Travailleur sans papiers, il fait un film qui va changer sa vie

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Transcription
00:00Tourner dans ces films, vraiment c'était une aventure en fait, ça a changé ma vie.
00:07Tu as peur pour l'entretien ?
00:08Comment ça tu me dois rien ?
00:11Je veux mon argent !
00:12T'as pas à avoir peur.
00:13C'est grave l'horreur de la vie.
00:14Allez dégage !
00:16Tu sais ce que tu as vécu.
00:19Quand il y a eu le confinement, tout d'un coup les rues de Paris se sont vidées,
00:23et les livreurs on voyait plus qu'eux.
00:25Il y avait quelque chose de très frappant comme ça, de tous ces africains dans les rues de Paris,
00:29qu'on regarde jamais, et là tout d'un coup on voyait plus qu'eux.
00:32Et je me suis dit ça c'est un sujet pour moi, avec une évidence totale.
00:36Une part de l'histoire parle de moi même, puisque je suis un sans-papier,
00:41jusqu'à présent j'attends mon titre de séjour,
00:43donc si on veut bien dire à quoi ça sert ces films,
00:46ça sert juste à faire la lumière sur tous les sans-papiers, voir les travailleurs sans-papiers.
00:52La première chose dans ce que m'ont raconté les livreurs,
00:55la première chose qui m'a frappé c'est que beaucoup sont sans-papiers,
00:57et que quand on n'a pas de papier, on n'a pas le droit de travailler,
00:59donc si vous voulez faire de la livraison, il faut travailler avec le compte de quelqu'un d'autre.
01:02Et toute la relation entre le livreur et le titulaire de compte, c'est très passionnant.
01:08D'abord c'est passionnant parce qu'on a l'impression de passer derrière quelque chose que l'on ne connaît pas,
01:13quand on ne connaît pas quoi.
01:14Aussi parce que c'est plein de rapports de pouvoir, de rapports d'argent, de choses compliquées,
01:19il y a plein d'histoires d'arnaques, il y a plein...
01:21Voilà, tout ça c'est matière à plein d'histoires possibles en fait,
01:24ces relations entre les livreurs et le titulaire de compte.
01:27Le film, ça raconte, ça montre à ces gens-là comment les livrets sont ici à Paris,
01:37comment ils se nourrissent, comment ils s'habillent, comment ils dorment,
01:42quelles sont leurs vies réelles ici à Paris.
01:47Les Parisiens n'imaginent pas forcément où logent tous ces gens qui n'ont pas de logement,
01:55qu'il y a des grands centres d'hébergement d'urgence,
01:58comme celui qu'on raconte dans le film qui s'appelle la boulangerie.
02:01On n'y vend pas des croissants, mais parce que c'est l'ancienne boulangerie de l'armée française.
02:05C'est d'immenses dortoirs, 400 lits superposés dans un immense dortoir comme ça,
02:09ça ressemble à une caserne, mais plutôt à une caserne du 19e siècle.
02:12Il y en a même, ils ne trouvent pas des places.
02:14Des fois après la livraison, des fois il y en a qui dorment dehors.
02:23Tourner dans ces films, pour moi c'était une aventure en fait.
02:28C'était une nouvelle aventure, en plus après tout on a eu des répétitions,
02:33on s'est bien préparé, on a eu deux mois de répétitions.
02:36Ils m'ont fait passer d'abord deux semaines de stage de la livraison,
02:39parce que moi dans ma vie, j'avais déjà conduit le vélo, mais je n'avais jamais fait la livraison.
02:44Arrivé au tournage, en tout cas moi personnellement, j'étais bien préparé.
02:47Sauf la scène de fin qui me faisait peur,
02:49parce que c'est quelque chose qui me stresse beaucoup depuis, pas même que le film.
02:54Je voyais bien que pour lui c'était un stress.
02:56Cette scène, il faut le dire pour ceux qui nous écoutent, d'abord elle est très longue.
