Ces idées qui gouvernent le monde - La ville : mobilités, libertés, fractures

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L'air de la ville rend libre, c'est bien connu. On y respire le bien vivre et le vivre ensemble. Progrès et innovations s'y déploient, la culture est omniprésente, la tradition et la modernité font bon ménage, carrefour des goûts et des opinions. En somme le territoire de la recomposition civique et socio-culturelle. Si on ajoute la transition numérique et le développement des transports, les grandes métropoles s'apparentent par l'abolition des distances à des villes-mondes. On a longtemps cru à cette vision optimiste et naïve d'un territoire urbain d'accomodement des différences de classe, d'opinions, des religions, des traditions, des innovations.
Mais à la vérité qu'en est-il aujourd'hui face à l'hétérogénéité et à la fragmentation géographique du territoire urbain en grandes métropoles, petites villes, villes moyennes et villes nouvelles ? Face au réchauffement climatique et à la dégradation de l'environnement ? Comment s'harmonise l'espace entre la ville et sa périphérie, ses banlieues, ses quartiers ? Avec des populations aussi singulières que séparées ? La globalisation économique et la mondialisation des modes de vie ont créé une espèce de schisme culturel qu'on observe à l'intérieur des villes comme à la périphérie en déplaçant de plus en plus loin les classes moyennes et populaires.

Émile Malet reçoit :
Marc Gricourt ,maire de Blois ,vice-président de la Région Centre-Val de Loire
François Leclercq, architecte urbaniste
Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement, présidente de l'Union sociale pour l'habitat
Hélène Peskine, architecte urbaniste, secrétaire permanent du PUCA
Boris Ravignon ,maire de Charleville-Mézières ,président de la Communauté d'agglomération Ardenne Métropole
Pierre Vermeren, historien, professeur à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Présenté par Emile MALET
L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

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Transcription
00:00Générique
00:02...
00:23Bienvenue dans Ces idées qui gouvernent le monde.
00:26Nous allons vous parler de la ville,
00:28de ses libertés, de ses mobilités
00:31et de ses fractures.
00:33L'air de la ville rend libre ses biens connus.
00:36On y respire le bien-vivre et le vivre-ensemble.
00:40Progrès et innovation s'y déploient.
00:42La culture est omniprésente.
00:45La tradition et la modernité font bon ménage.
00:48Carrefour des goûts et des opinions.
00:50En somme, le territoire de la recomposition civique
00:55et socioculturelle.
00:56Si on ajoute la transition numérique
00:59et le développement des transports,
01:01les grandes métropoles s'apparentent
01:03par l'abolition des distances
01:05à ce qu'on appelle des villes-mondes.
01:08On a longtemps cru à cette vision optimiste et naïve
01:12d'un territoire urbain,
01:14d'accommodement des différences de classes,
01:17d'opinions, des religions, des traditions
01:20et des innovations.
01:22Mais à la vérité, qu'en est-il aujourd'hui
01:25face à l'hétérogénéité
01:28et à la fragmentation géographique du territoire urbain
01:32en grandes métropoles, petites villes,
01:34villes moyennes et villes nouvelles ?
01:37Face au réchauffement climatique
01:39et à la dégradation de l'environnement,
01:42comment s'harmonise l'espace entre la ville
01:46et sa périphérie ?
01:47Entre la ville et ses banlieues,
01:49entre la ville et ses quartiers ?
01:51Avec des populations aussi singulières que séparées.
01:55La globalisation économique
01:58et la mondialisation des modes de vie
02:00ont créé une espèce de schisme culturel
02:03qu'on observe à l'intérieur des villes
02:05comme à la périphérie,
02:07en déplaçant de plus en plus loin
02:10les classes moyennes et populaires.
02:12De ces mobilités, de ces libertés,
02:15de ces fractures,
02:17nous allons vous entretenir avec mes invités
02:19que je vous présente.
02:20Marc Gricourt, maire de Blois,
02:23vice-président de la région Centre-Val-de-Loire,
02:27qui est avec nous en visioconférence.
02:29François Leclerc,
02:31vous êtes architecte et urbaniste.
02:33Hélène Pesquine,
02:35vous êtes architecte,
02:37urbaniste générale de l'Etat.
02:40Et vous êtes toujours au ministère de l'Ecologie.
02:45Boris Ravignon, vous êtes maire de Charleville-Mézières.
02:48Vous êtes également président
02:50de la communauté d'agglomération Ardennes-Métropole.
02:54Pierre Vermeurenne, vous êtes historien,
02:57professeur de l'université Paris 1,
03:00Panthéon-Sorbonne.
03:02Emmanuelle Cosse,
03:03vous êtes ancienne ministre du Logement,
03:06présidente de l'Union sociale pour l'habitat.
03:09Et je rappelle que vous êtes avec nous en visioconférence.
03:14Dorénavant, nous diffuserons des archives
03:17de l'Assemblée nationale
03:18pour relier l'actualité à notre histoire parlementaire.
03:23Dans les années 50, on a créé les HLM.
03:26Ces HLM avaient pour objectif de supprimer les bidonvilles.
03:29On a inventé ces HLM,
03:30qui étaient en fait des espaces de repos, de sommeil,
03:35et on a eu l'intelligence à cette époque
03:37de supprimer les bidonvilles.
03:3920 ans plus tard, on a inventé les villes nouvelles.
03:42C'étaient en quelque sorte les mêmes cités
03:45dans lesquelles nous y avons introduit plus de vies.
03:48On y avait introduit le service public,
03:50on y avait introduit le commerce,
03:51on y avait introduit le bar, le café, le théâtre,
03:53et pourquoi pas tous ces lieux ludiques
03:55qui font l'existence d'aujourd'hui.
03:57Mais on n'a pas démoli les cités HLM.
04:01Aujourd'hui, si nous ne recréons pas les cités de demain,
04:04celles qui permettront effectivement
04:05de répartir dans des proportions plus normales
04:09des populations qui souffrent et qui sont plus exposées,
04:11avec des populations qui le sont moins,
04:14on ne pourra pas sortir les problèmes des ghettos
04:16et les gens qui y vivent.
04:19Vous venez d'écouter Bernard Tapie,
04:23ancien ministre de la Ville.
04:25Une simple réaction, Emmanuel Kos ?
04:29Alors, Bernard Tapie dit une chose vraie et une fausse.
04:32Les HLM n'ont pas été inventés dans les années 50,
04:35mais vraiment dans les années 20.
04:37Par contre, dans les années 50,
04:40on utilise la création de ces logements abordables
04:42pour accompagner l'industrialisation du pays.
04:44Et c'est vrai, c'est le moyen d'éradiquer les bidonvilles
04:47qui étaient encore fortement présents
04:49dans beaucoup de territoires.
04:51Et ce qu'il dit, là, en 1993, c'est vrai,
04:54il y a eu une ségrégation sociale
04:57par la conjonction de la construction des HLM
05:00et aussi le fait qu'on a une population paupérisée
05:04qui s'est retrouvée dans ces quartiers-là.
05:06Mais ce n'est pas le sujet des HLM, en soi.
05:09Les HLM, c'était vraiment l'outil pour loger la classe ouvrière
05:12qui avait des revenus modestes.
05:14La difficulté qui s'est passée,
05:16c'est qu'on a construit ces grands plans de construction
05:19qui ont été formidables pour vraiment loger
05:21dans des très bonnes conditions la population.
05:23Simplement, à côté, on n'a pas été capables,
05:26dans beaucoup d'endroits, d'amener des services publics
05:28et d'accompagner ce qu'on a connu dans les années 70,
05:31qui est une crise économique sans précédent,
05:33qui ont impacté ces quartiers immédiatement.
05:37C'est vrai qu'aujourd'hui,
05:38cette ségrégation spatiale, sociale, elle existe toujours,
05:42mais elle n'est pas dans le fait de la question des HLM,
05:45parce qu'on a beaucoup de quartiers très paupérisés
05:47qui sont des copropriétés privées,
05:49qui ne sont pas obligatoirement le logement social,
05:53qui, lui, est plutôt tenu et entretenu, en fait.
05:56Bien, écoutez, on va maintenant démarrer cette émission.
06:00Je voudrais reprendre cette citation de Max Weber,
06:04l'air de la ville rend libre.
06:06Nous avons deux maires, ici,
06:08le maire de Charleville-Mézières et le maire de Blois.
06:12Est-ce que vous pensez qu'on en est toujours là ?
06:15Est-ce que c'est vrai, aujourd'hui, et pour qui ?
06:19M. Ravignon.
06:20Je crois que la promesse républicaine,
06:22ça doit être que la liberté soit accessible à tous
06:25et que la ville, elle, soit accessible à tous.
06:28Quand on pense à ça, et quand on pense, là, effectivement,
06:32j'imagine, ce à quoi Max Weber fait référence,
06:35c'est, finalement, certaines des fonctions métropolitaines
06:38qui permettent aux hommes, d'abord, de se rencontrer,
06:40d'acquérir des connaissances, d'acquérir des biens, d'échanger.
06:44C'est la fonction de lieu de rencontre,
06:46de carrefour, que vous évoquiez tout à l'heure, des villes.
