, mais je t'assure,
07:08je ne serais pas réélu si je fais ces logements pour ces gens-là.
07:15Et ça, vous savez ce que ça veut dire ça ?
07:20Ça veut dire que je suis là pour me faire réélire en faisant plaisir
07:25ou je suis là pour faire avancer les choses.
07:27– Des communes, mesdames et messieurs les sénateurs,
07:30ne jouent pas le jeu de la solidarité et s'obstinent dans une attitude d'égoïsme.
07:37C'est cette attitude qu'il faut modifier.
07:40J'ai souvent entendu dire que construire dans certaines communes urbanisées
07:4720% de logements sociaux en 20 ans, je dis bien en 20 ans,
07:54était, certains disent, impossible.
07:57Eh bien, honnêtement, je crois que c'est faux.
08:01Et ce n'est que si les engagements pris ne sont pas respectés,
08:06je répète bien et j'espère que nous en passerons,
08:10que l'État pourra, sanction ultime,
08:13passer une convention avec un bailleur social
08:17pour réaliser les logements que la commune aura refusé de réaliser elle-même.
08:22– Et cette obligation faite aux communes de construire 20% de logements sociaux
08:27et ses sanctions, elles vont être réunies dans ce fameux article 55 de la loi SRU
08:32qui va être l'objet d'une âpre bataille parlementaire.
08:35– Bon, je pourrais citer, j'ai tout, j'ai des dossiers comme ça
08:39de ce qu'ont dit les uns et les autres, y compris M. Carès.
08:45– Le député Gilles Carès, il va dire, c'est le retour au gosse-plan,
08:48il va vous renvoyer à votre parti communiste.
08:51– Non seulement c'était une critique infondée,
08:54mais c'était d'ailleurs, je pense, ce qu'il a regretté après d'avoir dit cette bêtise.
09:00Parce que si on peut reprocher quelque chose à Guesso,
09:04c'est pas de s'être aligné sur le stalinisme,
09:07et c'est pas de s'être aligné sur le gosse-plan.
09:11– Sans surprise, l'article de la loi SRU qui impose 20% de logements sociaux aux communes
09:16déclenche une levée de boucliers dans l'opposition.
09:18La droite, qui a déjà perdu la bataille des 35 heures,
09:21entend bien prendre sa revanche au Parlement, mais aussi sur le terrain
09:25en prenant à témoin les Français dans un style parfois bulldozère.
09:29Au Rincy, commune favorisée de Seine-Saint-Denis,
09:32le maire Éric Raoult, lui-même ancien ministre de la ville,
09:35inonde les rues de panneaux et de tracts pour dénoncer le bétonnage
09:39ou l'insécurité que représente à ses yeux la construction de HLM.
09:42– On peut appliquer 10-15 logements par an,
09:45mais on ne peut pas faire en sorte qu'on multiplie par 3 ou par 4
09:48le nombre de logements sociaux.
09:49– Et même si quelques élus RPR comme les maires de Sartrouville ou d'Avignon
09:53prennent publiquement parti pour le texte, la droite sénatoriale, elle, serre les rangs.
09:58C'est donc devant un hémicycle prêt à en découdre
10:01que Jean-Claude Guesso se présente pour défendre son projet.
10:05– La parole est à monsieur Jean-Claude Guesso,
10:07ministre de l'équipement des transports et du logement,
10:10qui est invité à venir à la tribune pour s'exprimer.
10:13– Bonjour Dominique Baraille.
10:14– Bonjour.
10:15– Quand la loi SRU arrive au palais du Luxembourg au printemps 2000,
10:19vous êtes maire de Buchelet et sénateur RPR des Yvelines
10:23et c'est à vous que le groupe a confié le dossier du logement.
10:26– Oui, et d'ailleurs je l'ai tenu effectivement pendant de nombreuses années,
10:30pendant 15 ans où j'ai été rapporteur de la plupart des lois sur le logement.
10:34– Vous étiez un spécialiste ?
10:36– Je le suis devenu en tout cas.
10:38– Et cette loi SRU, quand elle arrive, vous n'en voulez pas ?
10:42– C'est pas qu'on n'en veut pas, c'est qu'on n'en veut pas
10:44telle qu'elle est issue de l'Assemblée Nationale.
10:46C'est deux choses différentes parce que, étant sénateur,
10:49vous imaginez bien que les élus qui m'ont élu, qui étaient tous maires,
10:53maires des Yvelines, dont la plupart des villes sont des villes quand même,
10:57je veux dire, aisées, je veux dire,
11:01exerçaient une pression sur le sénateur que j'étais importante.
11:05– D'abord, vous vous en prenez à l'idéologie qui sous-tend ce texte.
11:08– Je me ferai le porte-parole de l'incompréhension et de l'indignation
11:13ressenties par les élus, ces élus, choqués par ce dispositif
11:17qui ajoute une sanction financière à l'obligation de construire
11:21des logements locatifs sociaux dans les communes qui sont censées en manquer.
11:26Comment ne serait-il pas révolté par ce mécanisme technocratique,
11:31autoritaire et profondément attentatoire à l'autonomie des communes ?
11:36Ce projet de loi constitue à ses égards une véritable machine
11:40à remonter le temps, un retour à une planification dirigiste
11:44de l'habitat social qui fait craindre la répétition des erreurs
11:48de l'urbanisme des décennies 1950 à 1970,
11:52erreurs dont nous payons tous aujourd'hui le prix fort.
11:56– Claude Barthelonne, qui est ministre de la Ville,
11:59pointera au cours des débats ces fameuses communes chics des Yvelines
12:02qui préfèrent construire des golfs à 18 trous que des logements sociaux.
12:06C'était une caricature aussi ou ça existait ?
12:08– C'est ce qu'on appelle l'Ouest de Paris.
12:10Toutes ces communes étaient composées de personnes qui souhaitaient
12:16vivre tranquillement avec un certain nombre d'équipements sur les communes
12:20et qui ne voulaient pas des nuisances qu'ils estimaient être
12:23de cette mixité sociale qu'ils estimaient être pour eux,
12:27pour beaucoup de ces populations, être une nuisance.
12:30– Si les maires ont peur du logement social,
12:33ce n'est qu'en raison de ce qui s'y passe,
12:36du type d'attribution qu'ils ne maîtrisent pas et du peuplement qui s'y fait.
12:42Parce que oui mes chers collègues, que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas,
12:45c'est le peuplement qui pose des problèmes
12:47et ce n'est nullement le fait que ce soit du logement social.
12:51Seulement quand on arrive effectivement,
12:53j'étais encore hier au Valfouret et que les responsables de la police me disent
13:02que la police s'est fait caillasser tout le dimanche
13:05et que de toute façon les jeunes qui ont été pris ne passeront,
13:09devant la justice, qu'en novembre prochain,
13:12vous comprenez bien que tout le problème est là.
13:15– Ça voulait dire quoi le peuplement de ces logements sociaux ?
13:19– Moi j'ai connu effectivement le Valfouret qui était une agglomération
13:23au début des années 70 où toutes les personnes qui avaient un peu de moyens
13:29demandaient à être logées au Valfouret.
