Aurélie Trouvé, députée La France insoumise de Seine-Saint-Denis
Elle a repeint des façades de multinationales... fauché des chaises dans des banques et parfois terminé en garde à vue. Aurélie Trouvé s'est longtemps battue pour un autre monde, mais loin de tout parti politique. L'ancienne activiste d'Attac s'est lancée en politique en 2021. Elle siège aujourd'hui au sein du groupe La France insoumise à l'Assemblée.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Elle a repeint des façades de multinationales... fauché des chaises dans des banques et parfois terminé en garde à vue. Aurélie Trouvé s'est longtemps battue pour un autre monde, mais loin de tout parti politique. L'ancienne activiste d'Attac s'est lancée en politique en 2021. Elle siège aujourd'hui au sein du groupe La France insoumise à l'Assemblée.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
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00:00Elle a repeint des façades de multinationales, fauché des chaises dans des banques et parfois terminé en garde à vue.
00:07Mon invitée s'est longtemps battue pour un autre monde, mais elle l'a fait loin de tout parti politique.
00:12Elle siège aujourd'hui au sein du groupe La France Insoumise à l'Assemblée.
00:15– Générique –
00:29– Bonjour Aurélie Trouvé. – Bonjour Clément.
00:31– Alors vous avez incarné pendant longtemps l'alter mondialisme en France
00:34en étant co-présidente de l'association Attaque, vous en avez aussi été la porte-parole.
00:40Et je vous propose de revoir comment vous évoquiez votre engagement à l'époque, c'était en 2006.
00:46– J'ai toujours eu une sensibilité par rapport aux inégalités du monde, de l'entreprise
00:50et ensuite j'ai compris que c'était un système néolibéral de capitalisme financier débridé
00:56qui était à la base de ça et donc je pense qu'Attaque ça a été vraiment un milieu
01:00dans lequel j'ai pu approfondir ça et ensuite militer de plus en plus pour ces idées.
01:05– Alors vous expliquez que vous avez toujours été sensible aux inégalités du monde de l'entreprise
01:09et dans une autre interview vous faites aussi le lien avec le parcours professionnel compliqué de votre père.
01:15Est-ce que les racines de votre engagement ne sont pas là dans cette sensibilité aux injustices que vous évoquiez ?
01:22– Oui parce que je viens comme beaucoup de Françaises et de Français d'une classe moyenne,
01:26mon père a été longuement au chômage et je crois que j'ai toujours eu ce sentiment d'injustice
01:32et de ne pas faire partie de cette élite bourgeoise et héritière
01:38et j'ai toujours voulu me battre pour répartir les richesses et par exemple je ne supporte pas
01:43qu'on dise qu'un chômeur c'est parce qu'il n'a pas voulu traverser la rue qu'il n'a pas d'emploi
01:47alors qu'en réalité vous le savez il y a un emploi disponible pour 14 chômeurs en France.
01:52– Et donc c'est ce qui a déclenché votre engagement vous pensez ?
01:55– Entre autres et puis après j'ai fait des études d'ingénieur agronome
01:59et là j'ai compris aussi que tous les méfaits, les dégâts de la mondialisation néolibérale,
02:05la marchandisation, c'est à ce moment-là que je m'engage dans le mouvement altermondialiste
02:09puisque c'est aussi le début des grands forums sociaux altermondialistes
02:14où il y a disons beaucoup de populations du monde qui se disent que finalement
02:18cette fameuse mondialisation heureuse qu'on nous a vendue elle n'est pas heureuse,
02:21elle met en concurrence les pays, les entreprises et elle tire vers le bas
02:26toutes les conditions de travail des gens, les normes environnementales,
02:31ça favorise aussi l'évasion fiscale et donc c'est tout ce combat-là ensuite
02:35que j'ai voulu mener à travers l'association ATTAC et le mouvement altermondialiste.
02:39– Pour en revenir à cet archive, moi ce qui me marque aussi c'est que
02:42vous parlez comme une femme politique, vous avez déjà un discours de femme politique,
02:46pourquoi est-ce que vous n'êtes pas engagée directement dans un parti politique ?
02:49– Alors je considère que la politique, vous savez au sens étymologique du terme,
02:52c'est la vie de la cité et pour se battre, pour nos idées dans la cité,
02:56il y a différentes façons de le faire et moi j'étais bénévole associative pendant 20 ans
03:00et d'ailleurs j'ai un immense respect pour le travail bénévole
03:03parce qu'il faut savoir que c'est celui-ci qui fait qu'aujourd'hui
03:06il y a tellement de solidarité en France quand l'État est défaillant,
03:09vous voyez par exemple dans ma circonscription de Seine-Saint-Denis,
03:12à Noisilsec ou à Bondy, je peux vous dire qu'heureusement qu'il y a des associations d'aide alimentaire,
03:17heureusement qu'il y a des associations de jeunes pour faire de la solidarité.
