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Cette vidéo documentaire explore l'évolution fascinante des grands magasins, ces temples du commerce qui ont transformé notre manière de faire du shopping. À travers des récits historiques, des images d'archives et des témoignages d'experts, le documentaire retrace l'ascension de ces établissements emblématiques, leur impact sur la société et les tendances de consommation. "Retour aux sources" nous plonge dans les coulisses des grands magasins, dévoilant des anecdotes surprenantes et illustrant comment ils ont su s'adapter aux changements du marché au fil des décennies. C’est un hommage à ces lieux de vie et de découverte qui continuent de fasciner le public.

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00:00:00Même si vous n'y êtes jamais entré, vous connaissez probablement leur nom, le Bon Marché, la Samaritaine ou encore les Galeries Lafayette.
00:00:08Ce soir, retour aux sources des grands magasins.
00:00:30Bonsoir à tous et à toutes et bienvenue à vous dans Retour aux sources.
00:00:42Au cœur du XIXe siècle, dans un Paris qui change de visage, naissent de nouvelles villes dans la ville, les grands magasins.
00:00:50Plus que des lieux de commerce, ces enseignes vont devenir les symboles d'une société en mutation tout en participant activement à ses évolutions.
00:00:57C'est dans le décor féérique et luxueux des grands magasins que seront inventés des concepts qui composent encore notre mode de vente et de dépense,
00:01:05lancé des habitudes que nous avons gardées jusqu'à aujourd'hui.
00:01:08Les prix fixes et les soldes, le libre-service, les modes à suivre absolument, l'importance des vitrines, des éclairages, des événements temporaires,
00:01:16le magasin comme lieu de loisir autant que d'achat, la tenue et l'attitude des vendeuses.
00:01:21Le fait que justement ce soit principalement des vendeuses car les magasins constitueront aussi un vecteur d'émancipation des femmes,
00:01:27tout autant que le lieu où elles seront la cible du marketing et d'une pression à la consommation.
00:01:32Le film de ce soir nous raconte cette aventure fascinante que nous commenterons avec nos invités, les historiens Caroline Esguin et Pierre Leclerc.
00:01:40Nous évoquerons bien sûr avec eux l'histoire belge des grands magasins, quels ont été les équivalents chez nous et qu'ont-ils changé dans notre vie.
00:01:47Nous reviendrons bien sûr à cette occasion et notamment sur l'incendie de l'innovation de Bruxelles en 1967.
00:01:53Mais d'abord voici la folle histoire des grands magasins, on se retrouve juste après.
00:02:03Même si vous habitez loin de Paris, beaucoup d'entre vous ont eu l'occasion de voir ou au moins d'entendre parler des vitrines de Noël des grands magasins.
00:02:12Et même si vous habitez à l'étranger, vous savez qu'à côté de la Tour Eiffel, du Louvre ou de Notre-Dame,
00:02:18les grands magasins sont un passage obligé pour qui vient visiter la capitale.
00:02:26Les grands magasins parisiens sont aujourd'hui au nombre de cinq, les Galeries Lafayette, le BHV, le Printemps, le Bon Marché et la Samaritaine,
00:02:35dont la rénovation récente fut l'occasion de redécouvrir à quel point ce sont tous de véritables monuments historiques.
00:02:43Mais qui connaît vraiment leur histoire qui s'étend sur plus de 170 ans ?
00:02:52Depuis 1852, dans le monde du commerce, les grands magasins ont presque tout inventé.
00:02:58Les prix fixes, le libre-service, le crédit à la consommation ou les soldes.
00:03:03Mais ils ont aussi donné leurs lettres de noblesse à la publicité, à la mode, au design et par leur architecture,
00:03:10comme par leurs décorations intérieures ou leurs ateliers d'art, ils ont été d'incontournables acteurs culturels.
00:03:21En consacrant en 1883 le onzième volume de sa série « Des Rougons Macquares »
00:03:26aux grands magasins qu'il avait baptisés « Au bonheur des dames », Émile Zola avait vu juste.
00:03:31Les grands magasins parisiens, par leur génie du commerce, leur inventivité et leur démesure,
00:03:37ont contribué à précipiter non seulement la France, mais le monde entier dans ce que nous appelons encore aujourd'hui la modernité.
00:03:45Et c'est cette histoire épique que ce film va raconter.
00:03:5029 septembre 1902.
00:03:53Émile Zola est retrouvé mort, asphyxié à son domicile.
00:03:56L'affaire Dreyfus, lui ayant valu tant de haine, la presse s'interroge.
00:04:01Accident ou crime ?
00:04:03Et si des milliers de Français, émus aux larmes, suivent ce jour-là son cercueil,
00:04:08pour éviter tout incident, l'armée a été déployée pour l'assassinat.
00:04:12Ironie de l'histoire.
00:04:14Avant d'arriver au cimetière de Montmartre, le convoi passe devant un grand mur publicitaire
00:04:20sur lequel est inscrit en lettres capitales un nom aujourd'hui oublié.
00:04:24Du Fayel.
00:04:26Le nom de l'un des plus impressionnants grands magasins de l'époque,
00:04:30dont Zola aurait pu dire ce qu'il avait dit du bonheur des dames.
00:04:34C'est le nom de l'un des plus importants magasins de l'époque.
00:04:38Dont Zola aurait pu dire ce qu'il avait dit du bonheur des dames.
00:04:42C'était un temple magnifique, un palais somptueux,
00:04:45une éblouissante cathédrale que l'on découvrait avec exaltation,
00:04:49le cœur plein d'une admiration religieuse.
00:04:57Temple, cathédrale, palais.
00:05:00Pour décrire les premiers grands magasins,
00:05:02qui sont vécus comme des créations absolument révolutionnaires,
00:05:06ces qualificatifs sont souvent employés,
00:05:09alors même que leurs fondateurs sont tous d'origine modeste.
00:05:12Prenez Aristide Boussicaut, le pionnier.
00:05:15Celui qui va créer le premier des grands magasins, le bon marché.
00:05:19Un des tableaux qui le représente avec sa femme Marguerite
00:05:23nous le montre imposant, cossu, semblant appartenir au meilleur monde.
00:05:28Pourtant, comme ses concurrents, il a commencé comme calico,
00:05:32c'est-à-dire comme simple commis dans un magasin de nouveautés
00:05:35et les boutiques dans lesquelles il a fait ses premières armes ne payaient pas de mine.
00:05:39Mais Aristide est un visionnaire,
00:05:42et tous les fondateurs des grands magasins le sont également.
00:05:45Tous devinent que le XIXe siècle va imposer une autre révolution que celle de 1789,
00:05:51une révolution commerciale qui bouleversera de fond en comble les habitudes de vente et d'achat.
00:05:58Les premiers, ils comprennent que c'est le crépuscule des boutiques
00:06:02dans lesquelles ils ont eux-mêmes travaillé et que décrit Zola
00:06:05quand il évoque l'oncle Baudu et son bric-à-brac sombre à la décoration vétuste
00:06:10et aux étagères poussiéreuses que Denise, l'héroïne du bonheur des dames, découvre en arrivant à Paris.
00:06:32Boussicaut et les autres fondateurs des grands magasins comprennent que la clientèle aspire à un autre type de négoce,
00:06:51et pour la satisfaire, se moquant bien des Baudus et de leur nostalgie,
00:06:55ils décident du passé de faire tableau.
00:06:58Car au milieu du XIXe siècle et pendant longtemps encore,
00:07:01des boutiques comme celle du malheureux Baudu, il y en a partout.
00:07:09Gérées par les propriétaires eux-mêmes sur quelques mètres carrés,
00:07:12ces échoppes, indépendantes, sont autant d'établissements spécialisés.
00:07:17On y entre pour acheter un produit et l'acheter,
00:07:20et pas question de faire ce qu'on veut.
00:07:22On ne touche pas la marchandise, on ne flâne pas,
00:07:25on se rend directement au comptoir pour demander son article,
00:07:28on paye son dû et on s'en va.
00:07:33Les prix ne sont pas affichés, fixés à la tête du client qui est contraint de tout marchander,
00:07:38et n'existe évidemment pas cette pulsion qui nous semble aujourd'hui si naturelle.
00:07:42Ces petites boutiques sont homogènes au Paris populaire,
00:07:45où les rues minuscules sont innombrables,
00:07:47et on ne voit pas comment des magasins plus vastes
00:07:50pourraient s'installer dans la plupart des quartiers
00:07:53où les carrioles elles-mêmes ont du mal à passer.
00:07:58Les boutiques sont aussi des endroits où on peut acheter,
00:08:01et où on peut acheter, et où on peut acheter,
00:08:04et où on peut acheter, et où on peut acheter,
00:08:07et où on peut acheter, et où on peut acheter,
00:08:10et où on peut acheter, et où on peut acheter.
00:08:14C'est pourquoi l'on ne comprend rien à l'histoire des grands magasins
00:08:18si l'on ne comprend pas que la deuxième moitié du XIXème siècle qui vit leur naissance
00:08:23va coïncider avec la transformation de la capitale elle-même,
00:08:27sous la direction du futur baron Haussmann,
00:08:30nommé préfet de la Seine en 1853.