13:31C'était le seul endroit où on avait des logements très grands,
13:35c'est-à-dire avec neuf, avec des vides ordures,
13:37avec des grandes salles de bain, des grandes salles à manger, etc.
13:40Et puis sont arrivées dans la suite des années 70-80,
13:45la construction, vous vous en souvenez sûrement,
13:47des chalons d'honnêtes sur les communes limitrophes
13:49et notamment Magny-en-Ville qui était une des communes aussi périphériques
13:52dans la communauté d'agglomération.
13:54Et vous avez eu un transfert de toutes les populations,
13:58je veux dire de classe moyenne, fonctionnaires, instituteurs,
14:03enfin tout cela, qui ont voulu faire de l'acquisition de ces chalons d'honnêtes
14:07qui étaient quelque chose d'important pour eux.
14:09– Et qui ont quitté le Valfouret.
14:10– Qui ont quitté le Valfouret.
14:11Les bailleurs sociaux se sont trouvés, je veux dire,
14:14avec des logements totalement vides et ont fait des attributions
14:17à ce qu'on appelle un guichet ouvert et ils prenaient effectivement
14:20tout ce qui passait et ça correspondait en plus comme quoi
14:23les politiques devaient penser en fonction de ce qu'ils disaient,
14:26du logement, du regroupement familial où on a effectivement,
14:30comme on a les usines Renault pas loin, regroupement familial
14:33et toutes ces personnes qui travaillaient dans les usines automobiles
14:38ont fait venir leurs familles et on les a concentrées
14:41effectivement toutes au Valfouret.
14:42– Quand vous dites le problème c'était le peuplement,
14:45ça veut dire l'immigration, ça veut dire les pauvres, ça veut dire les deux ?
14:48– Mais non, c'est le fait qu'on concentre au même endroit
14:53un certain nombre de populations, toutes les populations,
14:56un problème qui en plus ne s'entendent pas.
14:59– Pour vous ça veut dire qu'il y avait un problème de mixité sociale
15:01entre les villes qui avaient des logements sociaux et celles qui n'en avaient pas
15:04mais il y avait aussi un problème de mixité sociale au sein des logements sociaux ?
15:07– Absolument, absolument, il y avait un problème de mixité sociale
15:12au sein des logements et je ne parle pas des populations françaises d'origine,
15:17excusez-moi de dire ça, françaises d'origine,
15:19qui étaient assignées à résidence au Valfouret,
15:23qui ne souhaitaient qu'une seule chose, en partir
15:25et qui ne pouvaient absolument pas s'en extraire.
15:28– C'était une forme de ghettoïsation ?
15:31– C'est une assignation à résidence pour ces populations dont je vous parle.
15:35– Le logement social de tout temps véhicule avec lui
15:38beaucoup de fantasmes et de préjugés sur les habitants du logement social.
15:41Ce dont ont peur les anti-HLM, ce n'est pas forcément du logement HLM,
15:46de l'immeuble en tant que tel, c'est de ses habitants,
15:48avec l'idée qu'il s'agit de ménages pauvres
15:50et donc qui véhiculent aussi beaucoup de préjugés,
15:52de ménages immigrés, il y a l'opposition à la loi SRU
15:55qui est aussi souvent une opposition raciste qui ne dit pas son nom,
15:58en disant on ne veut pas voir arriver les ménages
16:01des quartiers prioritaires de la ville,
16:03et donc selon l'endroit où vous êtes,
16:05si vous êtes à Aix-en-Provence, vous avez peur que les ménages
16:07des quartiers nord de Marseille arrivent,
16:09si vous êtes à Neuilly, vous avez peur que les ménages de Nanterre arrivent,
16:12donc chacun a un peu son épouvantail,
16:14et donc cette opposition à la loi SRU,
16:16elle est très matérielle, très attachée à son patrimoine,
16:20mais aussi il y a une peur, une peur des pauvres,
16:23des immigrés, des familles nombreuses,
16:25qui va avec cette opposition à la loi SRU.
16:27– Alors la droite demande à l'époque qu'on fasse confiance aux élus,
16:31en leur accordant ce fameux délai, cette souplesse,
16:35et surtout pas de sanctions financières,
16:37est-ce que ce n'est pas un peu hypocrite,
16:39parce qu'il y avait déjà eu un précédent au début des années 90,
16:41avec la loi d'orientation pour la ville de Michel Rocard,
16:44que la droite avait détricotée en 1993,
16:47parce qu'elle ne voulait pas de ce taux de 20% ?
16:50– Non, je veux dire, sur ce problème de logement social,
16:53on ne peut pas demander aux élus de se faire hara-kiri,
16:57hara-kiri auprès de qui ?
16:59Non pas sur ce qu'ils font comme images,
17:02mais par rapport à leur population.
17:04– Ça veut dire hara-kiri électoral ?
17:06– Hara-kiri électoral, il faut savoir effectivement
17:08qu'un élu local qui défend la construction de logements sociaux
17:11sur son territoire, sur le territoire de sa commune,
17:14je veux dire, il faut qu'il soit en fin de mandat,
17:17ou alors il ne faut pas qu'il envisage de renouveler son mandat,
17:19parce que je veux dire qu'il est immédiatement sanctionné,
17:22à l'époque il était immédiatement sanctionné par ses concitoyens.
17:26– On était battus aux élections suivantes ?
17:28– Absolument, systématiquement.
17:30– Les échanges sont assez vifs au cours des séances publiques
17:33entre la droite et le gouvernement, ou la droite et la gauche,
17:37c'était le petit jeu habituel ?
17:40– Non ce n'est pas le jeu habituel,
17:42il y avait quand même un sujet excessivement prégnant quand même,
17:44et il y avait quand même des tensions à certains moments.
17:47– Bonjour Thierry Ropentin. – Bonjour.
17:49– Vous êtes le maire de Chambéry, vous avez été sénateur,
17:52vous avez été ministre de François Hollande,
17:54mais en 2000 vous travaillez au cabinet du ministre du logement Louis Besson,
17:59et vous êtes chargé des relations avec le Parlement.
18:02Vous vous attendiez à une opposition si dure de la droite ?
18:05– On s'attendait à ce que ce texte soit difficile à faire passer,
18:10il fallait déjà trouver une majorité à gauche,
18:14imposer en quelque sorte sur tout le territoire national
18:17qu'il y ait une part de logements sociaux.
18:19– Ce n'était pas si facile à imposer à gauche non plus ?
18:21– Absolument, ce n'allait pas de soi,
18:23il a fallu argumenter auprès du groupe socialiste.
18:27– Que vous disiez les maires de gauche,
18:29c'était les mêmes arguments que les maires de droite ?
18:31– Est-ce bien nécessaire, n'est-ce pas, à remettre en cause la liberté des maires,
18:35à choisir finalement la typologie des familles
18:38que l'on estime souhaitable sur son territoire ?
18:42Et puis finalement, comme il y a des communes qui font beaucoup de logements sociaux,
18:45en faut-il ailleurs ?
18:47Et il en fallait, parce que déjà, à l'époque,
18:50on ne construit pas assez de logements sociaux pour loger tous nos concitoyens.