06:49Et ça, je crois que c'est une fonction extrêmement importante.
06:53Et elle est importante, pas seulement pour les grandes villes,
06:56pour lesquelles, effectivement, ce rôle-là, je crois,
06:59vient assez bien à l'esprit,
07:00mais aussi, c'est important de continuer
07:02à ce que nos villes moyennes,
07:04je suis maire d'une ville de 46 000 habitants,
07:07mais soit une de ces villes, effectivement,
07:09vers laquelle on peut se tourner pour rencontrer les autres,
07:13s'élever, apprendre.
07:15Et donc, ça renvoie, je pense,
07:18je pense que la promesse, elle peut être tenue
07:20à condition qu'il y ait un vrai investissement,
07:23un vrai engagement pour que certaines fonctions métropolitaines,
07:26je ne me bats pas pour qu'on ait un campus sur Charles-Vélezière,
07:29et donc que, pour tous les habitants du territoire ardennais,
07:33la ville de Charles-Vélezière soit, effectivement,
07:36le lieu où on monte pour apprendre,
07:38acquérir les compétences, les qualifications,
07:40et puis, ensuite, aller vivre sa vie où on veut.
07:43Alors, Margreth Cour,
07:45est-ce que l'ère de Blois rend libre ?
07:49Je rejoindrai ce que vient d'exprimer mon collègue.
07:52C'est vrai que les villes, elles structurent un territoire.
07:56On parle de ville-centre pour des villes-préfectures,
07:59sous-préfectures, et puis, dans le monde rural,
08:01on a des pôles de centralité.
08:03En tout cas, des villes comme les nôtres,
08:05et Blois compte 48 000 habitants,
08:07dont une agglomération de 114 000.
08:10C'est, en effet, la concentration d'un maximum de logements,
08:14et notamment de logements sociaux.
08:15C'est là où on a la plus grande richesse.
08:19Je considère que c'est une richesse
08:20de la diversité sociale et culturelle.
08:23C'est là où nous concentrons l'économie,
08:27majoritairement, l'industrie.
08:29C'est là où nous concentrons la plupart des grands services publics.
08:33C'est là où nous concentrons l'offre de loisirs,
08:38l'offre sportive, l'offre culturelle.
08:41Et ça nous amène à dire très souvent, à juste titre,
08:44que nous portons des charges de centralité
08:46au bénéfice des habitants d'un plus large territoire.
08:48Et donc, on s'aperçoit aujourd'hui,
08:50et notamment les villes de notre strata,
08:53les villes moyennes,
08:55je préfère parler de villes humaines,
08:58sont attractives, et un peu plus depuis la crise Covid,
09:03parce qu'à la différence des métropoles,
09:05nous sommes aussi aux portes de la nature,
09:07aux portes des forêts, comme nous en avons,
09:09aux portes des fleuves, comme c'est le cas ici avec la Loire,
09:12classée au patrimoine mondial,
09:13aux portes de la production céréalière, viticole, maraîchère.
09:19Bref, une qualité de vie qui est, à l'évidence, belle,
09:24et donc l'air y est bon,
09:26à condition qu'on prenne des mesures aussi
09:28pour favoriser la qualité de l'air dans nos villes.
09:30Alors, pour nous en tenir à cette question un peu philosophique,
09:33mais quand même, des libertés,
09:36qu'est-ce que vous en pensez, Hélène Pesquine ?
09:39En point de vue de les libertés,
09:41on va rentrer dans le débat et on va le décliner,
09:43mais là, sur la question des libertés.
09:45Est-ce qu'on se sent plus libre dans une ville ?
09:47Je dirais que c'est peut-être un peu plus complexe que ça.
09:50On vient en ville pour la liberté qu'elle offre,
09:52pour la capacité de foisonnement,
09:53les effets d'agglomération, comme on dit,
09:55le fait de pouvoir rencontrer plus,
09:57de pouvoir vivre plus, d'avoir des expériences plus variées,
10:00d'avoir plus d'opportunités.
10:02Ça, c'est un fait et vous l'avez très bien décrit,
10:04mais la ville, par exemple,
10:06quand on efface toutes ces aménités positives,
10:08on l'a vu pendant le Covid en taille réelle,
10:10pendant une expérience longue du confinement,
10:12elle crée aussi des contraintes extrêmement fortes.
10:15Et on a vu qui était contraint par la ville,
10:17qui était captif d'un certain nombre d'aménités négatives,
10:20si on peut dire, de la grande ville,
10:21notamment les logements trop petits,
10:23le manque d'espace vert, la pollution,
10:25la difficulté à s'alimenter à un prix raisonnable, etc.
10:28Et finalement, il y a ces contradictions dans la ville,
10:31qui est très attractive souvent, y compris des villes moyennes,
10:33qui aujourd'hui ont retrouvé une forme d'attractivité,
10:36comme le disait le maire de Blois,
10:37mais dans un espèce de système un peu je t'aime moi non plus,
10:42où quand on sort de ce qu'elles offrent d'excellent
10:45et d'utile finalement à l'émancipation,
10:48il y a quand même un certain nombre de contraintes
10:49qui sont régulées en partie par les pouvoirs publics,
10:51et c'est d'ailleurs leur rôle,
10:53dans le cadre notamment des questions des prêts de l'immobilier,
10:56de la pollution urbaine liée à la congestion automobile,
10:59parfois dans les cadres qui sont imposés
11:01par des niveaux de marché ou d'investissement...
11:03Ensemble, vous considérez qu'il y a une dualité.
11:06Alors, François Leclerc, vous, l'architecte,
11:09vous trouvez qu'on est plus libre dans une ville ?
11:12Est-ce que ces libertés,
11:15cette légèreté, cette anonymat, est-ce que...
11:19De toute évidence, la ville rend libre par rapport à ses vies privées.
11:23Les deux, je trouve qu'effectivement,
11:26il y a un air de liberté dans les villes qui est formidable,
11:29et le corollaire de cette liberté, c'est le mouvement,
11:33le mouvement dans sa vie quotidienne,
11:36dans sa vie professionnelle, le fait de pouvoir bouger,
11:38de ne pas être dans sa ligne de nage jusqu'à la fin de sa vie, etc.
11:42Je trouve ça extraordinaire, mais je trouve qu'il y a quand même
11:45surtout la liberté de travailler, c'est-à-dire les villes,
11:49au 19e et au 20e, elles ont été inventées, fabriquées,
11:54sont développées selon le thème du travail.
11:57Les villes qui sont parties sur d'autres...
12:00Qui sont fabriquées sur d'autres thèmes sont plutôt très rares.
12:03Donc, cette liberté de travailler, c'est plutôt l'obligation de travailler.
12:07Donc, ensuite, ça veut dire quoi ?
12:09C'est que les villes se sont développées
12:11et connaissent toutes leurs difficultés actuelles
12:13par rapport à cette crise de travail qui fabrique de l'entassement
12:16dans certaines métropoles trop marquées
12:20par la tertiarisation à non plus finir en France,
12:22d'autres qui sont des territoires délaissés
12:25parce que c'est désintégralisé.
12:27Donc, on est dans un système très complexe
12:30où cette liberté-là, elle est quand même une contrainte originelle
12:34que ce qu'est celle de l'obligation de travailler pour vivre.
12:37Pierre Vermeurenne, je profite de l'universitaire que vous êtes
12:42pour essayer de contextualiser cette phrase de Max Weber.
12:47Est-ce qu'elle a du sens d'un point de vue historique ?
12:51Elle a du sens d'un point de vue intellectuel ?
12:53Est-ce que...
12:56Quand on vit en ville, oui.
12:58Quand on est Parisien, on s'en rend compte.
13:02Ça offre un peu tout.
13:04Quand les ouvriers parisiens fréquentaient les boulevards
13:08au XIXe siècle et jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale,
13:10je pense qu'ils avaient un grand sentiment de liberté.
13:13Mais ils ont été expulsés de la ville
13:15parce que, comme le disait Bernard Tapie,
13:16les cités HLM ont été construites
13:19pour servir l'industrialisation de la France
13:21et rapprocher les ouvriers des centres de production.
13:23Et puis ensuite, les usines ont fermé.
13:25Et les ouvriers sont partis avec leur famille
13:27et ils se sont réinstallés souvent très loin.
13:30Ils ont été remplacés par d'autres populations.
13:32Et donc, aujourd'hui, la liberté de la ville,
13:34c'est la liberté pour ceux qui peuvent y habiter.
13:37Et notamment les classes sociales aisées.
13:38On parle de boboïsation, mais c'est pas un vain mot
13:41parce qu'il y a à peu près 20 ou 25 % de cadres
13:44qui se partagent l'essentiel du coeur des métropoles
13:47et qui, eux, sont libres.
13:48Donc, aujourd'hui, les touristes sont libres dans les non-métropoles.
13:52Les personnes aisées sont libres.
13:54Les étudiants qui y font leurs études y ont une certaine liberté,
13:56encore que les conditions d'habitat et de location
13:58sont très rudes pour eux, j'en sais quelque chose.
14:01Mais disons qu'il faut penser à tous les autres
14:03qui n'ont plus la liberté de fréquenter
14:05ni les boulevards ni les théâtres de boulevard.
