• il y a 2 mois
Rembob'Ina s'intéresse à l'une des plus grandes histoires d'espionnage du XXème siècle, grâce à une incroyable enquête, menée par les journalistes Dominique Tierce et Hervé Brusini. Dans les années 80, les secrets livrés à l'Ouest par Vladimir Vetrov alias "La Taupe", officier supérieur du KGB baptisé Farewell par les services français, ont contribué à démanteler les réseaux soviétiques, à perturber le complexe militaro-industriel et à accélérer la chute de l'URSS 10 ans après. Hervé Brusini revient en plateau sur la genèse de ce reportage, comment ils se sont retrouvés au coeur de cette affaire et ont réussi à révéler l'identité de la Taupe.
Lauréat du Prix Albert Londres en 1991 pour "La Taupe", Hervé Brusini est aujourd'hui président de ce prestigieux prix.

Invités :
Hervé Brusini, journaliste
Agnès Chauveau, Ina

C'est une plongée dans l'histoire de notre pays au travers des trésors cachés de la télévision. Fictions, documentaires, magazines d'actualité, émission de divertissements, débats politiques...
Le dimanche, Patrick Cohen nous invite à jeter un coup d´oeil dans le rétroviseur de notre petite lucarne. En présence d´acteurs ou de témoins de l'époque, de spécialistes des archives de l´INA, Patrick Cohen revient sur les grandes heures de la télévision. Emblématiques ou polémiques, ces programmes ont marqué les esprits et l'histoire du petit écran.

Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5

Suivez-nous sur les réseaux !
Twitter : https://twitter.com/lcp
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/LCP
Instagram : https://www.instagram.com/lcp_an/
TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_an
Newsletter : https://lcp.fr/newsletter

Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/

#LCP

Category

🗞
News
Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:22Bienvenue à Rambobina, l'émission qui va vous plonger
00:00:25dans l'une des plus grandes affaires d'espionnage
00:00:27grande par ses conséquences historiques,
00:00:30parce que les secrets livrés à l'Ouest
00:00:32par cet officier supérieur du KGB
00:00:35que les services français avaient baptisés Farewell
00:00:38ont contribué, dans les années 80,
00:00:40à démanteler les réseaux soviétiques,
00:00:42à perturber le complexe militaro-industriel
00:00:45et à accélérer la chute de l'URSS
00:00:48dix ans après.
00:00:49Bonjour, Hervé Brousini.
00:00:50Bonjour, Patrick.
00:00:51Journaliste ancien d'Antenne 2 et de France 2,
00:00:53président du prix Albert-Londres,
00:00:55récompense que vous avez obtenue
00:00:57pour le sujet d'un envoyé spécial qu'on va voir dans un instant.
00:01:00Vous avez donc approché au plus près cette affaire en 1990,
00:01:05à un moment où on ne savait pas encore grand-chose
00:01:08de cette taupe, et là, avec Dominique Thiers,
00:01:11vous nous révélez qui était ce Vetrov,
00:01:14alias Farewell, Vladimir Vetrov,
00:01:16pourquoi il a mis sa vie en jeu,
00:01:18pourquoi il a choisi un service français,
00:01:20quel était son mode opératoire, comment il est tombé,
00:01:23quel a été son sort tragique, etc.,
00:01:25mais on voit, au-delà de l'histoire d'espionnage,
00:01:27que c'est un portrait d'homme qui vous a passionné.
00:01:31Oui, parce qu'il y a un élément d'intimité, presque.
00:01:35Quand nous avons rencontré Mme Farewell,
00:01:38Mme Vetrov,
00:01:40elle nous a confié ce qu'avait été
00:01:43l'âme, en quelque sorte, de son mari,
00:01:46c'est-à-dire un grand amoureux de la France,
00:01:49de sa culture, de sa gastronomie,
00:01:51c'était un bon vivant,
00:01:53et une déception de quelqu'un
00:01:55qui y a cru, dans ce système soviétique,
00:01:59et qui a vu, bon,
00:02:02ce qu'on appelait l'aristocratie...
00:02:07récompensée pour, finalement, très peu de choses,
00:02:10alors que lui était franchement au travail,
00:02:13qu'il avait été en poste ici et là,
00:02:16et fait une activité de renseignement
00:02:19assez remarquable.
00:02:20En poste à l'ouest, notamment, en France,
00:02:22cinq ans en France, évidemment.
00:02:24A faire la tournée des châteaux,
00:02:27et puis à boire un peu trop, parfois,
00:02:30avoir des accidents, c'est un peu comme ça
00:02:33que va commencer l'affaire.
00:02:35Et donc, oui, un grand amoureux de la France,
00:02:38et d'une certaine manière,
00:02:40j'oserais quasiment dire, de la démocratie.
00:02:43Oui, bien sûr. Ce qu'exprime son beau-frère,
00:02:46on va le voir. Là, on voit
00:02:47une partie de son album de famille,
00:02:50avec de nombreuses photos prises
00:02:52quand il était en poste en France
00:02:54et quand il voyageait à travers l'Europe.
00:02:57Ca, c'est l'album personnel de Mme Vetroff.
00:03:00Vous voyez, on sent des moments,
00:03:02on la voit bien, là, d'amour,
00:03:05de joie, et en même temps,
00:03:08d'activité d'un homme du renseignement.
00:03:11Il ne faut pas s'y tromper.
00:03:12Elle s'appelle Svetlana, et elle est très émouvante.
00:03:15On va découvrir aussi les deux civils français
00:03:18qui ont été ses contacts à Paris et à Moscou,
00:03:21Xavier Hamel et Jacques Prévost,
00:03:24qui étaient, en réalité, des cadres du groupe Thomson.
00:03:28Vous ne le dites pas, c'est pour ça que je le précise.
00:03:31Ils témoignent à visage couvert.
00:03:32Il y a un personnage dont il faut parler,
00:03:35c'est une rencontre extraordinaire,
00:03:37avec le président du KGB, ce général Kryuchkov,
00:03:40qui minimise l'affaire Farewell,
00:03:42Vetroff, et vous en parle d'un ton détaché.
00:03:44On va le voir tout à l'heure.
00:03:46En réalité, il avouera plus tard, j'ai retrouvé la citation,
00:03:49l'URSS a été détruite par les trahisons de Vetroff
00:03:53et de Gorbatchev.
00:03:55Voilà, c'est vous dire l'importance
00:03:57et la gravité de cette affaire.
00:03:59Vous savez, quand on a tourné cet homme-là,
00:04:02d'abord, nous avions donné nos caméras au KGB
00:04:07parce qu'ils nous avaient interdit de tourner avec notre caméra,
00:04:10et donc, il y avait deux caméras face à nous,
00:04:14et une face à Vladimir Kryuchkov,
00:04:17un homme assez glaçant,
00:04:19et qui, quelques mois après,
00:04:22va tenter un coup d'Etat contre Gorbatchev,
00:04:26qui va faire long feu, ils sont huit,
00:04:28ça va s'arrêter lamentablement.
00:04:30C'est le putsch de Moscou, août 91.
00:04:33Il sera jugé et condamné pour haute trahison,
00:04:36libéré trois ans plus tard,
00:04:38où est-ce qu'on va le retrouver ?
00:04:40Un peu plus tard, dans l'entourage de Vladimir Poutine,
00:04:44un autre ancien du KGB,
00:04:46il a été, jusqu'à sa mort en 2007,
00:04:49j'ai trouvé ça, l'un des conseillers officieux
00:04:53du président russe, voilà.
00:04:54Donc, plus de 30 ans après,
00:04:56votre enquête nous aide encore à comprendre
00:04:59comment fonctionne le pouvoir russe et comment il fonctionne.
00:05:03Kryuchkov était un expert en matière de faux documents.
00:05:07Il avait créé des faux pour accuser
00:05:11le patron de l'Union soviétique, Gorbatchev,
00:05:14et donc, c'était un expert, déjà,
00:05:18de la désinformation, comme on en parle tant aujourd'hui.
00:05:23C'était un homme absolument redoutable,
00:05:27mais resté sur des positions
00:05:30de crispation politique absolue,
00:05:33et ça lui a valu la bénédiction de Poutine,
00:05:36comme vous le dites si bien.
00:05:38On va voir tout à l'heure un extrait d'un autre
00:05:41de vos sujets autour du KGB.
00:05:43Voici la taupe, sujet signé Dominique Thiers,
00:05:45Hervé Brezini et Jean-Marie Lecartier,
00:05:48qui vous a valu le prix Albert Londres 91,
00:05:51après avoir été diffusé dans l'emmission d'Antenne 2
00:05:54envoyée spéciale le jeudi 13 décembre 90.
00:05:58Musique rythmée
00:06:02...
00:06:54...
00:07:11Au début de notre enquête, nous n'avions qu'une piste,
00:07:14ce nom, Farwell.
00:07:15Avec cette photo retrouvée à Moscou,
00:07:17nous tenions une pièce essentielle pour percer le secret.
00:07:21La plus grande affaire d'espionnage
00:07:23depuis la Seconde Guerre mondiale avait enfin un visage.
00:07:26Voici Vladimir Ippolitovitch Vetrov,
00:07:29colonel du KGB, nom de code Farwell.
00:07:32...
00:07:48L'atmosphère est à la fête dans les Jardins de l'Elysée,
00:07:51ce 14 juillet 80.
00:07:53Petit four et congratulations.
00:07:55Pendant que le nouveau président salue ses invités,
00:07:582 hommes l'attendent dans son bureau
00:08:00pour l'informer d'un secret d'Etat.
00:08:04A 17h, François Mitterrand va les rejoindre.
00:08:07Il découvre l'existence de Farwell, la taupe au sein du KGB.
00:08:11Le ministre de l'Intérieur et le patron de la DST sont là.
00:08:17Gaston Defer prend la parole.
00:08:19Il explique que l'affaire est née peu de temps
00:08:21avant les élections présidentielles
00:08:23et qu'elle concerne l'Europe et les Etats-Unis.
00:08:27Lorsque le ministre de l'Intérieur entre dans les détails,
00:08:31il devient si confus
00:08:33que Marcel Chalet se permet de l'interrompre.
00:08:38Les révélations de la taupe, dit-il, sont exceptionnelles.
00:08:42Pour la DST, c'est un événement sans précédent.
00:08:46Le secret doit être total.
00:08:49François Mitterrand approuve l'opération.
00:08:52C'est la DST qui en aura la maîtrise.
00:08:54Les alliés américains seront mis dans la confidence au plus haut niveau.
00:08:58A l'issue de l'entretien, le chef de l'Etat sait
00:09:01qu'il a en main un atout politique majeur.
00:09:08Quelques jours plus tard, François Mitterrand rencontre
00:09:11pour la première fois le président américain.
00:09:14Reagan est quelque peu agacé.
00:09:15Ce président socialiste a des ministres communistes
00:09:18dans son gouvernement.