00:08:35Mandaté par Napoléon III,
00:08:37Haussmann a une ambition,
00:08:39que Paris se métamorphose en une capitale résolument moderne
00:08:43où les marchandises pourront circuler aussi facilement que les hommes.
00:08:52De 1853 à 1870, la capitale devient un vaste chantier à ciel ouvert.
00:08:59Elle est assainie, de nouveaux immeubles sont construits,
00:09:02mieux pensés, plus majestueux, de grands axes sont percés,
00:09:06la circulation facilitée et des quartiers entiers prennent un nouveau visage.
00:09:12Travaux pharaoniques qui rendent possible la création des grands magasins
00:09:16qui s'installeront presque tous sur la rive droite,
00:09:19dans le cœur historique de la capitale,
00:09:21là où se concentre une grande partie de l'activité économique et commerciale de la ville.
00:09:29Certes, Haussmann ne fait pas l'unanimité
00:09:31et Baudelaire est loin d'être le seul à regretter le vieux Paris,
00:09:34comme dans son poème, Le Cygne.
00:09:37Journalistes et écrivains stigmatisent Haussmann en l'appelant
00:09:40« l'attila de la ligne droite »
00:09:42et des membres de l'opposition dénoncent sa gestion financière,
00:09:45tel Jules Ferry qui publie en 1868 un brûlot
00:09:49« Les contes fantastiques d'Haussmann ».
00:09:52Mais il est trop tard pour faire machine arrière.
00:10:02Dans le même temps, la France bascule d'une société agraire
00:10:06vers une société industrielle.
00:10:08Émergent alors progressivement de nouvelles industries,
00:10:11acier, chimie, pétrole et bientôt automobile,
00:10:15dont le travail à la chaîne, au début du XXe siècle,
00:10:18va encore accélérer la fabrication.
00:10:22Cette production de masse est encouragée
00:10:24par le développement des transports maritimes.
00:10:26C'est une époque où des centaines de personnes
00:10:29parcourent la Seine pour approvisionner les grands magasins.
00:10:34Et puis il y aura, bien sûr, la révolution du train,
00:10:37qui facilitera non seulement l'acheminement des marchandises,
00:10:40mais encore celui des clients, y compris étrangers.
00:10:46Assurés de ne jamais manquer d'approvisionnement,
00:10:48c'est-à-dire de contenu,
00:10:50les fondateurs des grands magasins
00:10:52peuvent du coup se concentrer sur le contenant.
00:11:00Ils se disent tous la même chose,
00:11:02que le désir d'acheter commence à l'extérieur.
00:11:06Plus le futur client sera impressionné dans la rue,
00:11:09plus il aura envie d'aller voir ce qui se passe à l'intérieur.
00:11:12Une façade réussie,
00:11:14tel est d'abord le secret.
00:11:18D'où par exemple la référence explicite
00:11:20à l'architecture des châteaux
00:11:22qu'est la tour d'angle,
00:11:24qui devient emblématique du style français.
00:11:29Essentielles aussi dans cette stratégie commerciale,
00:11:32les vitrines immenses et lumineuses,
00:11:35qui seront à l'occasion de véritables scènes de théâtre.
00:11:41Sur les toits,
00:11:43d'impressionnantes verrières serties de métal
00:11:45font immédiatement lever au ciel
00:11:47les yeux des visiteurs,
00:11:49tout en permettant aux lieux
00:11:51de ne jamais être sombres.
00:11:53Les grands magasins font appel aux meilleurs artistes,
00:11:56aux meilleurs ateliers,
00:11:58Gustave Eiffel lui-même sera par exemple
00:12:00mise à contribution lors de l'agrandissement
00:12:02du bon marché.
00:12:04L'architecture métallique industrielle,
00:12:06l'utilisation virtuose du fer forgé et du verre,
00:12:09la multiplication des structures modulaires,
00:12:12toutes les innovations sont saisissantes.
00:12:20Avant d'acheter, c'est clair.
00:12:22On se promène,
00:12:24et comme Denise entrant pour la première fois
00:12:26au Bonheur des Dames, on admire
00:12:28la hauteur des plafonds,
00:12:30la majesté des atriums,
00:12:32la monumentalité des piliers
00:12:34et des escaliers,
00:12:36la beauté des fresques murales
00:12:38et des lambris sculptés.
00:12:42Cette révolution architecturale
00:12:44et ornementale s'inspire
00:12:46des expositions universelles,
00:12:48qui se multiplient dans les grandes capitales
00:12:50pour chanter la gloire du monde moderne
00:12:52et qui célèbrent les innovations
00:12:54industrielles et technologiques de l'époque,
00:12:56tout un univers de progrès
00:12:58dont les grands magasins sont, de fait,
00:13:00les enfants.
00:13:06Énergie nouvelle, innovation majeure,
00:13:08l'électricité fait son apparition
00:13:10à Paris à la fin des années 1870,
00:13:12et après l'éclairage public,
00:13:14les grands magasins,
00:13:16au même titre que les gares,
00:13:18sont les premiers à l'adopter à grande échelle.
00:13:20Une lumière éternelle éclaire
00:13:22les vitrines, les rayons
00:13:24et les allées.
00:13:28Des globes opalescents,
00:13:30des plafonniers en cristal
00:13:32suspendus dans l'air,
00:13:34jettent une clarté douce,
00:13:36étoilée de reflets d'arc-en-ciel.
00:13:40Les escaliers deviennent roulants
00:13:42et les ascenseurs ne cessent
00:13:44de se perfectionner.
00:13:46Dès 1874, le printemps
00:13:48avait créé l'événement en invitant
00:13:50les Parisiens à se rendre à l'inauguration
00:13:52des ascenseurs de Vienne.
00:13:54Deux ascenseurs pionniers installés
00:13:56dans l'une des cours du bâtiment.
00:14:02Ces ascenseurs avaient été présentés
00:14:04pour la première fois à l'exposition universelle
00:14:06de Vienne l'année précédente
00:14:08et avaient rencontré un phénoménal succès.
00:14:10C'est toute une civilisation
00:14:12que les fondateurs des grands magasins
00:14:14ont le sentiment de célébrer.
00:14:16Un univers de prospérité,
00:14:18de luxe
00:14:20et bien sûr de consommation.
00:14:30À travers les décennies,
00:14:32chaque fois qu'un enfant
00:14:34s'est rendu dans un grand magasin
00:14:36avec sa mère,
00:14:38tel le petit garçon qu'on voit sur ces images,
00:14:40il est peu probable
00:14:42qu'il ait fait tout de suite
00:14:44la différence entre la samaritaine,
00:14:46le bon marché, le printemps,
00:14:48les galeries Lafayette ou le BHV.
00:14:50Mais en tout cas,
00:14:52ce qu'il a bien dû remarquer,
00:14:54c'est qu'il y avait certes d'autres enfants comme lui,
00:14:56qu'il y avait également des hommes, bien sûr,
00:14:58mais surtout des femmes.
00:15:00Beaucoup de femmes,
00:15:02aussi bien jeunes que plus âgées.
00:15:04Mais comment aurait-il pu se douter
00:15:06que les grands magasins avaient été
00:15:08dès l'origine pensés pour elles ?
00:15:10Que c'était elles qu'il fallait d'emblée attirer et séduire ?
00:15:12Ce qui expliquait
00:15:14pourquoi Zola avait tenu à donner
00:15:16à son roman un titre aussi singulier,
00:15:18« Au bonheur des dames ».
00:15:20Zola écrivait précisément ceci.
00:15:22« C'était la femme
00:15:24que les magasins se disputaient
00:15:26par la concurrence,
00:15:28la femme qu'ils prenaient au continuel piège
00:15:30de leurs occasions,
00:15:32après l'avoir étourdie devant leurs étalages.
00:15:34Elles éveillaient dans sa chair de nouveaux désirs.
00:15:36Ils étaient une tentation immense
00:15:38où elles succombaient fatalement,
00:15:40cédant d'abord à des achats de bonnes ménagères,
00:15:42puis gagnés par la coquetterie,
00:15:44puis dévorées.
00:15:46Dévorées carrément.
00:15:48Et Zola dut utiliser à propos des grands magasins
00:15:50une autre métaphore.
00:15:52Comment dire ? Culinaire.
00:15:54C'était des mécaniques
00:15:56à manger les femmes.
00:16:04Pouvoir choisir.
00:16:06Cette notion qui nous semble
00:16:08aujourd'hui si évidente
00:16:10ne l'était pas avant la naissance
00:16:12des grands magasins.
00:16:14Et ce, même pour les femmes
00:16:16les plus fortunées.
00:16:18Une couturière venait chez elle
00:16:20avec quelques robes,
00:16:22ou bien on les accueillait dans un petit salon
00:16:24pour leur présenter quelques modèles,
00:16:26mais il y avait toujours le filtre
00:16:28de ce que les modistes décidaient de leur montrer.
00:16:30Désormais,
00:16:32pour inciter les femmes à acheter
00:16:34et acheter plus,
00:16:36on leur propose pour s'habiller des montagnes
00:16:38de tissus qui s'étendent à perte de vue.