14:08Et là, évidemment, il y a un problème de ségrégation à la française,
14:12gentiment, c'est pas une question juridique,
14:14mais en tout cas, la ségrégation par le coût de l'immobilier
14:17est devenue une vraie plaie nationale, très particulière à la France.
14:20On ne retrouve pas ça en Allemagne.
14:21C'est très franco-français
14:23et c'est le malheur de beaucoup de nos mots politiques
14:25présents et à venir.
14:27Bien, écoutez, on a une diversité d'opinions sur ce sujet,
14:31mais si on prend l'histoire sociologique de la ville,
14:35il semble que ce soit un peu linéaire
14:37avant la mondialisation,
14:39avant les vagues migratoires,
14:42avant les grandes innovations, etc.
14:45Mais à votre avis,
14:46qu'est-ce qui a provoqué cette archipélisation urbaine,
14:50à la fois sur le plan géographique,
14:53il y a les métropoles, les petites ou grandes métropoles,
14:56il y a les petites villes, les villes nouvelles,
14:58mais il y a aussi cette ségrégation socio-culturelle,
15:01avec plus de classes supérieures dans les villes, etc.,
15:05et même d'une manière anthropologique,
15:08concernant la sève humaine,
15:11où on parle des nowhere et des anywhere,
15:15ceux qui sont bien partout,
15:17et ceux qui sont, j'allais dire,
15:19rejetés de là où il y a la prospérité, etc.
15:24M. Leclerc, qu'est-ce que vous en pensez ?
15:27Écoutez, effectivement, il y a ce phénomène
15:30d'attirance extrême des métropoles,
15:32parce que, je le répète, c'est le travail
15:34qui mène un peu la danse de tout ça,
15:36et ensuite, il y a ce côté centrifuge,
15:38cette machine essoreuse, comme ça,
15:40qui fabrique, parce qu'il y a la volonté d'avoir des enfants,
15:44parce qu'on ne peut plus vivre avec ce que l'on a,
15:47il y a une espèce d'éloignement,
15:50et l'éloignement a historiquement toujours été
15:53mal perçu, mal vécu,
15:56dans ces métropoles où il y a un hypersante
15:58qui est de l'ordre de l'extraordinaire,
16:01qu'on peut en profiter, finalement,
16:03même s'il y a 2 millions d'habitants dans Paris.
16:06Cette archipélisation, cet éloignement,
16:09il a été très mal vécu, très mal perçu,
16:13sauf si c'est le Vésiné ou Versailles,
16:15où personne ne se plaint,
16:17mais il manque cet exercice d'urbanité
16:21qui s'est mal fait,
16:23ces transports qui n'ont pas été faits
16:25exactement comme il le fallait.
16:27Heureusement, je soutiens très fortement
16:29tout ce qui se fait pour le métro du Grand Paris.
16:32C'est le seul truc qui a réussi, vraiment,
16:35et merci, Sarkozy.
16:36Voilà, donc, à un moment,
16:38c'est vrai qu'il y a des rattrapages qui se font,
16:40mais cet éloignement, qui était une obligation,
16:43s'est fait un peu dans la difficulté.
16:45Je mets ça en parallèle avec ces métropoles diffuses
16:48qui sont, entre autres, à Milan, autour de Milan,
16:51dans toute l'Italie du Nord,
16:52où, finalement, le travail était très dispersé
16:55en fonction d'une structure industrielle
16:57très particulière, auquel cas, il n'y a pas
16:59cette notion de distance par rapport aux lieux de travail,
17:03par rapport à là où ça se passe.
17:04Donc, on est vraiment, en France,
17:06et spécialement dans la région paisienne,
17:09dans une histoire très singulière
17:10par rapport à cette notion d'éloignement
17:13et de la ville extraordinaire.
17:14Oui, Marc Gréco, vous vouliez réagir ?
17:17Oui.
17:18Alors, on a un phénomène de métropolisation
17:21qui s'est caractérisé par une attractivité évidente,
17:25beaucoup plus grande, sur le plan économique,
17:29et donc un développement démographique
17:31qui en a découlé,
17:34et au détriment des villes dites moyennes
17:37dans les années...
17:38fin des années 90, début 2000.
17:41Pourquoi ? Parce que les métropoles,
17:43c'est une question d'aménagement du territoire.
17:45La démarche nationale
17:47de création des grandes lignes ferroviaires
17:49avec le TGV a concerné, très majoritairement,
17:53les grandes villes, les métropoles.
17:56Les reliant à la capitale nationale,
17:58les reliant plus facilement aux capitales européennes.
18:01Et donc, on a accentué
18:03ce que j'appelle les fractures territoriales.
18:05Alors, on a, heureusement, partout en France,
18:07c'est le cas en région Centre-Val-de-Loire
18:09de façon très volontariste,
18:11mais ce n'est pas la seule région,
18:13les régions qui, dans leurs compétences d'aménagement,
18:15ont permis de rééquilibrer un peu tout ça.
18:18Et puis, plus récemment,
18:20donc, la démarche Action Coeur de Ville,
18:22qui nous a donné capacité
18:25à pouvoir nous engager un peu plus
18:28sur des politiques publiques concernant l'habitat, le commerce,
18:31la redynamisation de nos coeurs de ville
18:34pour les rendre un peu plus attractives.
18:36Et donc, quand on a aussi la question des métropoles
18:40beaucoup plus attractives,
18:41c'était lié aussi à la présence, pas seulement de l'économie,
18:45mais aussi des filières d'enseignement supérieur.
18:47D'où les enjeux aussi importants
18:49d'assurer dans les autres territoires
18:51et notamment dans les agglomérations dites moyennes,
18:53la présence de filières d'enseignement supérieur,
18:56d'apprentissage,
18:57pour tout simplement être capable de répondre
19:00aux besoins des entreprises en matière de main-d'oeuvre.
19:03Vous acquiescez à ça, Boris Ravignon ?
19:07Tout à fait, oui.
19:08Par exemple, Charleville-Mézières
19:10est désavantagée par rapport à des villes plus importantes
19:14qui sont, j'allais dire, à votre périphérie ?
19:17Je ne présenterais pas les choses comme ça.
19:19Je crois que la métropolisation,
19:20effectivement, mon collègue Debois vient de décrire ce qui se passe,
19:25et qui profite, effectivement,
19:26d'un réseau de très grandes villes, de villes très importantes,
19:29je pense que, pour notre pays, c'est plutôt une chance.
19:32Parce qu'on s'est longtemps désolé de Paris et le désert français.
19:36Je crois qu'il ne faut pas se plaindre
19:38d'avoir un réseau de métropoles,
19:39Bordeaux, Toulouse, Lille, Strasbourg, Nantes,
19:43qui montent, qui soient extrêmement importantes et dynamiques.
19:47En revanche, il faut que tout le monde puisse trouver
19:49et reconstruire son attractivité.
19:51C'est vrai qu'on a, nous, les villes moyennes,
19:53vécu une période extrêmement difficile.
19:55De la fin des années 70 jusqu'à aujourd'hui,
19:58les blocages économiques qui se sont créés,
20:00le blocage de l'assurance-somme social,
20:02qui a quand même assigné à résidence
20:04des millions de gens dans certains quartiers,
20:06parce que c'était le seul endroit où ils pouvaient se payer leur logement.
20:10Tout cela, il faut qu'on arrive à en sortir,
20:13et ça veut donc dire, effectivement,
20:15reconstituer les facteurs d'attractivité des villes moyennes.
20:18Donc, beaucoup repose quand même sur les gouvernances locales.
20:22Je crois que c'est chaque territoire
20:24qui doit s'inventer son projet de développement,
20:27avec, effectivement, un certain nombre de cas.
20:29Quand on vient de vivre, comme c'est le cas dans les Ardennes,
20:3140 années de désindustrialisation,
20:33avec, effectivement, le pouvoir de bénéficier du soutien de l'Etat.
20:37Et du soutien de l'Etat sur quoi ? Sur les mobilités, effectivement.
20:40On a besoin d'être parfaitement raccordés
20:42aux grands pôles urbains qui nous entourent.
20:46Et on a besoin, effectivement, de campus de villes moyennes,
20:49de formation, d'investir dans la formation,
20:52et puis de développer, quand on a la possibilité,
20:55nous, on a la chance d'être la patrie d'Arthur Rimbaud
20:57et la capitale mondiale des Théâtres de Marionnette,
21:00de pouvoir miser à fond sur ces facteurs d'attractivité
21:03qui vont redonner, effectivement, au tissu local
21:05le dynamisme qu'il a pu perdre.
21:07Alors, NP, ce qui nous intéressait depuis longtemps
21:10à ces territoires,
21:11est-ce que vous pensez que la pesanteur de l'histoire
21:16empêche la France de changer, en quelque sorte ?
21:20C'est-à-dire faire en sorte qu'il y ait une harmonisation
21:24entre ces petites villes, ces villes moyennes,
21:28ces banlieues, etc. Est-ce que...