18:53– Un des détracteurs de la loi, Dominique Braille,
18:56disait à l'époque que le problème des logements sociaux,
18:58c'était au fond le problème de ceux qui y habitent,
19:01du peuplement de ces logements sociaux.
19:03– On faisait peur dans le débat parlementaire
19:07à des maires qui voyaient le spectre de délinquants,
19:13puisqu'on assimilait aussi la population du logement social à des délinquances,
19:18à des difficultés du quotidien, à des zones de non-droit,
19:21à des espaces où les véhicules étaient brûlés.
19:24Et on oublie souvent d'ailleurs que ces familles
19:28sont celles qui s'occupent de nos gamins dans les crèches,
19:32dans les écoles, qui s'occupent de nos parents dans les EHPAD,
19:35qui mettent en rayon dans les supermarchés le matin ce que vous allez acheter,
19:40qui vous servent dans les stations service,
19:43c'est les policiers, c'est les gendarmes, voilà.
19:46On l'oublie parce que le terme logement social a une connotation péjorative.
19:53Ces débats étaient violents ?
19:55Oui, ils étaient violents au sens où ils s'attaquaient
19:59à une partie de la population en la stigmatisant.
20:02L'objectif d'imposer 20% de logements sociaux est totalement irréaliste.
20:07Les gens ont peur dans certains quartiers,
20:09ils ont peur de la sécurité, de la violence.
20:11Il y a parfois des quartiers très difficiles,
20:13où la présence de la drogue est très forte.
20:15Il s'agit de quartiers complètement déstructurés
20:18qui ne connaissent en aucun cas les lois de notre République.
20:21C'est une insulte pour tous les Français
20:24qui ont un jour occupé un logement social dans leur vie.
20:30M. Braille, arrêtez, vous allez faire apparaître tout à l'heure
20:34Jens Schiskan pour un modéré compte tenu des propositions que vous prenez.
20:39Et ils étaient violents à l'égard du gouvernement
20:42dont on accusait une volonté de faire des logements sociaux partout.
20:48Même là où il n'y en avait pas besoin, disait-on à l'époque.
20:54Et la loi Guesso-Besson, comme on l'appelait à l'époque aussi,
20:59était pour les détracteurs une remise en cause du rôle des maires
21:03à qui on allait faire des amendes s'ils ne respectaient pas leur retard.
21:09Et c'était en quelque sorte une remise en cause pour certains
21:12du suffrage universel.
21:14Pour autant, un maire a des obligations de faire un certain nombre de choses.
21:20Vous êtes obligé, quand vous êtes maire par exemple,
21:22d'assurer la scolarisation de vos enfants, de votre commune.
21:26Vous ne pouvez pas faire non plus ce que la loi interdit.
21:29Vous ne pouvez pas décider qu'on va rouler à 80 km heure dans un centre-ville
21:33alors que c'est 50.
21:34Paradoxalement, là c'était insupportable, les 20% de logements sociaux.
21:39Et je dois rajouter que ce n'était pas une amende.
21:42C'était une contribution de solidarité.
21:45C'est-à-dire que ces contributions de solidarité étaient perçues par l'État
21:49ou par un établissement public foncier local
21:52et devaient être réinjectées pour aider à la construction de logements sociaux.
21:56L'État n'a pas voulu, à cette époque, se faire du bénéfice
22:01mais le réinjecter dans une politique du logement dynamique.
22:04D'où vient ce seuil de 20% ?
22:07C'était une petite astuce de Louis Besson car il fallait trouver une majorité
22:12et donc tous les parlementaires qui seraient appelés à voter en disant
22:15comment ça va se traduire sur ma ville, mon agglomération, ma circonscription.
22:20Et à l'époque, la moyenne de logements sociaux dans les agglomérations
22:24c'est 20% de logements sociaux.
22:27Donc vous partez de la moyenne existante.
22:29Et donc, la perception c'est finalement, l'effort ne sera pas si grand à faire
22:35puisqu'il y a déjà 20% de logements sociaux.
22:38L'astuce, c'est qu'on ne raisonne plus cette fois-ci à l'échelle de l'agglomération
22:42mais de la commune.
22:44Et à l'époque, déjà au Parlement, à l'Assemblée comme au Sénat,
22:49certains disaient au maire, même si cette loi est votée, ne vous inquiétez pas,
22:54nous reviendrons et nous ferons abroger cette disposition unique de l'article 55.
23:01Ça a eu son importance dans l'application car des élus qui étaient récalcitrants
23:06ou qui combattaient, qui ne voulaient pas, qui y compris dans des programmes
23:10électoraux, municipaux, indiquaient avec moi, il n'y aura pas de logement social sur ma commune,
23:15qui en faisaient un argument électoral, disaient, avec une nouvelle majorité,
23:20on abrogera ce dispositif.
23:22Et certains l'ont cru pendant plusieurs années et ont pris beaucoup de retard
23:27dans la mise en œuvre de programmes de logements sociaux.
23:30En attendant que la loi soit abrogée, vainement.
23:34C'est un texte totémique de la gauche en général ?
23:39C'est un texte totémique de la gauche mais qui est devenu, dans son application,
23:48une des lois socles de la République dans une dimension d'aménagement du territoire équitable
23:55et d'une loi avec une forte connotation sociale très positive.
24:03S'assurer que partout sur le territoire national, on puisse espérer accéder à un logement
24:12quelles que soient les ressources dont on dispose.
24:16Après deux lectures, comme le prévoient les règles du jeu parlementaire,
24:19le dernier mot revient à l'Assemblée nationale qui adopte définitivement la loi SRU à l'automne.
24:24Députés et sénateurs de droite saisissent alors aussitôt le Conseil constitutionnel
24:28qui censure le texte à la marge mais sans en dénaturer les principes ni les leviers d'action.
24:34La loi peut donc s'appliquer.
24:36Mais sur le terrain, c'est une autre affaire.
24:38Plusieurs maires font de la résistance passive.
24:40Ils préfèrent payer des amendes financières plutôt que de construire des logements sociaux.
24:44Alors en 2002, quand la droite revient au pouvoir à la faveur de l'élection de Jacques Chirac,
24:49beaucoup d'entre eux s'attendent à voir enfin cette loi détricotée.
24:53Bonjour Gilles Carez.
24:54Bonjour.
24:55Vous étiez maire du Péreux-sur-Marne, député RPR du Val-de-Marne pendant plus de 20 ans.
25:00Et à l'époque de la loi SRU, vous faites partie de ces plus farouches contempteurs à l'Assemblée.
25:05C'est à vous qu'on doit la formule de comparaison avec le Gosplan.
25:10Alors le Gosplan, c'est lié à cette idée que dans cette loi SRU,
25:16on prévoyait de tout réglementer à partir de Paris,
25:21avec des plans d'aménagement, des schémas directeurs, des SCoD, des PLU,
25:28et que quelque soit la diversité de notre territoire qui est immense,
25:34on traitait chacun de la même manière.
25:37C'est pourquoi j'ai utilisé ce mot de Gosplan,
25:40en pensant vraiment à toutes ces erreurs de production dans l'Union soviétique.