00:16:40Des robes de toutes les coupes
00:16:42et de toutes les couleurs,
00:16:44des pyramides de chapeaux, de chaussures.
00:16:46On fait de la rue
00:16:48le début du terrain de bataille.
00:16:50L'intérieur et l'extérieur
00:16:52se confondent
00:16:54et la France devient la référence
00:16:56pour son art de la présentation des produits
00:16:58tous azimuts.
00:17:00À la différence des commerces traditionnels,
00:17:02les grands magasins
00:17:04décloisonnent leurs rayons.
00:17:06Comptoirs, piliers, murs,
00:17:08tous les espaces disponibles
00:17:10sont transformés en présentoirs,
00:17:12jusqu'aux marches des escaliers
00:17:14où des vases et des paniers sont disposés.
00:17:26Le directeur du Bonheur des Dames
00:17:28a beau être un personnage de roman,
00:17:30il ressemble de fait
00:17:32aux neuf aventuriers du commerce
00:17:34qui, seuls ou avec leur épouse,
00:17:36fondèrent les cinq grands magasins
00:17:38que nous connaissons encore aujourd'hui.
00:17:42Octave Mouret
00:17:44était un génie des affaires,
00:17:46doué d'un charme magnétique,
00:17:48d'une intelligence vive
00:17:50et d'une détermination sans faille.
00:17:52Mais il avait d'abord et avant tout
00:17:54une passion, vaincre les femmes.
00:17:56Il fouillait leurs cœurs,
00:17:58il les prenait aux entrailles,
00:18:00il les ligotait dans la langueur
00:18:02des coins obscurs
00:18:04où elles se sentaient défaillir.
00:18:06Zola ne tourne pas autour du pot,
00:18:08il considère clairement
00:18:10que cette nouvelle forme de négoces
00:18:12n'est pas sans rapport
00:18:14avec la sexualité.
00:18:16Mouret complait les femmes
00:18:18avec une telle délicatesse,
00:18:20un tel empressement,
00:18:22une telle science,
00:18:24où les femmes, explique Crument Zola,
00:18:26deviennent des proies,
00:18:28du gibier à prendre, à posséder.
00:18:30Les grands magasins
00:18:32veulent les conquérir toutes.
00:18:34C'est de la chasse en plein Paris.
00:18:38Mais avec un chasseur subtil
00:18:40et doux dont l'un des secrets
00:18:42est de laisser les femmes tout faire,
00:18:44toucher, essayer,
00:18:46déambuler, regarder,
00:18:48s'informer sans obligation d'achat,
00:18:50l'expression
00:18:52« entrée libre »
00:18:54fait son apparition.
00:18:56Il s'agit d'encourager les clientes
00:18:58à considérer les grands magasins
00:19:00comme un espace où rien ne les menace,
00:19:02où personne ne les contraint,
00:19:04où elles décident seules
00:19:06de leurs allées et venues,
00:19:08exactement comme elles le font
00:19:10dans un jardin ou une place publique.
00:19:12Ce qu'il faut, ce n'est surtout pas
00:19:14les forcer comme le chasseur force un cerf,
00:19:16mais au contraire
00:19:18qu'elles ne ressentent aucune entrave.
00:19:20Ce qu'on veut d'abord et avant tout,
00:19:22c'est qu'elles passent dans les lieux
00:19:24le plus de temps possible.
00:19:26Aussi, toutes les stratégies
00:19:28ont trois objectifs.
00:19:30Les faire rêver, prolonger leur présence
00:19:32et les faire revenir ensuite
00:19:34le plus vite possible.
00:19:40Commençons par les femmes de la bourgeoisie.
00:19:42Pour elles, dont la vie sociale
00:19:44est plus que limitée,
00:19:46les grands magasins se présentent
00:19:48comme un espace de liberté.
00:19:50Il faut mesurer à quel point
00:19:52se retrouver seule dans la rue
00:19:54ne va pas de soi quand on est une femme.
00:19:56Tout au plus,
00:19:58le peuvent-elles pour rendre des visites de courtoisie,
00:20:00faire de petits achats,
00:20:02aller à l'église
00:20:04ou mener à bien leurs œuvres de charité.
00:20:06Les seules activités ludiques
00:20:08envisageables à l'extérieur du foyer
00:20:10sont les fêtes familiales,
00:20:12quelques sorties au théâtre
00:20:14ou des promenades au bois.
00:20:16Avec les grands magasins,
00:20:18les femmes de la bourgeoisie peuvent enfin quitter
00:20:20leur domicile sans avoir à rendre des comptes.
00:20:24Effet nouveau,
00:20:26une part du budget familial leur est dévolue,
00:20:28leur offrant un semblant d'indépendance financière.
00:20:34Miracle trompeur mais bien réel,
00:20:36dans les grands magasins,
00:20:38elles découvrent que tout tourne autour d'elles.
00:20:42Elles se sentent attendues,
00:20:44écoutées, choyées.
00:20:46Pour tout dire,
00:20:48elles se sentent existées.
00:20:50Le grand magasin devient un jardin d'Éden
00:20:52où elles se rendent parfois tous les jours.
00:20:56On peut en sourire aujourd'hui
00:20:58et trouver cela dérisoire
00:21:00puisqu'il s'agit d'un paradis artificiel et marchand.
00:21:02Mais il faut repenser
00:21:04au carcan de l'époque.
00:21:08Comme le bon marché ou le BHV,
00:21:10le printemps, la Samaritaine
00:21:12et la Galerie Lafayette
00:21:14deviennent pour les femmes de la bourgeoisie
00:21:16une seconde maison
00:21:18qui, tout en faisant naître chez elles de nouveaux besoins,
00:21:20arrivent à en satisfaire d'anciens
00:21:22qu'elles affectionnent depuis longtemps.
00:21:26C'est ainsi qu'on leur laisse
00:21:28la possibilité de prendre place
00:21:30dans un salon de lecture,
00:21:32un jardin d'hiver ou une salle de théâtre.
00:21:34Car dans le magasin même,
00:21:36on organise des spectacles,
00:21:38notamment des concerts et des ballets.
00:21:42Idée simple,
00:21:44mais aucun architecte n'y avait encore pensé,
00:21:46on installe des toilettes
00:21:48dont l'inexistence dans l'espace public
00:21:50compliquait la sortie des femmes
00:21:52hors de leur maison.
00:21:54Les femmes de la bourgeoisie
00:21:56se laissent ainsi emporter
00:21:58par l'atmosphère enivrante
00:22:00de la consommation,
00:22:02mais aussi du délassement.
00:22:12...
00:22:28D'emblée,
00:22:30les grands magasins affichent une ambition,
00:22:32commercialiser tous les produits
00:22:34manufacturés sans se spécialiser
00:22:36dans aucun.
00:22:38Et au XIXe siècle,
00:22:40au XXe siècle,
00:22:42ils ne cessent d'imposer au grand public
00:22:44l'idée que rien de ce qui peut se vendre
00:22:46ne leur est étranger.
00:22:48C'est un véritable inventaire
00:22:50à l'après-vert.
00:22:52Une lame de fond,
00:22:54un pantalon,
00:22:56une porte avec son paillasson
00:22:58et, pourquoi pas, un avion.
00:23:00...
00:23:12Quand la publicité deviendra omniprésente
00:23:14au cinéma et à la télévision,
00:23:16la samaritaine,
00:23:18le plus inventif des grands magasins
00:23:20en la matière,
00:23:22en fera d'ailleurs, et pendant des années,
00:23:24son slogan publicitaire le plus célèbre.
00:23:26Comme l'écrivait Zola,
00:23:28chaque coin du magasin
00:23:30devait offrir une nouvelle merveille
00:23:32à explorer.
00:23:34On devait pouvoir trouver des articles
00:23:36pour chaque aspect de la vie quotidienne.
00:23:38Les étalages semblaient infinis
00:23:40et une myriade d'articles
00:23:42étaient présentés avec une profusion
00:23:44étourdissante.
00:23:46Les rayons des grands magasins
00:23:48étaient un véritable trésor de tentation.
00:23:50...
00:24:00Vous voulez que je ferme la fenêtre?
00:24:02...
00:24:16Mais on retrouve tout, la samaritaine!
00:24:18...
00:24:22Introduisant des prix fixes
00:24:24et transparents,
00:24:26contrairement aux boutiquiers
00:24:28qui estimaient que vendre,
00:24:30c'était d'abord négocier,
00:24:32les grands magasins attirent le chaland
00:24:34en lui offrant la conviction
00:24:36de ne pas être arnaqué.
00:24:38Acheter sans avoir à discuter
00:24:40est considéré unanimement
00:24:42comme un progrès,
00:24:44comme un signe de modernité.
00:24:46Et si les bourgeois, émerveillés
00:24:48de ne pas avoir à chicaner,
00:24:50acceptent parfois de payer plus cher
00:24:52par pure élégance,
00:24:54tous les clients, sans exception,
00:24:56sont séduits.
00:24:58Contrastant avec la complexité
00:25:00des négociations traditionnelles,
00:25:02les étiquettes de prix sont visibles
00:25:04et accessibles à tous,
00:25:06inscrites avec application.