21:31Pour répondre sur ce qui vient d'être dit,
21:34c'est l'héritage d'une histoire où, en France,
21:36l'aménagement du territoire a été une vraie politique publique
21:39qui a prôné les huit métropoles d'équilibre à l'époque,
21:42qui, aujourd'hui, sont plutôt une quinzaine,
21:44qui ont été les pôles secondaires du territoire français,
21:47qui sont desservis par des lignes à grande vitesse,
21:50qui ont été la fierté de la France
21:52au moment où on a créé le TGV,
21:54c'était une innovation extrêmement puissante,
21:56mais on avait mal mesuré l'invisibilisation
21:59de tous les territoires intermédiaires, interstitiels,
22:02c'est difficile de les appeler interstitiels,
22:04c'est un peu péjoratif,
22:05qui se sont retrouvés dans l'ombre de cette organisation
22:08qui était très affirmée comme une ambition nationale.
22:11Depuis, les choses ont évolué.
22:13L'industrie était très dispersée dans le territoire français,
22:16notamment dans les villes moyennes,
22:18c'est beaucoup disqualifié ou a disparu.
22:21Les métropoles sont devenues le siège
22:23d'une globalisation de l'économie
22:25et donc plutôt de la tertiarisation...
22:27Pardonnez-moi de vous interrompre, juste une seconde.
22:30Est-ce que vous pensez que ce que vous venez de dire
22:33par rapport à l'industrie porte sa marque encore aujourd'hui
22:37sur la désindustrialisation de la France ?
22:39Je rappelle que l'industrie est à 9 % du PNB,
22:43du produit national brut,
22:45alors que l'Allemagne est à plus de 20 %.
22:47Il y a eu des politiques nationales d'appui ou de soutien,
22:50ou non, à cette industrie.
22:52Parfois, on a considéré, même longtemps,
22:54qu'il fallait se tourner vers le tertiaire
22:57et délocaliser l'industrie.
22:58On n'avait pas mesuré les effets spatiaux et territoriaux
23:02de ces ambitions économiques,
23:03notamment la différenciation que ça a générée
23:06entre les villes moyennes et les grandes métropoles,
23:09dans lesquelles se sont redéveloppées d'autres emplois.
23:12C'est très significatif, à Grenoble,
23:14qui était une ville très industrielle,
23:16qui est devenue une métropole de service et d'appui à l'industrie,
23:19mais qui, au contraire, est une métropole du XXIe siècle
23:23très comparable à d'autres métropoles mondiales.
23:25Et donc, on a basculé, disons, il y a à peu près 5 ou 6 ans,
23:30dans une logique, on va dire, de réparation.
23:32C'est une nouvelle manière de faire de l'aménagement du territoire
23:36en cherchant ces territoires en déprise et en difficulté,
23:39un constat qui avait eu des effets pervers aux politiques précédentes,
23:43mais je ne suis pas sûre qu'il faille jeter l'histoire de la France
23:46et de la planification avec l'eau du bain.
23:48Qu'en pensez-vous, Emmanuelle Cosse,
23:51de cet aménagement du territoire
23:53qui semble favoriser les grandes métropoles,
23:55au-delà de la question du logement ?
23:59La première chose que j'aimerais ajouter aux propos précédents,
24:02c'est que je pense que la ville garde une fonction émancipatrice
24:06qui est réelle,
24:07et en particulier pour les femmes.
24:09Et y compris dans des métropoles où, aujourd'hui,
24:12il est très difficile de vivre pour des raisons financières
24:15et notamment en raison de la spéculation immobilière.
24:17Vous pouvez préciser pourquoi ça profite essentiellement aux femmes ?
24:23Parce qu'on y a une indépendance que vous n'avez pas dans d'autres territoires,
24:26et notamment parce que dans la ville,
24:28vous avez quand même un accès au service public
24:30et à la mobilité qui est plus forte qu'ailleurs.
24:32Ça ne veut pas dire que c'est la panacée,
24:34mais vous avez cela au-delà du travail
24:36et par ailleurs, vous avez l'accès au savoir.
24:38Parce qu'au-delà de ce qui a été dit par François Leclerc
24:40sur le travail que je partage tout à fait,
24:43on a aussi cherché à mettre dans les métropoles,
24:45les facultés et les grands centres de recherche,
24:49on a essayé de concentrer vraiment dans beaucoup de territoires.
24:52Et c'est aussi ça qui a fait, à mon avis,
24:54d'une part, cette course à la métropolisation,
24:58notamment par des élus qui ne rêvaient que d'avoir toujours
25:00la métropole la plus grande,
25:02et qui se fait évidemment au détriment d'autres territoires.
25:05Mais je veux dire aussi, puisque vous n'en avez pas parlé,
25:07c'est que le schéma de notre ville d'aujourd'hui,
25:10je ne parle pas de la ville des années 50,
25:12mais la ville post-air industrielle,
25:14elle s'est aussi dessinée en fonction de la mobilité,
25:16notamment de la voiture individuelle.
25:19Et je crois que c'est ça aussi qui a montré ces fractures,
25:22parce qu'à un moment, on a tout concentré
25:24sur des déplacements avec la voiture individuelle
25:27ou des lignes à grande vitesse qui, en effet, sont très intéressantes.
25:31Mais en même temps, on n'a pas tenu l'investissement
25:33sur les lignes qui étaient des vitesses moyennes
25:36et qui desservaient tout le tissu urbain de la ville moyenne.
25:40Et en fait, cette concentration-là,
25:41elle arrive à un moment, à un lieu qui n'est plus désirable.
25:45Mais néanmoins, malgré cette difficulté à vivre dans la ville,
25:49je le dis quand même, et on le voit, y compris nous,
25:51dans des trajectoires de nos locataires
25:53et dans des trajectoires d'ascension sociale,
25:55il y a beaucoup d'histoires qui se font grâce à la ville.
25:58Et c'est pour ça que c'est...
25:59La question, c'est de ne pas jeter tout un schéma d'un seul coup.
26:03C'est plutôt de réparer.
26:05Et moi, je crois beaucoup notamment à la manière
26:07dont on remet de l'interaction entre les métropoles
26:10et ces grands centres urbains avec la ville moyenne.
26:13En fait, c'est ça qui manque aujourd'hui,
26:15c'est qu'on a... Enfin, certains ont pensé,
26:17ce n'est pas ce que moi, je pense,
26:18mais certains pensaient qu'il valait mieux mettre toute la richesse,
26:21toute la production de la richesse et sa consommation
26:24dans les grandes métropoles,
26:26et que les villes moyennes, finalement,
26:27elles étaient des lieux pour les populations un peu à l'extérieur.
26:30Moi, je ne crois pas du tout à ce schéma-là,
26:32mais ça veut dire qu'on doit retrouver des échanges
26:35et on doit recoudre, c'est un peu ce qu'on dit,
26:40et améliorer le... Enfin, réparer le passé.
26:43Merci, madame Kos.
26:45M. Gricourt, vous voulez intervenir ?
26:48Oui, alors, je crois qu'en effet,
26:50la question économique des territoires,
26:54c'est une compétition permanente.
26:56Je le rappelais, par nature,
26:58les métropoles ont, pendant très longtemps,
27:00c'est toujours aussi le cas, été beaucoup plus attractifs,
27:03pour les raisons que j'ai précisées.
27:04Mais j'ai le sentiment que beaucoup de territoires dits moyens,
27:08de villes et agglomérations moyennes,
27:10prennent un peu leur revanche.
27:12Elles connaissent, nous connaissons, un réveil.
27:14Alors, c'est le cas, par exemple, dans l'agglomération blésoise,
27:17où il y a une histoire industrielle
27:19sur des industries qui étaient,
27:21notamment à la fin des années 50, autour de l'automobile,
27:26industrie agroalimentaire très célèbre, Poulain,
27:29la marque Poulain, le chocolat,
27:31et le bonheur de savoir que l'entreprise est reprise,
27:34là, maintenant, à court terme.
27:36Et puis, des évolutions qui ont été positives pour nous,
27:40parce que ce sont des industries sur des créneaux porteurs,
27:44aujourd'hui, qui ont été installées dans les années 90, 2000,
27:49sur la pharmacie, la cosmétique, le numérique,
27:53la mécanique de précision.
27:54Et là, on s'aperçoit que ce sont des secteurs
27:58en développement qui innovent,
28:01qui se projettent dans l'avenir, et ça, c'est une chance.
28:04Donc, il faut conforter cela.
28:06Et ces entreprises, elles restent dans un territoire
28:10quand il y a, j'en parlais tout à l'heure,
28:13une qualité d'offre d'enseignement supérieur
28:15qui peut leur être utile.
28:16On a la chance, nous, d'avoir un ILSA,
28:20Bicycle, avec... Bicycle, pardon, avec Bourges,
28:24le sixième ILSA de France,
28:26et nos industries s'appuient beaucoup sur l'INSA, par exemple.
28:29On a un IUT, aussi,
28:31qui produit des partenariats avec le monde industriel.
28:35Bref, et on a la chance, bien sûr, d'être un territoire touristique,
28:40avec un développement touristique qui est beaucoup plus important,
28:42puisque c'est en région Centre-Val-de-Loire
28:45que la progression touristique est la plus forte depuis le Covid.