03:02Dans son premier montage, la scène faisait 35 minutes.
03:05Une seule scène, 35 minutes, c'était 20 pages de scénario.
03:08Et au fond, même si on s'était préparé, même si on avait beaucoup répété,
03:11en vrai, on ne pouvait pas savoir avant de le faire comment ça allait se passer.
03:15Il y avait un vrai suspense, et pour moi aussi,
03:17parce qu'il fallait que tout d'un coup il sorte de lui une émotion
03:21comme il n'avait pas eu besoin de sortir sur tout le reste du tournage.
03:24C'est un grand moment d'acteur en fait, c'est un grand moment d'acteur.
03:27Si on avait branché un appareil sur mon corps ces jours,
03:31L'entretien, c'est un moment très particulier.
03:33Il y a plusieurs personnes que j'ai rencontrées qui avaient passé l'asile,
03:37qui m'ont dit ça, ils m'ont dit, c'est le jour qui peut changer toute ta vie.
03:40C'est plus qu'un examen.
03:42Quand tu passes le bac, ou tu passes un concours, c'est stressant peut-être.
03:45Si tu rates le concours, tu peux le repasser.
03:47Donc il faut se représenter ça déjà, se représenter le niveau de stress que c'est
03:51pour être en train de faire un film.
03:53C'est un moment très particulier.
03:56Il faut se représenter ça déjà, se représenter le niveau de stress que c'est
04:00pour tous les demandeurs d'asile.
04:02C'est d'abord ça que raconte le film.
04:04Il raconte le stress dans lequel est Suleyman pendant les deux jours qui précèdent cet entretien.
04:09La difficulté de cet entretien, c'est qu'il faut convaincre la personne en face
04:13en lui racontant une histoire.
04:15Si tu racontes l'histoire de ta vie, c'est facile.
04:17Mais si par hasard, ton histoire à toi, ton histoire personnelle,
04:22ça ne rentre pas dans les cases, les bonnes cases avec lesquelles tu peux plier un asile.
04:26À ce moment-là, ce qui arrive à beaucoup de gens, tu vas emprunter l'histoire de quelqu'un d'autre,
04:32tu vas raconter une histoire qu'on t'a fabriquée.
04:34Et là, tu dois tout d'un coup apprendre plein de choses par cœur,
04:38apprendre plein de détails, apprendre une histoire,
04:41et puis toutes les choses latérales pour raconter, pour répondre aux questions.
04:45Et cet entretien, il y a une sorte de charge à cause de l'enjeu qu'il y a pour les demandeurs d'asile.
04:51M. Sangari, moi je suis là pour vous écouter.
04:55C'est quoi votre histoire à vous ?
04:57Mon rencontre avec Boris, si je vais bien le dire, ça a changé ma vie.
05:03Ce n'est pas fini, mais je peux commencer à dire que ça a changé ma vie.
05:07Ce n'est pas parce qu'il est là que j'ai dit ça.
05:09Je me souviens très bien de 2017, jusque le jour où j'ai croisé Boris.
05:13Je me souviens comment je faisais, c'est-à-dire comment je vivais.
05:16Quand j'ai commencé à tourner dans ces films,
05:19non seulement j'ai touché une somme d'argent qu'ils n'avaient jamais touché dans ma vie,
05:25ça m'a permis de trouver un endroit plus stable qu'avant.
05:31Avant j'ai dormi à gauche, à droite, mais aujourd'hui j'ai un appartement.
05:35Je n'ai pas encore un titre de séjour, mais je sais quand même que ça arrive,
05:40puisqu'il y a eu des propositions qui n'ont jamais été proposées avant.
05:45Donc je peux dire que notre rencontre, pour moi personnellement,
05:49ça a commencé à changer ma vie.
05:51Je veux vraiment remercier tout au fond de mon cœur,
05:55parce que c'est quelque chose, c'est rare de voir des choses comme ça.
05:58C'est rare, c'est une fois.
06:00Une fois dans notre vie.

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