03:21– Mais vous étiez un peu, comment dire, ça vous épeure les partis, vous n'aimiez pas ça ?
03:25– Non alors j'ai toujours été sur l'idée qu'en fait il faut résister de multiples façons,
03:31on peut résister dans le milieu associatif en tant que syndicaliste aussi,
03:35c'est extrêmement important le syndicalisme aujourd'hui
03:38pour se battre pour ses conditions de travail,
03:39et j'ai d'ailleurs aussi été élue syndicale, et puis dans la politique,
03:43et la politique, justement il faut redonner aussi des belles couleurs à la politique,
03:48je crois que c'est ça qu'on essaye de faire à la France Insoumise
03:50et dans le Nouveau Front Populaire, et notamment dire aux gens,
03:53je le dis aussi aux gens qui ont des valeurs de gauche,
03:58que oui on peut avoir une force politique qui ne trahit pas ses engagements.
04:03– Alors vous expliquez que vous avez toujours cherché une réponse globale
04:06au dysfonctionnement du capitalisme,
04:08et que c'est votre côté justement ingénieur agronome qui veut ça,
04:11mais est-ce que ce n'est pas aussi qu'il y a une vraie radicalité en vous,
04:15vouloir tout changer plutôt qu'améliorer le système ?
04:19– Mais je crois que c'est par pragmatisme en vérité,
04:21d'ailleurs je suis aussi donc chercheuse en économie,
04:24j'ai une double formation agronome et économiste,
04:26et c'est franchement du pragmatisme, c'est-à-dire que par exemple
04:30si vous voulez faire en sorte que tout le monde mange bien
04:32et de façon suffisante et saine, en réalité il faut relocaliser l'agriculture,
04:36et par exemple, juste un exemple,
04:38vous voulez faire en sorte qu'on interdise le glyphosate qui est très néfaste,
04:42c'est un produit phytosanitaire très néfaste,
04:44un herbicide néfaste pour la santé humaine,
04:47et bien il ne suffit pas seulement de l'interdire en France,
04:49il faut aussi interdire tous les produits qui ont été traités avec du glyphosate,
04:53ça, ça demande de remettre en cause la libre concurrence totale en Europe
04:58et de remettre en cause le droit européen.
05:00– Pendant toutes vos années de militantisme associatif,
05:02vous avez mené un nombre incalculable d'actions
05:04contre des multinationales ou des institutions publiques,
05:07vous avez occupé des magasins d'Apple,
05:08vous avez repeint la façade de la Samaritaine,
05:10du siège de Total, même de la Caisse des dépôts,
05:15est-ce que toutes ces actions spectaculaires produisent vraiment des résultats ?
05:18Est-ce que c'est efficace ?
05:19– Je vais vous prendre l'exemple des OGM,
05:21le fait qu'il y ait des mouvements qui aient fauché des champs d'OGM
05:26font qu'on a eu ensuite une close de sauvegarde
05:28qui fait qu'aujourd'hui vous n'avez pas le droit
05:30de produire des plantes OGM en France, et je pense tant mieux.
05:34Donc on fait évoluer aussi la loi grâce à cette désobéissance civile,
05:38à ces lanceurs d'alerte, là en l'occurrence j'ai fait énormément d'actions
05:42contre l'évasion fiscale des grandes multinationales
05:45et vous le voyez aujourd'hui, c'est une question éminemment importante,
05:49à l'heure aussi où vous voyez,
05:50vous avez une grande cure d'austérité budgétaire
05:54qui est prévue par le gouvernement Barnier,
05:57et bien on dit qu'il y a de l'argent à aller chercher,
05:59ne serait-ce que dans la grande évasion fiscale que mènent les multinationales.
06:03En mars 2020, vous avez brandi un portrait d'Emmanuel Macron
06:06tête en bas, près de l'Elysée,
06:08et ça vous a valu d'être placé en garde à vue,
06:10soupçonné d'avoir volé ce portrait officiel dans une mairie.
06:14Vous l'avez vécu comment, cette garde à vue ?