00:09:20Mais François Mitterrand est serein.
00:09:22Il a une botte secrète.
00:09:23Le président français parle à Reagan de Farwell,
00:09:26un dossier explosif pour la sécurité des Etats-Unis.
00:09:31C'est encore Farwell qui est au centre de l'entretien
00:09:34de Marcel Chalet et Georges Bush.
00:09:36L'ancien patron de la CIA est passionné par cette affaire.
00:09:40À Washington, dans sa résidence,
00:09:43le vice-président des Etats-Unis interroge et écoute
00:09:46toute l'après-midi le patron de la DST.
00:09:54Il était clair, à ce moment-là,
00:09:57que les Soviétiques avaient réussi
00:10:02à se procurer des informations d'un intérêt considérable
00:10:05sur l'ensemble du système de couverture radar des Etats-Unis
00:10:09contre une attaque surprise.
00:10:11C'est d'ailleurs l'existence même de ce document, KGB,
00:10:16qui soulignait le plus, à l'époque,
00:10:21l'urgence d'une démarche auprès des autorités américaines.
00:10:24Quand Georges Bush voit tout cela, comment réagit-il ?
00:10:30Eh bien, il a été très impressionné
00:10:33par l'importance et la diversité des documents
00:10:38qui lui étaient présentés,
00:10:40au point qu'il m'a dit très vite
00:10:43qu'il comprenait que cette affaire
00:10:46représentait la première percée significative du réseau de fer.
00:10:50Monsieur, en quoi Farwell représentait une source
00:10:54réellement très précieuse pour un service de renseignement occidental ?
00:10:58Farwell représentait...
00:11:03très exactement la source dont on aurait pu rêver
00:11:07si on avait cherché à pénétrer au sein du KGB
00:11:12l'organisme à la fois le plus sensible
00:11:15et le plus engagé dans des actions dangereuses
00:11:18dans notre direction.
00:11:20A Moscou, la première rencontre entre Farwell et les Français
00:11:24a eu lieu devant ce magasin.
00:11:26Elle a commencé par un quiproquo.
00:11:29La DST pensait que Farwell souhaitait passer à l'ouest.
00:11:33Pas du tout.
00:11:34Il ne voulait pas fuir le KGB,
00:11:36mais le détruire de l'intérieur en livrait tous les secrets.
00:11:40Le Français qui écoute Farwell est abasourdi.
00:11:43Ce n'est pas un pro de l'espionnage,
00:11:46simplement un industriel mandaté par la DST.
00:11:49Il s'appelle Xavier. Il a voulu garder l'anonymat.
00:11:53Alors, il me présente un premier document
00:11:55qui était écrit en français
00:11:58ou en anglais, je ne me souviens plus,
00:12:00mais pas en russe parce que je ne peux pas lire
00:12:02l'écriture manuscrite en russe.
00:12:04Je ne peux lire que l'imprimé.
00:12:07Mais j'ai voulu me foutre de lui au début
00:12:11en disant que tout ce que vous racontez là-dedans,
00:12:13il y a longtemps, que ça traîne partout.
00:12:15Et je le connaissais déjà.
00:12:18Bien que ce fût inexact,
00:12:20mais j'ai tenu à voir s'il y avait quelque chose de réel
00:12:25derrière ce bout de papier.
00:12:28Donc, vous l'avez un peu piqué au vif.
00:12:30Oui, beaucoup.
00:12:31Et comment il a réagi ?
00:12:33Il a été vexé en me disant que c'était très important.
00:12:36Et vous verrez, vous en aurez de beaucoup plus passionnants
00:12:40si ça vous intéresse.
00:12:42Donc, à l'issue de la première rencontre,
00:12:44il vous fixe le prochain rendez-vous.
00:12:46C'est ça.
00:12:47Dans le parc Borelino.
00:12:49C'est ça.
00:12:50Vous étiez surpris au fur et à mesure de vos rencontres
00:12:53de ce qu'on vous donnait ?
00:12:54Oui. Le gros document, j'ai été très surpris
00:12:57parce que, justement, il était annoté,
00:12:59il était même signé de M. Andropov,
00:13:01directeur du KGB.
00:13:05C'était quoi, ce gros document, monsieur ?
00:13:07C'était la liste de toutes les pièces détachées
00:13:12et de tous les endroits
00:13:16où l'on pouvait obtenir des renseignements,
00:13:19que ce soit en France, en Amérique,
00:13:21en Allemagne et en Angleterre.
00:13:24En particulier, il y avait tous les plans du tornado,
00:13:27ce qui a obligé, d'ailleurs, les Britanniques
00:13:31à refaire complètement l'avion.
00:13:33Comment se passait l'échange des documents ?
00:13:35L'échange des documents, il n'y avait rien de secret.
00:13:39On les montrait, je les prenais,
00:13:41je prenais ma serviette, je les mettais dedans et c'est tout.
00:13:45Est-ce que vous donniez, en échange des documents,
00:13:48des petites enveloppes à Volodin ?
00:13:50Je lui ai donné des cadeaux.
00:13:53Qui représentaient quoi ? Quelle sorte de cadeau ?
00:13:56Bon, de la vodka, des liqueurs
00:14:00et puis des bijoux sans être de pacotille,
00:14:06mais enfin, pas des bijoux de chez Cartier,
00:14:08mais des bijoux qu'il voulait donner à son épouse.
00:14:14Et comme cela, sous le nez des promeneurs,
00:14:17des secrets d'Etat passent de main en main.
00:14:19Farwell transmet toutes les informations
00:14:22qui transitent par son bureau de la direction T...
00:14:25T comme technologie.
00:14:27A Paris, la DST découvre l'ampleur du pillage.
00:14:32Le missile français à tête nucléaire M4.
00:14:37Les projets américains de défense antimissile.
00:14:41Les systèmes d'insonorisation des sous-marins.
00:14:45Les dispositifs de contrôle de tir.
00:14:49Les ogives nucléaires des missiles.
00:14:52Les circuits intégrés VEMOS.
00:14:55Tout cela n'avait plus de secret pour le KGB.
00:15:08Au fil des mille premières pages fournies par Farwell,
00:15:12toute la machinerie de l'espionnage soviétique
00:15:15devenait transparente.
00:15:16Cette académie des sciences, par exemple,
00:15:19c'était jusque-là une institution innocente
00:15:22aux yeux des Occidentaux.
00:15:23Maintenant, elle était identifiée
00:15:25comme l'un des moteurs principaux
00:15:27du renseignement technologique de pointe.
00:15:30Certains chercheurs respectables
00:15:32étaient en fait de redoutables agents au service du KGB.
00:15:37Entre Paris et Moscou, le dispositif s'est vite perfectionné.
00:15:41Xavier Lamateur a été remplacé par Paul,
00:15:45attaché militaire de l'ambassade de France.
00:15:49Une fois parmi les deux,
00:15:51le dispositif a été remplacé par un autre.
00:15:53Il s'agissait de l'un des moteurs
00:15:56de l'espionnage technologique de pointe.
00:15:58Il a été remplacé par un autre.
00:16:00Il a été remplacé par un autre.
00:16:02Il a été remplacé par un autre.
00:16:05Une fois par mois, la valise diplomatique
00:16:08transporte les secrets de Farwell.
00:16:12Paul a refusé de nous rencontrer.
00:16:15Il est aujourd'hui un professionnel du renseignement.
00:16:25Cinq techniciens de la DST
00:16:27attendent ici la précieuse marchandise.
00:16:30Cinq hommes formés par la CIA.
00:16:33Les Américains ont fourni aux Français un appareil de photo
00:16:37tout spécialement étudié pour Farwell.
00:16:41Minuscule, discret,
00:16:43ce prototype permettait de réaliser des prises de vue de bonne qualité
00:16:47sans éclairage particulier.
00:16:49Pour développer les cartouches de microfilms,
00:16:51il fallait d'infinies précautions.
00:16:5448 heures de traitement dans plusieurs bains.
00:16:57Et les 90 négatifs de chaque bobine livraient leurs secrets.
00:17:03Tenez ce document.
00:17:05C'est Farwell qui l'a écrit de sa main.
00:17:07La liste des 250 officiers qui dépendaient à travers le monde
00:17:11de son service.
00:17:12Les noms, les grades, les adresses, les numéros de téléphone,
00:17:15tout y est.
00:17:22Farwell a livré 3 000 documents,
00:17:25tous classés top secret par le KGB.
00:17:28Mais pourquoi cet homme a-t-il choisi la France
00:17:30pour destinataire d'un tel trésor ?
00:17:36Farwell avait vécu 5 ans à Paris.
00:17:39En 1965, il habitait ici
00:17:42avec sa femme Svetlana et son jeune fils de 3 ans.
00:17:45A l'époque, il n'était pas question de Farwell ni de nom de code.
00:17:52L'identité de Vladimir Vetrov
00:17:55L'identité de Vladimir Vetrov n'avait rien de secret.
00:17:59Il était ingénieur à la mission commerciale du RSS.
00:18:05La DST avait fiché Vetrov comme un agent probable
00:18:09des services de renseignement soviétiques.
00:18:12Le couple sillonne la France.
00:18:14Ce pays, il l'adore.
00:18:16Les bons vins, les amis, c'est la grande vie.
00:18:20Il découvre la liberté.
00:18:22Vetrov, lui, n'a qu'une chose à cacher,
00:18:25son appartenance au KGB.
00:18:27Mais un jour, cette existence de rêve prend fin.
00:18:31Vetrov est rappelé à Moscou.
00:18:34Il a tout juste le temps de dire au revoir aux amis français
00:18:38et de noyer ça dans la vodka.
00:18:46Juillet 70, 6h du matin, pont des Invalides.
00:18:50Cette nuit-là, le destin de Vetrov a basculé.
00:18:56L'homme avait beaucoup bu, un réverbère en a fait les frais.
00:19:01Catastrophe, la voiture de l'ambassade est bonne pour la casse.
00:19:05Un certain Jacques l'a tiré d'affaires par amitié.
00:19:08Il a payé la réparation de la voiture.
00:19:10Il était à l'époque cadre commercial.
00:19:12Jacques a accepté de se souvenir pour nous,
00:19:15mais lui aussi veut garder l'anonymat.
00:19:18Il était épouvantablement ému
00:19:21et était au bord des larmes de crâne
00:19:24de voir sa carrière compromise à tout jamais, c'est sûr.
00:19:28Il avait une peur bleue de son ambassadeur,
00:19:31lequel pouvait faire un rapport à Moscou tel
00:19:34que Volodya n'aurait plus jamais eu accès à des niveaux élevés
00:19:39au sein des organisations dans lesquelles il a travaillé plus tard.
00:19:44J'ai pris sur moi de rechercher un garagiste point trou pointilleux
00:19:48qui saurait fermer les yeux sur le fait
00:19:51que c'est une voiture du corps diplomatique.