00:25:08Tous les chiffres pareils,
00:25:10les décimes bien alignés,
00:25:12le tout si clair que chacun
00:25:15Les grands magasins peaufinent
00:25:17leur système de prix,
00:25:19baissant les articles invendus,
00:25:21acceptant même de les vendre à perte,
00:25:23confiant dans le renouvellement
00:25:25rapide des marchandises.
00:25:27En raison de leur capacité à acheter en gros,
00:25:29à réduire les coûts de fonctionnement
00:25:31et à proposer des produits en grande quantité,
00:25:33ils se contentent, si nécessaire,
00:25:35d'une marge mince
00:25:37qui défie toute concurrence.
00:25:39Autre véritable révolution,
00:25:41les soldes qui font leur apparition
00:25:43pour la première fois en 1866.
00:25:45Soldes de liquidation
00:25:47pour se débarrasser
00:25:49de certaines marchandises,
00:25:51mais également soldes ponctuelles
00:25:53pour des occasions particulières,
00:25:55comme l'anniversaire du grand magasin
00:25:57ou la rentrée scolaire.
00:25:59C'est une idée énorme !
00:26:01Oui !
00:26:03Mais faut-il le préciser ?
00:26:05Tout en adoptant cette politique
00:26:07de prix abordable,
00:26:09les grands magasins ne se plaindront
00:26:11jamais de cette révolution
00:26:13qu'ils imposent au monde du commerce.
00:26:15Au fil des années,
00:26:17leurs chiffres d'affaires
00:26:19s'élèveront à des centaines
00:26:21de millions de francs.
00:26:23Les grands magasins ne souhaitant pas
00:26:25être des palais de la tentation
00:26:27que pour les seuls clients aisés,
00:26:29dès leur ouverture,
00:26:31ils réussissent à toucher
00:26:33une clientèle beaucoup plus modeste
00:26:35et donc beaucoup plus large.
00:26:41Musée Saint-Germain
00:26:43a été créé en 1866
00:26:45pour la première fois
00:26:47en 1866.
00:26:49Il s'agit d'un musée
00:26:52Musée s'était écrié
00:26:54« Vive le mélodrame
00:26:56où Margaux a pleuré ».
00:26:58Le XIXe siècle aurait pu dire
00:27:00« Vive le magasin
00:27:02dont Margaux a rêvé ».
00:27:07Les femmes qui n'ont guère d'argent
00:27:09sont séduites par l'abondance
00:27:11des marchandises,
00:27:13par la possibilité d'acheter
00:27:15des produits de qualité à moindre coût,
00:27:17mais aussi par la proximité
00:27:19qu'elles peuvent avoir avec le luxe.
00:27:23Il leur semble qu'elles n'ont
00:27:25qu'à tendre la main,
00:27:27que tout leur est dû,
00:27:29à elles aussi.
00:27:31Même si elles hésitent à entrer
00:27:33et finiront par acheter en priorité
00:27:35des articles simples,
00:27:37des étoffes modestes
00:27:39avec lesquelles elles confectionneront
00:27:41des vêtements,
00:27:43des produits qu'on appelle
00:27:45de première nécessité,
00:27:47elles ont le sentiment
00:27:49de participer à un monde
00:27:51qui pourtant leur échappe.
00:27:53Le luxe n'est pas plus
00:27:55à leur portée qu'avant,
00:27:57mais au lieu de l'apercevoir
00:27:59de loin,
00:28:01elles le touchent maintenant
00:28:03du doigt.
00:28:05Elles peuvent même feindre
00:28:07de pouvoir l'acheter,
00:28:09et cette proximité,
00:28:11tout en les frustrant,
00:28:13leur donne l'illusion
00:28:15En observant jour après jour
00:28:17ce qui se passe dans leurs rayons,
00:28:19les patrons des grands magasins
00:28:21deviennent des spécialistes
00:28:23de la psychologie collective.
00:28:25Ainsi, comprennent-ils très vite
00:28:27par exemple que les clients
00:28:29peuvent acheter sans besoin
00:28:31lorsqu'ils voient des rayons
00:28:33pris d'assaut par d'autres.
00:28:35Faire comme les autres.
00:28:37Qui aurait pu penser
00:28:39que la pulsion d'imitation
00:28:41deviendrait banale
00:28:43et que cette pulsion
00:28:45pourrait être canalisée
00:28:47et orientée à volonté.
00:28:55On a pu constater depuis l'aube des temps
00:28:57notre propension à suivre
00:28:59l'exemple de ceux qui nous entourent.
00:29:01Combien de pensées,
00:29:03de sentiments et de désirs
00:29:05avons-nous fait nôtres
00:29:07en nous modelant sur autrui.
00:29:09Mais aucun doute,
00:29:11l'exemple de l'artiste
00:29:13n'avait jamais été encouragé
00:29:15à une telle échelle
00:29:17dans le monde du commerce.
00:29:33Mais les clientes,
00:29:35riches ou pauvres,
00:29:37nonchalantes ou exaltées,
00:29:39n'oublient pas l'histoire
00:29:41que ce film raconte.
00:29:43Il y a également,
00:29:45et ô combien sont-elles importantes,
00:29:47les vendeuses,
00:29:49les fameuses «demoiselles»
00:29:51des magasins.
00:29:53Les femmes constituant
00:29:55parfois jusqu'à 90 %
00:29:57de la clientèle,
00:29:59la tenue des stands
00:30:01est désormais confiée
00:30:03non au seul calico,
00:30:05même si les hommes
00:30:07et les femmes comme Denise,
00:30:09voyant l'occasion de gagner
00:30:11leur indépendance financière
00:30:13en échappant au travail des champs
00:30:15ou à l'usine,
00:30:17affluent de la France entière.
00:30:23Demoiselle de magasin
00:30:25est un métier très sollicité.
00:30:27La demande est supérieure à l'offre
00:30:29et obtenir une place
00:30:31est souvent affaire de recommandation.
00:30:33L'expression «être pistonné»
00:30:35n'est pas une expression
00:30:37dans la langue française.
00:30:39Le métier est pourtant difficile.
00:30:41Les vendeuses doivent être
00:30:43constamment en mouvement
00:30:45et n'ont pas le droit
00:30:47de s'asseoir pendant des journées
00:30:49qui sont interminables.
00:30:51Il faudra attendre une loi de 1901
00:30:53pour qu'elles aient enfin le droit
00:30:55de se reposer quelques minutes
00:30:57entre deux clientes.
00:30:59Les députés considérant
00:31:01après moultes réflexions
00:31:03se demandent.
00:31:05Mais peu de vendeuses se plaignent
00:31:07de ce qu'elles considèrent
00:31:09comme un poste privilégié.
00:31:11Car même si toutes ne sont pas payées
00:31:13équitablement selon les rayons,
00:31:15leur rémunération est supérieure
00:31:17à la moyenne de ce que touchent
00:31:19les femmes qui travaillent
00:31:21et elles peuvent espérer
00:31:23des commissions sur certaines ventes.
00:31:25Notamment quand elles ont la chance
00:31:27de servir des clientes privilégiées
00:31:29comme Sarah Bernard,
00:31:31aussi bien pour commander
00:31:33une veste fourrée à son chien
00:31:35que pour s'acheter un manteau
00:31:37d'automobile Paul Poiré.
00:31:41Les vendeuses qui n'ont pas
00:31:43de famille à Paris sont souvent
00:31:45logées notamment dans les combles
00:31:47du grand magasin lui-même.
00:31:49Dès le matin tôt,
00:31:51elles doivent être apprêtées,
00:31:53pimpantes mais aussi discrètes.
00:31:55Pas question de faire de l'ombre
00:31:57aux clientes qui doivent,
00:31:59elles en se miroir.
00:32:03Les vendeuses qui occupent
00:32:05le poste le plus recherché
00:32:07dans les grands magasins
00:32:09ne sont pas les seules femmes
00:32:11à former l'armée des demoiselles.
00:32:13Il y a aussi les manutentionnaires
00:32:15ou les dactylos
00:32:17ou encore les couturières.
00:32:21Dans les ateliers de chaque
00:32:23grand magasin, des centaines
00:32:25d'ouvrières sont mobilisées
00:32:27pour les vendeuses.
00:32:29Elles sont des saintes,
00:32:31robes de soie, de laine
00:32:33ou de coton,
00:32:35robes extravagantes ou sages,
00:32:37robes de mariage ou de deuil,
00:32:39robes d'après-midi ou de bal.
00:32:41A chaque occasion de la vie,
00:32:43sa robe.
00:32:45C'est par exemple le triomphe
00:32:47de ce qu'on appelle le faux cul,
00:32:49la proéminence artificielle
00:32:51des reins, l'augmentation
00:32:53du volume apparent des fesses.
00:32:55Sans doute en référence
00:32:57aux arrondis de la calligraphie.
00:32:59Comme le docteur Frankenstein
00:33:01au début du siècle dans le roman
00:33:03de Marie Shelley,
00:33:05les couturières des grands magasins
00:33:07contribuent à la naissance
00:33:09d'une nouvelle femme,
00:33:11certes plus libre,
00:33:13mais qui ne doit tout de même
00:33:15pas oublier que son corps,
00:33:17de préférence avec une taille fine
00:33:19et une poitrine soutenue,
00:33:21est d'abord fait pour plaire aux hommes.
