• il y a 2 mois
Transcription
00:00Bonjour Béarnice Bégeaud, vous êtes actrice franco-argentine arrivée en France avec vos
00:04parents alors que vous n'aviez que trois ans. Ils ont fui la dictature militaire. En 2012,
00:08vous avez marqué les esprits, le public et le métier avec votre rôle de Pépi Miller dans
00:12le film muet en noir et blanc The Artist de Michel Hazanicius, ce qui vous a valu de recevoir
00:17le César de la meilleure actrice et de concourir d'ailleurs pour l'Oscar. Un an plus tard, vous
00:22avez reçu le prêt d'interprétation féminine du Festival de Cannes pour le drame Le Passé de
00:26Hajgar Farhadi, un moment assez marquant d'ailleurs. De vos premières apparitions dans
00:30les courts métrages, je pense évidemment à Pain perdu en 1993, on remonte, au film engagé iranien
00:35Le Passé en passant par The Artist ou Rebelle pour Pixar. Alors là, on est complètement et
00:39diamétralement à l'opposé. Votre sourire n'a jamais cessé d'irradier tout comme votre passion
00:44d'inhéritage de votre père cinéaste et l'amour du jeu et du cinéma n'ont jamais faibli. Aujourd'hui,
00:48vous êtes au cœur de la pièce Les gens de Bilbao naissent où ils veulent de Maria Laria à partir
00:53du 11 octobre. Ce sera au Théâtre Marigny. C'est votre retour sur les planches et on sent que le
00:59théâtre, c'est autre chose pour vous. Que de revenir aujourd'hui, ça apporte une émotion
01:04particulière. Oui, alors c'est rigolo de dire c'est mon retour sur les planches. J'y étais
01:08qu'une fois professionnellement. Mais oui, on va dire que c'est mon grand retour. Et en fait,
01:13ça me convient le théâtre parce qu'il y a beaucoup de travail et j'aime travailler. Donc
01:18je m'ennuie sur un plateau au bout d'un moment si je ne travaille pas. Et on travaille, on affine,
01:23on recommence la scène et on recommence encore et encore et encore. Ça fait six semaines que je
01:26travaille et du coup, je creuse, je cherche, je cherche en fait tout le temps et ça m'amuse.
01:32Et c'est vrai que quand je fais un film, ce qui m'intéresse, c'est les deux mois d'avant où je
01:36cherche, je pose des questions aux réalisateurs, je l'embêche, je dis non mais là ça marche pas,
01:39là j'y crois pas, là ça fonctionne pas. Et c'est tout ce truc là qui me rend vivante, je crois,
01:46et qui me fait aimer mon métier. Vous incarnez sur scène tous les personnages de l'auteur.
01:51Une fille d'immigré espagnole qui a ressenti le besoin d'enquêter sur le passé de ses parents
01:56parce qu'un jour elle a appris qu'elle avait été adoptée. Il y a une énorme caisse de résonance
02:00avec votre vie. Vous n'avez pas été adoptée, je le précise, parce que je ne voudrais pas non
02:04plus qu'on n'imagine que. Mais en tout cas, effectivement, ça vous renvoie à l'héritage
02:07transmis par vos parents qui ont fui l'Argentine, qui ont fui la dictature. Est-ce que c'est l'une
02:13des raisons pour lesquelles vous avez dit oui ? Oui, c'est vrai que c'est une histoire qui m'a
02:17beaucoup touchée pour plein de petites choses. Par exemple, quand elle parle de la nourriture
02:22de ses parents, ce qu'ils mangeaient, ce que je mange moi. Et l'Espagnol aussi. Il y a beaucoup
02:27d'Espagnols. Ils sont argentins. Et ça m'a touchée. Je me suis dit, c'est marrant. Tous
02:33les exilés, ils ont quelque chose en commun. Tous les migrants, tous les gens qui partent
02:38pour une raison politique, généralement politique. C'est dur de partir, de venir faire sa vie,
02:46de se faire des nouveaux amis, de trouver un travail, de s'intégrer. C'est pas facile,
02:52en fait. C'est pas facile. Mais moi, à la différence de Maria Larrea, je venais de l'Argentine.
