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Depuis le 8 octobre 2023, la riposte d'Israël fait vivre un cauchemar aux Palestiniens. Entre bombardements et déplacements incessants, on vous raconte la réalité de ceux qui tentent de survivre dans la bande de Gaza, avec Léa Masseguin, journaliste au service International de Libération, et Jean-François Corty, président de l’ONG Médecins du monde.

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00:00Il y a un an, le 8 octobre 2023, l'armée israélienne frappait l'enclave palestinienne
00:04en représailles des attaques du Hamas du 7 octobre.
00:06Un an plus tard, les frappes israéliennes ne faiblissent pas sur la bande de Gaza et
00:10on compte près de 42 000 morts, 100 000 blessés et des centaines de milliers de palestiniens
00:14déplacés.
00:15Alors comment peut-on se rendre compte, nous, de ce que vivent les palestiniens ? Comment
00:18peut-on raconter leur enfer quand l'accès des journalistes à la bande de Gaza est rendu
00:22très compliqué ? On en parlera.
00:24On va essayer de vous expliquer ce qu'il se passe très concrètement depuis un an
00:27dans la bande de Gaza et de ce qu'est la réalité de celles et ceux qui tentent de
00:31survivre là-bas.
00:32Et pour ça, je vais te poser une première question à toi, Léa.
00:34Quand on se réveille, par exemple, ce matin, qu'on est un Gazaoui, qu'on habite dans
00:39la bande de Gaza, quelle est la réalité ? A quoi est-ce qu'on est confronté ?
00:42La première chose que j'aimerais préciser, c'est que déjà, nous, en tant que journalistes
00:48de l'Ibée, des journalistes français et plus globalement internationaux, on ne peut
00:51pas se rendre dans la bande de Gaza, étant donné que l'armée israélienne ne nous
00:57autorise pas à nous y rendre.
00:58Ce qui complique, du coup, notre travail, puisque, du coup, on ne peut pas être des
01:06témoins oculaires directs de ce qui se passe là-bas.
01:09Donc, nous, on travaille généralement avec des ONG, comme Médecins du Monde, et avec
01:19des gens qui sont encore sur place, qu'on arrive encore à joindre, parce qu'il y a
01:23des coupures de courant et des connexions Internet qui sont très mauvaises.
01:27Donc, on se base uniquement sur ces précieux témoins.
01:32Ça, c'était la première chose que je voulais préciser, parce que nous, on ne se rend pas
01:37sur place.
01:38S'il y avait, je pense, un mot qui devait illustrer à quoi ressemble la vie quotidienne
01:45aujourd'hui d'un Gazaoui, c'est vraiment la survie.
01:48La survie aux bombardements israéliens qui durent depuis un an, qui se poursuivent en
01:53ce moment.
01:54La survie en ce qui concerne la recherche de produits de première nécessité, comme
02:01la nourriture, l'eau et d'autres choses essentielles.
02:06Sachant qu'aujourd'hui, il y a un peu plus de 90% de la population Gazaoui qui est déplacée.
02:12Parfois, j'ai parlé à certaines personnes qui ont été déplacées à dix reprises.
02:17Donc, il faut imaginer ce que ça représente de quitter son foyer une première fois.
02:23On part avec quelques affaires à la hâte pour se réfugier.
02:27Parfois, on dort sur la plage, on essaye de construire une tente avec les moyens du bord.
02:34Donc, il y a à la fois ces enjeux sécuritaires et plus personnels qui entrent en jeu.
02:44Donc, c'est très compliqué.
02:45Jean-François, les contacts que tu as sur place, notamment ceux qui travaillent pour
02:49Médecins du Monde, te témoignent de cette même réalité-là ?
02:52Oui, Médecins du Monde, on travaille dans la région depuis de nombreuses années, à
02:56Gaza notamment, mais aussi en Cisjordanie et d'ailleurs au Liban.
03:00Il faut avoir en tête que Gaza, c'était déjà sous blocus pendant 17 ans et qu'ensuite,
03:06ça s'est transformé en siège quasi complet au lendemain des attaques et des atrocités
03:11du 7 octobre du Hamas.
03:14Et donc, on est passé d'une entrée d'environ 500-600 camions chaque jour, ce qui était
03:21déjà limite.
03:22Il y avait déjà un dosage très rationné des matières premières et autres qui rentraient
03:29dans Gaza, qui ensuite ont été largement diminuées.
03:33En ce moment, il n'y a pratiquement pas de camions qui rentrent.
03:35Et puis, d'un mois à l'autre, on est à 50-150 camions chaque jour.
03:40Donc, l'aide est largement sous-proportionnée par rapport à la réalité des besoins.