06:17Très mal, parce que j'avais juste un portrait d'Emmanuel Macron
06:23emprunté, parce que c'est un maire qui nous l'a prêté,
06:26emprunté à une mairie pour dénoncer la politique d'Emmanuel Macron,
06:31c'était le jour même, c'est la journée mondiale du climat.
06:34Et c'était pour dire qu'il y avait une telle grande inaction
06:38de l'état français du président Macron en la matière,
06:40que la France ne menait pas une lutte.
06:42Ça c'est votre sortie de garde à vue, il y avait un comité d'accueil on va dire.
06:46J'y ai passé 25 heures en garde à vue,
06:49pour rien en fait, et ce que je veux dire, ce n'est pas que mon exemple,
06:52c'est qu'on est tellement de bénévoles, de responsables associatifs,
06:56ou syndicaux, aujourd'hui à être réprimés par les gouvernements en place,
07:01pour nous faire taire en réalité.
07:03Et oui, franchement, sur le coup, j'ai passé quelques semaines ou quelques mois
07:08un peu apeurée, je vous le dis.
07:09C'est-à-dire, vous vous êtes interrogée sur votre engagement ?
07:12Cette répression, ben non, parce que j'ai quand même continué,
07:15oui j'ai hésité pendant un temps ensuite à faire des actions,
07:17quand on vit 25 heures de garde à vue, dans des conditions,
07:21enfin je passe les détails, mais je l'ai raconté dans une tribune,
07:24où on m'a privée de beaucoup de droits élémentaires pendant les 25 heures,
07:29mais c'est pour vous dire qu'on est des centaines, des milliers dans ce cas-là.
07:33Et de m'en avoir vécu, évidemment, personnellement,
07:36j'en fais aujourd'hui un combat.
07:37En 2021, vous avez publié un livre, le Bloc arc-en-ciel,
07:41un plaidoyer pour l'union des gauches, une sorte de convergence des luttes
07:44politiques, syndicales, associatives, c'était un peu la nupe avant l'heure ?
07:48Je pense, oui, alors vous voyez que c'est marqué pour une stratégie politique
07:52radicale et inclusive, parce que je considère que l'unité pour l'unité
07:57ne sert à rien, il faut une unité pour permettre une rupture
08:01avec le système néolibéral actuel.
08:04Et donc c'est aussi pour ça que je me bats au sein de la France insoumise
08:07et dans le Nouveau Front populaire pour que notre programme
08:10soit un programme de rupture.
08:12Ça qui me semble important, parce que si on refait une politique
08:15d'aménagement du système, ou voire de trahison de nos engagements,
08:19ce que je considère être la présidence Hollande,
08:22eh bien on n'aura rien réglé, les gens ne voteront plus pour nous.
08:24Donc il faut redonner aussi de l'envie aux gens de voter pour nous,
08:28pour changer leur vie en fait, il faut qu'ils se disent
08:31de voter pour le Nouveau Front populaire, ça changera nos vies.
08:34À la sortie de votre livre, vous avez expliqué au sujet de l'union des gauches
08:36« si je n'y crois pas, je finis dépressive ».
08:39Ça va, vous n'avez pas sombré dans la dépression ?
08:41Pas du tout, au contraire, je suis déterminée.
08:44Vous y croyez toujours à cette union des gauches ?
08:45Bien sûr, alors vous avez vu qu'on est arrivés en tête quand même
08:49des élections législatives, bon, les élections européennes,
08:54notamment il y a des millions de gens qui ont voté pour nous,
08:57qui viennent des classes populaires, qui viennent de la jeunesse,
09:01ces millions de voix en plus, on leur doit beaucoup.
09:04Et en tout cas, nous, ça nous donne de la force pour continuer.
09:07Vous avez rejoint la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon fin 2021,
09:11qu'est-ce qui vous a fait franchir le pas ?
09:14Enfin, j'ai envie de dire.
09:15Enfin, parce qu'en fait, oui, on m'a souvent sollicité
09:19pour que ce soit le cas.
09:20D'abord, une profonde adéquation aux idées de la France insoumise,
09:25l'idée aussi que cette force politique allait pouvoir emmener
09:30de manière plus globale la gauche sur un programme de rupture.
09:33Et puis aussi de me dire, voilà, je me suis battue 15 ou 20 ans
09:36comme bénévole associative et comme enseignante chercheuse,
09:39je le dis aussi parce que j'avais un engagement dans mon travail très fort.
09:43Et aujourd'hui, je souhaite le faire en politique et comme depuis.
09:45Et avec l'idée de quoi ? D'être plus efficace ?
09:48Non, d'avoir une autre forme d'engagement,
09:50parce que je respecte toutes ces formes d'engagement-là.