00:19:54J'ai pu avoir le concours d'un garagiste
00:19:57qui a bien voulu faire enlever l'épave
00:20:00et s'engager à la remettre en état en 24 ou 36 heures,
00:20:04dans les délais nécessaires
00:20:07pour que l'ambassadeur ne soupçonne pas l'aventure.
00:20:11La réparation a coûté une petite fortune,
00:20:14bien plus chère qu'une voiture neuve,
00:20:17mais Volodya a pu récupérer sa voiture dans les temps
00:20:21et éviter les suites désastreuses qui auraient été normales
00:20:25dans une telle aventure.
00:20:27Voilà comment ça s'est passé.
00:20:29Sa gratitude était totale.
00:20:31Oui, si vous voulez, quand il est parti, je l'ai revu
00:20:35et il m'a dit, tu sais, Jacques, ce que tu as fait pour moi,
00:20:39je ne l'oublierai.
00:20:41Si l'occasion se présente, je te prouverai ma gratitude,
00:20:45comme j'espère un jour avoir l'occasion, si vous voulez,
00:20:49de montrer ma gratitude aussi à la France,
00:20:52qui a su si bien m'accueillir.
00:20:56L'occasion est venue dix ans plus tard, en décembre 1980.
00:21:00Depuis bien des années,
00:21:02Jacques n'avait plus de nouvelles de son ami Vetrov.
00:21:05Lorsqu'il a reçu cette lettre, postée de Hongrie,
00:21:08Jacques n'en a pas reconnu immédiatement l'auteur.
00:21:11Il a fini par comprendre que c'était l'ami russe,
00:21:14le fameux amateur de vodka.
00:21:16Vetrov souhaitait qu'on vienne le voir au plus vite à Moscou.
00:21:20Jacques a prévenu Raymond Nart,
00:21:22le chef de la section soviétique, à la DST.
00:21:25C'est donc comme cela que la carrière de Farwell a commencé.
00:21:29La taupe espérait pouvoir travailler 3 ans
00:21:32pour les services français.
00:21:34Après 11 mois de collaboration, tout s'est arrêté.
00:21:38Le 23 février 1982,
00:21:40Farwell n'était pas au rendez-vous convenu dans un lieu public.
00:21:48Au rendez-vous de repêchage, Farwell était toujours absent.
00:21:57Et l'inquiétude grandit.
00:21:59Le chef de la section soviétique,
00:22:02Et l'inquiétude grandit.
00:22:04Plus de traces de la taupe du KGB.
00:22:07Il était dangereux pour la DST d'aller aux nouvelles, chez Farwell.
00:22:11Il fallut se contenter d'observer les alentours.
00:22:15Après quelques mois, plus de doutes,
00:22:18Farwell avait bel et bien disparu.
00:22:23Il n'y avait qu'un moyen de savoir ce qui s'était passé,
00:22:27rencontrer sa femme, Mme Vetroff.
00:22:30Nous savions qu'elle travaillait ici, au musée Borodino,
00:22:34et y était spécialiste en histoire napoléonienne.
00:22:38Svetlana Vetroff fut d'abord stupéfaite
00:22:41de rencontrer des journalistes français.
00:22:44Nous avions décidé de l'enregistrer à son insu.
00:22:48L'entretien pouvait tourner court à tout moment.
00:22:52Après un long silence,
00:22:54elle nous a raconté toute l'histoire.
00:22:57Nous allions pouvoir reconstituer ce qui était arrivé à son mari.
00:23:04Mme Vetroff nous avoue que son mari avait une double vie,
00:23:08une maîtresse, Lyudmila Ochkina.
00:23:11Elle aussi était membre du KGB.
00:23:14Lyudmila était responsable du service de traduction
00:23:18des documents secrets recueillis par les agents soviétiques.
00:23:22Vetroff et sa maîtresse travaillaient ensemble
00:23:25dans ce bâtiment, dans la périphérie de Moscou,
00:23:28à la 1re direction générale de l'espionnage.
00:23:31Un jour, selon Mme Vetroff,
00:23:33Lyudmila a pris son amant en flagrant délit de trahison.
00:23:38Et Mme Vetroff raconte...
00:23:42Lyudmila l'a surpris.
00:23:44Elle l'a vue photographier des documents.
00:23:48Alors elle l'a fait chanter.
00:23:51Où tu viens vivre avec moi ? Où je te dénonce ?
00:23:54Un ultimatum a été fixé pour le 23 février.
00:24:05Le 22 au soir, à la sortie du bureau,
00:24:08Vetroff invite sa maîtresse.
00:24:11Il lui fait croire qu'il va quitter sa femme.
00:24:14Dans la voiture, il y a du champagne.
00:24:17Il ne reste plus qu'à trouver un coin tranquille pour fêter ça.
00:24:23En fait, Vetroff n'a qu'une idée en tête.
00:24:26Supprimer au plus vite ce témoin devenu gênant.
00:24:31Et Mme Vetroff poursuit.
00:24:37Il a commencé à la tuer avec un couteau.
00:24:41Et c'est à ce moment-là
00:24:43qu'un homme a frappé à la vitre de la voiture.
00:24:47L'homme est un ancien policier licencié par ses chefs.
00:24:51Il a conservé sa carte professionnelle
00:24:54et l'en profite pour faire peur aux couples d'amoureux
00:24:58et leur soutirer quelques roubles.
00:25:01Mais ce soir-là, l'étreinte des deux amants n'a rien de sentimental.
00:25:06C'est la fuite en avant.
00:25:08Vetroff ouvre brusquement la portière,
00:25:11retourne son arme contre l'ancien policier et le poignarde.
00:25:16Mme Vetroff poursuit son récit.
00:25:23Pendant que Volodia tue le milicien,
00:25:26Ludmilla sort de la voiture et part en courant.
00:25:31Mais Volodia, lui, a déjà redémarré.
00:25:34Il la rattrape,
00:25:38l'écrase et s'enfuit.
00:25:46Lorsque Vetroff rentre chez lui, ses vêtements sont tachés de sang.
00:25:51Sa femme croit qu'il a trop bu, qu'il est tombé.
00:25:54Mais Vetroff lui répond sans détour, j'ai tué quelqu'un.
00:25:59Il se change et repart aussitôt.
00:26:03Les dés sont jetés.
00:26:05Il a rendez-vous avec son beau-frère.
00:26:08...
00:26:38Je restais le seul homme adulte de la famille,
00:26:41donc c'était à moi de les aider.
00:26:45Je crois que c'était la principale raison
00:26:48qui le poussait à venir me voir.
00:26:52Mais il n'est jamais arrivé.
00:26:58En chemin, Vetroff est allé voir son fils.
00:27:02A la sortie de l'université, il lui fait ses ultimes recommandations.
00:27:08Quelques centaines de mètres plus loin,
00:27:10une voiture de police l'oblige à stopper.
00:27:13Vetroff est arrêté.
00:27:15Son identité et le numéro de sa voiture
00:27:17avaient été diffusés dans tout Moscou.
00:27:20C'est l'oudmila, la maîtresse, qui a donné l'alerte.
00:27:23L'oudmila, qui était grièvement blessée, mais vivante.
00:27:33En nous confiant ce récit,
00:27:35Svetlana Vetroff nous avait livré son intimité.
00:27:38Elle acceptait maintenant de nous recevoir chez elle,
00:27:41et nous découvrions l'appartement cossu d'un membre de la nomenclatura.
00:27:48Un bronze français,
00:27:52une bibliothèque en bois de rose taillée sur mesure,
00:27:59quelques toiles de maître,
00:28:01et sur la table, le souvenir des jours heureux.
00:28:06Les 20 ans de Vladimir Vetroff.
00:28:10Son amour du cigare.
00:28:13Leur première rencontre, lui, fils d'ouvrier,
00:28:16elle, fille de militaire.
00:28:19Ils avaient fait leurs études ensemble,
00:28:21et Vladimir était entré au KGB.
00:28:24Pour l'aventure, le sport, le pouvoir.
00:28:27Et puis, tout avait mal tourné.
00:28:30Il avait été déçu, écœuré.
00:28:32Les incompétents avaient eu de l'avancement grâce au parti, pas lui.
00:28:36Vladimir méprisait le système.
00:28:39Il y avait surtout cette photo, la dernière,
00:28:42celle de Vetroff en prison, incarcéré pour assassinat.
00:28:51Ce fut un choc terrible.
00:28:54Un choc terrible.
00:28:57Je ne peux pas dire en prison qu'il était calme.
00:29:03Ni abattu, d'ailleurs.
00:29:09Il était dans un état difficile à décrire.
00:29:12C'est vraiment très difficile à décrire.
00:29:43Si je me rappelle mon propre état d'esprit, c'était affreux.
00:29:47Les premiers temps, je n'avais plus envie de vivre.
00:29:50Je traversais les rues avec une seule idée en tête.
00:29:54Qu'une voiture m'écrase et que tout soit fini.
00:30:02Alors je crois que Valodia, lui aussi,
00:30:05devait être complètement désemparé.
00:30:12Qu'est-ce qu'il vous dit de ce qu'il a fait ?
00:30:18Il me répétait toujours pourquoi je n'ai pas tué Ludmilla.
00:30:29Il ne se pardonnait pas d'avoir laissé en vie
00:30:32cette femme qu'il avait fait chanter.
00:30:43En tout cas, il m'a beaucoup réconfortée.
00:30:53Mais c'est peut-être en me voyant si accablée
00:30:56qu'il a toujours tenté de me soutenir.
00:31:06Plusieurs fois par semaine, Svetlana est convoquée ici,
00:31:09à la procurature militaire où l'instruction est menée.
00:31:12On l'interroge sur la vie privée du couple.
00:31:15Vetrov, lui, prépare sa défense.
00:31:17Il tient coûte que coûte au scénario qu'il s'est fixé.
00:31:20Son affaire ne doit pas être autre chose
00:31:23qu'une histoire de crime passionnel.
00:31:25Au bout de 8 mois d'enquête, Vetrov passe en jugement.
00:31:29Un soir d'octobre 82, Mme Vetrov rentre chez elle.
00:31:33Son mari vient d'être condamné à 15 ans de réclusion pour crime.
00:31:37Le KGB ignore encore que Farwell est une taupe.
00:31:41C'est en Sibérie qu'il doit purger sa peine.
00:31:44Juste avant son départ, il glisse ce petit mot à sa femme.
00:31:48Il est destiné à Jacques,
00:31:50l'homme qui avait payé la réparation de la voiture.
00:32:08En fait, Svetlana a conservé le billet.
00:32:10Elle enverra à Jacques à peu près le même message,
00:32:13mais écrit de sa main.
00:32:38Jacques, j'ai besoin de vous voir.
00:32:41J'ai beaucoup de choses à vous dire.
00:32:44Sincèrement vôtre, Svetlana.
00:32:47Meilleure amitié à votre femme.
00:32:50J'ai été horriblement...