03:47On est quand même dans un contexte de bombardements intensifs qui ont détruit la plupart des
03:54structures essentielles, celles qui produisent de l'eau potable, de l'électricité.
03:58C'est une destruction aussi des dispositifs de soins, des hôpitaux.
04:04Il y en avait 36 qui étaient opérationnels.
04:05Aujourd'hui, il y en a une quinzaine qui fonctionne bon en mal en, avec beaucoup de
04:09ruptures de médicaments, avec un personnel qui est fatigué.
04:13Et puis, les équipes qui sont, y compris celles de Médecins du Monde, et aujourd'hui,
04:20c'est environ 70 personnes qui travaillent à Dharabala, au centre de Gaza.
04:25C'est des équipes qui, comme les civils, ont été déplacées à plusieurs reprises.
04:29La plupart étaient dans le nord, elles ont descendu dans le sud sur Agnounès, ensuite
04:33sur Afar.
04:34Ensuite, elles ont dû remonter sur Dharabala ou al-Mawazi, qui sont des zones dites humanitaires.
04:40On y reviendra.
04:41Elles n'ont d'humanitaires que de nom, ça n'a pas grand sens.
04:46Et de fait, depuis un an, il n'y a pas de lieu sûr à Gaza, en fait.
04:52Déjà, en décembre 2023, on a estimé à 30% les mortalités, y compris dans le sud.
04:59C'est-à-dire que, même quand on disait aux personnes de se déplacer, elles savaient
05:03très bien qu'elles couraient les risques de mourir sous les bombes ou sous les snipers.
05:08Donc, y compris nos équipes, aujourd'hui, sont en tension dans la recherche de nourriture,
05:15d'eau.
05:16La plupart dorment aussi dans des tentes, parfois dans les voitures quand il en reste
05:20ou parfois plusieurs dans des appartements, plusieurs familles, mais c'est rare.
05:23Et malgré tout, elles essaient de conduire des opérations pour les médecins du monde
05:29de santé primaire, de soins psychologiques, notamment de prise en charge de la malnutrition.
05:35Aussi, on essaye de s'associer à des campagnes de vaccination, notamment pour la polio qui
05:40est revenue.
05:41Il faut avoir en tête qu'on est revenu à l'âge de pierre du fait de ce contexte
05:46de blocus et de sièges, du fait des bombardements massifs.
05:50Et donc, les populations, aujourd'hui, sont exsangues et ce n'est pas pour rien que dans
05:57ce contexte, on a des retours d'épidémies de la malnutrition, des épidémies de diarrhée,
06:02de polio qui avait disparu il y a 25 ans et qui montrent bien qu'au niveau sanitaire,
06:08au niveau de la santé, on est revenu, j'irais, 300 ans en arrière.
06:14Et ça, c'est une situation catastrophique et c'est d'autant plus catastrophique que,
06:20par exemple, nos équipes ne peuvent pas sortir, elles sont prisonnières, que les 2,2 millions
06:25de personnes sont prisonnières, elles étaient déjà sous blocus avant le 7 octobre.
06:29Donc, quand l'armée israélienne a décidé de bombarder massivement, elles n'ont pas
06:33pu sortir.
06:34Et ça, il faut avoir en tête ça parce que ça distingue des sièges et des blocus qu'on
06:38a pu voir ailleurs, à Alep ou notamment à Mariupol en Ukraine, le récent épisode
06:44de ce type où, en gros, les classes moyennes, familles, enfants, savent qu'il va y avoir
06:48un siège dans le temps où on peut partir dans le pays, d'ailleurs, il y a eu plusieurs
06:52millions de déplacés et de réfugiés en Ukraine et en général, dans ces villes sujettes
06:56aux sièges, il reste des soignants, parfois des combattants, parfois des personnes âgées
06:59ou des gens qui sont en rupture de relais social, de solidarité.
07:03Là, non, personne n'est pas fait partir, c'est pour ça que vous avez au bas mot 40
07:07000 morts et je pense qu'on peut multiplier par 3 ou par 5 parce que ça ne comptabilise
07:10pas les gens restés sous les décombres, ça ne comptabilise pas tous les morts liés
07:14aux défauts de soins et donc vous avez beaucoup de femmes, beaucoup d'enfants, y compris
07:19en bas âge, on a plusieurs centaines de nourrissons qui sont tués aussi et donc ces gens-là
07:27sont pris au piège en fait, pris au piège des bombardements, pris au piège du manque
07:33de tout et c'est pour ça que cette situation est catastrophique et que selon certains
07:38rapports notamment des Nations Unies qui rappelaient qu'il y avait une famine probable qui se
07:43propageait dès janvier depuis le nord jusqu'au sud avec beaucoup d'enfants malnutris, objectivés
07:50notamment par les Nations Unies et nous, nous en avons beaucoup dans nos consultations,
07:54cette famine n'est pas liée à une catastrophe climatique, elle est liée à une intention
07:57politique, elle est liée à un siège, à un blocus qui permet de dire à certains acteurs
08:01des Nations Unies qu'on est sous une forme de violence de probable nature génocidaire.