28:48Donc, il faut s'appuyer sur l'existant
28:51et puis faire en sorte qu'on puisse accompagner nos entreprises,
28:55dans ce qu'elles attendent en matière d'innovation,
28:58de recherche, de formation.
29:00Merci, M. Gricault.
29:01Pierre Vermeurenne, je vais vous laisser réagir à tout ça,
29:04mais je voulais aussi aller un peu plus loin avec vous
29:09pour préciser une notion.
29:12Le géographe et démographe Christophe Guilly
29:15considère qu'il y a un clivage
29:17entre la France des villes et la France périphérique.
29:21Si on veut faire...
29:23Utiliser des mots un peu savants,
29:25métropolia, periphéra.
29:27Est-ce que vous partagez ce point de vue
29:31qui viendrait objectiver, en quelque sorte,
29:35disons, une France du déclassement,
29:37une France des privilégiés,
29:39qu'un journaliste anglais a traduit
29:43avec ceux qui sont à l'aise partout
29:46et qui sont anywhere,
29:48et ceux qui sont à l'aise nulle part et qui sont nowhere.
29:51Parce qu'il y a là, en filigrane,
29:54il y a la question aussi, si vous voulez,
29:57des élites et du peuple
29:59et de l'archipélisation de la France.
30:01Non, mais non seulement je valide à 100 % ces thèses,
30:05j'ai écrit aussi beaucoup de choses là-dessus,
30:07je pense que c'est fondamental pour comprendre
30:10la nouvelle géographie politique de la France,
30:13mais pour rebondir sur ce qui a été dit,
30:17moi, je crois beaucoup dans cette approche réparatrice,
30:20parce qu'on ne peut pas annuler l'histoire.
30:23Elle a eu lieu, on est bien obligés d'accepter son héritage,
30:26et on ne va pas tout casser.
30:28En revanche, l'Etat a une responsabilité,
30:30il est face à des choix considérables.
30:32Vous parliez du Grand Paris,
30:34je comprends très bien l'intérêt du Grand Paris express
30:37pour l'île de France,
30:39mais il y a eu 42 milliards d'euros sur la table.
30:41Si on avait utilisé de la même manière...
30:44Au départ, ça devait être 20, puis c'est 42 ou 44.
30:47Si on avait utilisé ces 44 milliards
30:49pour l'opération Coeur de Ville,
30:51en profit de toutes les préfectures et sous-préfectures de France,
30:5544 milliards pour 20 % de la population.
30:58On pourrait même imaginer qu'on multiplie les 44 milliards par 4
31:02pour le reste des 80 % du pays.
31:04Or, ça n'a pas été fait,
31:06et on peut reproduire la même chose pour les TGV.
31:08Les TGV, c'est 9 % des voyageurs de la SNCF,
31:11c'est 60 % des investissements depuis 30 ans.
31:13Donc, il y a un moment, l'Etat,
31:15aujourd'hui, il ne peut pas annuler ça,
31:17parce que c'est comme ça,
31:18mais il peut prendre le gouvernail,
31:20notamment pour la réindustrialisation.
31:22Pour l'instant, on en parle,
31:24mais il n'y aura pas de rééquilibrage territorial
31:26au profit des sous-préfectures, des préfectures,
31:29sans qu'on fasse de Charleville-Mézières
31:31la capitale européenne du Doliprane.
31:33Parce que, si vous voulez, il y a un moment,
31:35il faut taper du poing sur la table.
31:37Il faut rapatrier les emplois
31:39qui sont partis par dizaines de millions,
31:42je parle au niveau européen, en Chine,
31:44et il faut sanctuariser un certain nombre de secteurs
31:46en disant que ce sont des biens stratégiques,
31:49on a des territoires immenses.
31:51La moitié de la France, aujourd'hui, est à l'abandon,
31:54il faut le dire, ce n'est pas un choix,
31:56mais j'ai visité un certain nombre de villes moyennes
31:59et de campagnes cet été, du nord au sud de la France,
32:02il faut aller les voir, il faudrait presque faire des safaris
32:05pour se rendre compte dans quel état de délabrement
32:08sont les régions de l'Est au Sud-Ouest,
32:10en passant par le massif central.
32:12Pierre Vermeurenne, je ne voudrais pas minorer ce que vous dites,
32:16mais tous les pays, y compris les pays démocratiques,
32:20ne parlons pas des pays totalitaires,
32:23ont une seule partie du territoire qui est urbanisée,
32:26et le reste...
32:27Il ne s'agit pas d'urbaniser tout le monde,
32:29il s'agit de répartir un peu la production.
32:32Avant, il y avait une répartition de la production
32:34industrielle et agricole.
32:36La production agricole est en grand abandon,
32:38il reste 400 000 emplois agricoles,
32:41on pourrait en avoir un million, mais là aussi, ça s'organise.
32:44C'est vrai qu'il bénéficie maintenant à des villes moyennes,
32:47on en parlait à propos de Blois, de Charleville et d'autres villes,
32:51mais moi, qui viens de l'Est de la France,
32:53j'ai connu la saignée industrielle,
32:56et aujourd'hui, en Lorraine,
32:57vous avez trois fois moins de naissances que dans les années 60.
33:01Vous avez des territoires qui sont en phase d'écroulement,
33:04et si on regarde leur démographie à échelle de 50 ans,
33:07ils seront vidés de leur population.
33:09Donc, il y a un moment, l'Etat, c'est le seul acteur aujourd'hui
33:13qui peut épauler les élus locaux et les collectivités locales
33:17dans ce grand effort...
33:18Boris Ravignon est là-dessus.
33:20Pierre Wemmeren, déjà, on préfèrerait être
33:22à la capitale de l'Iprane plutôt que du Prozac,
33:25ça serait mieux, mais...
33:27Ca dépend ce qu'il rapporte le plus.
33:29Blague à part, je crois que tout ce qu'on dit là,
33:33j'ai l'impression qu'on pourrait le résumer en une phrase.
33:37La théorie du ruissellement, là non plus, ça ne fonctionne pas.
33:40C'est pas parce qu'il y a énormément de richesses créées,
33:43très bien au niveau national,
33:45mais c'est pas parce qu'il y en a beaucoup qui se créent
33:48en Ile-de-France énormément,
33:49c'est la région la plus riche d'Europe,
33:51et qui s'en crée aussi beaucoup dans les métropoles,
33:54que pour autant, ces métropoles vont organiser,
33:57comme le souhaitait Emmanuel Kos,
33:59leur arrière-pays, leur hinterland,
34:01comme on dirait en géographie.
34:03Je crois que ce travail-là, c'est la conjonction de deux choses.
34:07C'est l'esprit d'initiative des élus locaux.
34:09Je crois qu'il faut faire confiance aux élus locaux,
34:12notamment aux maires, aux présidents de l'agglomération.
34:15On a, par rapport à la crise, une nouveauté,
34:18c'est les intercommunalités.
34:19On a aujourd'hui des structures,
34:21qui, parce qu'elles mutualisent un peu d'ingénierie,
34:24sont en capacité de porter des projets économiques,
34:27d'avoir des stratégies économiques.
34:29J'entendais mon collègue De Blois parler
34:31de la réindustrialisation qu'il a connue il y a quelques années.
34:35Nous, l'implantation d'une agence de l'Etat, la NTS,
34:38titre sécurisée, nous a permis de regagner des centaines d'emplois
34:41dans un domaine assez inattendu et de garder nos jeunes,
34:44qui, après le bac, quittaient le territoire
34:46pour aller travailler dans le secteur tertiaire ailleurs.
34:49On peut bâtir des stratégies locales,
34:52mais il y a une chose pour laquelle on a vraiment besoin de l'Etat.
34:55Ca s'appelle la péréquation.
34:57C'est la redistribution d'une partie des ressources
35:00créées par les grandes métropoles au profit, notamment,
35:03des territoires interstitiels.
35:05Moi, ça ne me fait pas peur.
35:06C'est une observation géographique.
35:08On est...
35:10Simplement, c'est pas pour autant qu'on a des Français interstitiels.
35:13Ceux qui vivent chez nous,
35:15ils ont le même envie d'égalité des chances,
35:17le même envie de développement.
35:19Donc, si on fait confiance aux collectivités,
35:22on peut s'appuyer sur cette armature de collectivités
35:25pour porter une stratégie de développement,
35:27mais avec une vraie intervention corrective de l'Etat,
35:30on peut avoir de bons espoirs sur le réarmement,
35:33pour reprendre un autre terme à la mode,
35:35de notre tissu urbain.
35:37Oui, je voudrais réagir en 3 points.
35:39D'abord, je voudrais annoncer cette idée un peu trop facile
35:42de la France périphérique,
35:44même si elle apparaît dans les cartes électorales
35:46un peu biaisée par les schémas qu'on nous présente.
35:50Il y a aussi énormément de pauvreté dans les grandes villes.
35:53Les métropoles sont le siège de la plus grande pauvreté en France
35:56et souvent en Europe.
35:57Les quartiers les plus pauvres,
35:59et parfois dans les centres anciens des villes moyennes,
36:02sont très nombreux.
36:03Ils se concentrent quand même dans les grandes villes
36:06ou dans les villes centres.