25:47C'est pas parce que Jean-Claude Guesseau était communiste ?
25:49Non, parce que Jean-Claude Guesseau était un communiste tout à fait honorable et fréquentable.
25:57Qu'est-ce que vous reprochez au volet logement social de cette loi SRU ?
26:03Alors ce que je reprochais était lié en fait à mon expérience professionnelle.
26:09Parce qu'avant d'être député, je dirigeais le secrétariat général des villes nouvelles.
26:14Et c'est nous qui, à la fin des années 80, avions inventé cette notion de diversité de l'habitat.
26:24On avait commis des erreurs, mais sous l'empire de l'urgence dans les années 60,
26:28avec les grands ensembles qui ne comprenaient que des HLM.
26:32Et nous, en ville nouvelle, nous souhaitions avoir un habitat plus diversifié,
26:37avoir des formes urbaines plus diversifiées,
26:40où vous ayez à la fois du logement locatif social, mais aussi de l'accession sociale à la propriété,
26:46mais aussi du logement non aidé pour accueillir les cadres.
26:50Mais la loi SRU, précisément, prônait la mixité sociale.
26:54Qu'est-ce que faisait la loi SRU ?
26:56Il supprimait l'accession sociale, il supprimait le logement intermédiaire,
27:00il durcissait les sanctions et il considérait les maires,
27:03qui n'avaient pas les 25% de logement, comme des délinquants en puissance.
27:07Or, moi, il se trouve que j'étais devenu maire en 1992, en 1992 du Péreux,
27:12je me retrouve à la tête d'une ville pavillionnaire, où il n'y avait que 5% de logements sociaux.
27:17Au Péreux, cette commune compte actuellement 7% de HLM.
27:21Pour être en conformité, le maire devrait exproprier entre 600 et 700 propriétaires de pavillons.
27:27Impossible, il juge d'ailleurs cette loi complètement fantaisiste.
27:31Construire de façon autoritaire, en expropriant les gens dans des communes comme le Péreux,
27:36c'est absolument inacceptable.
27:38– Quand la loi est promulguée, vous faites quoi ? Vous l'appliquez au Péreux ?
27:41– Mais, dès que je suis devenu maire en 1992,
27:45j'ai tout fait pour qu'on arrive à construire des logements sociaux.
27:49Mais rendez-vous compte, le Péreux, dans la qualification,
27:53se retrouve avec seulement 5% de logements.
27:56Pourquoi il n'y avait que 5% de logements sociaux au Péreux,
27:59locatifs sociaux, HLM, au sens de la loi SRU,
28:03alors qu'on avait pas mal de petits immeubles sociaux ?
28:07Tout simplement parce que c'était une des rares communes en France
28:10où la vente des HLM avait marché.
28:13Et mon prédécesseur avait vendu aux locataires plus de 700 logements,
28:19terres et familles, et s'il ne les avait pas vendus,
28:23au lieu d'avoir 5%, on aurait eu 12%.
28:26– Mais ça n'était plus considéré comme du logement social.
28:29– Donc je disais aux gens, écoutez,
28:31plutôt que de traiter comme un délinquant en puissance,
28:35un maire qui n'a que 5% de logements sociaux, essayez de comprendre.
28:39J'avais fait une réunion, parce que j'étais vice-président
28:41de l'association des maires de France,
28:43j'avais fait une réunion de tous les maires qui étaient concernés.
28:46Cette réunion était extraordinaire.
28:48Je me souviens en particulier, un qui lève la main,
28:51qui intervient et dit, moi je suis sous une zone d'envol d'un aéroport,
28:56c'était dans une grande ville de province,
28:58bon je veux bien construire, mais ils vont être en zone de bruit,
29:02c'est impossible.
29:03L'autre me dit, je suis dans une zone inondable, c'est impossible.
29:07L'autre Natura 2000.
29:08Et puis le dernier, ça c'était génial, mais attendez, on ne peut pas faire ça.
29:12On va être obligés d'arracher du vignoble Grand Cru classé.
29:17C'était du côté de Pessac-Léognan.
29:20Voilà, pour pouvoir construire des logements sociaux,
29:22je vais être obligé d'arracher du Pessac-Léognan.
29:25– Jules Carès, il y avait aussi des gens de mauvaise foi.
29:27Il y avait aussi des gens de mauvaise foi.
29:29– Il y avait des gens de mauvaise foi.
29:31Mais dans notre pays, c'est un vice français,
29:34contre lequel je me serais battu pendant tout mon engagement politique.
29:38Sous prétexte qu'il y a deux ou trois types qui tournent mal,
29:42on sanctionne tout le monde, on contrôle tout le monde,
29:46et il y a une relation de défiance.
29:48Moi je préfère une relation de confiance, on voit, on juge après,
29:53et si il y en a vraiment qui ne marchent pas droit,
29:56à ce moment-là, on sanctionne.
29:58– Du coup, qu'est-ce que vous avez fait au Peyreux ?
30:00Quand la loi est promulguée, vous faites quoi ?
30:02– Au Peyreux, j'ai réussi, entre le moment où je suis devenu maire
30:08et le moment où j'ai arrêté, c'est-à-dire en 24 ans de mandat,
30:12à passer de 5% à 11%, sans jamais avoir de contentieux
30:18sur les permis de construire,
30:20à coups de réunions avec les riverains
30:23pour leur expliquer que ces logements sociaux,
30:26on pourrait en avoir besoin pour les enfants,
30:28quand ils seraient à la retraite, ils auraient moins de revenus.
30:31– Et du coup, passer à 11% de logements sociaux,
30:33vous étiez quand même sous la barre des 20.
30:35– Bien sûr.
30:36– Et vous étiez épinglé, pas vous-même,
30:38mais la colline du Peyreux était épinglée dans les tableaux
30:40de la Fondation A.V. Pierre.
30:41– Et je trouvais ça injuste, je trouvais ça injuste.
30:44– La loi SRU, elle est adoptée en 2000.
30:46– Oui.
30:47– En 2002, il y a les élections.
30:48– Voilà.
30:49– La droite revient au pouvoir.
30:50– Voilà.
30:51– Et il y a des tentatives parlementaires pour demander
30:53de l'assouplir, de l'abroger, qu'est-ce que se passe-t-il ?
30:56– Tout à fait près, notamment, mon ami Gilles Derobien
31:00était devenu ministre de l'équipement et du logement.
31:03– Et alors ?
31:04– Et alors, un jour, je m'en souviens,
31:07c'était au mois d'octobre ou novembre, enfin 2002, assez vite,
31:12Gilles Derobien m'appelle, il me dit,
31:15Gilles, c'est fichu, on range les gaules, il me dit.
31:18Alors je dis, mais qu'est-ce qui se passe ?
31:20Oui, SRU, on n'y touche pas.
31:23Chirac vient de m'appeler et il est hors de question
31:27de toucher un cheveu à ce texte.
31:29– Vous en voulez à Jacques Chirac ?