08:06Il y a une photo que je voulais vous montrer parce que là tu évoques ces bombardements,
08:10alors dans Libération on essaie aussi de couvrir ce qui se passe à Gaza en reliant
08:15des photos de photo-reporteurs qui sont présents sur place, il y a une photo que je voulais
08:18vous montrer, c'est celle-ci, une photo qui a été prise à Ranyounès et qui montre
08:24du coup ce décor assez apocalyptique, ma question moi c'était de savoir est-ce que
08:30ce décor-là on le retrouve partout dans la bande de Gaza, est-ce qu'on a des bâtiments
08:34comme ça détruits partout, quelle est la situation, est-ce qu'il y a des situations
08:37assez différentes entre le nord, le sud, ou est-ce que ça reste des décors comme
08:41ça vraiment partout ? La bande de Gaza elle a été quasiment rayée
08:47la carte, on estime qu'il y a au moins 70% de destruction des infrastructures essentielles
08:52comme j'évoquais et de l'habitat, ce qui laisse dire d'ailleurs à certains qu'à
08:57la fois la famine et à la fois la destruction du bâti fait partie d'une stratégie de
09:04guerre totale assumée, et donc vous avez des quartiers entiers qui sont rasés, c'est
09:08des bombes de plusieurs tonnes qui ont été lâchées à plusieurs reprises sur l'ensemble
09:13du territoire, mais c'est vrai qu'il y a des zones sur lesquelles on peut difficilement
09:17aller, par exemple le nord c'est un endroit qui est compliqué et on sait qu'il y a environ
09:21400 000 personnes qui sont bloquées, certains n'ont pas pu se déplacer parce qu'il y a
09:26souvent des personnes âgées qui estiment qu'elles préfèrent mourir là plutôt que
09:29d'aller se faire sniper sur la route en descendant vers le sud, d'autres simplement parce qu'ils
09:33ont peur de se déplacer, il faut imaginer que vous n'êtes jamais à l'abri d'un drone,
09:39d'un sniper, c'est tout petit la bande de Gaza, c'est 40 km de long sur deux larges
09:44donc voilà, et c'est difficile pour les humanitaires de pouvoir travailler sur l'ensemble du territoire,
09:49on est plutôt focalisé nous sur des zones dites humanitaires, j'évoquais tout à l'heure,
09:54d'ailleurs ce terme il ne veut pas dire grand chose parce qu'en fait, on va dire un droit
09:58international humanitaire, ce droit qui est censé un peu humaniser la guerre, protéger
10:02les civils et les aidants, les zones humanitaires elles doivent être décrétées par les différents
10:07acteurs partis pour prendre au conflit, là c'est des zones humanitaires qui sont unilatéralement
10:11décrétées par les forces israéliennes et où il y a d'ailleurs régulièrement des
10:15bombardements, il y a eu plusieurs morts à plusieurs reprises et donc ces zones n'ont
10:19d'humanitaires que le nom même si elles sont moins sujettes à des bombardements que d'autres
10:23lieux et donc vous avez aujourd'hui probablement un million, un million et demi de personnes
10:30qui sont concentrées sur un territoire très petit, on n'est plus sur déjà 40 km sur
10:348 de long qui est l'ensemble de la bande de Gaza, on est sur des territoires qui sont
10:38largement plus restreints et si vous dans ces conditions vous considérez que la plupart
10:42du bâti est détruit, vous pouvez imaginer aussi que tout ce qui relève des eaux usées,
10:48des poubelles, c'est plus géré, les services publics sont plus...
10:50Oui on aura l'occasion d'en parler, ça c'est aussi des conséquences.
10:52Et qu'il y a une insécurité aussi majeure parce que l'état de droit n'est plus fonctionnel,
10:56il n'y a plus de forces de police et autres, c'est une zone qui est en fait Gaza qui est
11:00invivable aujourd'hui.
11:01Pour revenir sur la situation dans le nord parce qu'il y a vraiment une différence
11:07entre le sud où il y a plus d'un million de personnes qui sont entassées et le nord
11:12où la situation est... le sud est catastrophique mais le nord encore plus, hier je recevais
11:17un communiqué de Médecins Sans Frontières que j'ai noté ici qui disait que le nord
11:22de Gaza était devenu un désert invivable, vidé de ses habitants, il n'y a plus aucun
11:27camion humanitaire ni de camion commercial qui a pu entrer dans le nord de l'enclave
11:33depuis le 1er octobre, sachant que du coup les habitants se nourrissent quasi exclusivement
11:41de boîtes de conserve, que tout est détruit, on peut imaginer...