36:08Il ne faut pas non plus trop caricaturer
36:10les métropoles ou les locomotives économiques
36:13qui seraient strictement des moteurs à cash.
36:15J'insiste un peu là-dessus, c'est important.
36:18Ca a généré d'ailleurs, depuis quelques années,
36:20une vision renouvelée des élus métropolitains
36:23autour de ce qu'on appelle la ville productive,
36:25la capacité aussi à offrir des opportunités d'emploi
36:28pour des gens qui sont moins qualifiés,
36:31les emplois populaires, on les appelle parfois
36:33parce que ce n'est pas strictement de la production industrielle,
36:36c'est de l'appui à l'industrie, de la logistique, de la livraison.
36:40Ces emplois-là permettent à ces personnes modestes ou pauvres
36:43de se trouver aussi une place dans la grande ville.
36:46C'est pour la nuance sur la ville périphérique.
36:49Deuxième point, je pense qu'il faut aussi sortir de l'idée
36:52qu'il y a des villes et des plains
36:54et que ce qui n'est pas la ville serait un vide, un désert.
36:57Aujourd'hui, avec les enjeux de transition écologique
37:00et de planification écologique à l'échelle nationale,
37:03ce qui n'est pas construit,
37:04c'est une ressource excessivement importante pour la ville.
37:08On va peut-être manquer de ressources demain,
37:10être en pénurie d'eau, d'énergie, de sol, de foncier pour construire.
37:14Cette ressource non construite est extrêmement précieuse
37:17et va sans doute rééquilibrer les relations
37:19entre des territoires moins denses et des territoires plus denses,
37:23au-delà des enjeux démographiques réels.
37:25Il faut construire la stratégie de décroissance urbaine
37:28qui permet à des villes qui, de fait,
37:30et c'est dans les statistiques, dans les modélisations,
37:34vont perdre de la population.
37:35Dans l'Allemagne de l'Est, ils l'ont utilisé
37:38comme stratégie d'aménagement.
37:39Ils ont déconstruit des morceaux de villes,
37:42permettra de redonner une intensité à ces villes moyennes ou petites,
37:46même dans ce contexte de déconstruction,
37:48en leur redonnant une espèce de pouvoir d'agir
37:51du fait qu'elles sont aussi garantes à l'échelle nationale
37:54de l'équilibre écologique entre des lieux qui stockent du carbone,
37:58des lieux qui génèrent de la qualité de l'eau
38:02ou des ressources utiles à tous,
38:04et ou de la production d'énergie.
38:06Je pense qu'il y a aussi une logique,
38:08et c'est peut-être l'étape d'après de l'aménagement écologique
38:11que de penser différemment les vides et les pleins.
38:14François Leclerc, vous vouliez dire un mot ?
38:17Je voudrais dire que, paradoxalement,
38:19depuis les années 80,
38:20il n'y a pas vraiment d'aménagement du territoire.
38:23Il y en a eu très fortement en années 70,
38:26Mission Racine, De l'Ouvrier, etc.
38:28Et après, c'est le marché qui a dessiné la France.
38:33Je répète mon histoire du travail,
38:35mais c'est parce qu'il y a eu presque une idéologie
38:40de dire qu'on ne va plus être industriel,
38:42parce que nous sommes une population de penseurs,
38:44comme ça a été dit par certains grands industriels
38:47repris par des ministères des années 80 et des années 90.
38:51Ca a fabriqué ces villes,
38:54et particulièrement Paris,
38:56puisque c'est une communauté très performante,
38:59qui gagne beaucoup d'argent,
39:01dans lesquelles se sont installées
39:02une société de services, de banques, d'assurances,
39:05et puis du luxe, à n'en plus finir, etc.
39:09Donc, c'est devenu un truc extrêmement rentable.
39:13Voilà, c'est-à-dire qu'il y a presque une idéologie
39:17qui s'est mise en place aussi de dire
39:19qu'on gagne beaucoup d'argent, donc on va en redistribuer.
39:22Même, je reviens sur ce très onéreux métro du Grand Paris,
39:27finalement, c'était de dire
39:29qu'on va rendre plus performant encore la machine.
39:32Il y avait un côté peut-être social de dire
39:34qu'on va s'occuper de Fontenay aussi, de l'Est,
39:37mais de dire qu'on pourra aller encore mieux
39:39de la Défense jusqu'à Roissy.
39:41Il y avait quand même cette idée.
39:43On est une machine géniale, la plus riche d'Europe,
39:46on va booster encore le dragster
39:48pour que ça...
39:49Et puis, cette idée,
39:50on a parlé dans un livre qui est pas mal,
39:53qui dit que la France s'occupe de ses territoires.
39:56C'est-à-dire...
39:57Monsieur Leclerc, je voudrais vous poser
39:59une question précise et polémique.
40:01Par rapport, en tant qu'architecte,
40:06et vous vous occupez notamment de la ville de Paris,
40:08est-ce qu'on peut avancer
40:13sans toucher
40:16la grandeur de Paris,
40:17sans toucher la position de Paris, etc.
40:20Parce que je veux bien qu'il y ait un musée,
40:23un grand musée du Louvre...
40:25Pardon, un grand musée Pompidou à Metz.
40:28Je veux bien qu'on ait décentralisé l'ENA à Strasbourg,
40:32mais Paris reste Paris.
40:34Est-ce que vous pensez qu'il faut atteindre
40:37la dominance parisienne
40:40pour que le reste puisse bouger, en tant que grand architecte ?
40:44Il y a une telle puissance, une telle force à Paris
40:47que je ne vois pas la moindre flèche qui pourrait l'atteindre.
40:50Je pense surtout que je reviens sur l'idée
40:53d'un aménagement du territoire qui serait un peu consistant.
40:56Je parle par rapport à des notions d'industrie,
40:59d'agriculture, de plein de choses.
41:01Il y a un énorme travail à faire pour dire que c'est pas uniquement...
41:05Le symbolique du Louvre-Lens, c'est très beau, c'est très bien,
41:08mais il ne s'agit pas de ça.
41:10Il s'agit de dire où se trouve l'avenir
41:13dans ces territoires, par rapport à de l'emploi,
41:16mais de l'emploi réel, pas de l'emploi fictif
41:18ou de l'emploi juste mentionné.
41:20C'est ça que j'attends très fortement
41:22d'un grand ministère de l'aménagement du territoire
41:25ou d'une data renouvelée.
41:27Ca viendra peut-être.
41:29Marc Bricourt voulait intervenir.
41:31Oui, sur l'aménagement du territoire,
41:33je suis d'accord avec ce qui a été dit.
41:35L'Etat a en grande partie abandonné
41:38cette mission d'aménagement du territoire
41:40qui lui a incombé jusque dans les années 70.
41:43Aujourd'hui, avec la décentralisation,
41:46le rôle a été pris par les régions,
41:48avec notamment, sur l'aménagement
41:52entre le rural et l'urbain,
41:54des outils qui sont les schémas,
41:57les schémas que l'on établit
41:59dans une discussion avec les élus des autres territoires,
42:01qui sont prescriptifs et qui permettent
42:04de maintenir des équilibres,
42:05qui permettent de flécher là où on veut
42:08du développement économique,
42:10là où on veut préserver la nature,
42:12là où on veut développer et concentrer l'habitat.
42:14Et c'est décliné dans les agglomérations
42:16et les métropoles à travers les scottes
42:20et les plans locaux d'urbanisme.
42:22Ca, c'est la première chose.
42:24Encore faut-il que l'Etat donne, garantisse
42:28aux collectivités territoriales
42:30les moyens d'agir.
42:32Donc, on est loin d'une vraie décentralisation.
42:37Et je crois que c'est à l'échelle des régions notamment
42:39qu'on peut impulser toutes ces politiques
42:42qui permettront, on n'arrivera jamais à une égalité
42:45entre le rural et l'urbain, mais on peut réduire des fractures.
42:48Et le sentiment d'abandon
42:52des personnes qui vivent dans le monde rural,
42:55qui pour la plupart, quand ils sont actifs, travaillent en ville,
42:58mais en tout cas, ce sentiment d'abandon,
42:59c'est pas simplement un sentiment, c'est une réalité aussi.
43:02C'est la perte de services publics,
43:03c'est la disparition de commerces de proximité,
43:06c'est la difficulté d'accès aux soins,
43:09contrairement à ce qu'il y avait il y a 30-40 ans.
43:12C'est tout ça qui crée
43:14ce sentiment, j'allais dire,
43:19malsain entre le rural et l'urbain.
43:21Et il faut cesser d'opposer le rural et l'urbain.
43:24Le rural a besoin de l'urbain,
43:26et nous, nous avons besoin du rural dans tout ce qu'il offre
43:28en matière d'artisanat, d'agriculture,
43:32de paysage, etc., pour aller nous oxygéner.
43:35Alors, il me paraît bon d'avoir un point de vue d'un ancien
43:38sur cette question, et on poursuivra notre conversation.
43:41Je vais donner la parole, si je puis dire,
43:43à Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Ville.
43:48En gros et en moyenne par an,
43:50moins de 8% des crédits affectés à la rénovation urbaine
43:55arrivaient réellement sur le site,
43:57et on sait que quand il y a peu d'interventions,
44:00la situation ne fait que se dégrader.