00:33:23Avant que les femmes ne s'en libèrent
00:33:25ou les défilés qu'organisent
00:33:27les grands magasins avec de jeunes
00:33:29mannequins aux formes parfaites
00:33:31et aux déhanchements audacieux.
00:33:33En 1858,
00:33:35quelques années après l'ouverture
00:33:37du bon marché,
00:33:39le couturier Charles Frederick Worth
00:33:41est le premier à présenter
00:33:43ses créations sur des mannequins vivants.
00:33:45Cela nous semble aujourd'hui
00:33:47aller de soi qu'il n'y ait rien
00:33:49de mieux que de faire porter
00:33:51les vêtements qu'on souhaite ensuite
00:33:53commercialiser.
00:33:55Et pourtant, cela non plus n'existait
00:33:57pas avant la naissance des grands magasins
00:33:59qui vont s'emparer de cette invention
00:34:01et le défilé historique
00:34:03de 1858 jettera
00:34:05les bases du défilé de mode moderne
00:34:07tel que nous le connaissons
00:34:09encore aujourd'hui.
00:34:15Après avoir été vendeuse,
00:34:17quand Denise se voit proposer
00:34:19de devenir mannequin,
00:34:21elle hésite en raison de sa modestie,
00:34:23mais surtout de l'image qu'elle avait
00:34:25jusqu'alors d'elle-même.
00:34:27S'afficher ainsi, d'abord à moitié nue
00:34:29et ensuite, à l'encant, sur un podium,
00:34:31quelle insupportable idée !
00:34:33Mais les grands magasins
00:34:35contribuent à modifier aussi
00:34:37le regard que les femmes portent
00:34:39sur elles-mêmes.
00:34:41Ils façonnent avec une telle insistance
00:34:43de nouvelles normes de beauté
00:34:45que la pression qui s'exerce sur les femmes
00:34:47pour s'adapter à ces normes
00:34:49fera oublier en partie l'image
00:34:51qu'elles croyaient être leur.
00:34:53Désormais, elles vont devoir
00:34:55s'identifier à une autre femme.
00:34:57Et leurs vêtements ne seront pas
00:34:59les seuls à changer,
00:35:01leur corps lui-même étant aussi
00:35:03contraint de s'adapter
00:35:05comme s'il était modelable à volonté.
00:35:07Résister à cette nouvelle exigence sociale
00:35:09ne sera pas une mince affaire.
00:35:17Le nombre de salariés,
00:35:19femmes mais aussi hommes,
00:35:21qui travaillent dans les grands magasins
00:35:23est chaque année plus important.
00:35:25Et à la différence des ouvriers
00:35:27et des ouvrières d'usines,
00:35:29cachés au regard du grand public
00:35:31dans leurs ateliers,
00:35:33nombre d'entre eux,
00:35:35étant en contact direct avec la clientèle,
00:35:37doivent faire bon visage
00:35:39et être pour cela en bonne forme.
00:35:43Aussi, les directeurs ont-ils
00:35:45d'emblée la volonté d'offrir
00:35:47à leurs salariés des avantages
00:35:49qui, pour l'époque, sont loin d'être acquis ?
00:35:51Jours de congé, médecine du travail,
00:35:53caisses de prévoyance,
00:35:55caisses de retraite.
00:35:57Au fur et à mesure des années,
00:35:59les grands magasins sont plutôt à l'avant-garde.
00:36:01Et ce, d'autant plus que leurs fondateurs
00:36:03sont sensibles à ce qu'on appelle
00:36:05le catholicisme social.
00:36:09Certes, le déchaînement du capitalisme
00:36:11à la fin du XIXe siècle
00:36:13et le début du XXe,
00:36:15est loin de faire des grands magasins
00:36:17un paradis sur Terre.
00:36:19Mais la recherche du bien-être du personnel
00:36:21est en tout cas un leitmotiv.
00:36:23C'est la grande époque du paternalisme patronal
00:36:25qui, tout en assurant une large emprise
00:36:27sur les salariés,
00:36:29répond à l'occasion, à leurs besoins.
00:36:33Il y a bien sûr des écoles de formation,
00:36:35notamment à la vente,
00:36:37mais au-delà même du travail,
00:36:39l'entreprise se penche avec bienveillance
00:36:41Les messieurs font de la musique,
00:36:43les demoiselles chantent,
00:36:45et sont organisées des sorties récréatives,
00:36:47des pique-niques,
00:36:49des concours de tir à l'arc
00:36:51ou de plongée.
00:37:01Et Denise, comme tous les autres employés
00:37:03des grands magasins,
00:37:05participe à ces réjouissances
00:37:07sans pour autant en être dupe,
00:37:09alors que leur but, avoué,
00:37:11est que les salariés travaillent plus
00:37:13et se plaignent moins.
00:37:17Mais en renforçant la cohésion
00:37:19de leurs équipes, en développant
00:37:21ce que l'on appellera plus tard
00:37:23l'esprit corporate,
00:37:25la capacité qu'a un salarié d'intégrer
00:37:27les objectifs de l'entreprise
00:37:29dont il n'est pourtant qu'un petit rouage,
00:37:31les grands magasins jettent les bases
00:37:33du happy management,
00:37:35la gestion par le bonheur.
00:37:37Elle affirmera que l'amélioration
00:37:39de la productivité dépend de la satisfaction
00:37:41du personnel.
00:37:45Et c'est aussi dans cette perspective
00:37:47que sont formées dans chaque magasin
00:37:49des équipes de sport,
00:37:51regroupant des salariés volontaires.
00:37:53Apparaissent les premiers clubs associatifs
00:37:55d'entreprise, centrés sur la natation,
00:37:57l'athlétisme ou les scrims.
00:37:59Et des compétitions sportives
00:38:01entre grands magasins sont organisées
00:38:03régulièrement,
00:38:05défendant les couleurs de son employeur.
00:38:07Ces rencontres amicales
00:38:09et les entraînements qu'elles supposent
00:38:11faisant d'une pierre deux coups,
00:38:13en améliorant la condition physique des employés
00:38:15tout en renforçant leur attachement
00:38:17à l'entreprise.
00:38:19Dans le même temps,
00:38:21autre progrès incontestable
00:38:23pour que les demoiselles,
00:38:25qui sont souvent en réalité des dames
00:38:27et pour beaucoup des mères,
00:38:29puissent travailler en toute sérénité,
00:38:31pouponnières et crèches
00:38:33de l'entreprise,
00:38:35devenant un des principaux motifs
00:38:37de satisfaction des grands magasins
00:38:39qui en font la publicité
00:38:41aussi bien auprès de leurs futurs employés
00:38:43que de leurs clients.
00:38:45Au cours des décennies,
00:38:59il est clair que l'inventivité
00:39:01des grands magasins
00:39:03a rarement été prise en défaut.
00:39:05C'est ainsi que,
00:39:07tout au long de leur histoire,
00:39:09les enfants,
00:39:11très judicieusement,
00:39:13sont devenus le centre
00:39:15de toutes les attentions.
00:39:17Très vite,
00:39:19pendant que leurs mères faisaient leurs courses,
00:39:21des spectacles ont été organisés
00:39:23spécialement pour eux,
00:39:25les transformant ensuite
00:39:27en propagandistes
00:39:29d'un lieu qui les accueillait
00:39:31avec une telle sollicitude.
00:39:43Comme l'écrit Zola,
00:39:45le directeur du Bonheur des Dames
00:39:47cherchait ainsi à conquérir la mère
00:39:49par l'enfant.
00:39:51Il spéculait sur ses sentiments,
00:39:53créait des rayons pour petits garçons
00:39:55et fillettes,
00:39:57arrêtait les mamans au passage
00:39:59en offrant aux bébés des images
00:40:01et des ballons.
00:40:03Un trait de génie
00:40:05que cette prime des ballons,
00:40:07distribuée à chaque acheteuse,
00:40:09des ballons à la fine peau
00:40:11de caoutchouc,
00:40:13portant en grosses lettres
00:40:15le nom du magasin
00:40:17et qui, tenu au bout d'un fil,
00:40:19voyageant en l'air,
00:40:21promenait par les rues
00:40:23une réclame vivante.
00:40:41Noël deviendra ainsi
00:40:43l'âme des grands magasins,
00:40:45une immense fête commerciale
00:40:47où les jouets seront des produits
00:40:49d'appel essentiels à cette période de l'année.
00:40:53Les grands magasins
00:40:55proposent des rayons entiers
00:40:57de trains électriques,
00:40:59de petits soldats,
00:41:01de peluches, de poupées.
00:41:05En ces temps
00:41:07où tout change,
00:41:09les fleurs étaient longtemps
00:41:11des objets fragiles et précieux,
00:41:13les jouets, fabriqués désormais en usine,
00:41:15profitent eux aussi
00:41:17de la révolution industrielle
00:41:19et se transforment en produits
00:41:21à la fois sophistiqués
00:41:23et moins chers.