02:56Et l'Argentine, les Français, ils adorent. Et ça les fait rêver. Donc très vite, moi,
03:02c'était positif. Oh, t'es née en Argentine, à Buenos Aires. Les hommes et les femmes sont trop
03:08beaux. Il y avait tout un truc. Alors que Maria Larrea, elle vient d'Espagne. Et il y avait
03:13un racisme, quand même, avec les Espagnols, les Portugais, quand j'étais petite, qui est un peu
03:20moins aujourd'hui. Et du coup, elle, elle a vécu des choses un peu... Voilà, elle se sentait pas...
03:25Elle arrivait pas à s'intégrer. Moi, c'était cool, quoi. Moi, je venais d'Argentine, quoi.
03:29C'est vrai que quand on regarde un peu, vous avez toujours... Vous avez commencé par des
03:35courts-métrages. Et il y a, à un moment donné, Gérard Juniau qui croit en vous, qui vous confie
03:39ce rôle, meilleur espoir féminin. C'est votre premier grand rôle. Vous comprenez, à ce moment-là,
03:44que... Voilà, qu'il se passe quelque chose et que vous êtes en train de franchir un cap ?
03:49Ouais. Ouais, ouais. Je le comprends. Je le comprends. Et les deux premières semaines sont
03:54horribles. Parce que j'ai peur, en fait. J'ai tellement peur de pas y arriver, de pas être à
04:01la hauteur, de... Je me mets une pression de fou. Et je pense que c'est ce qui a aussi plu à Gérard
04:06Juniau. Mais j'ai régulièrement eu, dans ma carrière, des moments où j'ai eu peur. Donc, c'était
04:13Meilleur espoir féminin, OSS 117. J'ai vraiment eu très peur. C'est une révélation aussi pour le
04:18public, hein, à ce moment-là. Ouais. Et Asghar Farhadi, où j'ai eu très peur. À chaque fois, peur qu'on me
04:25dise « Ah, en fait, ça va pas le faire. En fait, elle est pas si bonne. En fait, ouais, elle est jolie,
04:31elle est sympathique. Mais elle manque un peu de... Voilà, elle manque de technique. Ouais. C'est ces trois
04:37moments de ma vie où j'ai eu peur. Et maintenant. Il y a eu The Artist. Alors là, c'est un énorme
04:42raz-de-marée. Au début, personne n'y croyait, à ce film. C'est quand même assez incroyable. Muet, en noir
04:46et blanc. L'homme qui partage votre vie a eu mal à partir, à réussir à imposer ce film. Avec la
04:53complicité de Jean Dujardin, vous avez incarné à l'image quelque chose de différent, d'inattendu.
04:58Le succès colossal. Comment vous l'avez vécu ? Ça se raz-de-marée, finalement ? Je l'ai pas super bien vécu.
05:04J'avais plus d'anonymat. Les gens me regardaient trop. Ça prenait trop d'importance. Et du coup,
05:11j'étais un peu perdue. On nous apprend pas, en fait, à gérer les gens, quoi, qui vous aiment. Parce que
05:16c'était que des gentils gens. Et j'étais un peu froide, quoi. Et souvent, Michel, il passait derrière
05:21moi en disant « Mais non, mais bon, allez. Je vais vous faire la photo, quoi, moi. » Et donc, Michel allait faire
05:25la photo. Et moi, je rentrais le soir et je disais « Mais quelle conne. J'étais insupportable. J'ai pas été
05:31cool. Le gars, il a fait un effort surhumain pour venir me demander un autographe. » Et je l'ai regardé
05:36genre « Ben non, je suis à table avec mon mec. Donc, là, non. » Et ça, je le fais plus du tout.
05:40Ça, c'est vraiment fini. On parle du passé. Ce film, également, a marqué vraiment votre vie,
05:47Asar Farhadi, qui vous fait confiance. Là, on est dans un film, c'est un drame, avec un réalisateur
05:54iranien qui a des choses à dire et qui les dit, encore une fois, à la limite, avec beaucoup de poésie et
05:59beaucoup de dignité, encore une fois. Ça aussi, ça a été un gage de confiance pour vous.