00:32:52Enfin, très surpris et très douloureusement ému,
00:32:55parce qu'au travers de la concision de ce message,
00:32:58on sent quand même une certaine détresse.
00:33:01Malheureusement, là aussi, je n'ai rien pu faire.
00:33:05Je n'ai pu que noter et faire appel aussitôt à la DST.
00:33:10En disant...
00:33:12Il me semble que Volodia a été pour nous
00:33:17un tel pourvoyeur d'informations extraordinaires, fantastiques,
00:33:22qu'on pourrait au moins s'efforcer d'aider sa famille.
00:33:26Malheureusement, on n'a pas pu suivre
00:33:29dans l'idée de faire intervenir quelqu'un sur place.
00:33:32Je le regrette beaucoup.
00:33:35Moi, je l'avais demandé, en tout cas.
00:33:37Vous pensez que ça a été envisagé par la DST ?
00:33:39Non, parce que la DST estimait, peut-être juste à titre...
00:33:43Ce sont eux, les spécialistes, et pas moi.
00:33:46Ils avaient par ailleurs bien d'autres informations
00:33:49que celles dont je disposais.
00:33:51La DST estimait que cette lettre avait dû être écrite sous la contrainte
00:33:56et que le fait de me convoquer à Moscou constituait un piège.
00:34:00Dans ce cas-là, le problème était réglé,
00:34:03puisque je ne pouvais pas moi-même me déplacer,
00:34:06mais qu'il n'était pas envisageable d'envoyer quelqu'un à ma place,
00:34:10parce qu'il tomberait dans le piège lui aussi.
00:34:13C'était extrêmement regrettable,
00:34:15mais il ne fallait surtout pas donner suite à cette lettre.
00:34:18En d'autres termes, la DST pensait qu'il valait mieux,
00:34:21par sécurité, le laisser tomber.
00:34:23Le laisser tomber, c'est pas ça, si vous voulez.
00:34:27Non, je dirais que par sécurité,
00:34:29elle s'estimait dans l'impossibilité d'intervenir.
00:34:35De Sibérie, on ramène brusquement Vetrov à Moscou.
00:34:39Ici, elle est Fortovo, la prison du KGB.
00:34:44En décembre 1984, un second procès se déroule,
00:34:48cette fois pour espionnage.
00:34:50Le KGB a tout découvert.
00:34:53À huis clos, les généraux du KGB
00:34:55fixent très vite le sort du colonel Vetrov.
00:35:00Le 23 janvier 1985, il est fusillé pour trahison.
00:35:06Svetlana, sa femme, ne l'apprendra que bien plus tard.
00:35:15Eh bien, c'était affreux.
00:35:19J'ai longtemps essayé d'apprendre où il était,
00:35:22ce qu'il était devenu.
00:35:24Pas un instant je n'ai imaginé
00:35:26que tout cela puisse finir aussi tragiquement.
00:35:32J'attendais, comme d'habitude,
00:35:34un rendez-vous pour lui porter un colis en prison.
00:35:38Mais plus aucune nouvelle.
00:35:40J'avais bien quelques téléphones à les Fortovo,
00:35:44mais personne ne répondait plus.
00:35:49J'ai réussi, avec beaucoup de difficulté,
00:35:52à joindre la procurature militaire.
00:35:56On m'a demandé de venir
00:35:58et on m'a annoncé la nouvelle de son exécution.
00:36:04Mais tout cela est très flou dans ma mémoire.
00:36:07Je ne me souviens pas exactement ce qu'on m'a dit,
00:36:10ce qu'on m'a dit,
00:36:12ce qu'on m'a dit, ce qu'on m'a lu.
00:36:15Je me souviens que je n'avais qu'une seule idée.
00:36:19Tenir le coup.
00:36:21Ne pas m'évanouir, ne pas pleurer.
00:36:24Résister jusqu'au bout.
00:36:30Quand je me suis retrouvée dehors,
00:36:33mes jambes ont fléchies,
00:36:35je me suis assise
00:36:37et pendant plusieurs minutes je n'ai plus bougé.
00:36:43Tout en moi, je n'ai rien dit à personne.
00:36:49Un jour, j'ai reçu un papier,
00:36:51c'était l'acte de décès.
00:36:54Je vais vous le montrer.
00:37:13Vetrov Vladimir Ippolitovitch,
00:37:16décédé le 23 janvier 1985,
00:37:20à l'âge de 52 ans.
00:37:24C'est l'acte de décès qui est noté dans le registre officiel.
00:37:37Lieu de décès, Moscou.
00:37:43L'acte de décès est enregistré sous le numéro 759.
00:37:48À la ligne cause de la mort,
00:37:50un simple tiret pour toute réponse.
00:38:02Pourquoi le KGB a-t-il poursuivi ses investigations
00:38:05sur le colonel Vladimir Ippolitovitch?
00:38:08Pourquoi le KGB a-t-il poursuivi ses investigations
00:38:11sur le colonel Vetrov?
00:38:14Comment est-il arrivé à la conclusion qu'il était un traître?
00:38:19Est-ce Vetrov lui-même qui a mis les enquêteurs sur la piste?
00:38:24Mme Vetrov nous a affirmé que son mari lui avait beaucoup écrit
00:38:27depuis son lieu de déportation en Sibérie,
00:38:30bien plus que n'importe quel autre détenu.
00:38:34A-t-il été imprudent dans ses lettres?
00:38:36Nous n'en avons retrouvé aucune,
00:38:38elles ont toutes été confisquées par le KGB.
00:38:41A-t-il été drogué, torturé par ses geôliers?
00:38:44Nous n'avons pas la réponse.
00:38:48Est-ce Ludmilla, la maîtresse rescapée
00:38:50qui aurait finalement dénoncé son ancien amant?
00:38:54Mais alors elle prenait le risque d'être jugée pour complicité.
00:39:00Et que penser du comportement des autorités françaises?
00:39:04A-t-il été pour quelque chose
00:39:06dans la progression de l'enquête du KGB sur Farwell?
00:39:10En avril 1983, la DST ignore ce qu'il est réellement advenu
00:39:14de la taupe du KGB.
00:39:16La France expulse néanmoins 47 diplomates soviétiques.
00:39:20Huit font partie des listes données par Farwell.
00:39:25Au quai d'Orsay, le directeur de cabinet du ministre François Cher
00:39:29convoque un officiel de l'ambassade du RSS.
00:39:32Pour justifier les mesures d'expulsion,
00:39:34on lui présente des documents directement issus
00:39:37du dossier Farwell.
00:39:39De quoi mettre sérieusement la puce à l'oreille du KGB.
00:39:48Quelques mois plus tard, la revue Défense Nationale
00:39:52publie un article détaillé sur l'URSS
00:39:55et le renseignement scientifique.
00:39:57On ne pouvait mieux indiquer aux Soviétiques
00:40:00que la France disposait
00:40:02d'une source d'informations exceptionnelle dans ce secteur.
00:40:09Marcel Chalet a quitté son poste
00:40:11cinq mois avant l'expulsion des diplomates.
00:40:14A son départ, il avait laissé des instructions très précises.
00:40:18Les consignes de prudence étaient totales.
00:40:21Pas d'action répétée, pas d'action répressive,
00:40:24pas de manifestation, de déclaration,
00:40:28d'action de toute quelque forme que ce soit
00:40:31qui puisse mettre en péril cette source.
00:40:34Vous êtes surpris
00:40:36lorsque, au printemps 83, la France expulse 47 diplomates
00:40:40alors qu'on n'a toujours pas de nouvelles de l'ami Farwell ?
00:40:44Bien évidemment, on avait des nouvelles et qu'elles étaient mauvaises.
00:40:48C'était la seule explication possible.
00:40:51Pour vous, il était clair que si la France faisait cela,
00:40:55c'est qu'elle savait que Farwell était mort.
00:40:58Évidemment.
00:41:04Dans le cas contraire,
00:41:08c'était une décision périlleuse.
00:41:13C'était une décision périlleuse, oui.
00:41:17Aujourd'hui, on sait, avec une quasi-certitude,
00:41:21qu'il n'était pas mort en avril 83.
00:41:28Oui.
00:41:30Vous préférez ne pas faire de commentaires ?
00:41:33Oui.
00:41:36Après quelques instants de réflexion,
00:41:38Marcel Chalet souhaitera compléter son propos.
00:41:41Je ne sais pas ce qui s'est passé après mon départ.
00:41:44Je suppose que des événements dont j'ignore la nature
00:41:48ou des raisonnements auxquels je n'ai pas participé
00:41:52ont fait qu'on a vu les choses autrement.
00:41:56Là est toute la question.
00:41:58Pourquoi les autorités françaises ont-elles changé d'attitude ?
00:42:01Nous avons tenté de joindre le successeur de Marcel Chalet à la DST,
00:42:05Yves Bonnet.
00:42:06Est-ce que vous pensez qu'il sera possible de s'entretenir avec lui ?
00:42:09Je ne sais pas. Je pense qu'il va vous donner une réponse.
00:42:13Vous ne savez pas si nous pourrons rencontrer M. le préfet ?
00:42:16Je ne sais pas.
00:42:17Nous ne le pourrons pas. Réponse négative.
00:42:21Yves Bonnet nous exprime par écrit son regret.
00:42:25Tout cela, dit-il, est confidentiel.
00:42:35Durant notre séjour à Moscou, une chose nous avait intrigué.
00:42:40Malgré les événements, Mme Vetroff n'avait apparemment subi
00:42:44que peu de représailles de la part du KGB.
00:42:47Nous voulions en avoir le cœur net.
00:42:50Alors nous lui avons posé la question.
00:42:54Est-ce qu'il est possible, en URSS, d'être la femme de quelqu'un
00:42:58qui a trahi son pays et de conserver son travail, son appartement ?
00:43:07Eh bien, vous voyez, vous êtes chez moi
00:43:11et vous êtes venu au musée où je travaille.
00:43:15Je peux vous dire que le KGB a été compréhensif envers moi,
00:43:20comme envers quelqu'un qui a subi un grand malheur.
00:43:24Ici, tout est resté comme du temps de Valodyan.
00:43:35C'est pourquoi je peux répondre oui à votre question.
00:43:47Non, bien sûr que non.
00:43:50Madame, qu'est-ce que vous pensez du comportement des Français dans cette affaire ?
00:44:08Moi, je n'ai aucune prétention envers la France.
00:44:13Je regrette seulement que la coopération entre Valodia et la France
00:44:20ait conduit mon mari à une fin aussi tragique.
00:44:29Mais la vie continue, je garde mes souvenirs,
00:44:35y compris les souvenirs de France, ce pays que j'aime toujours.
00:44:43C'est tout ?
00:44:45Merci beaucoup, madame.
00:44:48Vous avez fait remonter des choses qui étaient enfouies profondément en moi,
00:44:55des choses dont je n'avais jamais parlé.