00:41:27À l'extérieur, dans la rue,
00:41:29les vitrines jouent un rôle déterminant.
00:41:31Les automates,
00:41:33qui faisaient fureur
00:41:35dans les salons bourgeois
00:41:37triomphent sur des façades
00:41:39transformées en salles de spectacle.
00:41:45Le printemps et les galeries Lafayette
00:41:47étant situées tout près l'un de l'autre,
00:41:49le boulevard Haussmann devient
00:41:51le haut lieu de ces tableaux animés
00:41:53que les mécanismes à ressort d'antan
00:41:55n'auraient pas pu mouvoir avec autant de souplesse
00:41:57que l'électricité.
00:42:01Mais Noël n'est pas la seule période
00:42:03de l'année où les grands magasins
00:42:05réussissent à convaincre la clientèle
00:42:07que le moment est de nouveau venu
00:42:09de faire ses courses.
00:42:11Tout le calendrier est mis au service
00:42:13du commerce et on invente sans cesse
00:42:15d'autres dates où il devient nécessaire
00:42:17d'acheter.
00:42:19Ce sera par exemple
00:42:21les modes saisonnières.
00:42:23Pas question d'être habillé de la même façon
00:42:25au printemps ou en automne,
00:42:27les habits se démodant plus vite
00:42:29qu'il ne faut pour le dire.
00:42:31Le bon marché invente
00:42:33le mois du blanc,
00:42:35qui s'appela d'abord plus modestement
00:42:37la semaine du blanc,
00:42:39et qui, rencontrant un tel succès,
00:42:41fut prolongé.
00:42:43Alors que les porte-monnaies avaient été
00:42:45vidées par les fêtes,
00:42:47draps, thés d'oreillers, nappes,
00:42:49serviettes de table, rideaux,
00:42:51voire vêtements de couleur blanche
00:42:53sont proposés à des prix jugés avantageux.
00:42:55Créer l'événement,
00:42:57tel est l'impératif majeur
00:42:59que se donnent les grands magasins.
00:43:01Il faut que le public ait en permanence
00:43:03le sentiment que le champ des possibles
00:43:05peut s'étendre à l'infini.
00:43:07Les Galeries Lafayette,
00:43:09qui vont prendre l'initiative
00:43:11d'organiser des cours de pilotage
00:43:13sur leurs toits,
00:43:15ont une idée encore plus insensée.
00:43:17Faire atterrir sur ce même toit
00:43:19un avion.
00:43:21C'est ce qu'on appelle
00:43:23sur ce même toit un avion.
00:43:27En janvier 1919,
00:43:29alors que la préfecture de police
00:43:31de Paris a interdit tout survol
00:43:33de la capitale,
00:43:35les Galeries lancent un concours.
00:43:3725 000 francs à qui réussira cet exploit.
00:43:39Et le 19 janvier,
00:43:41en dépit d'un épais brouillard,
00:43:43Jules Védrine, un des pionniers
00:43:45de l'aviation, décolle d'ici
00:43:47les Moulinots et après quelques minutes
00:43:49de vol s'arrête à une cinquantaine
00:43:51de centimètres de la balustrade du toit,
00:43:53évitant une mort certaine.
00:43:57La piste ne mesurait
00:43:59que 27 mètres de long
00:44:01pour 12 mètres de large.
00:44:07Cela étant,
00:44:09il serait injuste de croire que les grands
00:44:11magasins ne visaient que l'Esbrouf.
00:44:13Ils avaient aussi l'ambition d'apporter
00:44:15leur contribution à la culture.
00:44:17On l'a vu pour l'architecture
00:44:19et les décorations intérieures de leurs bâtiments,
00:44:21mais ce fut aussi le cas
00:44:23dans leurs ateliers d'art.
00:44:25Le printemps fonde en 1912
00:44:27l'atelier Primavera.
00:44:29Le bon marché suit son exemple
00:44:31en créant l'atelier Pomone
00:44:33et les Galeries Lafayette
00:44:35en inaugurant la maîtrise.
00:44:37Il s'agit pour eux de donner naissance
00:44:39à de véritables œuvres.
00:44:41Meubles, tissus, tapis,
00:44:43papier peint, céramique, etc.
00:44:45Et dans ces ateliers de création
00:44:47se réunissent des artistes
00:44:49et des artisans capables d'allier leur savoir-faire
00:44:51pour proposer au plus grand nombre
00:44:53des créations originales.
00:44:55Ce qui contribuera notamment
00:44:57à l'émergence du style art déco.
00:45:01Cette connexion
00:45:03entre les grands magasins et l'art
00:45:05prendra parfois des voies inattendues.
00:45:07C'est ainsi qu'en 1914,
00:45:09le peintre et plasticien
00:45:11Marcel Duchamp achètera
00:45:13au bazar de l'Hôtel de Ville
00:45:15une porte-bouteille en fer
00:45:17choisie au hasard dans les rayons du magasin.
00:45:19Et il en fera l'un de ses premiers
00:45:21« ready-mades »,
00:45:23ces fameux objets tout-faits,
00:45:25manufacturés, ordinaires,
00:45:27qu'il exposera pour leur neutralité esthétique.
00:45:29Ce porte-bouteille,
00:45:31signé par l'artiste
00:45:33et qui représente un tournant majeur
00:45:35dans l'art contemporain,
00:45:37restera emblématique du BHV,
00:45:39qui collaborera avec de nombreux artistes
00:45:41en facilitant l'achat
00:45:43d'objets d'art.
00:45:49Palais de la tentation,
00:45:51temple de l'innovation,
00:45:53cathédrale de la démesure,
00:45:55les grands magasins connurent malheureusement
00:45:57au cours des temps des événements
00:45:59autrement moins réjouissants.
00:46:01La mémoire collective a retenu
00:46:03le terrible incendie du 4 mai 1897
00:46:05au bazar de la Charité,
00:46:07où se pressait alors
00:46:09la bourgeoisie et l'aristocratie françaises
00:46:11et qui causera la mort
00:46:13de 125 personnes, dont 118 femmes.
00:46:15Mais les grands magasins
00:46:17furent eux aussi la proie des flammes
00:46:19à plusieurs reprises.
00:46:21Ainsi, le printemps connut d'abord
00:46:23en mars 1881,
00:46:25un premier incendie,
00:46:27à une époque où les pompiers utilisent encore
00:46:29pompe à bras et pompe à vapeur.
00:46:31Avant même que les secours n'arrivent,
00:46:33le premier étage est atteint
00:46:35et le feu se propage ensuite à grande vitesse,
00:46:37en particulier dans les étages
00:46:39par la cage d'ascenseur.
00:46:41La toiture s'effondre, puis le plancher
00:46:43du second étage.
00:46:4540 ans plus tard,
00:46:47du gigantesque incendie
00:46:49de septembre 1921,
00:46:51il nous reste des images spectaculaires.
00:46:53Le Figaro raconte
00:46:55à 11h30
00:46:57de sinistres craquements retentisses
00:46:59suivis bientôt d'un énorme fracas
00:47:01qui se répercute longuement.
00:47:05La toiture vient de
00:47:07s'effondrer dans la partie centrale du bâtiment,
00:47:09entraînant dans sa chute
00:47:11les escaliers et une grande partie des planchers
00:47:13qui séparent les étages.
00:47:15Il ne reste plus au centre du magasin
00:47:17qu'une ouverture gigantesque
00:47:19qui va de la toiture jusqu'au premier sous-sol
00:47:21car le plancher du rez-de-chaussée
00:47:23s'est effondré lui aussi.
00:47:27Les dégâts sont considérables.
00:47:29Le bâtiment est en grande partie détruit.
00:47:31Seule la façade
00:47:33résiste miraculeusement.
00:47:37C'est la fin.
00:47:45Alors au moment d'approcher
00:47:47de la fin de ce film,
00:47:49la question se pose.
00:47:51Jusqu'à quand Paris est-il resté
00:47:53l'incontestable capitale mondiale
00:47:55des grands magasins ?
00:47:57Dans les années qui suivent leur naissance,
00:47:59les grands magasins eux-mêmes
00:48:01ouvrent des succursales
00:48:03dans plusieurs villes de province
00:48:05en France comme à l'étranger.
00:48:07Il y a des tentatives
00:48:09d'imitation pure et simple
00:48:11comme The Bon Marché aux Etats-Unis
00:48:13fondée en 1890.
00:48:15Et d'un bout à l'autre du monde
00:48:17Etats-Unis bien sûr mais aussi
00:48:19Allemagne, Espagne, Angleterre,
00:48:21Japon ou Russie,
00:48:23la rivalité est rude.
00:48:25Les grands magasins parisiens étant le modèle à suivre
00:48:27aussi bien en termes de stratégie commerciale
00:48:29que de décorum.
00:48:31Mais au XIXe siècle
00:48:33et même au début du XXe,
00:48:35personne ne peut vraiment ravir
00:48:37la première place aux grands magasins parisiens.
00:48:39Ils ont l'antériorité
00:48:41mais surtout, ils ont les moyens
00:48:43de leurs ambitions et un savoir-faire
00:48:45à nul autre pareil qui leur permet
00:48:47toujours d'avoir un temps d'avance.