31:31– Non, parce que, mais non, je comprends, Jacques Chirac,
31:35il me disait toujours, Gilles, la France est fragile,
31:38la France est fragile, il y a des débats qu'il ne faut pas ouvrir,
31:41il ne faut surtout pas ouvrir des conflits, il y a trop d'idéologies
31:46et donc il y a des choses auxquelles il ne faut pas toucher.
31:48– Parce que c'était impossible à abroger, je veux dire,
31:53au niveau du message que l'on aurait lancé à la population,
31:56au niveau des populations modestes,
31:58au niveau de tous ceux qui ont des difficultés,
32:00ça aurait été quelque chose qui aurait été complètement contre-productif.
32:03– Et en 2005, les banlieues vont connaître des émeutes
32:07après la mort de deux jeunes à Clichy-sous-Bois
32:09et Jacques Chirac va prendre la parole et va évoquer la loi SRU dans une allocution.
32:14– J'appelle aussi tous les représentants des communes à respecter la loi
32:20qui leur impose d'avoir 20% au moins de logements sociaux.
32:25Oh, j'ai conscience des difficultés,
32:29mais on ne sortira pas de la situation actuelle
32:33si l'on ne met pas en cohérence les discours et les actes.
32:39– Alors, je suis d'accord avec ça, je suis d'accord,
32:44mais je le répète, pour moi la capitulation idéologique,
32:48c'est d'avoir oublié la notion de parcours résidentiel.
32:52Pourquoi est-ce qu'en matière de politique de logement,
32:55on offrirait aux Français modestes comme seule perspective
32:59que de rester toute leur vie au 18ème étage d'un immeuble HLM ?
33:04Moi, je ne suis pas d'accord sur cette vision.
33:06– En 2006, malgré l'allocution de Jacques Chirac,
33:09il y a un amendement qui va être déposé par Patricollier,
33:12qui était à l'époque un de vos collègues,
33:14pour assouplir, tenter d'assouplir une nouvelle fois la loi SRU.
33:17– Patricollier qui propose d'inclure d'autres logements dans les 20%,
33:20ceux qui sont construits grâce aux dispositifs d'accession sociale à la propriété.
33:25Un moyen d'atteindre plus facilement le quota demandé.
33:28Ça ne remet pas en cause les 20%,
33:30on rajoute dans les 20% une catégorie de logements
33:34qui peuvent être achetés plutôt que d'être loués.
33:37– Et vous allez trouver sur votre chemin l'abbé Pierre.
33:40– Oui.
33:42– Il est venu vous faire la leçon à l'Assemblée.
33:45– Je me souviens de l'abbé Pierre en fauteuil roulant,
33:48installé dans les balcons, je me souviens.
33:53– Quand elle est menacée en 2006, comme d'habitude,
33:55on fait le travail habituel d'envoyer des courriers,
33:57de faire des rendez-vous avec les cabinets,
33:59des amendements avec les parlementaires qui défendent la loi SRU.
34:02Mais on voit bien que ça ne suffit pas.
34:03Et donc évidemment, l'arme supplémentaire dans ce cas-là,
34:06à l'époque, c'était l'arme de l'abbé Pierre.
34:09Parce que l'abbé Pierre était un personnage connu de tous les Français,
34:12respecté des politiques, en tout cas à l'époque de Jacques Chirac.
34:15Et on savait que c'était la gâchette qui nous restait à la fin.
34:19Sauf qu'il était très vieux, très malade, c'était quelques mois avant sa mort.
34:24Et pourtant, il avait envie de se mobiliser.
34:26Il avait souvent défendu la loi SRU, malgré son grand âge.
34:29Et donc là, il était prêt à faire un pas de plus,
34:31c'est-à-dire venir physiquement, concrètement, à l'Assemblée, dans les tribunes.
34:35Et ça, ça a eu un poids phénoménal qu'on ne pourrait plus avoir.
34:38On n'a plus, évidemment, cet argument.
34:40– Symboliquement, l'abbé Pierre a sans doute voulu cette image.
34:44De la tribune du public, il a suivi les travaux de l'Assemblée nationale,
34:47se plaçant ainsi comme une conscience au-dessus des débats consacrés au logement.
34:51– L'abbé Pierre dira dans la salle des 4 colonnes,
34:53le mot social sera bientôt inutilisable,
34:55tellement il est devenu synonyme de ceux qu'on ne fréquente pas.
34:58– Oui.
35:00– Ça ne n'a pas empêché les députés de la majorité
35:03de voter pour cet amendement relié.
35:05– Oui, mais il n'y a eu aucune suite.
35:07– Non, parce que ça a été retoqué au Sénat, cette fois-ci.
35:10– Il n'y a eu aucune suite.
35:12– L'abbé Pierre, il faisait de l'idéologie en 2006 ?
35:14– L'abbé Pierre, il était devenu très, très âgé.
35:17Très, très âgé.
35:19Et je me souviens, on le transportait pour la bonne cause.
35:23Mais derrière…
35:24– Vous voulez dire qu'il a été instrumentalisé ?
35:26– Il a été très instrumentalisé.
35:29Générique
35:50En 2008, Christine Boutin, ministre du Logement de Nicolas Sarkozy,
35:53tente de porter un ultime coup de grâce à la loi SRU.
35:57Elle propose d'inclure dans le fameux taux de 20%
36:00des logements relevants de dispositifs d'accession à la propriété
36:03qui n'ont plus grand-chose à voir avec les HLM.
36:06Mais elle se heurte au Sénat, au refus de sa propre majorité
36:09qui juge inutile de relancer ce débat, faisant figure de serpent de mer.
36:14Et quand la campagne présidentielle de 2012 se profile,
36:17la gauche, emmenée par François Hollande,
36:19promet non seulement de sécuriser la loi SRU, mais aussi de la renforcer.
36:24– La loi de solidarité urbaine SRU sera modifiée,
36:28à la fois pour relever l'obligation de construire des logements sociaux
36:33de 20 à 25% et de multiplier par 5 les pénalités
36:38que les communes, parfois, je ne dirais pas dirigées par qui,
36:42préfèrent encore payer comme sanction plutôt que de réaliser des logements sociaux.
36:46Eh bien ces communes ne pourront plus se désengager
36:49par rapport à cette obligation de mixité sociale.
36:54– Bonjour Cécile Duflo. – Bonjour.
36:56– Vous êtes directrice générale d'Oxfam et en 2012,
36:59vous entrez au gouvernement après l'élection de François Hollande
37:02et vous occupez le poste de ministre de l'égalité des territoires et du logement.
37:07C'est vous qui avez demandé ce poste ?
37:09– Alors je ne l'ai pas expressément demandé, mais l'accord qu'on avait,
37:12c'est que les écolos n'auraient pas le ministère de l'écologie.
37:16On était d'accord, parce qu'après l'avoir occupé,
37:18notamment sous Lionel Jospin, on voulait montrer
37:21que les écologistes étaient capables de s'occuper d'autres sujets.
37:23– Et alors sur votre bureau, en arrivant, figure un engagement
37:26pris par le candidat Hollande pendant sa campagne.
37:29– Oui, il y a deux gros engagements sur les questions logements.
37:32Il y a l'encadrement des loyers et il y a l'évolution de la loi SRU.