00:44:58Inutile de chercher la tombe du colonel Vétroff dans les cimetières de Moscou.
00:45:03Lui, le traître, n'a pas de tombe.
00:45:08Il ne peut pas être la tombe de l'homme qui a tué son fils.
00:45:13Il ne peut pas être.
00:45:15Il ne peut pas être.
00:45:17Il ne peut pas être.
00:45:19Il ne peut pas être.
00:45:21Il ne peut pas être.
00:45:23Il ne peut pas être.
00:45:25Lui, le traître, n'a pas eu droit au stèle des héros de l'Union soviétique.
00:45:31Lui, Vétroff, a quelque part sur un coin de terre inconnu une plaque
00:45:36avec pour toute inscription un numéro.
00:45:39Au KGB, l'exécution du traître a été annoncée à quelques officiers de haut rang.
00:45:45Aujourd'hui, pour la première fois devant des étrangers,
00:45:48le président du KGB prononce le nom de Vétroff.
00:45:51Vétroff.
00:45:52Vétroff.
00:45:56Ça a été une sale affaire pour nous.
00:45:59Mais il n'a pas travaillé longtemps pour vous.
00:46:09Il a été très vite découvert et inculpé.
00:46:14Bien qu'on puisse dire qu'il ait fait de son mieux.
00:46:18C'est vous qui avez mené le jeu,
00:46:19mais en fin de compte, c'est nous qui avons gagné la partie.
00:46:28Vous l'avez connu, vous, monsieur Vétroff,
00:46:31parce qu'à l'époque, vous avez été responsable de la première direction du KGB.
00:46:38Oui, mais je n'ai vu Vétroff que lorsqu'il a été arrêté.
00:46:41Avant, je ne l'ai jamais rencontré.
00:46:46Mais pour vous, les raisons de sa trahison
00:46:49étaient-elles profondes ?
00:46:58Alors là, c'est l'exemple même d'une trahison
00:47:02qui n'a aucun fondement idéologique,
00:47:05mais un simple intérêt mercantile.
00:47:10C'est une trahison qui s'explique aussi
00:47:13par une situation de famille compliquée.
00:47:15D'ailleurs, après, il a tout regretté.
00:47:21La France, pourtant, dit qu'elle ne lui a pratiquement rien donné.
00:47:28Ah bon ?
00:47:31La France n'a rien donné ? Pas d'argent ?
00:47:34C'est vous qui le dites ?
00:47:38Très peu.
00:47:40Ils n'ont pas eu le temps de le payer ?
00:47:41Ou peut-être qu'il manque d'argent ?
00:47:47L'argent n'a joué pratiquement aucun rôle dans cette affaire.
00:47:50Nous avons dépensé en tout,
00:47:53et pas seulement pour faire de menus cadeaux
00:47:57à Farewell dans le cadre de ses besoins
00:48:02de la vie quotidienne,
00:48:04moins de 100 000 francs
00:48:06pour l'ensemble de la manipulation de cette affaire.
00:48:09En conséquence, l'argent ne jouait aucun rôle,
00:48:12et d'ailleurs, c'était parfaitement compréhensible
00:48:15compte tenu des motivations dont il faisait lui-même état.
00:48:18De façon répétée,
00:48:20il se présentait comme un adversaire du système soviétique
00:48:24tel qu'il le vivait à l'intérieur de son service.
00:48:27C'était un homme qui dénonçait
00:48:34le comportement d'une hiérarchie
00:48:36pesante, quelquefois stupide,
00:48:39la jalousie entre les cadres,
00:48:42le népotisme,
00:48:46tout un tas de comportements
00:48:49qui lui paraissaient
00:48:52relevés d'une société archaïque
00:48:55et totalitaire
00:48:57qu'il rejetait par toutes les portes de sa peau.
00:49:00Il s'affirmait, par contre,
00:49:02séduit par les valeurs des États démocratiques.
00:49:05Et c'était un homme qui, à coup sûr,
00:49:08voulait porter des coups très durs
00:49:11au système soviétique
00:49:14en fournissant à ses adversaires,
00:49:17naturels, les démocraties occidentales,
00:49:20des moyens de mieux se défendre
00:49:23contre des agissements qui lui paraissaient extrêmement dangereux.
00:49:26En 1985, un trompeur
00:49:28a confirmé tout cela.
00:49:31Vitaly Yurchenko savait ce qu'il disait.
00:49:34C'est lui qui avait dirigé l'enquête
00:49:37sur la trahison de Vetrov.
00:49:40Il avait même recueilli la confession du colonel du KGB,
00:49:43un vrai réquisitoire.
00:49:46Le KGB y est traité de vieille putain fatiguée.
00:49:49Les dix mois de ma trahison furent la période
00:49:52la plus exaltante de ma vie, clame Vetrov.
00:49:55Ce texte n'a pas été classé dans les archives.
00:49:58Il est sous-scellé dans un coffre spécial.
00:50:07Nous avions retrouvé les personnages,
00:50:10reconstitué les circonstances du dossier Farwell,
00:50:13mais à l'issue de notre enquête, le malaise persistait.
00:50:16Comment le KGB avait-il finalement démasqué Vetrov ?
00:50:19Qui y avait parlé ?
00:50:22La question restait sans réponse.
00:50:25Farwell était bien la plus grande affaire d'espionnage depuis 1945.
00:50:28C'est ce que nous avions fait découvrir à Svetlana Vetrov.
00:50:35Ça fait dix ans qu'il n'est plus auprès de moi.
00:50:40Parfois j'ai l'impression
00:50:43qu'il voit ouvrir la porte brusquement.
00:50:48Il entrait toujours comme ça, en coup de vent.
00:50:58C'est difficile de juger ce qu'a fait Volodya.
00:51:06Il y a une question que je me pose constamment,
00:51:09qui me ronge.
00:51:12Qui était-il ?
00:51:28C'est une question que je me pose constamment.
00:51:31C'est une question que je me pose constamment.
00:51:34C'est une question que je me pose constamment.
00:51:37C'est une question que je me pose constamment.
00:51:40C'est une question que je me pose constamment.
00:51:43C'est une question que je me pose constamment.
00:51:46C'est une question que je me pose constamment.
00:51:49C'est une question que je me pose constamment.
00:51:52C'est une question que je me pose constamment.
00:51:55C'est une question que je me pose constamment.
00:51:58C'est une question que je me pose constamment.
00:52:30On analysera plus calmement tout ce qui s'est passé.
00:52:36On n'aura plus besoin de s'espionner les uns les autres.
00:52:42Avec le recul, Vetrov ne sera peut-être plus considéré comme un traître.
00:52:51On circulera librement dans tous les pays, on se rendra visite.
00:52:57Moi, par exemple, je pourrais passer mes vacances en Bretagne ou à Paris.
00:53:14J'aime beaucoup cette chanson.
00:53:18Je crois vraiment que ce temps-là viendra.
00:53:22Et alors, nous nous souviendrons de Volodia.
00:53:27Salut, les gars.
00:53:29Merci beaucoup.
00:53:31Je dois y aller, je suis en retard.
00:53:33Merci, au revoir.
00:53:57Cette page clé des relations est-ouest,
00:54:00Hervé Broussigny, un mot sur ce bel épilogue,
00:54:03ce rêve de liberté exprimé par le beau frère de Vetrov,
00:54:07Lev Barachkov, qui était un chanteur connu en Urs,
00:54:11et qui a joué un rôle clé dans votre enquête.
00:54:14Je dirais même que c'est le déclencheur.
00:54:17Avec Dominique Thiers, on a constaté qu'un livre venait de sortir
00:54:25qui était signé par...
00:54:27Il s'appelait Les Visiteurs de l'Ombre, je crois,
00:54:30par Thierry Volton et le patron de la DST, le compte espionnage.
00:54:34C'est un livre sur le KGB en France.
00:54:36Voilà, Marcel Chalet.
00:54:38Et dedans, il était écrit qu'il y avait une affaire, Farwell,
00:54:41dont on avait déjà entendu parler.
00:54:43Là, on voit les ravages de l'âge, mais c'est un autre dossier.
00:54:47Et donc, il était dit que cet homme,
00:54:51qui avait été une source d'information cruciale
00:54:54pour les services français, avait un beau frère
00:54:57qui était chanteur et qui chantait une chanson
00:55:00qui avait été un grand succès.
00:55:02Et alors, on s'est dit, tout simplement,
00:55:05que si on téléphonait à un ami qui était un guide,
00:55:09qu'il l'a été après pour nous, pour lui dire
00:55:12est-ce que tu connais ce chanteur, cette chanson ?
00:55:15Oui, tout à fait.
00:55:16Et on lui a dit, écoute, la prochaine fois qu'on vient à Moscou,
00:55:20on souhaiterait le rencontrer.
00:55:22Et le rendez-vous a été pris.
00:55:25Nous étions équipés, au début, de caméras discrètes,
00:55:30mais quand même avec une caméra visible.
00:55:34Et puis, on a commencé à entamer la conversation
00:55:37sur cette aire de musique.
00:55:39Vous connaissez les journalistes, un petit peu,
00:55:42un peu dans la rouerie.
00:55:45Et donc, qu'est-ce que nous avons fait ?
00:55:47On lui a dit, en tout cas, vous savez, votre beau-frère,
00:55:50pour nous, Français, il a été très important.
00:55:53On ignorait le nom et le prénom, on ignorait tout.
00:55:56Il n'y avait que le nom de code.
00:55:58Et c'est là qu'il dit, bah oui, Vladimir, bien sûr.
00:56:01Et il vous a parlé naturellement et librement.
00:56:03Bien sûr. Et il dit, Vetrov.
00:56:05Et donc, nous ressortons de cet entretien
00:56:08avec un élément d'information crucial,
00:56:10qui est le nom de famille.
00:56:12Mais c'est allé beaucoup plus loin.
00:56:14Il a dit, écoutez, ce que vous pouvez faire,
00:56:16c'est rencontrer sa femme,
00:56:18qui travaille ici, à 400 m.
00:56:20On le voit dans le sujet, vous l'approchez d'abord.
00:56:22Au musée de la bataille.
00:56:24Vous l'approchez en caméra cachée.
00:56:26Et puis, ensuite, elle décide de vous parler.
00:56:28Et effectivement, elle est particulièrement émouvante,
00:56:31cette femme.
00:56:33Sur l'affaire Farewell-Vetrov,
00:56:35est-ce que tout a été éclairci depuis Hervé Brusini ?
00:56:38Et notamment, ce soupçon lourdement nourri
00:56:42par l'ancien patron de la DST, Marcel Chalet,
00:56:45la France a-t-elle laissé tomber à Farewell ?
00:56:48L'a-t-elle compromis en expulsant 47 diplomates soviétiques
00:56:52sur la base de ses propres informations ?
00:56:54Oui. Question extrêmement délicate
00:56:56et qui reste toujours assez à vivre dans le service.