00:48:49Alors,
00:48:51s'il faut situer une époque
00:48:53où le charme s'est sinon rompu,
00:48:55du moins en partie évanoui,
00:48:57ce serait au moment de la Grande Dépression,
00:48:59au moment de la crise économique
00:49:01de la fin des années 20.
00:49:05Avec
00:49:07Uniprix en 1928,
00:49:09Prise Unique en 1931
00:49:11et Monoprix en 1932,
00:49:13on bascule vers une
00:49:15toute autre génération de géants du commerce.
00:49:17Bien moins vastes
00:49:19que leurs ancêtres mais surtout
00:49:21presque uniquement préoccupés de vendre
00:49:23leurs produits au prix les plus bas.
00:49:25Du coup,
00:49:27sans perdre pour autant leur aura et leur attrait,
00:49:29les palais de la tentation
00:49:31qui se vivaient jusque-là comme exemplaires
00:49:33deviennent des exceptions à la règle.
00:49:39La décennie suivante,
00:49:41comme on s'en doute,
00:49:43la guerre, l'occupation allemande
00:49:45et les exactions du pouvoir pétainiste
00:49:47inaugurent des jours autrement plus sombres
00:49:49dans les grands magasins
00:49:51comme dans l'ensemble du pays.
00:49:53Des mesures d'arianisation
00:49:55contre les juifs,
00:49:57les galeries Lafayette, dirigées par une famille juive,
00:49:59sont par exemple placées sous l'administration
00:50:01de l'État.
00:50:03Et aux galeries, comme dans tous les autres grands magasins,
00:50:05les employés juifs sont contraints
00:50:07de démissionner.
00:50:15Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
00:50:17plus rien n'est comme avant.
00:50:19Consacrant la société de consommation,
00:50:21les trente glorieuses,
00:50:23les grands magasins royalistes
00:50:25favorisent la multiplication de commerces
00:50:27à la fois démesurés et sans âme.
00:50:29Et les grands magasins ne sont pas
00:50:31à l'avant-garde du nouveau monde qui se dessine.
00:50:33On parle de grandes surfaces,
00:50:35de supermarchés,
00:50:37bientôt d'hypermarchés.
00:50:39C'est le temps des périphéries,
00:50:41des villes nouvelles,
00:50:43des parkings immenses aux portes des boutiques.
00:50:45Fini le temps des grands magasins
00:50:47au cœur de la capitale.
00:50:49Les grands magasins font pourtant
00:50:51de la résistance.
00:50:53Et chacune de leurs innovations
00:50:55est encore saluée comme un événement national.
00:51:15Il faut dire que des idées originales,
00:51:17les grands magasins en ont encore
00:51:19à la pelle.
00:51:21Avec l'hiver, le ski revient à l'ordre du jour.
00:51:23Les parisiens vont pouvoir désormais
00:51:25s'y préparer sans quitter la capitale
00:51:27sur la terrasse d'un grand magasin
00:51:29où vient d'être installée,
00:51:31à l'instar de la nouvelle piste de Chamonix 3500,
00:51:33une piste artificielle de 40 m de long
00:51:35sur 6 de large.
00:51:37Des idées à la pelle
00:51:39et parfois même déraisonnables.
00:51:41Il faut, avant de construire du neuf,
00:51:43démolir le vieux.
00:51:45Et quand un chef d'État vient à Paris,
00:51:47comme en 1960,
00:51:49Nikita Khrouchchev,
00:51:51président du Conseil des ministres
00:51:53de l'URSS,
00:51:55on propose à sa femme
00:51:57de visiter le Louvre
00:51:59et d'admirer Mona Lisa,
00:52:01mais également de visiter
00:52:03les galeries Lafayette.
00:52:05Le Louvre,
00:52:07c'est l'une des plus belles galeries
00:52:09de Paris.
00:52:11C'est la plus grande galerie
00:52:13de Paris.
00:52:15Et c'est le plus grand
00:52:17de visiter les galeries Lafayette,
00:52:19le musée et le magasin
00:52:21étant solidairement des joyaux du patrimoine.
00:52:23Car c'est bien ça, l'histoire,
00:52:25que jusqu'à nos jours
00:52:27n'ont pas cessé d'écrire les grands magasins
00:52:29et que ce film a raconté.
00:52:31L'histoire d'une extraordinaire
00:52:33alchimie entre commerce
00:52:35et culture,
00:52:37entre passé et modernité,
00:52:39entre raison
00:52:41dans le bonheur des dames
00:52:43et qui continue,
00:52:45un siècle et demi plus tard,
00:52:47de nous captiver.
00:53:11Musique
00:53:13Musique
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00:53:29Musique
00:53:31Bienvenue à vous si vous nous rejoignez sur le plateau de Retour aux Sources.
00:53:33On accueille nos invités de ce soir.
00:53:35Caroline Esguin, bonsoir.
00:53:37Vous êtes historienne de l'art, conservatrice
00:53:39et responsable au musée Mode et Dentelle
00:53:41de Bruxelles. On a beaucoup parlé
00:53:43de mode dans ce film. On va en parler
00:53:45aussi avec vous. Et puis Pierre Leclerc,
00:53:47bonsoir. Bonsoir. Historien dans un autre
00:53:49domaine, celui de l'alimentation.
00:53:51Vous êtes notamment contributeur au Petit
00:53:53Lancelot qui est un centre de recherche sur l'histoire
00:53:55de l'alimentation, on peut le définir comme ça ?
00:53:57Exactement. Et on vous avait
00:53:59reçu il n'y a pas très longtemps pour parler
00:54:01de l'histoire des grands restaurants.
00:54:03Et on peut peut-être commencer par ça avant de parler
00:54:05de la Belgique, de se dire que
00:54:07finalement il n'y a peut-être pas mal de similitudes
00:54:09entre l'histoire des grands restaurants
00:54:11et l'histoire des grands magasins
00:54:13en tant que pour commencer
00:54:15style de vie en fait.
00:54:17Oui exactement. On voit bien
00:54:19qu'on parle des grands restaurants ou des
00:54:21grands magasins. On est dans une
00:54:23période de mutation, de mutation
00:54:25citadine. Et on peut se poser
00:54:27la question, pourquoi est-ce que
00:54:29ces grands restaurants, surtout
00:54:31ces grands magasins
00:54:33de 1850 n'auraient jamais pu
00:54:35exister en 1750 ?
00:54:37Pourquoi ?
00:54:39Car si on parle de consommation
00:54:41et de consommation de masse, parce qu'on commence
00:54:43dans cette consommation de masse,
00:54:45il faut qu'il y ait production.
00:54:47Et l'artisanat, l'industrie
00:54:49de 1750 ne peut pas
00:54:51alimenter un monstre
00:54:53comme est
00:54:55ce fameux bon marché dont on a
00:54:57parlé dans le documentaire.
00:54:59Ce qu'il y a eu, c'est qu'au début,
00:55:01dès le début du 18e siècle,
00:55:03on est dans une grande mutation,
00:55:05à la fois dans les campagnes et en ville.
00:55:07Dans les campagnes, c'est une révolution
00:55:09agricole
00:55:11qui donne toujours de meilleurs
00:55:13résultats, de meilleurs rendements. On a besoin
00:55:15de moins de bras dans la campagne.
00:55:17Ces bras-là, où vont-ils ?
00:55:19Ils partent en ville. Et en ville,
00:55:21se développe l'industrie
00:55:23qui a besoin de bras. Et donc,
00:55:25ces ouvriers alimentent
00:55:27l'industrie en ville
00:55:29et les surplus
00:55:31alimentaires agricoles qu'on fait
00:55:33à la campagne sont vendus en ville
00:55:35parce que les ouvriers, bien entendu, ne produisent pas
00:55:37leur alimentation et il faut bien les nourrir.
00:55:39Donc, on a une révolution agricole
00:55:41et une révolution industrielle
00:55:43qui s'autonourissent et ça,
00:55:45il y a comme un cercle vertueux
00:55:47qui va faire qu'on va avancer
00:55:49de plus en plus dans
00:55:51les technologies, dans la productivité
00:55:53et on en arrive
00:55:55à un point où le commerce doit suivre.
00:55:57Le commerce de
00:55:591750 n'est, lui,
00:56:01non plus pas prêt à écouler
00:56:03de telles masses de produits
00:56:05et très rapidement, dans cette
00:56:07première moitié du XIXe siècle, se mettent
00:56:09en place des nouvelles méthodes commerciales
00:56:11qui vont être concentrées
00:56:13par Boussicault qui crée
00:56:15le bon marché en 1850
00:56:17qui s'arrange avec les
00:56:19producteurs pour avoir toujours
00:56:21de meilleurs prix pour vendre toujours
00:56:23moins cher et c'est comme ça
00:56:25que ce concept de grand magasin
00:56:27et le concept même de consommation
00:56:29de masse se met en marche.