11:47Parce que ça se passe comment justement, normalement, l'acheminement de colis humanitaires,
11:51le ravitaillement aussi des populations ?
11:52A travers les checkpoints, sauf qu'il y a le checkpoint notamment de Rafah, tu me dis
12:00si je me trompe Jean-François, qui a été fermé en mai et qui permettait d'acheminer
12:05un minimum d'aides mais qui ne fonctionnent plus, le reste des checkpoints sont ouverts
12:11par intermittence, il y a très peu de camions humanitaires qui entrent, il y a encore quelques
12:18camions commerciaux, tu pourras peut-être y revenir ensuite, mais voilà, il y a des
12:24restrictions ultra sévères de la part des autorités israéliennes au checkpoint, c'est-à-dire
12:30qu'il y a des fils qui font plusieurs kilomètres de camions qui attendent de pouvoir entrer,
12:36qui parfois n'entrent jamais, les camions sont fouillés et parfois on leur refuse l'entrée
12:42pour des raisons assez obscures, on estime que certains produits peuvent être utilisés
12:48par le Hamas à des fins militaires, comme on en discutait tout à l'heure, comme des
12:52tuyaux qui pourraient servir à réparer des sanitaires ou des choses assez délirantes.
13:03Oui, en fait, je l'évoquais tout à l'heure, on était à 500-600 camions avant le 7 octobre
13:092023 qui rentraient quotidiennement dans Gaza, ce n'est pas un territoire autosuffisant,
13:14il y a un peu d'agriculture mais la plupart des terres ont été défoncées par les bombardements
13:19ou par des bulldozers, les pêcheurs ne peuvent plus pêcher, les bateaux, les ports ont été
13:24aussi détruits, donc ils dépendent essentiellement de l'aide extérieure.
13:29Et beaucoup d'associations, des Nations Unies, même des Etats ont prépositionné énormément
13:34de matériel, rappelez-les, c'est des centaines, des centaines de camions, de containers qui
13:38sont prépositionnés, notamment à l'Al-Rich, côté Égypte, et puis on a aussi positionné
13:43nous du matériel à la fois en Égypte mais aussi en Israël, il faut imaginer que depuis
13:482011-2011, on n'a pu faire rentrer que 4 camions, les médecins du monde, pourtant
13:52on a du matos, on a de l'argent, on a des ressources.
13:55Qu'est-ce qui empêche très concrètement ces camions de rentrer ?
13:57C'est les contrôles, c'est les contrôles israéliens qui empêchent l'entrée de matériel,
14:01qui filtrent.
14:02Donc c'est l'armée israélienne qui voit un camion arriver par exemple de médecins
14:05du monde et qui dit là vous n'allez pas rentrer ?
14:06Oui absolument, soit parce qu'il y a dedans des matériaux qui ne sont pas sur une liste
14:13autorisée, soit parce qu'il n'y a pas d'autorisation administrative.
14:17On estime, c'est très variable, entre 50-150 camions par jour selon les périodes et encore
14:25une fois ces camions qu'on évoque ne sont pas tous relatifs à de l'aide.
14:30Il peut y avoir aussi du business, il y a encore du business dans cet enfer, ce qui
14:34est assez paradoxal et étonnant, vous pouvez avoir n'importe quoi mais un camion, dans
14:38les 50 camions qui rentrent chaque jour, vous allez en avoir 2 qui vont entrer avec de la
14:43mousse à raser ou j'en sais rien, parce qu'il y a encore un peu de business qui fonctionne
14:47et donc ça ne répond pas aux besoins globaux de matières premières.
14:52Ce qui est dramatique aussi dans cette situation c'est qu'on a eu beaucoup d'instrumentalisation
14:58de la raison humanitaire des états notamment américains.
15:01Pourquoi je dis ça ? Parce qu'ils nous ont expliqué qu'ils voulaient faire un corridor
15:05maritime en envoyant des bateaux depuis Chypre pour essayer de détourner ce siège.
15:10Ce corridor il n'a pas fonctionné, il y a eu des intempéries, ça a merdé et en
15:15juillet ils ont estimé que ça ne pouvait pas marcher et qu'il y a quelques bateaux
15:18qui ont pu accoster.
15:20Mais vous voyez le paradoxe, les américains si vraiment ils s'intéressaient aux civils,
15:25ils feraient rentrer l'aide par l'Egypte, par Israël, par la route, parce que Gaza
15:30n'est pas une île.