00:56:59Il y a des hommes qui ont travaillé sur ce dossier,
00:57:04qui n'ont pas accepté le coup de colère de Marcel Chalet,
00:57:09qui a dit, nous sommes certainement responsables,
00:57:13on ne s'est pas assuré,
00:57:15et pardon pour la trivialité de la phrase,
00:57:17mais le service après-vente.
00:57:19Et donc...
00:57:20Voici Marcel Chalet, qui dit qu'il n'aurait pas fallu
00:57:23expulser les diplomates, en gros.
00:57:25Il reproche la décision politique.
00:57:27Il reproche la décision politique,
00:57:29mais il reproche surtout, lors d'une entrevue
00:57:32entre l'ambassadeur et une autorité,
00:57:35François Scher, importante du ministère des Affaires étrangères,
00:57:40d'avoir mis sous les yeux de l'ambassadeur soviétique
00:57:43un ou deux documents qui venaient de ce qu'on appelle
00:57:47la production...
00:57:48-"Farwell".
00:57:49-"Farwell", c'est-à-dire les documents que Farwell
00:57:52avait procurés au service français.
00:57:55Et donc, Marcel, lui, pensait que ça avait certainement permis
00:58:00de localiser la source,
00:58:02à savoir le bureau de traduction,
00:58:04puisque Farwell était le responsable du bureau de traduction,
00:58:08et que c'est donc quelque chose qui aurait peut-être mis
00:58:12sur la piste de Farwell, de Vetrov,
00:58:16les soviétiques.
00:58:18Et que c'est peut-être ça qui a précipité sa fin,
00:58:22puisqu'au début, les soviétiques pensent
00:58:25que c'est une affaire passionnelle.
00:58:28Il y a un crime passionnel,
00:58:30la maîtresse qu'il voit, Vetrov...
00:58:33Mais ça n'est qu'un an plus tard qu'il est confondu
00:58:36comme un espion.
00:58:37Exactement.
00:58:38Comme un agent double.
00:58:39Comme un agent double, oui.
00:58:41On ne saura jamais avec certitude qui l'a trahi,
00:58:44sa maîtresse, Ludmilla, une taupe soviétique
00:58:47dans les services américains ?
00:58:49Ah, l'hypothèse de la taupe soviétique
00:58:53dans les services américains est extrêmement importante.
00:58:56Ah oui ?
00:58:57Oui.
00:58:58On n'a jamais bien clarifié ce pan de l'histoire
00:59:03et l'action de cet homme qui a été, je pense,
00:59:07très... Comment dire ?
00:59:09A provoqué énormément de dommages dans le camp occidental
00:59:13et y compris français.
00:59:15Donc, certainement, la maîtresse, bien sûr,
00:59:18elle joue un rôle.
00:59:20Là-dessus, je dois dire qu'un confrère russe
00:59:24a écrit un bouquin remarquable.
00:59:26Il a dit qu'il l'avait trouvé.
00:59:28Oui, il l'a retrouvé.
00:59:29Vous pensez bien que c'était ce que nous souhaitions faire.
00:59:32On aurait eu, en quelque sorte, la totale.
00:59:34C'est le chaînon manquant.
00:59:36Il s'appelle Sergeï Kostin et il a remarquablement travaillé.
00:59:40Mais c'est là où on voit que l'affaire de Farwell
00:59:44dépasse simplement le cadre français
00:59:47et que ce qui se passe ailleurs,
00:59:49l'intoxication qui peut se dérouler ailleurs
00:59:52par des taupes,
00:59:54par d'autres personnalités clandestines,
00:59:58russes, soviétiques,
01:00:00ont pu jouer un rôle
01:00:02par rapport à l'enquête sur l'affaire Farwell.
01:00:05Aujourd'hui, l'essentiel est à peu près clair.
01:00:10Je pense.
01:00:11On voit que vous aviez raison
01:00:13dans ce que vous exposiez en 90.
01:00:15C'est important de le dire.
01:00:17A l'époque de votre reportage, tout était sujet à caution.
01:00:20Vétroff est-il vraiment mort ?
01:00:22L'affaire n'était-elle pas une manipulation américaine
01:00:25pour tester le pouvoir socialiste ?
01:00:27Alors ça, c'est Mitterrand lui-même
01:00:29qui avait confié ses doutes aux deux journalistes de l'AFP
01:00:32qui ont fait la décennie Mitterrand,
01:00:34c'est-à-dire Pierre Favier et Michel-Martin Roland.
01:00:38Oui, alors ça, c'est là où on voit que François Mitterrand
01:00:42était quand même un expert, je dirais,
01:00:45de la parole et du contrefeu.
01:00:50Extraordinaire.
01:00:52D'aller retourner les choses,
01:00:55et ça ne s'est pas fait que pour ce dossier-là,
01:00:58il y en a eu beaucoup d'autres.
01:01:00L'affaire des Irlandais...
01:01:02Ils distillent le poison du doute.
01:01:04Absolument.
01:01:06Et dont on voit, pour nous qui sommes journalistes,
01:01:10quelque chose d'un peu triste,
01:01:12c'est qu'il s'est assez repris en caisse de résonance
01:01:16dans tout l'appareil médiatique de l'époque.
01:01:18Quand on regarde ça avec un peu d'attention,
01:01:20on voit que ça ne tient pas.
01:01:22Ça ne peut pas coller à la fois dans la chronologie,
01:01:25dans la façon dont ça se déroule.
01:01:27C'est vrai, mais ça, on le sait qu'après,
01:01:30en temps réel, le doute est ravageur.
01:01:33Au départ de cette enquête, Hervé,
01:01:35il y a un reportage que vous aviez programmé à Moscou
01:01:39parce que le KGB venait de créer
01:01:42un service de relations publiques.
01:01:44C'est quand même extraordinaire.
01:01:46C'est le monde à l'envers.
01:01:48Est-ce qu'on imagine le FSB
01:01:50créer un service de relations publiques
01:01:52en disant, venez, on va tout vous montrer ?
01:01:54Les attachés de presse sont en vacances.
01:01:56Exactement. Elles sont plutôt rudes.
01:01:58Donc, grande surprise.
01:02:02Et nous envoyons une lettre de proposition de film.
01:02:06Et stupéfiant, ils nous répondent en disant
01:02:09que nous sommes sélectionnés, en quelque sorte,
01:02:12avec une télé américaine, une japonaise et nous.
01:02:15Et c'est comme ça qu'ils nous invitent
01:02:18à venir dans la Lubyanka, le siège de l'horreur,
01:02:23signer un accord, tenez-vous bien,
01:02:26de coproduction entre Antenne 2 et le KGB.
01:02:30Et alors, oui, nous avons signé,
01:02:33mais nous avons signé avec une liberté absolue...
01:02:37Qui est dingue. Vue d'aujourd'hui, ça paraît dingue.
01:02:40On va voir un extrait.
01:02:42Vous voici donc en mission porte ouverte
01:02:45ou porte entre-ouverte au KGB.
01:02:47Vous avez beaucoup de questions.
01:02:49Vous n'obtenez pas beaucoup de réponses.
01:02:51C'en est parfois comique, on va voir le patron
01:02:53des relations publiques dans un instant,
01:02:55mais vous parvenez quand même à filmer
01:02:57à l'intérieur du sanctuaire de la Lubyanka,
01:02:59le coeur du système répressif soviétique
01:03:02qui est aujourd'hui le siège du FSB,
01:03:05l'héritier du KGB.
01:03:07Extrait donc de KGB, la forteresse,
01:03:10d'Hervé Brusini et Dominique Thiers,
01:03:12diffusé quelques mois après le premier sujet,
01:03:14le 7 février 1991, avec donc une visite
01:03:17inédite aux archives de la Lubyanka.
01:03:38Les atrocités, les destins tragiques
01:03:41sont consignés ici, dans ces rayonnages,
01:03:43aux archives du KGB de Moscou.
01:03:46De simples boîtes en carton,
01:03:48conservées depuis 1917 jusqu'à nos jours.
01:03:52Anonyme visage des victimes.
01:03:55La répression est lente, glaciale et silencieuse.
01:04:01De la GPU au NKVD, on trouve ici
01:04:04les pièces à conviction,
01:04:06les sentences sans appel,
01:04:08qui frappaient les ennemis du peuple.
01:04:1660 000 dossiers,
01:04:18à l'intérieur du sanctuaire de la Lubyanka,
01:04:21et à l'extérieur de la Lubyanka.
01:04:2560 000 dossiers,
01:04:27qui racontent 60 000 vies brisées.
01:04:30L'accès à toute cette mémoire
01:04:32reste interdit au public,
01:04:34interdit aux historiens.
01:04:41Parfois pourtant, le KGB
01:04:43exhume les traces d'un écrivain,
01:04:45d'un poète,
01:04:47comme Nikolai Kluyev,
01:04:49condamné une première fois
01:04:51à 50 dépenses de mort.
01:04:53Puis rejugé et fusillé en 1937.
01:04:56Dernier interrogatoire
01:04:58avant le peloton d'exécution.
01:05:00Question de l'enquêteur,
01:05:02que pensez-vous du pouvoir soviétique ?
01:05:05Seule réponse de Nikolai Kluyev,
01:05:07ses poèmes.
01:05:17Unique administration,
01:05:19ouverte 24h sur 24,
01:05:21le bureau des plaintes du KGB,
01:05:23en plein centre de Moscou.
01:05:25On n'y vient qu'émander un emploi,
01:05:27une pension,
01:05:29une décoration.
01:05:31On y rencontre aussi
01:05:33les blessures de l'histoire.
01:05:39Je cherche ma mère,
01:05:41je la cherche depuis longtemps déjà.
01:05:45Elle a été condamnée à 10 ans d'exil
01:05:47par le NKVD,
01:05:49d'après ses papiers,
01:05:51elle est restée enfermée
01:05:53beaucoup plus longtemps, la pauvre.
01:05:55Et depuis qu'elle est sortie,
01:05:57je ne sais pas ce qu'elle est devenue
01:05:59et personne ne peut me le dire.
01:06:01J'ai écrit partout,
01:06:03et aujourd'hui je m'adresse à vous.
01:06:05Vous êtes notre pouvoir,
01:06:07alors aidez-moi s'il vous plaît.
01:06:19Vous comprenez,
01:06:21je ne sais plus où m'adresser.
01:06:23Alors je me suis dit,
01:06:25si le NKVD était coupable,
01:06:27il faut qu'on s'occupe de mon cas.
01:06:29Aujourd'hui c'est au KGB de me répondre.
01:06:43Ce que j'ai cru ici,
01:06:45c'est très difficile à dire.
01:06:47Je ne suis pas très agréable
01:06:49et je comprends mieux ce qu'a pu ressentir ma mère.
01:06:51Comme elle, je me sens angoissée.
01:06:53J'ai le cœur qui bat très vite.