44:02Alors, les moyens, vous les connaissez,
44:04vous les avez votés.
44:06Pour la 1re fois dans l'histoire de la République,
44:08pour qu'il y ait de la durée dans les financements,
44:10une loi de programmation de 5 ans.
44:13Pour la 1re fois dans cette loi de programmation,
44:15un minimum annuel des engagements de l'Etat.
44:19Sur la méthode, premièrement,
44:21on est sorti des 11 ou 12 procédures de l'Etat
44:24qui permettaient parfois de décaler.
44:26C'est un outil unique, transparent,
44:29un établissement public industriel et commercial
44:32co-géré avec tous les partenaires,
44:34les collectivités locales, le monde HLM
44:36connaissent exactement l'état de chacun des dossiers.
44:40D'ici l'été prochain,
44:42toutes les villes qui ont des sites de rénovation urbaine
44:46auront une convention claire
44:48avec du véritable argent affecté pendant des années.
44:51Le programme global de 30 milliards,
44:54qui peut paraître gros, 30 milliards d'euros au total,
44:57mais qui est au moins à l'échelle de notre problème,
45:00ce programme sera tenu minute après minute.
45:05Alors, Emmanuelle Cosse,
45:06vous voyez que les problèmes sont anciens.
45:09Qu'est-ce que vous en dites ?
45:11Les problèmes sont anciens, mais qu'est-ce que j'aimerais ?
45:14Qu'aujourd'hui, on soit exactement dans ce que décrit Jean-Louis Borloo.
45:18Il expliquait en 2003 ce qu'allait être cet outil formidable,
45:21l'agence de rénovation urbaine,
45:23à un moment où l'Etat tenait encore parole sur les budgets.
45:26Vingt ans plus tard, et sans rentrer dans le débat,
45:30ces programmes de rénovation urbaine nous ont quand même permis
45:33de vraiment recoudre, reconstruire,
45:36d'ailleurs dans des villes moyennes comme dans des grandes métropoles,
45:39et de changer un peu la donne sur les enjeux de ségrégation sociale,
45:43même si on est vraiment très loin du compte encore.
45:47Mais je dois dire, c'est aussi parce qu'on partait de très loin.
45:50Et je voudrais faire le lien avec ce qui a été dit tout à l'heure,
45:55notamment par Boris Ravignon et d'autres.
45:58Aujourd'hui, on ne parle pas des infrastructures,
46:00mais moi, je crois qu'un des sujets, notamment dans la relation à l'Etat,
46:04c'est comment il aide les territoires à avoir les infrastructures
46:07nécessaires à son maintien ou son développement.
46:11On a des métropoles, je pense notamment à la métropole de Lyon,
46:13qui a d'autant plus grossi qu'on a complètement asséché
46:17les infrastructures de transport envers Saint-Etienne et envers Grenoble.
46:21Et en fait, aujourd'hui, ce qui manque,
46:24c'est une capacité que des gens puissent s'installer dans des villes
46:27où on vit correctement,
46:29qui sont parfois encore épargnées par la spéculation immobilière,
46:32ce qui n'est pas toujours le cas,
46:33mais qui ont des infrastructures pour aller travailler,
46:36pour avoir une vie culturelle, voire aller dans des formations.
46:41Et c'est un débat, je pense, très important,
46:43et y compris dans l'enjeu de la réindustrialisation.
46:46Tout à l'heure, François Leclerc parlait du Louvre-Lens.
46:49Pour bien le connaître, moi, je ne crois pas que c'est un symbole.
46:52J'ai beaucoup travaillé sur le programme de l'ERBM,
46:57qui est le renouveau pour le bassin minier.
46:58Le sujet, au-delà du Louvre-Lens, qui est en effet une image très forte,
47:03on amène un musée dans un territoire qui était vraiment en difficulté,
47:06c'est comment on ramène de l'infrastructure
47:09les capacités à réindustrialiser,
47:11et je le dis quand même, derrière des logements.
47:13Parce qu'aujourd'hui, ce qu'on ne dit pas quand même,
47:15c'est que même dans la ville moyenne,
47:17dans la ville loin de la métropole,
47:19et notamment dans ces secteurs où on va réindustrialiser,
47:22on ne sait pas comment loger les gens qui vont arriver pour prendre ces emplois.
47:25Et donc, ce qui était dit tout à l'heure
47:28sur les enjeux de la spéculation immobilière,
47:31qui nous gangrène, pas simplement la métropole,
47:33ça gangrène énormément de villes moyennes aujourd'hui,
47:36il faut aussi qu'on regarde comment, derrière ce qui était dit sur le marché,
47:40comment il a façonné la ville,
47:41comment demain, ces enjeux de spéculation immobilière
47:43pourraient façonner aussi une ville inégalitaire, fermée,
47:47et surtout excluante de toutes celles et ceux qui veulent y faire leur vie.
47:51Oui, Boris Ravignon voulait intervenir.
47:54Oui, tout à fait, parce que je pense que,
47:56pour rebondir aussi sur ce que disait Ellen Peskin,
47:59sur, finalement, la critique d'un étalement urbain
48:02et la nécessité, effectivement, pour les villes,
48:04de reconstruire la ville sur la ville et de...
48:07Alors, pour y accueillir des habitants en plus,
48:10on a une population française qui va continuer à croître
48:12encore dans les années qui viennent.
48:14Si on combine ça avec la nécessité de lutter contre l'étalement urbain,
48:17on va avoir des villes plus denses.
48:20Eh bien, il faut, et là, je me permets...
48:23Il faut se tourner vers les urbanistes et les architectes.
48:26Il faut qu'on arrive ensemble à inventer une ville
48:28qui soit plus dense, tout en restant aussi agréable
48:31et tout en étant toujours aussi belle,
48:33parce que je crois que c'est aussi quelque chose
48:36qu'on vient chercher en ville.
48:38On n'en a pas parlé jusqu'à présent, mais nos villes sont belles.
48:41C'est pas un hasard si la France est une puissance touristique,
48:44et pas seulement Paris, mais toutes ces villes.
48:47Et donc, l'esthétique, la capacité à loger les gens ensemble
48:50sans qu'ils soient les uns sur les autres...
48:52On a fait tellement de bêtises, j'ai l'impression,
48:55pendant des décennies, et une partie de la rénovation urbaine
48:58a consisté, quand même, à solder des erreurs urbanistiques...
49:02Je ne suis pas un spécialiste du sujet,
49:04mais j'ai vu ce qu'on a détruit dans ma propre ville,
49:07qui étaient des usines à habiter
49:09et qui étaient, pour le coup, totalement inhabitables.
49:12Et donc, vraiment, là, je crois qu'il y a un bel enjeu
49:15collectif de société qui est d'essayer de poursuivre
49:18cette croissance des villes sans qu'elle soit invivable, ingérable.
49:22Il y a aussi plein de problèmes à la ville.
49:24Je ne vais pas m'étaler sur la question,
49:26mais on a un défi de sécurité dans nos villes
49:29qu'il faut aussi être capable de tenir,
49:31parce que ça tient encore à l'écart,
49:33ou ça fait vivre des gens dans des conditions désagréables.
49:37Le temps échu à cette émission est là,
49:39donc il nous reste très peu de temps.
49:41On va conclure.
49:42Je vous laisserai 30 secondes,
49:44une minute au maximum à chacun d'entre vous,
49:47pour conclure sur une note un peu plus positive.
49:50Repenser la ville, remettre la ville au coeur d'un projet
49:55à la fois politique, architectural, humaniste, etc.
50:00A votre avis, est-ce qu'il faut associer dans ce travail
50:04à la fois des architectes, les urbanistes, les politiques ?
50:08En une minute, pour chacun d'entre vous,
50:11mais pas plus.
50:12Voilà, M. Leclerc, qu'est-ce que vous en pensez ?
50:15Je compte beaucoup sur l'Etat, déjà,
50:17pour faire une vraie politique d'aménagement du territoire.
50:20Autour de l'emploi, etc., parce que c'est un peu le fondement.
50:24Je compte beaucoup sur les maires,
50:26pour avoir envie de construire, ce qui n'est pas toujours le cas,
50:30parce qu'il y a un côté malthusianien des maires
50:32qui est un peu sans substantie.
50:34Donc, de dire, on va réinventer nos villes
50:37avec un peu plus de monde et surtout de l'émotion,
50:40pour rester un peu ce vent de liberté,
50:42de beauté de la ville qui fait appel.
50:44Merci, je retiens le mot émotion, Mme Pesquine.
50:48Je voudrais répondre sur ce que disait Jean-Louis Borloo,
50:51parce que...
50:52Très vite, écoutez, je vous limiterai à une minute,
50:55et j'en suis désolée.
50:57Ce qui a été très puissant dans la politique de la ville,
51:00qui était la politique vis-à-vis des quartiers des grands ensembles,
51:03et puis, désormais, aussi, des quartiers anciens dégradés,
51:07c'est la géographie prioritaire.
51:08C'est un terme un peu technique,
51:10mais c'était l'idée d'une géographie prioritaire
51:13d'intervention de l'Etat avec des outils associés,
51:16de la rénovation urbaine,
51:17dont parlait Jean-Louis Borloo.