15:31Donc lorsque vous dites que vous vous souciez des civils, que vous voulez faire rentrer
15:35de l'aide par la mer pour contourner un blocus d'une armée que vous-même vous alimentez
15:39en armes, on marche sur la tête et donc on est sur une instrumentalisation de la raison
15:44humanitaire qui permet d'une certaine manière de dépolitiser les ayants droit.
15:50Quand je dis ça, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on n'attend pas des américains
15:53aujourd'hui forcément qui balancent de l'aide.
15:55On peut le faire non ? Les ONG, les Nations Unies.
15:58On attend qu'ils condamnent une situation où ils expliquent pourquoi cette aide est
16:05nécessaire.
16:06Parce qu'il y a des bombardements massifs, parce qu'il y a un blocus et donc se cantonner
16:11à une sémantique humanitaire et pas être dans le dur du politique, c'est une manière
16:16d'enlever la capacité aux Palestiniens de revendiquer le droit à la vie en fait.
16:21Donc c'est une manière de dépolitiser le contexte.
16:23Et ça, c'est problématique à plein d'égards parce que ça entraîne une confusion des
16:29genres entre les ONG, les états et autres.
16:32Pour Gaza, c'est assez clair, mais dans d'autres contextes de guerre, et il y en
16:35a beaucoup dans le monde aujourd'hui, sur la république démocratique du Congo, que
16:38ce soit au Soudan aussi où il y a quand même pas mal de guerres qui sortent du scope médiatique
16:43et politique, c'est difficile pour certains acteurs de faire la part entre les acteurs
16:48indépendants, les ONG et les états qui ne sont jamais indépendants, enfin en tout cas
16:52qui ne sont jamais désintéressés, qui ont toujours un calendrier politique dans leur
16:57aide.
16:58Et tu parlais, Jean-François, de la jetée américaine qui n'a absolument pas fonctionné.
17:03C'est un autre truc qui n'a pas fonctionné non plus, parce que la seule manière d'acheminer
17:08de manière correcte et suffisante de l'aide, c'est par voie terrestre, c'est ce que
17:13tu viens de dire.
17:14Mais il y a aussi des états qui ont décidé de larguer de l'aide humanitaire par avion,
17:19par lézard.
17:20Je ne sais pas si vous vous souvenez de ces images d'avion au-dessus d'une bande de
17:27Gaza complètement dévastée qui lâchait quelques dizaines, centaines de colis humanitaires.
17:32Je trouve que l'image était assez parlante et assez paradoxale au vu de la situation,
17:40sachant qu'il arrivait à certains moments que des colis soient lâchés, donc les colis
17:46tombaient dans la mer et la population, notamment dans le nord, était tellement affamée qu'elle
17:51se jetait à corps perdu dans la mer, et qu'il y a des gens qui sont morts noyés
17:58en tentant d'aller chercher de quoi nourrir sa famille dans la journée.
18:04Il y a eu aussi des bousculades au moment où les colis tombaient qui ont fait aussi
18:09des morts.
18:10Donc voilà le quotidien, pour revenir à ta première question, le quotidien à Gaza
18:15en ce moment ça ressemble à ça, c'est assez dingue.
18:19Je vais compléter aussi, parce que cette situation terrifiante de gestion de la pénurie
18:24en fait, de surbis, ce qu'évoquait Léa, elle est maximisée parce qu'on l'a rappelé,
18:31le siège est important, même s'il y a quelques camions qui rentrent, ce n'est quand même
18:35pas à la hauteur des besoins, les humanitaires ne peuvent pas fonctionner à plein régime
18:40en faisant rentrer des ressources humaines supplémentaires, du matériel et autres,
18:43et on a vu que cette pénurie massive engendre, et dans un contexte où il n'y a plus de
18:50force de police ou d'état, quasiment plus, cela génère une violence aussi entre survivants
18:59parce qu'on est en permanence dans des logiques de survie.
19:01Et donc il y a une forme de situation abjecte où on crée une pénurie maximale qui engendre
19:09aussi les conditions de survie où on est prêt à s'entretuer pour pouvoir obtenir
19:17à manger, à boire.
19:18Il faut considérer qu'aujourd'hui, les gens passent la plupart de leur temps à chercher
19:22de l'eau potable, à chercher à manger, vont souvent mettre en balance aussi le risque
19:27de sortir pour aller chercher ses biens versus se faire sniper.
19:31On a vu ces difficultés sur la campagne de vaccination Polio aujourd'hui, il devrait
19:36y avoir une deuxième injection à un mois ou deux mois de la première injection.
19:40Les Nations Unies rappelaient que sur le nord aujourd'hui de la bande de Gaza, ça va être
19:45compliqué de faire cette deuxième injection parce qu'il a été demandé il y a deux jours
19:50à 400.000 personnes de bouger, la plupart, comme je l'ai expliqué, ne le feront pas,
19:55et que les familles aujourd'hui réfléchissent à deux fois entre est-ce que je sors, je
19:59vais faire vacciner ma gamine et je risque de me faire sniper, ou est-ce que je reste
20:02à la maison mais je prends le risque que ma petite ait la Polio ou la diphtérie ou
20:07le tétanos, parce que c'est de ça dont on parle.