37:35Et aussi, parce que ce n'est pas anecdotique,
37:38les deux seront liés dans la première loi, la cession du foncier public.
37:43– L'idée c'est que l'État puisse mettre à disposition des communes, du foncier.
37:48– À l'époque, les terrains que l'État possédait,
37:51il était obligé de les vendre en gros très cher.
37:54Du coup, les communes qui voulaient faire du logement social sur ces terrains
37:57étaient obligées de payer le terrain très cher,
37:59puis de subventionner les bailleurs pour construire du logement social,
38:01ce qui était absurde.
38:02– Et pour certaines communes, c'était une bonne excuse
38:04de dire je n'ai pas de foncier disponible ?
38:05– Ça pouvait être une bonne excuse, mais souvent il y avait aussi des gens de bonne foi.
38:08Et sur la loi SRU, ce que tout le monde avait constaté,
38:11c'est que c'était une bonne loi, mais que comme les amendes
38:14étaient à la fois très faibles et qu'elles étaient aussi glissantes
38:17sur les engagements, en fait elles n'étaient pas du tout dissuasives.
38:20– C'était un dossier prioritaire pour le Président de la République ?
38:23– C'était un dossier prioritaire, c'était un dossier prioritaire
38:25pour toute la majorité.
38:26Tout le monde était très convaincu, tout le monde voyait bien
38:29les effets positifs de la loi SRU, mais les limites.
38:32Et surtout, ce qui s'est passé, c'est qu'il n'y avait pas beaucoup de lois
38:36qui étaient prêtes pour la rentrée parlementaire de septembre.
38:38Et donc en gros, on nous a dit, vous allez-y.
38:40– Parce que cette loi, elle était prête quand vous êtes arrivés ?
38:42– Parce qu'elle n'était pas très compliquée en fait.
38:44La loi SRU, elle existait, il s'agissait juste de resserrer les boulons.
38:47De resserrer les boulons sur le taux, les 25%,
38:50pas dans toutes les zones où s'appliquait la loi SRU,
38:53mais dans les zones tendues où il y avait vraiment un besoin criant.
38:56– Donc de passer de 20 à 25% ?
38:58– De passer de 20 à 25%, et donc resserrer l'autre boulon,
39:00c'est-à-dire resserrer le montant de l'amende
39:03pour que des maires puissent pas faire campagne en disant
39:07avec moi, pas de problème, je paierai l'amende,
39:10mais je ferai pas les logements sociaux, parce que c'était ça qui se passait.
39:13Il y avait même des documents de campagne municipales
39:15où c'était écrit en toutes lettres.
39:16Et en plus, la loi SRU, c'est le meilleur jeu qui existe,
39:19parce que les maires vous disent, ah non mais je peux pas,
39:21je peux pas, c'est pas possible, chez moi c'est pas possible,
39:23il n'y a pas de terrain, blablabla.
39:24Et donc vous faites immobilier neuf et le nom de la commune,
39:27et vous récupérez au moins 3, 4, 5, 10 programmes d'immobilier neuf,
39:32d'immeuble neuf, de standing, sur des maires qui vous disent,
39:35non mais on peut rien construire.
39:36Et donc moi, ça m'a vraiment agacé.
39:38C'est les champions du monde de l'hypocrisie.
39:40– Avant de retoucher à cette loi, vous en avez parlé avec ces auteurs,
39:43avec Louis Besson par exemple, avec Jean-Claude Guesso.
39:45– Oui, Louis Besson c'est un peu mon héros en politique,
39:48et il a été extrêmement sympathique, il est venu me voir très vite,
39:51et il m'a dit, à l'époque on se voyait, il me dit,
39:53vous inquiétez pas, dans le logement on crante.
39:55C'est-à-dire que même si vous réussissez à faire quelque chose
39:57et que ça recule, ce qui s'était passé avec la loi SRU, ça va revenir.
40:00Donc il faut cranter, et je l'ai vécu avec l'encadrement des loyers.
40:03On a fait l'encadrement des loyers, Valls l'a défait,
40:05mais même la majorité d'Emmanuel Macron a remis l'encadrement des loyers.
40:10Parce que les politiques de logement, c'est des politiques de tellement long terme,
40:13c'est des politiques qui touchent même à la cohésion de la société,
40:16et que les barrières droite-gauche, elles s'effacent d'ailleurs,
40:19au moment où on défend cette deuxième loi SRU,
40:23les élus qui s'y étaient opposés à la première disent,
40:25non, non, mais il faut garder celle qu'on a, elle est très bien.
40:27Ils disent pas du tout qu'il faut abroger la loi SRU existante,
40:29ils disent celle-là elle est très bien,
40:30alors même que certains étaient contre au moment où elle a été mise en place.
40:33Le logement c'est tellement particulier,
40:35c'est pas quelque chose comme une montre,
40:38où vous pouvez dire, si vous avez moins d'argent,
40:40vous achetez une montre qui coûte moins cher.
40:41Le logement c'est un besoin vital.
40:43Vous avez besoin de boire, de manger, de dormir,
40:46vous avez besoin d'un abri, vous êtes un être humain.
40:48Et donc, on touche vraiment à l'essence de la République.
40:51Donc faire du logement abordable, faire du logement social,
40:54c'est recoup de la société, c'est un acte républicain.
40:57– Et pourtant, depuis 10 ans, la droite essayait, vainement,
41:01mais de retoucher cette loi, de la modifier, de l'assouplir.
41:04Elle était en danger cette loi SRU quand vous êtes arrivés ?
41:07– Elle est tout le temps en danger.
41:08D'abord, on se souvient, l'abbé Pierre était venu, même en personne,
41:12alors qu'il était très très vieux, dans son fauteuil roulant
41:15pour justement empêcher que la loi SRU soit mise en cause.
41:19Et d'ailleurs, elle allait être mise en cause là, avec la loi Casmarian.
41:22Mais souvent, c'est par pression de quelques élus locaux.
41:24C'est vraiment pour des intérêts presque d'individus.
41:29– Et ça se passe par amendement ?
41:30– Exactement, c'est jamais honnête, c'est jamais assumé,
41:32c'est toujours avec des fausses raisons.
41:34– Il fallait durcir le ton et les moyens, si je vous entends.
41:37Est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu commencer par faire appliquer la loi,
41:40puisque tout le monde n'était pas à 20% ?
41:42– Mais pour faire appliquer la loi, il fallait la durcir.
41:44Et c'est ce que je dis, il y a des endroits où on est restés à 20%,
41:47quand il y avait juste besoin qu'il y ait 20%.
41:49Mais il fallait aussi aller plus loin, parce que ce n'est pas suffisant en fait.
41:53Quand vous avez dans certaines zones, comme en Ile-de-France,
41:5770% de la population qui est éligible au logement social,
42:0020% ce n'est pas suffisant, c'est aussi simple que ça.
42:03– Et les sanctions financières, comment vous allez décider ?
42:06– Ça, ça a bien marché, c'est rigolo hein,
42:08mais c'est les bailleurs sociaux qui me l'ont dit.