06:03Ah ouais. Et puis surtout, après « Les artistes », où j'avais déjà travaillé deux fois avec mon mec,
06:10je me disais « Oh là là, les réalisateurs vont-ils venir me voir ? Ils vont dire ce faux truc de la
06:15muse ? » Pareil, ça s'est sorti sur MeToo, la muse, le truc, ça, c'est fini, quoi. Mais moi, je me
06:20souviens qu'au début de ma carrière avec Michel, c'est un peu « Vous êtes un peu sa muse, vous êtes
06:25un peu son mentor. » Et nous, les deux, on était jamais de la vie. Je ne suis pas sa muse, ce n'est pas
06:29mon mentor, je n'ai pas besoin de lui, il n'a pas besoin de moi pour s'inspirer. Donc, c'est vraiment
06:34un truc qui nous faisait un peu horreur. Et après ça, il y avait quand même cette flippe de se dire
06:39« Bon, est-ce qu'on va venir me chercher ? » Et en fait, Asghar, il est venu me chercher. En fait,
06:43je crois que ce qui a joué, c'est qu'on s'est vraiment parlé une demi-heure, une petite heure,
06:48et puis il me dit « Mais qu'est-ce que vous allez faire, la Bérenice ? » J'ai dit « Là, je pars en vacances.
06:52Ah ouais, ouais, six semaines en Argentine, j'emmène toute ma famille. » Il me dit « Votre famille ? »
06:56Je dis « Mon mec, mes quatre enfants. » Et là, il m'a regardé, genre, « Attends, Asghar, je devais avoir
07:02quoi ? Je devais avoir 40 ans ? Même pas, ouais, 40 ans ? Un peu moins ? Mais je faisais très jeune encore.
07:08Non, je devais avoir 36, 37. Et donc, il m'a regardé « Vous avez quatre enfants, vous ? »
07:14Et je dis « Bah oui, j'ai deux belles filles, j'ai deux enfants. La petite, elle a un an. » Et tout d'un coup,
07:20il s'est dit « Ah mais donc, en fait, elle sait. » Parce que dans le film de Faradis, je suis mère de famille,
07:26j'ai une fille de 16 ans. Et tout d'un coup, ça devenait possible. C'est qu'avec mon petit visage comme ça,
07:31qui est super, mais qui vieillit pas beaucoup, et qui... Mais vraiment, je suis ravie. Mais du coup,
07:37il y a des moments où je me dis « Mais non, mais attends. Mais moi, j'ai plus envie de jouer les petites de 25-30 ans.
07:41Parce que je faisais peut-être une trentaine d'années, j'ai envie de jouer les femmes. Je sais ce que c'est.
07:44En fait, être une mère de famille, vivre des sentiments et tout ça. Et en fait, c'est vraiment lui qui m'a donné
07:50ma première chance de rôle de femme, en fait.
07:54Il y a une chose qui ne change pas, c'est votre regard Bérénice. Il y a toujours ces petites étoiles dans les yeux,
07:59cette envie déjà de découvrir. Il y a un côté très émerveillé, quoi. Vous aimer, vous émerveiller,
08:05vous nourrir, finalement, de ce qu'on vous propose. Est-ce que, justement, la petite fille que vous étiez aime le parcours
08:12que vous avez eu ?
08:14Ouais, je crois qu'elle est bien, la petite. Elle est bien, elle est en place et tout, elle est contente.
08:20Faudrait que je retourne voir dans mes petits journaux intimes que j'ai écrivés à 11 ans, quoi.
08:23Vous avez conservé ?
08:24Oui. Je crois que ça commençait toujours par « Mon cher journal, je voudrais être actrice et un jour tomber amoureuse. »
08:31C'était que ça. J'étais vraiment très fleur bleue, quoi. Vraiment, c'était la famille et actrice. Bon, je crois que ça va.

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