20:09C'est ces dilemmes au quotidien, parce que c'est ça le sujet de notre émission, c'est
20:14ça auxquels doivent faire face les civils aujourd'hui, c'est ces dilemmes quotidiens
20:19de survie où la mort peut vous prendre à n'importe quel moment.
20:24Et d'autant plus que là, quand vous parlez de certaines conséquences des bombardements
20:29israéliens sur la bande de Gaza, il y a des choses qu'on a encore plus de mal à imaginer
20:32quand on pense à cela, c'est notamment le fait qu'il y a des pillages et aussi des
20:38personnes qui peuvent en venir à s'entretuer en voulant accéder à des colis humanitaires
20:42qui sont très difficiles d'obtenir, et puis il y a aussi, toi tu le mentionnais dans ton
20:46papier Léal, la gestion des déchets, avec aujourd'hui plusieurs centaines de déchets
20:50qui sont dans la bande de Gaza et qui ne peuvent pas être traités parce que les sites ont
20:54été détruits par les bombardements également.
20:56Oui, toutes les infrastructures publiques, la plupart en tout cas, ont été détruites.
21:03Le système de gestion des déchets était déjà assez compliqué dans la bande de Gaza
21:08avant le 7 octobre, mais là c'est vrai que quand on voit des images ou quand on discute
21:12avec des gens, les gens vivent littéralement au milieu de déchets, d'eau usée, ce qui
21:21entraîne la propagation d'épidémies. Là on a vu, il y a eu des cas de polio par exemple
21:29qui ont été détectés. Mais oui, là il y a eu des pluies torrentielles, c'est comme
21:36ça que je commence mon article dans le journal d'hier. Imaginez ce que c'est d'avoir des
21:44inondations au milieu de la boue et de déchets. Voilà, les gens vivent comme ça.
21:51Il y a aussi la situation dans les hôpitaux, dont tu parles un petit peu dans ton papier,
21:56Léa, puisque plusieurs hôpitaux ont dû fermer. Tu avais eu aussi, je crois, des retours
22:01de personnels soignants sur place. Quelle est cette situation dans les hôpitaux aujourd'hui
22:07dans l'enclave palestinienne ?
22:09Là, selon l'Organisation Mondiale de la Santé, il y a environ 17 hôpitaux sur les 36 du
22:16territoire qui sont encore partiellement fonctionnels. Il y a eu plus de 1000 attaques contre les
22:24services de santé depuis le début de la guerre. Et les médecins, les chirurgiens, les infirmiers,
22:30les infirmières, ce qu'ils décrivent c'est vraiment l'impossibilité de traiter un tel
22:35afflux de blessés. C'est-à-dire qu'on doit choisir entre soigner un brûlé très grave
22:42ou un enfant qui vient de perdre sa jambe et on doit faire des choix entre deux blessés
22:48qui doivent être soignés en urgence. Ça revient très souvent. En février, j'avais
22:55interviewé un chirurgien qui rentrait tout juste de Gaza, un chirurgien qui est spécialisé
23:00sur les blessures de guerre qui s'appellera Sana Boussita, que j'ai vu à Londres.
23:04Donc là, on était en février, donc la situation s'est encore aggravée aujourd'hui.
23:09Mais il m'expliquait comment, lui, il avait dû amputer des enfants sans anesthésie,
23:15parce qu'il était en incapacité de se procurer ce type de produit. C'est ce que l'humanitaire
23:22de l'UNEROI, que j'ai eu aussi longuement à téléphone et que je cite dans mon papier,
23:28m'a décrit aussi. C'est toujours les mêmes scènes. Elle m'expliquait que des
23:35mères arrivaient en courant à l'hôpital en train de hurler parce qu'elles ne savaient
23:40pas où était leur enfant, que leur enfant avait été blessé, qu'il y avait un homme,
23:45un soignant qui... Il y avait tellement de sang sur le sol qu'il devait nettoyer, mais
23:52qu'il n'avait même pas de produit d'entretien pour pouvoir nettoyer ce qu'il avait en face
23:59de lui. Elle m'a dit mot pour mot que c'était le pire endroit, un hôpital aujourd'hui à
24:05Gaza, c'est le pire endroit sur lequel on peut se trouver aujourd'hui sur cette planète.
24:10C'est ça, oui.