42:10Une fois que la loi a été adoptée, que les maires ont fait leur calcul,
42:13les téléphones des organismes qui construisent du logement social,
42:17ils n'ont pas cessé de sonner.
42:18– Vous ne les avez qu'intuplés ces sanctions financières ?
42:20– Oui, et surtout on a mis des périodes de temps fermes,
42:22c'était des périodes de temps glissantes, et là on a mis des dates fixes.
42:26– Et puis vous allez donner aux préfets des pouvoirs plus coercitifs,
42:29en cas de non-respect de…
42:30– De pouvoir retirer, que les préfets puissent délivrer les permis eux-mêmes.
42:34– Instruire les permis de construire eux-mêmes à la place du maire.
42:37– Exactement, pour délivrer le permis de construire,
42:39parce qu'en fait il y avait plusieurs choses,
42:41il y avait ceux qui disaient, tant pis on s'en fout, on paie les amendes,
42:43ceux qui, en gros, les bailleurs sociaux savaient,
42:46construire sur cette commune, ça va prendre 10 ans quoi,
42:49parce qu'ils vont traîner pour le permis,
42:51puis nous dire qu'ils remettent en caussis, puis ça, puis…
42:53– Puis mobiliser les habitants pour des recours.
42:55– Exactement, exactement, donc c'était s'exposer à la mauvaise foi.
42:58Donc il fallait leur dire, maintenant c'est fini la foire à la saucisse,
43:01soit vous le faites vous-même, soit on va le faire à votre place.
43:03– Alors si la production de logements sociaux a progressé depuis 2000,
43:07le défi de la mixité sociale, c'est pas seulement une question de logement ?
43:11Il y a peut-être une dimension supplémentaire ?
43:12– C'est une question de logement, c'est une question scolaire,
43:14tout va ensemble en fait, plus on se mélange, plus on se connaît quand même.
43:18Je crois qu'effectivement, c'est pas seulement,
43:20c'est des politiques de santé, c'est des politiques scolaires,
43:24ça mélange toutes les politiques, mais la politique de ségrégation,
43:27ou en tout cas de frein à la mixité, qui est celle qu'on connaît,
43:30c'est une politique qui fracture la République et on y est.
43:33♪ Musique d'ambiance ♪
43:54– Bonjour Manuel Domergue. – Bonjour.
43:56– Vous êtes directeur des études et porte-parole de la Fondation Abbé Pierre.
44:00Un quart de siècle après son adoption, quel bilan peut-on tirer de la loi SRU ?
44:05– Le bilan de la loi SRU, il est positif.
44:08Déjà parce que c'est une loi qui a été très contestée,
44:10qu'il est beaucoup moins aujourd'hui.
44:12Pourquoi ? Parce qu'elle a montré qu'on pouvait produire des logements sociaux
44:16en plus grand nombre et mieux répartis sur le territoire.
44:18– 20 ans après, tout le monde s'accorde ta pensée
44:22que la moitié des logements sociaux sur notre territoire
44:24ont été faits grâce à la loi SRU.
44:27Sur des territoires où il en manquait.
44:29J'en veux d'ailleurs pour témoignage des directeurs d'organismes HLM,
44:34office, SAH ou coopérative qui me disent
44:38mais sans la loi, nous n'aurions pas pu faire des logements sur telle ou telle commune.
44:43Parce qu'il y a cette obligation et parce que les maires
44:47ont pu vis-à-vis de leurs conseils municipaux en disant
44:49même si on ne veut pas, on doit en faire.
44:51– Après ce n'est pas une loi qui est extrêmement coercitive en vrai.
44:53Elle laisse beaucoup de place à la négociation entre le préfet et le maire
44:57et surtout elle laisse en fait au maire l'essentiel de la politique
45:01pour atteindre l'objectif qui est fixé dans la loi
45:03et aussi laisse beaucoup d'échappatoire au maire
45:05pour retarder l'atteinte de l'objectif,
45:07pour chercher des excuses, parfois des prétextes pour ne pas y arriver.
45:11Et donc au final c'est une loi qui a, si elle n'avait pas été là,
45:13ça aurait été pire mais elle n'a pas suffi,
45:15loin de là, à résoudre tous les problèmes de ségrégation.
45:18– La Fondation Abbé Pierre a joué souvent le rôle de vigie,
45:20continue à le jouer, en épinglant les communes
45:22qui ne produisaient pas assez de logements sociaux
45:25ou qui traînaient les pieds, pour le dire plus crûment.
45:28Ça a joué, comme ça, d'attaquer un peu l'image des municipalités ?
45:32Ça a pu jouer ?
45:33– Oui, oui, on a un rôle, tous les trois ans,
45:35on fait le palmarès de la loi SRU, les bons et les mauvais élèves.
45:38Et donc c'est assez classique, le naming et le shaming,
45:40le fait de stigmatiser des élus locaux qui ne jouent pas le jeu.
45:44Et ça je pense que c'était très utile,
45:46parce que si vous voulez les prélèvements financiers,
45:48ils sont un peu douloureux pour certains élus.
45:51– Ils ont été augmentés par la loi Duflo.
45:53– Voilà, auparavant ils étaient très faibles,
45:55ils ont été un peu augmentés,
45:56donc c'est vrai que c'est quand même une douloureuse
45:58à assumer auprès de ces électeurs,
46:00mais beaucoup de maires assument de payer un peu plus
46:03pour ne pas avoir de logements sociaux.
46:05En revanche, avoir régulièrement cette étiquette de mauvais élèves,
46:08par la Fondation Abbé Pierre,
46:09qui est une fondation qui a une image assez bonne, assez consensuelle,
46:12ça, ça ne leur fait pas plaisir.
46:14Et c'est pour ça qu'en fait, ils cherchent à se justifier régulièrement
46:17pour montrer que c'était impossible pour eux,
46:19parce que le foncier n'était pas disponible,
46:21parce qu'il y a eu des inondations,
46:22parce que les prix des matériaux ont augmenté,
46:24il y a beaucoup d'excuses,
46:25mais en tout cas, ils n'acceptent pas facilement d'être des maires anti-HLM.
46:29– Au-delà de son article 55, c'était un texte plus global,
46:33la loi SRU, qui traitait de la mixité sociale au sens large.
46:37Est-ce qu'on a atteint les objectifs de la loi sur ces plans-là ?
46:40– Non, on ne peut pas.
46:41C'est pour ça que le bilan est quand même mitigé,
46:43parce qu'en termes de ségrégation urbaine,
46:45la France d'aujourd'hui, elle est autant, voire peut-être plus,
46:48ségrégée qu'en 2000.
46:50Donc c'est vrai que de ce point de vue-là, ça n'a pas été…
46:52– Pourquoi ?
46:53– Parce qu'en fait, la loi SRU vient essayer de compenser
46:56les effets du marché de l'immobilier,
46:58avec une petite loi SRU qui impose à quelques centaines de maires
47:01de faire un peu plus de logements sociaux.
47:03On prend l'exemple de la ville de Paris par exemple.
47:05La ville de Paris est un bon élève de la loi SRU.
47:07Ils sont passés de 10% de HLM au début de la loi, à 25% aujourd'hui.