51:19Dans les enjeux d'aujourd'hui,
51:21vieillissement, dégradation du bâti, réchauffement climatique,
51:24il faut réinventer cette géographie prioritaire
51:27et trouver les outils et les moyens d'intervention,
51:30on l'a fait sur les villes moyennes,
51:32et assumer que l'Etat a aussi un devoir de sublégarité,
51:35là où les enjeux sont trop forts.
51:37Le vieillissement de la population
51:39va être un énorme enjeu pour beaucoup de collectivités,
51:42du littoral, de la montagne, du réchauffement des centres anciens.
51:45Merci d'aménager.
51:47Merci. Emmanuelle Cosse, vous plaidez pour quoi ?
51:50Moi, je plaide pour un retour de la puissance publique,
51:53qu'elle soit nationale ou locale,
51:55dans cet enjeu d'aménagement
51:58et de modernisation de nos lieux de vie.
52:01Et ensuite, je pense qu'il faut
52:04qu'on soit capable d'avoir une ville désirable,
52:08que ce soit une grande métropole
52:09ou une ville moyenne de 10 000 habitants.
52:12La question, qu'on ait une égalité des chances
52:15à cette occasion.
52:16Et enfin, je pense que si vous avez un joli panel,
52:19on pourrait tous ensemble produire
52:21beaucoup d'intelligence sur la ville de demain,
52:23mais il manque juste quelqu'un, c'est l'habitant et l'usager,
52:26que nous sommes nous-mêmes.
52:28Mais c'est aussi intéressant
52:30qu'on accepte de réfléchir
52:32avec ceux qui font le quotidien de ces territoires.
52:35C'est très exigeant, parfois très compliqué,
52:38parfois on se fait beaucoup engueuler,
52:40mais en même temps, quand on le fait,
52:41à chaque fois, on a des résultats qui sont bien meilleurs.
52:44Merci, madame Cosse, d'avoir introduit l'usager.
52:47Marc Ricourt, un mot de conclusion ?
52:51Écoutez, je crois que l'État a une responsabilité
52:55en direction de tous les territoires,
52:56qu'ils soient urbains ou ruraux,
52:59mais en particulier en direction des villes moyennes,
53:01des agglomérations moyennes, sur des champs régaliens,
53:05qui sont la sécurité, qui sont la justice,
53:09l'éducation et la santé.
53:11Et là, nous sommes, de façon factuelle,
53:14et je le regrette, maltraités,
53:17avec des effectifs de police qui sont insuffisants,
53:20voire en baisse, alors que les problématiques
53:23d'incivilité et de délinquance sont en progression.
53:26Donc, ça, c'est un sujet majeur
53:29pour préserver tout simplement aussi
53:31la qualité de vie dans nos villes.
53:32Et donc, c'est tout ça qui va nous permettre
53:34de rester des territoires dynamiques,
53:37attractifs, écologiques,
53:39parce que nous portons un volontarisme
53:41dans ces domaines.
53:42Et puis, la solidarité,
53:45parce que les villes,
53:47ça a été dit aussi tout à l'heure, et c'est important,
53:49sur le plan démographique, nous sommes les territoires,
53:52les lieux de vie qui concentrent le maximum
53:55de diversité sociale et culturelle,
53:57avec des enjeux qui sont majeurs pour nous
53:59dans le portage de politiques publiques plus volontaristes.
54:02Donc, il faut que nous ayons les moyens aussi
54:04de porter ces politiques publiques
54:06pour garantir la paix sociale, j'allais dire,
54:09et le bien-vivre ensemble.
54:11Merci d'avoir apporté cette qualité de vie.
54:13Boris Ravignon ?
54:14Je crois simplement que les villes françaises
54:17ont un bel avenir devant elles,
54:18à condition, effectivement,
54:20qu'on travaille tous ensemble,
54:22les urbanistes, les architectes, les élus,
54:26avec le soutien de l'Etat,
54:28et effectivement, les représentants des habitants,
54:31de nos habitants, mais régulièrement,
54:33tous les six ans, on se confronte à leurs exigences
54:36et c'est tout à fait légitime,
54:38à condition que nos villes sachent, effectivement,
54:40préserver leur prospérité,
54:42rester belles et être sûres,
54:45être des lieux où on se sent toujours,
54:47aujourd'hui, en sécurité.
54:49Merci. Pour vous, Pierre Vermeuren.
54:51Je suis d'accord avec beaucoup de choses
54:53qui viennent d'être dites il y a peu de temps.
54:55Je voudrais terminer par un problème culturel.
54:58On a construit 8 millions de pavillons en France
55:00dans les 60 dernières années.
55:02Il reste 7 millions de maisons ou d'appartements en pierre.
55:05Il faudrait, si vous voulez...
55:06Or, on visite, aujourd'hui, des chœurs de villes,
55:09notamment petites et moyennes,
55:11où ce patrimoine est littéralement tombe.
55:13Et donc, si vous voulez,
55:15on sait aujourd'hui les méfaits du pavillonnage
55:18et on peut peut-être cibler les jeunes générations
55:21pour leur expliquer que c'est pas un garde
55:23à 8 millions en pierre
55:24et que les politiques publiques le font déjà en partie.
55:27C'est ce qui fait que la France est belle
55:29et que les villes sont belles.
55:31Les touristes vont peu dans la France pavillonnaire.
55:34Par rapport à ce que vous disiez, les programmes prioritaires d'habitants,
55:38il faut resserrer sur le chœur de ville
55:40et s'intéresser à cette partie qui fait la ville française
55:43telle qu'on la connaît et que les touristes la cherchent.
55:46Bref, bibliographie.
55:47Je vais donner la parole à Marc Gricourt
55:51à propos des rendez-vous de l'histoire de Blois,
55:55dont le thème est la ville, cette année.
55:59En un mot, monsieur...
56:00La 27e édition des rendez-vous de l'histoire.
56:04C'est un festival autour de l'histoire
56:08qui est unique en France
56:10et qui, depuis une dizaine d'années, comprend un cycle économie
56:15que nous avons partagé avec la Chambre de commerce et de l'industrie
56:18et qui, aujourd'hui, connaît un beau succès.
56:21On commence dès le mercredi par l'économie dans les rendez-vous
56:25et ensuite, les rendez-vous de l'histoire qui débarquent le vendredi
56:29sur la thématique, cette année, de la ville.
56:31À n'en pas douter, au regard de la richesse des échanges
56:34que nous avons eus,
56:36le foisonnement des débats, des conférences
56:41va nous enrichir encore sur ce qu'on peut imaginer demain
56:46pour nos villes, qu'elles soient petites, moyennes ou plus grandes.
56:49En tout cas, c'est un rendez-vous important
56:52qui rassemble plus de 50 000 festivaliers,
56:54donc je vous invite, si vous n'êtes jamais venus,
56:56n'hésitez pas à venir à Blois sur cette période du 9 au 13 octobre.
57:00Merci, M. le maire.
57:01Alors, il me reste peu de temps.
57:03Je signalerai en bibliographie cet ouvrage,
57:07Redirection urbaine de Sylvain Griseau.
57:11Est-ce qu'en un mot, chère madame,
57:15est-ce que vous pouvez nous dire de quoi il s'agit ?
57:17Oui, il s'agit d'un récit positif
57:19de solutions d'adaptation des villes aux enjeux contemporains,
57:22notamment le changement climatique,
57:24puisqu'il présente les choses sous l'angle des 30 glorieuses passées
57:28qui se présentent aujourd'hui sous la forme de 30 turbulentes
57:31avec des années jusqu'à 2050
57:32où on ne sait pas très bien à quoi on va devoir faire face.
57:34Et c'est le récit, je trouve, très stimulant
57:37d'un certain nombre de projets qui ont montré
57:38qu'on pouvait faire différemment la ville,
57:40notamment en la reconsidérant sur elle-même
57:42et en la gardant dans son esprit de liberté,
57:44dont vous parliez tout à l'heure.
57:46Merci, Hélène Peskin.
57:47Pierre Mermeren, vous avez publié
57:49l'impasse de la métropolisation.
57:52Ca peut se définir en une phrase ?
57:55On a dit beaucoup de choses.
57:57Je crois que la métropolisation a été portée au pinacle.
58:00Et puis, on se rend compte aujourd'hui
58:02de toutes ces externalités, entre guillemets, négatives,
58:04parce que la grande ville, c'est le lieu de la vie, de la liberté.
58:07Mais on a externalisé la production et le transport
58:10et la logistique dans les campagnes.
58:12Il faut peut-être rééquilibrer un peu la charge.
58:14Merci, Pierre Mermeren.
58:15Alors, il me reste à vous remercier.
58:18Merci, mesdames, merci, messieurs,
58:21d'avoir coanimé cette conversation fort enrichissante.
58:25On n'a pas pu tout aborder,
58:26mais ce sera peut-être dans une prochaine émission.
58:30Je voudrais remercier l'équipe de LCP,
58:32qui a permis la réalisation de cette émission.
58:36Et je vous dis à toutes et à tous, à bientôt.
58:40Merci.

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