24:12Avant que Jean-François, tu nous témoignes aussi de ce qu'ont pu voir, les contacts
24:16que tu as sur place des hôpitaux en Palestine. Je crois que c'est important aussi de montrer
24:20quand même certaines images, c'est aussi l'objet de notre stream, mais je vous préviens
24:24quand même avant que cette image que je voudrais vous montrer d'une situation dans un hôpital
24:28est peut-être encore plus difficile que les autres, donc je voulais juste vous prévenir
24:31avant que cette image est un peu plus difficile à regarder aussi, donc je voulais quand même
24:36vous prévenir avant pour ceux qui nous suivent. Donc couche Jean-François, toi aussi, ceux
24:41qui sont sur place, témoigne de cette situation dans les hôpitaux qui est absolument invivable
24:45comme Dudalea, qui est peut-être l'endroit le moins fréquentable encore plus que d'autres
24:50endroits actuellement.
24:52Depuis plusieurs mois, on observe des scènes de médecine de guerre, c'est-à-dire de médecine
24:57du tri et où, parce qu'on a des ruptures de médicaments, parce qu'on n'a pas forcément
25:03les équipes au complet, parce que le dispositif est saturé, eh bien sur une arrivée, une
25:08affluence massive de blessés, on va devoir choisir ceux qui vont nécessiter peu de soins
25:13et qui vont pouvoir survivre plutôt que d'en prendre qu'un lourd qui va nécessiter
25:18beaucoup d'énergie. C'est une approche de santé publique basique de médecine du tri,
25:23de médecine de guerre en fait, où on gère les privations de médicaments, de ressources
25:29humaines, d'infrastructures et on va au plus pressé. Donc ça, c'est des retours qu'on
25:34a depuis plusieurs mois liés à rappeler les situations de manque d'anesthésie, d'anthalgie,
25:39de désinfectant et autres. Cette réalité existe de la même manière que nous, médecins
25:49du monde, on fait de la santé primaire, c'est-à-dire qu'on a des actions, on est dans des centres
25:54de santé, on fait de la médecine générale, on suit aussi beaucoup des personnes atteintes
25:59de troubles en santé mentale parce qu'aujourd'hui, les gens, c'est des zombies. Quand vous vivez
26:04depuis un an dans le bruit quotidien des bombardements, parce qu'on entend tous les bombardements,
26:08c'est petit le territoire. Et les drones. Les drones en permanence, le fait que vous
26:12avez perdu plusieurs membres de votre famille, que vous ne savez pas si vous avez trouvé
26:15à bouffer pour vos gamins le jour même. Il y a des traumas au quotidien et donc la
26:19santé mentale fait partie de notre mode opératoire. Mais on a de plus en plus de mal à référer
26:25les patients qui nécessitent des actes chirurgicaux ou médicaux de second degré vers des hôpitaux
26:30qui sont en difficulté de fonctionnement. Donc ça, oui, c'est une réalité de médecine
26:36de guerre ultime où ça renvoie encore une fois au fait que les bombardements ont été
26:43efficaces, qu'ils ont été délibérément faits sur des structures de santé. Il y a
26:52quand même 300 humanitaires qui ont été tués à Gaza depuis un an, ce qui est exceptionnel
26:56dans les conflits contemporains. Une bonne part d'acteurs de l'UNRWA, qui est l'Agence
27:00des Nations Unies, qui est dans le collimateur de l'État israélien parce qu'il considère
27:05qu'ils ont, d'une certaine manière, eu dans leurs équipes des potentiels terroristes,
27:12ce qui reste à prouver, même s'il y a potentiellement des hypothèses qui sont réalistes. D'avoir
27:19quelques acteurs qui ont été partie prenante dans certains attentats, c'est quand même
27:2412 000 personnes, l'UNRWA. C'est pas parce qu'il y a 5 personnes qui ont fait des actes
27:31inqualifiables que, pour autant, toute la structure doit être remise en question. On
27:35sait que c'est un objet d'attaque politique et militaire, l'UNRWA, de la part de l'armée
27:41israélienne. Et pourtant, l'UNRWA, c'est la colonne vertébrale de l'assistance aux
27:45Palestiniens, et pas d'ailleurs qu'à Gaza, aussi en Jordanie, en Syrie, et aussi au Liban.
27:51Donc, 300 humanitaires tués. Nous, médecins du monde, on a perdu un médecin sous les
27:55bombes, et toute sa famille, qui est morte aussi, une bonne partie. Ils étaient venus
27:59chercher, essayer de chercher notre confrère qui était sous les bombes, et essayer de
28:03gratter à la main parce qu'il n'y avait pas de pelleteuse et plus d'essence. Ils ont repris
28:07une deuxième bombe sur la tête. Donc, voilà, c'était vraiment délibéré. World Central
28:13Kitchen, une ONG américaine, a perdu 7 de ses expatriés en avril 2024, sur un bombardement
28:19aussi. Donc, les humanitaires, les soignants, tout le monde y passe. Dans un débombardement
28:27comme ça, aussi large, les effets collatéraux y sont assumés.