01:06:59Bon, s'ils m'aident,
01:07:01ça va peut-être réchauffer mon cœur,
01:07:03me réconcilier avec eux.
01:07:09Excusez-moi,
01:07:11maintenant il faut que je remplisse ces papiers.
01:07:17Sans aucun doute,
01:07:19tous les membres du KGB
01:07:21se rendent compte
01:07:33de leur responsabilité
01:07:35morale envers ces gens.
01:07:47Mais il faut bien comprendre
01:07:49que mes collègues et moi
01:07:51ne sommes pour rien.
01:07:55Nous ne sommes pour rien
01:07:57dans tout ce qui s'est passé
01:07:59à l'époque.
01:08:17Le KGB
01:08:19assume une partie de son passé.
01:08:21Celui des années 30,
01:08:2340, 50.
01:08:25Mais pas question de présenter des excuses
01:08:27pour un passé répressif
01:08:29plus récent.
01:08:35Voici le général Karbaïnov.
01:08:37Aujourd'hui, chef du service
01:08:39des relations publiques du KGB.
01:08:41Il y a quelques années encore,
01:08:43il était le chef du service
01:08:45spécialisé dans la chasse aux dissidents.
01:08:47Sur ses anciennes fonctions,
01:08:49les dénégations,
01:08:51les contre-vérités
01:08:53sont toujours de rigueur.
01:08:55Écoutez plutôt.
01:09:01Toutes ces méthodes sophistiquées
01:09:03dont on parle en Occident
01:09:05et dans les médias
01:09:07sont des inventions calomnieuses.
01:09:11Les internements,
01:09:13l'utilisation de médicaments,
01:09:15tout cela n'a jamais existé.
01:09:21J'apporte un démentic
01:09:23catégorique.
01:09:25Le KGB n'a jamais
01:09:27joué aucun rôle
01:09:29dans les internements psychiatriques.
01:09:33Quant au chantage
01:09:35ou à d'autres procédés illégaux,
01:09:37je déclare officiellement
01:09:39que jamais pareilles méthodes
01:09:41n'ont été utilisées.
01:09:43Dans la limite des informations
01:09:45dont je dispose, bien sûr.
01:10:03Impossible de filmer les caves,
01:10:05les chambres d'exécution
01:10:07maintes fois décrites par les historiens.
01:10:09Ici, à la Lubianka,
01:10:11le quartier général du KGB,
01:10:13ça n'a jamais existé, nous dit-on.
01:10:15Quant aux cellules
01:10:17où les prisonniers s'entassaient par centaines,
01:10:19nous avons bien failli
01:10:21ne jamais les voir.
01:10:31Avant, là-bas,
01:10:33c'était quoi ?
01:10:35C'était une partie de prison, là-bas.
01:10:37Il y avait combien de cellules ?
01:10:39Je ne sais pas.
01:10:41Vous pouvez compter ?
01:10:439, 18, et de l'autre côté,
01:10:45peut-être la même chose, je ne sais pas.
01:10:47C'est à peu près 35 ?
01:10:49À peu près 40.
01:10:51Qui a été détenu ici
01:10:53comme prisonnier important ?
01:10:55Je ne peux pas dire.
01:11:01Interminable couloir de la Lubianka.
01:11:07Des bureaux anonymes
01:11:09dont chaque locataire
01:11:11ignore ce que fait le voisin.
01:11:21Qu'il appartienne à un service administratif
01:11:23ou au contre-espionnage,
01:11:25l'agent du KGB
01:11:27a, sa clé, son coffre-fort.
01:11:31Un univers cloisonné
01:11:33où même les bouches d'aération
01:11:35sont scellées par des cachets de cire.
01:11:43Mais l'ouverture est totale
01:11:45lorsqu'il s'agit de visiter
01:11:47le bureau des dignitaires.
01:11:49Là, c'est le cabinet de travail
01:11:51dans lequel ont siégé
01:11:53tous les présidents du KGB.
01:11:57Dzerzhinsky,
01:11:59Yagoda,
01:12:01Yezhov,
01:12:03Beria,
01:12:05Chelypin,
01:12:07Semichasny.
01:12:09Le dernier à avoir occupé ce bureau,
01:12:11c'est Yury Andropov.
01:12:17Un vrai sanctuaire,
01:12:19ce cabinet de travail,
01:12:21délaissé pourtant par l'actuel patron,
01:12:23Triuchkov.
01:12:25C'est de l'autre côté de la rue
01:12:27qu'il a établi son quartier général.
01:12:29Nous ne pourrons filmer
01:12:31que sa voiture blindée,
01:12:33ses horaires de déplacement,
01:12:35ses itinéraires,
01:12:37son tenue secrète.
01:12:45Secret absolu aussi
01:12:47sur le centre de l'espionnage soviétique.
01:12:51Le siège de la première direction générale
01:12:53est situé dans la proche banlieue de Moscou.
01:12:55A plus de 500 mètres à la ronde,
01:12:57il faut un laissé-passer spécial
01:12:59pour approcher l'immeuble de neuf étages.
01:13:01C'est une petite ville
01:13:03qui a été bâtie,
01:13:05avec piscine, polyclinique
01:13:07et centre commercial.
01:13:13Nous allions tous avoir en revanche
01:13:15sur les diverses activités du KGB
01:13:17dans une république,
01:13:19nous avait-on dit.
01:13:21Exemple choisi, la Biélorussie
01:13:23et sa capitale, Minsk.
01:13:25La ville compte
01:13:27une bonne dizaine de KGB.
01:13:29D'abord le plus imposant,
01:13:31le KGB de la République.
01:13:33A 9h39,
01:13:35nous pénétrons
01:13:37dans le hall d'entrée.
01:13:49Donc on ne peut pas monter à l'étage ?
01:13:51Il n'y a pas de bureau,
01:13:53il n'y a rien.
01:13:55Non, il y a le bureau,
01:13:57mais pas le bureau responsable.
01:13:59Là, ça fait partie des bureaux secrets ?
01:14:01Non, c'est les mêmes couloirs
01:14:03qu'au quartier général du KGB.
01:14:05Ah oui.
01:14:07Un couloir,
01:14:09c'est pas la peine d'en montrer davantage.
01:14:11Nous verrons les mêmes couloirs
01:14:13de l'autre côté.
01:14:15Formidable.
01:14:17Quatre minutes plus tard,
01:14:19direction la sortie.
01:14:21Le KGB de district,
01:14:23cette fois.
01:14:35Nous sommes attendus.
01:14:39Rencontre officielle
01:14:41avec le camarade colonel Kovalenko,
01:14:43le responsable local.
01:14:4525 ans de parti communiste,
01:14:4725 ans de KGB.
01:14:55Voilà, ça,
01:14:57c'est ma carte professionnelle.
01:14:59Mais je ne la montre jamais ici.
01:15:01On me connaît.
01:15:07Il n'y a rien à voir
01:15:09dans ce bâtiment.
01:15:11Seulement dans cette pièce.
01:15:13Il n'y a rien dans ce bâtiment.
01:15:15Seulement des bureaux
01:15:17dans lesquels travaillent nos officiers.
01:15:21Il n'y a pas de services spéciaux ici.
01:15:23Alors je ne pense pas
01:15:25que ça puisse vous intéresser.
01:15:31Le colonel
01:15:33préfère nous expliquer
01:15:35les nouvelles priorités de son service.
01:15:37La lutte contre la mafia,
01:15:39les trafiquants,
01:15:41les contrebandiers.
01:15:45Le KGB se veut
01:15:47aujourd'hui le grand protecteur
01:15:49du citoyen
01:15:51contre la délinquance économique.
01:15:53Mais au fait,
01:15:55combien sont-ils à Minsk
01:15:57pour remplir cette noble tâche ?
01:16:01Nous n'avons pas l'habitude
01:16:03de répondre à cette question.
01:16:05Je sais qu'on la pose souvent
01:16:07au président Kriuchkov,
01:16:09mais on évite toujours d'y répondre.
01:16:13Devant notre insistance,
01:16:15la visite se poursuit.
01:16:25Une carte géographique,
01:16:29des téléphones,
01:16:31un coffre-fort,
01:16:33nous découvrions le standard.
01:16:39Je vais vous donner une réponse.
01:16:41Dans tout l'immeuble du KGB,
01:16:43nous ne visiterons que le standard.
01:16:51Voilà, on vous fait visiter
01:16:53le standard téléphonique.
01:16:55Agnès Chauvelina nous a rejoint.
01:16:57Bonjour, Agnès.
01:16:59Hervé Bozzini, est-ce qu'on peut être juste
01:17:01une minute ?
01:17:03Si, à la même époque,
01:17:05une équipe de la Télé soviétique
01:17:07était amortie au siège de la DGSE,
01:17:09je ne suis pas sûr qu'elle aurait eu
01:17:11beaucoup plus d'images et beaucoup plus de réponses.
01:17:13On est d'accord ?
01:17:15Evidemment.
01:17:17D'ailleurs, il y a eu un grand film
01:17:19qui est passé récemment,
01:17:21de visite de la DGSE.
01:17:23On voit beaucoup de murs.
01:17:25Il y a des paroles extrêmement intéressantes.
01:17:27Non, je ne fais pas d'ironie gratuite.
01:17:29Parce que, par définition,
01:17:31il y a un problème.
01:17:33Montrer ce qu'on ne peut pas montrer,
01:17:35expliquer ce qu'on
01:17:37ne peut pas expliquer.
01:17:39Mais c'est intéressant, en même temps,
01:17:41de montrer qu'on se heurte
01:17:43aux murs du silence.
01:17:45En quelque sorte, de bien le peindre,
01:17:47en voyant silence,
01:17:49mensonge.
01:17:51Vous avez fait deux très
01:17:53beaux sujets.
01:17:55La taupe, donc,
01:17:57et KGB, la forteresse,
01:17:59pour un voyage spécial. Vous avez bien rentabilisé
01:18:01ce voyage à Moscou.
01:18:03On en a fait d'autres, après.
01:18:05Et surtout, il y a eu aussi une monteuse
01:18:07qui s'appelle Annie-Claude Becket.
01:18:09Absolument géniale, là-dessus.
01:18:11Les ralentis, la manière
01:18:13de concevoir ça comme une sorte
01:18:15de film d'espionnage. On lui doit
01:18:17beaucoup, ainsi qu'à toute l'équipe
01:18:19qui a été absolument remarquable.
01:18:21C'est bien de lui rendre hommage.
01:18:23Agnès, vous allez nous parler
01:18:25du prestigieux prix Albert Londres.
01:18:27Eh bien oui, Patrick,
01:18:29parce qu'il m'a semblé qu'en la présence
01:18:31d'Hervé Brusini,
01:18:33de vous et Hervé, ce sujet s'imposait.
01:18:35À la fois parce que vous êtes
01:18:37un des lauréats de ce prix,
01:18:39lauréat 1991 pour le reportage
01:18:41que l'on vient de voir ce soir,
01:18:43et puis que désormais, vous le présidez,
01:18:45ce prix. C'est incroyable.