47:11Donc parfait, ils ont absolument respecté ce qui était obligatoire.
47:14Pour autant, la ville de Paris est toujours aussi fermée,
47:17voire plus fermée aux classes populaires, aux classes moyennes qu'auparavant,
47:20parce que les prix entre-temps, ils ont triplé, les prix du marché.
47:23Et donc c'est très compliqué de faire face à ça.
47:25Pourquoi ? Parce qu'il y a une pénurie de logements, malgré tout en France,
47:28qui continue à être forte dans les zones tendues,
47:30qui sont les zones où il y a le plus de monde qui s'agglomère.
47:33Et donc par rapport à ça, les prix montent et certains s'en sortent
47:36parce qu'ils ont les moyens de s'endetter,
47:38parce qu'ils ont des bons salaires, des salaires stables,
47:40parce qu'ils ont de l'aide de l'entourage,
47:42ils ont des héritages, des donations des parents, des grands-parents.
47:45Mais pour d'autres, qui sont plus précaires, avec des bas salaires,
47:48c'est difficile de suivre.
47:49Et puis après, tout en bas de l'échelle,
47:51on a des personnes qui n'ont rien du tout,
47:53330 000 personnes sans domicile,
47:55qui sont parfois pas éligibles au logement social
47:57de par leur situation administrative.
47:59Et là, on voit que ça s'est beaucoup dégradé de ce point de vue-là.
48:02– Jean-Claude Guesso, un des initiateurs du texte,
48:04dit qu'un des objectifs de la loi SRU,
48:06c'était de rendre le logement social accessible à 70% de la population
48:09et non pas seulement aux catégories les plus modestes.
48:12Ça veut dire quoi ?
48:13Que la population est de plus en plus pauvre, 70% ?
48:16Ou ça veut dire que le logement social,
48:18c'est pas seulement les plus défavorisés,
48:20mais un ensemble plus large de la population ?
48:23– Non, Jean-Claude Guesso, il a raison.
48:25Le logement social à la française, c'est un modèle généraliste.
48:28Il y a des plafonds de ressources, mais qui sont relativement élevés,
48:31dans le sens où à peu près les deux tiers de la population
48:33sont éligibles à ces logements sociaux.
48:36Donc c'est pas un modèle résiduel qui serait uniquement pour les plus pauvres.
48:39C'est pas non plus un modèle universaliste,
48:41comme ça a été le cas dans certains pays aux Pays-Bas par exemple,
48:44où tout le monde y a accès.
48:45C'est pour aider les classes populaires et les classes moyennes.
48:48Et c'est pour ça qu'il y a des logements sociaux de différentes catégories.
48:51Certains sont très sociaux, d'autres pas très sociaux,
48:54et peuvent y entrer parfois des cadres, avec des salaires moyens.
48:58Donc ça, c'est un modèle intéressant, parce qu'effectivement,
49:01vu que historiquement, la production HLM en France
49:04est très concentrée dans certains quartiers, dans certaines villes,
49:07s'il n'y a que les très pauvres qui ont accès,
49:09ça fait des quartiers et des villes entières
49:11qui sont constitués que de familles très pauvres.
49:13Et donc, au niveau de la mixté sociale, c'est effectivement un problème.
49:16– Un quart de siècle après sa création,
49:18est-ce que la loi SRU est menacée aujourd'hui ?
49:20– Oui, la loi SRU, elle est menacée.
49:22Elle a encore beaucoup d'adversaires,
49:24pas simplement des adversaires idéologiques,
49:26mais des adversaires très concrets en fait.
49:28C'est qu'il y a des élus locaux, eux et leurs électeurs,
49:31qui n'ont pas envie et qui n'ont pas intérêt
49:33à avoir du logement social chez eux.
49:35Parce qu'ils estiment qu'avoir du logement social,
49:37ça fait baisser le prix de l'immobilier de leur quartier,
49:39donc de leur patrimoine.
49:41Et donc, c'est une atteinte à leur richesse.
49:43– Combien il manque de logements en France ?
49:45On peut répondre à cette question ?
49:46– C'est difficile.
49:47Nous, on pense qu'il faudrait construire aujourd'hui
49:49400, 450 000 logements chaque année,
49:51alors qu'on est aujourd'hui à 300 000,
49:53pour résorber la pénurie qu'on a encore,
49:56et qui va encore durer au moins une vingtaine d'années.
49:59En fait, ça dépend de la démographie.
50:01On a une démographie en France qui est plus dynamique
50:03que les Italiens, les Espagnols, les Allemands.
50:05Mais cette démographie commence quand même
50:07à devenir un peu plus calme.
50:09Il y a moins d'enfants, etc.
50:11Donc pendant encore 20 ans, il faudra faire des efforts
50:13de construction plus importants.
50:15Mais après, on peut espérer que peut-être
50:17ce sera un peu plus simple à gérer.
50:19– Je pense, avec le recul,
50:21et d'ailleurs ce que j'ai défendu par la suite,
50:23c'est-à-dire le prouve, c'est que de toute façon,
50:25elle était nécessaire.
50:27C'est-à-dire qu'il n'y avait pas d'opposition de droite
50:29qui pouvait être des opposants de la loi
50:31et qui étaient bien contents, en fait, de l'appliquer.
50:33Alors en grognant un peu, mais quand même,
50:35au fond, bien contents de l'appliquer.
50:37Et ça, c'est beau. C'est ça, en fait, la démocratie.
50:39– Cette loi a non seulement le mérite,
50:4325 ans après son projet d'élaboration,
50:49d'être toujours d'actualité et au cœur
50:53de problématiques qui sont posées à notre société
50:58et au vivre ensemble.
51:00– Cette loi a été attaquée à plusieurs occasions
51:03par les majorités de droite.
51:05Elle n'a jamais été abrogée,
51:07elle ne le sera jamais.
51:09– Ça fait partie des totems de la vie politique.
51:12– Moins connue du grand public que le PAC sous les 35 heures,
51:15la loi SRU reste une loi totémique
51:17du gouvernement de Lionel Jospin.
51:19Aprement combattue par l'opposition,
51:21à l'époque on l'a vu,
51:23elle n'a toutefois jamais été abrogée par la droite
51:25qui a fini par se convaincre, à l'usage,
51:27que ce dispositif avait bien quelques vertus.
51:30À l'heure où le pays manque encore cruellement de logements,
51:32notamment pour les familles les plus modestes,
51:34revenir sur cette exigence faite aux élus
51:36serait un incompréhensible retour en arrière.
51:39En particulier à un moment où les fractures s'accumulent
51:41dans la société entre nos concitoyens
51:43selon leur revenu, leur lieu de travail et leur lieu de vie.
51:4725 ans après la loi SRU,
51:49la mixité sociale reste cependant un chantier inachevé
51:52qu'il convient de relancer dans les actes
51:54et pas seulement dans les discours.
51:56Il en va de la cohésion de la nation toute entière
51:58si l'on ne veut pas que cette ceinture de bombe
52:00finisse par exploser comme le prédisait l'abbé Pierre.
52:03...
52:32Sous-titrage Société Radio-Canada

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