28:32Juste avant de vous libérer, il y a une dernière image que je voulais vous montrer, qui témoigne
28:36de deux choses dont on n'a pas encore beaucoup parlé. On y voit deux enfants, et puis un
28:40enfant notamment qui se fait laver, puisque ça veut vous montrer cette image pour vous
28:45parler aussi de l'accès à l'eau, qui est aussi très très compliqué dans la bande
28:48de Gaza. Et puis aussi, sur les enfants, parce qu'on parlait du nombre de victimes
28:51estimés à plus de 40 000, mais qui pourraient être beaucoup plus élevées. Dans cette
28:56part des 40 000 morts, il y a notamment, dans le bilan actuel estimé, plus de 16 000 enfants
29:00tués. Ce qui est aussi un chiffre très important à mentionner, je crois. Quelle est la situation
29:06notamment pour l'accès à l'eau, justement, dans la bande de Gaza actuellement ? À l'eau
29:10et à l'eau potable, d'ailleurs.
29:11Là, quand on voit cette photo, je pense que c'est assez rare. Je ne sais pas depuis
29:16combien de temps ce petit garçon n'avait pas pris de douche, mais moi, d'après les
29:22témoignages que je reçois, se laver, c'est devenu un luxe. Et c'est un peu, peut-être
29:29pas la dernière des priorités, mais la priorité, c'est de manger et de trouver de l'eau.
29:33Voilà, c'est vraiment des besoins essentiels. Moi, j'avais entendu dire que des gens allaient
29:38se rincer dans la mer. Sinon, quand il faut trouver de l'eau, il faut marcher des kilomètres,
29:45sachant qu'il fait, bon là, un peu moins, mais sinon, généralement, il fait très chaud.
29:49Donc, on a son bidon de 15 litres et on essaye de trouver un camion-citerne qui passe pour
29:58pouvoir remplir son bidon et revenir, sachant qu'il y a beaucoup de gens qui sont malades,
30:01il y a des handicapés. Donc, ce que j'explique aussi dans l'article, c'est qu'il y a des
30:06voisins qui viennent, enfin voilà, il y a une entraide encore qui existe. Il y a des
30:11nouveaux métiers aussi qui ont été créés. J'en profite pour parler de ça, parce que
30:15ça fait partie du quotidien. C'est, par exemple, le conducteur de brouettes qui va
30:19mettre le bidon, qui va aller chercher de l'eau et qui va revenir. Il y a celui qui
30:23recharge les briquets parce qu'il n'y a plus de briquets qui sont en vente, celui
30:27qui recharge les téléphones. Enfin, je fais une parenthèse parce que ça m'y fait
30:32penser, mais en tout cas, voilà, c'est très, très compliqué de trouver de l'eau
30:36aujourd'hui dans la bande de Gaza.
30:38Sur la spécificité aussi des mortalités auprès des enfants que vous avez évoquées,
30:42effectivement, il y a des chiffres démentiels. Vous avez rappelé qu'ils sont probablement
30:46sous-proportionnés par rapport à la réalité des mortalités. Il y a un article dans le
30:50Lancet qui parle de 186 000 morts au global, potentiellement liées à des bombardements
30:55et des morts indirectes liées à des défauts de soins, notamment aussi avec la perspective
31:00des blessés qui n'arrivent pas à être pris en charge. On estime qu'il y a environ
31:0420 000 blessés qui nécessiteraient d'être évacués pour être pris en charge dans des
31:07setups médicaux de meilleure qualité dans la sous-région et qui ne peuvent pas sortir
31:13à cause du siège. La spécificité aussi de ce conflit qu'on a rarement vu ailleurs,
31:18c'est qu'il y a énormément d'enfants qui sont blessés, qui sont amputés et qui
31:22sont orphelins. Il y a des milliers, quoi. Donc, ça, ça va passer même si la guerre
31:28s'arrête demain. Ça va prendre des années et des années de pouvoir soigner ces malades
31:33que j'évoquais et d'assurer la continuité de milliers et de milliers d'enfants orphelins
31:39et qui sont amputés, handicapés à vie. Donc, voilà, c'est une dramaturgie épidémiologique
31:48monstrueuse mais qui rend compte de la réalité aussi de ce que vivent les enfants et les
31:53civils sur ce territoire.
31:56Merci beaucoup Jean-François et Léa d'être venus, d'avoir pris du temps pour témoigner
32:00de la situation actuelle à Gaza et de tout ce qui s'y déroule depuis un an.
32:03Merci beaucoup Jean-François et Léa.
32:05Merci.

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