01:18:47Or, il faut savoir que ce prix
01:18:49est ancien, puisqu'il date de
01:18:511933. Il a été créé
01:18:53par la fille d'Albert Londres,
01:18:55Floris Martinet Londres,
01:18:57qui a voulu à la fois
01:18:59rendre hommage au travail de son père
01:19:01et puis promouvoir
01:19:03le grand reportage.
01:19:05C'est très prestigieux.
01:19:07C'est un peu l'équivalent du Nobel
01:19:09ou du Goncourt pour
01:19:11les journalistes francophones.
01:19:13Et pendant des décennies,
01:19:15seule la presse écrite était concernée
01:19:17et récompensée.
01:19:19Oui, alors c'est un peu une curiosité,
01:19:21puisque d'une certaine façon, quand même,
01:19:23le reportage télévisuel
01:19:25existe, cinq colonnes
01:19:27à la une dans les années 60,
01:19:29en est une démonstration.
01:19:31Or, ce prix est très tardif, quand même,
01:19:33puisque 1985,
01:19:35comme reconnaissance, c'est tardif.
01:19:37Et la création de ce prix Albert Londres
01:19:39de l'audiovisuel, on le doit à un grand journaliste,
01:19:41Henri de Turenne.
01:19:43Un grand journaliste de presse écrite,
01:19:45à l'origine. A à peine 30 ans,
01:19:47il va d'ailleurs
01:19:49avoir le prix Albert Londres
01:19:51grâce à ses reportages sur la guerre de Corée.
01:19:53Mais Henri de Turenne
01:19:55a cette caractéristique que c'est un journaliste
01:19:57de presse écrite qui, très vite,
01:19:59découvre la potentialité
01:20:01et la puissance
01:20:03de la télévision.
01:20:05Écoutons-le en parler.
01:20:07On est en 1967.
01:20:09Aujourd'hui,
01:20:11on peut faire du journalisme
01:20:13dans différents domaines.
01:20:15On peut faire du journalisme écrit, comme vous le savez,
01:20:17on peut faire du journalisme parlé, on peut faire du journalisme télévisé.
01:20:19Moi, je suis journaliste,
01:20:21je me sers de ma plume,
01:20:23de la machine à écrire,
01:20:25et tout d'un coup, on me dit qu'avec une caméra aussi,
01:20:27on peut raconter des histoires.
01:20:29Je ne veux pas me priver de ce plaisir, ça m'intéresse.
01:20:31J'essaye de m'en servir,
01:20:33plus ou moins bien, mais j'essaye.
01:20:35Raconter des histoires,
01:20:37Henri de Turenne savait
01:20:39parfaitement le faire dans les années 70.
01:20:43Pour moi, et pour beaucoup d'autres,
01:20:45l'histoire à la télévision, celle des grands
01:20:47documentaires sur les événements du XXe siècle,
01:20:49avait sa voix, qu'on vient l'entendre
01:20:51et qu'on va réentendre, cette voix
01:20:53un peu traînante, un peu
01:20:55nasillarde, goyeuse, mais
01:20:57au service d'une écriture magnifique.
01:20:59Qui, en effet, a marqué toute une génération.
01:21:01Henri de Turenne est aussi
01:21:03un grand documentariste,
01:21:05un expert du documentaire
01:21:07historique, il en a signé
01:21:09énormément, il co-signe
01:21:11les grandes batailles avec Daniel Costel,
01:21:13il a co-signé aussi avec
01:21:15les Américains toute une série
01:21:17de documentaires sur la guerre du Vietnam
01:21:19qui vaudront un Emmy Award, ce qui évidemment
01:21:21n'est pas rien, et effectivement,
01:21:23vous le disiez, c'est une écriture
01:21:25très ciselée, c'est vraiment
01:21:27au plus près de l'image,
01:21:29c'est très caractéristique,
01:21:31sa voix également, c'est la bataille
01:21:33de l'Atlantique en 1968.
01:21:35À la veille de la seconde
01:21:37guerre mondiale, Hitler
01:21:39a reconstitué la Kriegsmarine, comme le reste,
01:21:41au mépris des traités.
01:21:43Les cuirassés de poche,
01:21:45ultra-légers, mais dotés d'un armement redoutable,
01:21:47ont permis à l'Allemagne
01:21:49de tourner les clauses du traité de Versailles.
01:21:51Elle les a déjà violées
01:21:53en construisant des sous-marins
01:21:55dès 1935, et tout cela,
01:21:57il faut bien le dire, avec
01:21:59la bénédiction de la Grande-Bretagne.
01:22:01Il pose sa voix de documentariste
01:22:03après avoir été un très grand journaliste
01:22:05pendant des années, il a eu
01:22:07des scoops, et pourtant, ce maître du documentaire
01:22:09télévisé a dû batailler ferme
01:22:11pour imposer la création d'un
01:22:13prix Albert Londres audiovisuel.
01:22:15Il a dû se battre un peu avec la condescendance
01:22:17de ses confrères de la presse écrite
01:22:19qui jugeaient que la télévision était un média vulgaire.
01:22:21Et d'ailleurs, on voit en 1985
01:22:23à quel point la télévision
01:22:25est fière d'avoir
01:22:27la création de ce prix
01:22:29avec cette mention
01:22:31journalisme télévisuel.
01:22:33On écoute Bernard Rappel lancer
01:22:35au journal du soir, au journal de 20h.
01:22:37Un prix qui est très important
01:22:39pour nous autres journalistes,
01:22:41le prix Albert Londres qui couronne chaque année
01:22:43le ou les meilleurs reporteurs du moment.
01:22:45Cette année, c'est Antenne 2 Le Point
01:22:47qui était à l'honneur. Pour Le Point, c'est Alain Louillot
01:22:49qui a reçu le prix. Et pour la première fois,
01:22:51l'audiovisuel était récompensé
01:22:53à travers Antenne 2 pour le film Les combattants
01:22:55de l'insolence, réalisé par
01:22:57Christophe de Ponfilly et Bertrand Gallet.
01:22:59Un formidable document tourné
01:23:01pour notre chaîne par ces deux journalistes
01:23:03de l'agence Scoop.
01:23:05Et donc à partir de là, les journalistes
01:23:07et les reporteurs d'image accèdent
01:23:09à la reconnaissance de leur père.
01:23:11Et puis, plus personne n'y reviendra.
01:23:13Oui, c'est un changement de perception,
01:23:15en fait. Ca a apporté ça,
01:23:17l'audiovisuel, la mention
01:23:19du journalisme télévisuel au prix Albert Londres.
01:23:21C'est une consécration.
01:23:23Enfin, les journalistes de télévision
01:23:25peuvent se dire qu'eux aussi ont le droit
01:23:27de porter la plume dans la plaie,
01:23:29à l'instar de leurs confrères de la presse écrite.
01:23:31Mais pour le mot de la fin,
01:23:33j'aimerais laisser Henri Thurenne,
01:23:35qui est aussi un visionnaire.
01:23:37On l'écoute au micro
01:23:39de Guillaume Erner, on est en 2011.
01:23:41Est-ce que vous avez remarqué
01:23:43une évolution dans le prix Albert Londres ?
01:23:45Oui, il y a surtout eu
01:23:47l'évolution du fait que
01:23:49les moyens de diffusion ont
01:23:51changé. Il y a la télévision
01:23:53qui est arrivée. A mon initiative,
01:23:55il y a 25 ans, on a créé
01:23:57à côté du prix pour la presse
01:23:59écrite, un prix pour
01:24:01les reportages de télévision.
01:24:03Nous commençons à avoir des candidats
01:24:05qui viennent d'Internet
01:24:07et je sens que bientôt,
01:24:09nous allons être obligés de créer
01:24:11un troisième prix pour Internet.
01:24:13Mais ce qui nous importe
01:24:15toujours, c'est le style. Il reste ça.
01:24:17Avoir du style et écrire bien.
01:24:19Avoir du style
01:24:21et écrire bien. Je le dis fort
01:24:23pour que ce soit entendu.
01:24:25Au-delà de ces murs.
01:24:27Avoir du style et écrire bien,
01:24:29c'est des choses qui parfois se perdent.
01:24:31Oui, et puis y aller
01:24:33avec force.
01:24:35C'est un journalisme offensif
01:24:37et on voit bien que quand on pratique
01:24:39ce journalisme, qu'on soit
01:24:41de la presse écrite,
01:24:43du livre, parce qu'on a un prix du livre,
01:24:45de l'audiovisuel,
01:24:47mais aussi de la radio,
01:24:49nom de Dieu, et du web,
01:24:51on a fait deux bourses.
01:24:53Mais bien sûr,
01:24:55eh bien, peu à peu, oui,
01:24:57le prix Albert Lund,
01:24:59malgré ses 90 ans,
01:25:01n'est pas du tout en kilos.
01:25:03Il n'a pas droit vers l'avenir
01:25:05parce qu'on se rend compte que l'information
01:25:07est capitale pour toutes les générations
01:25:09et fortiori les jeunes.
01:25:11N'oublions pas le photojournalisme.
01:25:13La photographie fait partie
01:25:15de l'écosystème
01:25:17médiatique et vous avez
01:25:19signé un recueil
01:25:21que j'ai commencé à feuilleter
01:25:23qui m'a fasciné. Albert Lund et la photographie
01:25:25aux éditions Le Bec
01:25:27en l'air, ce sont des photos
01:25:29prises par Albert Lund
01:25:31prises par des photographes
01:25:33lors de ses voyages, de ses reportages
01:25:35et certaines d'entre elles sont restées
01:25:37inédites pendant des décennies.
01:25:39Oui, on le voit à l'oeuvre,
01:25:41on le voit en train de faire ses interviews.
01:25:43Je trouve que c'est un document
01:25:45qui est assez émouvant
01:25:47et puis on voit
01:25:49la manière dont lui-même cadre
01:25:51et on voit,
01:25:53par le jeu de ce qui
01:25:55est écrit, la façon
01:25:57dont Albert applique son style.
01:25:59Vous avez la physionomie
01:26:01d'une personne et vous avez
01:26:03les mots qui décrivent cette physionomie
01:26:05par Albert et c'est là
01:26:07qu'on voit l'extraordinaire talent
01:26:09d'Albert Lund.
01:26:11C'est un homme qui écrit en punchline
01:26:13quasiment toutes les deux lignes,
01:26:15comme on dit aujourd'hui.
01:26:17Merci infiniment, Hervé Brossigny,
01:26:19de nous avoir accompagné pour cette rediffusion
01:26:21de vos reportages moscovites.
01:26:23Merci,
01:26:25Agnès Chauveau, je vous dis merci
01:26:27d'avoir suivi ce Rambobina
01:26:29et je vous dis à très bientôt
01:26:31pour de nouvelles aventures dans les archives de l'INA.

Recommandations