09:52Mais députée de pas n'importe quel département,
09:55en l'occurrence chez moi et de Seine-Saint-Denis,
09:56parce que je considère aussi qu'être députée de Seine-Saint-Denis,
09:59c'est une responsabilité particulière.
10:01C'est assez drôle, je ne sais pas.
10:03En tout cas, il se trouve qu'Alma Dufour a fait le même cheminement,
10:06le même parcours que vous, au même moment,
10:08passé du milieu associatif à la politique et à la France insoumise, justement.
10:12Mais nous sommes arrivés en même temps.
10:14Vous vous êtes concertée ? Vous en aviez discuté ?
10:16Bien sûr, en fait, on se connaissait tous aussi
10:18du milieu alter mondialiste, des ONG, etc.
10:21Et en fait, Jean-Luc Mélenchon a eu cette idée assez géniale
10:25de créer le Parlement de l'Union populaire
10:27que j'ai présidé pendant toute la campagne,
10:29et qui était de dire aussi d'avoir un espace,
10:33j'ai envie de dire, d'intégration, d'arrivée, de débat, d'action,
10:37de tout un tas de personnes, comme Rachel Keke aussi et d'autres,
10:40ou Claire Lejeune, qui est aujourd'hui députée,
10:42et qui ne viennent pas du monde politique au sens des partis politiques,
10:46mais qui font de la politique.
10:48Il y en a qui ont fait le chemin inverse.
10:50Il y a Cécile Duflo, Benoît Hamon,
10:52qui ont quitté la politique pour rejoindre des ONG.
10:54Ils ont tous les deux été ministres et ils ont estimé à un moment
10:58qu'ils seraient plus utiles dans le milieu associatif.
11:00Vous le comprenez, ça aussi ?
11:02Tout à fait. D'ailleurs, on en a parlé parfois avec Cécile Duflo,
11:04parce qu'elle, au moment où elle rejoint Oxfam,
11:07moi, je rejoins la France insoumise.
11:10L'important, il est que chacune de ces organisations
11:14garde aussi une indépendance.
11:15Moi, j'ai quitté Attaque très clairement.
11:17Ça n'empêche que toutes ces organisations associatives et syndicales
11:20restent indépendantes.
11:21Et je le dis aussi à la France insoumise,
11:23nous considérons que nous avons besoin de ces mouvements sociaux
11:27pour nous porter, mais aussi, une fois au pouvoir,
11:29nous aurons besoin de la force de ces mouvements sociaux
11:33pour faire changer aussi les idées dans la société.
11:35On arrive à la fin de cette émission.
11:36On va donc passer au quiz avec des phrases que je vais commencer
11:40et que vous allez terminer.
11:42Avant d'être élue, je pensais que les députés...
11:48Que les députés avaient un rôle important.
11:51D'accord. Vous aviez déjà une haute estime du mandat, de la fonction.
11:56Tout à fait. Mais important, mais pas suffisant.
11:59Je considère aussi qu'il y a bien d'autres façons de résister.
12:02Si j'avais été désignée directrice générale du FMI,
12:04le Fonds monétaire international,
12:06vous aviez été candidate.
12:07Tout à fait. J'aurais mené une politique alter-mondialiste.
12:12Vous avez été candidate, mais vous n'avez pas pu aller très loin.
12:15Exactement. Mais ça m'a permis de parler des idées
12:18de cet autre monde qui est possible
12:21en cassant le néolibéralisme économique.
12:24Avoir été championne de France Espoir du 3000 mètres steeple.
12:29Eh bien, ça a été... C'est plus que ça.
12:32C'est 15 ans de sport de haut niveau.
12:36Ça a changé ma vie et la vie de beaucoup de jeunes françaises.
12:41Ça m'a donné l'endurance et la conviction,
12:44mais surtout l'obstination. C'est important.
12:47Mais aussi cette idée que l'accès au sport populaire est essentiel.
12:52En Seine-Saint-Denis, vous avez quatre fois moins
12:55d'équipements sportifs par habitant par rapport au reste de la France.
12:59Beaucoup de communes manquent d'équipements sportifs.
13:02Les parents veulent inscrire leur enfant, il n'y a pas de place.
13:05C'est intolérable, inacceptable.
13:07Je veux me battre pour l'accès au sport populaire
13:10car je sais ce que le sport a fait dans ma vie.
13:13Merci, Aurélie Trouvé, d'être venue dans La Politique et moi.
13:35Sous-titrage Société Radio-Canada