00:56:31Et autre parallèle qu'on peut faire
00:56:33avec l'histoire des grands restaurants,
00:56:35c'est qu'avant cela, tout était très réglementé
00:56:37à savoir que les magasins pouvaient vendre
00:56:39un seul type de produit, pas forcément
00:56:41tous les produits, c'est ça aussi qui va évoluer
00:56:43comme pour les restaurants où avant, tout le monde n'était pas
00:56:45autorisé à vendre
00:56:47et à servir à manger. En fait,
00:56:49les choses se libèrent un peu à ce moment-là,
00:56:51on est à la même époque. Oui, exactement.
00:56:53Le système des corporations
00:56:55est un peu plus ancien. Lui, il est
00:56:57démantelé en 1789 en France.
00:56:59Ce système des corporations
00:57:01ne permet pas de faire tout ce
00:57:03qu'on veut en ville. Chaque
00:57:05activité économique
00:57:07artisanale est tenue
00:57:09par une corporation et pour
00:57:11y participer, il faut faire partie
00:57:13de la corporation et donc cette
00:57:15déliquescence et cette disparition
00:57:17des corporations va
00:57:19libéraliser les activités économiques
00:57:21et permettre probablement
00:57:23beaucoup plus
00:57:25d'imagination dans
00:57:27la manière de mener les affaires.
00:57:29Alors, révolution agricole,
00:57:31révolution industrielle, on peut se dire
00:57:33qu'en Belgique aussi, forcément,
00:57:35c'est ça qui se passe chez nous, même si
00:57:37on a une démographie différente,
00:57:39on a un paysage différent, peut-être
00:57:41des centres urbains très différents et
00:57:43malgré tout, la Belgique va suivre
00:57:45le mouvement finalement de pas très loin,
00:57:47avec quelques années d'écart.
00:57:49Oui, le premier grand magasin qui ouvre
00:57:51à Bruxelles, c'est 1860, donc
00:57:53dix ans à peine après l'ouverture
00:57:55de celle à Paris.
00:57:57La Belgique est à l'époque
00:57:59une grande puissance économique,
00:58:01en puissance,
00:58:03donc il y a quand même un développement
00:58:05et elle suit au fond
00:58:07ce qui se fait à Paris. Et avec
00:58:09ces spécialités, et là je m'adresse
00:58:11à l'historienne de l'art, puisque
00:58:13vous travaillez au musée mode et
00:58:15dentelle et notamment on a une industrie
00:58:17lanière, une industrie de dentelle
00:58:19dans le nord du pays
00:58:21et ça, ça va peut-être aussi donner
00:58:23un visage, peut-être une spécificité
00:58:25au grand magasin belge ?
00:58:27Alors, oui et non. Oui dans le sens
00:58:29où la Belgique et les Flandres
00:58:31avant elle, étaient grandes productrices
00:58:33de dentelles et elles vont continuer à produire
00:58:35de la dentelle à la main dans un
00:58:37siècle qui voit la mécanisation
00:58:39de la dentelle
00:58:41et la mécanisation finira par
00:58:43supplanter celle à la main.
00:58:45Ce n'est pas ce que les marchands bruxellois
00:58:47ont fait comme choix, mais c'est clair que
00:58:49dans les grands magasins sont disponibles
00:58:51des dentelles moins chères que
00:58:53celles de Bruxelles qui restent une dentelle de luxe.
00:58:55Je pense à la dentelle de Valenciennes
00:58:57que l'on trouve à la fin du XIXe
00:58:59siècle dans les catalogues de
00:59:01vente à distance.
00:59:03Donc je suppose qu'il devait y en avoir dans
00:59:05les magasins, ce n'est pas ces rayons-là
00:59:07qu'on met en avant, ni dans les documentaires,
00:59:09ni dans les livres, mais c'est clair qu'il devait y en avoir.
00:59:11Et ce qu'il devait y avoir aussi
00:59:13c'était des vêtements qu'on pouvait acheter
00:59:15sans devoir les essayer, comme il le dit.
00:59:17Et en pouvant choisir, et ça on comprend
00:59:19bien dans le film que ça c'est
00:59:21la grande nouveauté pour
00:59:23les dames principalement, on va y venir aussi
00:59:25parce que c'est elles qui vont être
00:59:27la première cible de ces
00:59:29grands magasins, c'est de se dire
00:59:31que les femmes vont pouvoir avoir un choix
00:59:33qui va s'offrir à elles
00:59:35et ce n'était pas du tout le cas avant.
00:59:37On n'y pense même pas parce que nous ça nous
00:59:39paraît évident qu'on peut choisir.
00:59:41C'est complètement inconnu de nous cette notion-là
00:59:43et au fond, Pierre, vous le rappeliez
00:59:45aussi en disant que ce décloisonnement
00:59:47enfin cet abandon des corporations
00:59:49va pouvoir donner plus de liberté
00:59:51sur ce que les commerçants peuvent vendre
00:59:53et proposer à leur clientèle
00:59:55puisque c'était très réglementé.
00:59:57Là la nouveauté, c'est comme vous le dites, c'est que tout d'un coup
00:59:59les femmes ont le choix. Alors qu'avant
01:00:01elles allaient dans les boutiques, il y avait deux ou trois chapeaux
01:00:03où il fallait commander.
01:00:05Comme c'est dit dans le documentaire,
01:00:07le couturier venait à la maison et c'est vrai que d'avoir le choix
01:00:09mais ça ne se produisait jamais
01:00:11et ils disent aussi dans le documentaire
01:00:13on fait une balade, on va se balader
01:00:15pour acheter.
01:00:17Ça, ce n'était pas du tout le cas
01:00:19et c'est révolutionnaire. Donc c'est le début de la confection
01:00:21de vêtements produits
01:00:23en usine, en grand nombre
01:00:25ou aussi dans des ateliers évidemment à la main.
01:00:27Mais le choix
01:00:29est là. Ça veut dire qu'il y a aussi une gradation
01:00:31dans les vêtements qui doit être instaurée
01:00:33puisqu'il faut des tailles différentes.
01:00:35Jusque-là, on ne fait que sur mesure par rapport
01:00:37à la cliente, quelle qu'elle soit.
01:00:39Là, ça change complètement.
01:00:41Mais c'est une réalité qui est tellement
01:00:43ancrée dans ce que nous sommes et nous vivons
01:00:45qu'on a du mal à imaginer que ce n'était pas du tout
01:00:47comme ça avant.
01:00:49Ce qui va changer aussi, on imagine que c'est un tournant
01:00:51dans l'histoire de la mode, déjà à ce moment-là,
01:00:53ce qui va changer aussi, c'est que les femmes
01:00:55vont accepter aussi de porter
01:00:57peut-être le même modèle qu'une autre
01:00:59femme ou homme
01:01:01mais ça aussi, avant c'était un modèle sur mesure
01:01:03qui était une pièce unique.
01:01:05Là, les choses vont changer.
01:01:07C'est une vraie nouveauté. Et d'ailleurs, on pourrait se dire
01:01:09que la haute couture qui va naître en fait
01:01:11en même temps que les grands magasins, c'est 1858
01:01:13avec Charles Frédéric Werth à Paris,
01:01:15on pourrait se dire
01:01:17que les grands magasins
01:01:19proposent des robes toutes faites
01:01:21ou tout venant, on va dire, même si les grands
01:01:23magasins ne sont pas fréquentés par les
01:01:25classes populaires, il faut quand même avoir des moyens
01:01:27pour aller dépenser son argent là-bas.
01:01:29Peut-être que la haute couture va du coup
01:01:31s'extraire
01:01:33de ces ventes de masse pour devenir
01:01:35quelque chose puisque Charles Frédéric Werth
01:01:37s'est institué comme artiste
01:01:39et il signe ses robes
01:01:41comme un artiste signait son tableau.
01:01:43Avant cela, vous ne trouviez pas une étiquette de qui avait
01:01:45fait le vêtement. Or, dans
01:01:47les grands magasins, on va trouver des étiquettes
01:01:49à l'intérieur des vêtements. Au bon marché,
01:01:51à l'innovation,
01:01:53on retrouve ces étiquettes.
01:01:55Ça va du coup
01:01:57se séparer de la haute couture,
01:01:59enfin se distinguer, c'est ça que je cherchais comme mot,
01:02:01de la haute couture.
01:02:03Ce qui va changer aussi,
01:02:05notamment pour la mode, mais peut-être également
01:02:07pour d'autres domaines de dépenses,
01:02:09de consommation, c'est le fait qu'on va
01:02:11se rendre au grand magasin
01:02:13avec peut-être dans l'idée d'acheter quelque chose,
01:02:15mais en fait pas forcément.
01:02:17Et ça aussi, c'est un grand tournant
01:02:19parce qu'avant, le déplacement était,
01:02:21s'il avait lieu, utilitaire,
01:02:23on allait acheter telle chose, on revenait
01:02:25avec. Ici, on va
01:02:27faire du lèche-vitrine, c'est le cas de le dire
01:02:29vu qu'il y a de très belles vitrines qui sont mises en scène.
01:02:31Oui, exactement.
01:02:33D'ailleurs, on se rend compte que ce principe-là
01:02:35va être extrêmement bien
01:02:37développé aux États-Unis
01:02:39parce qu'évidemment, ce modèle-là
01:02:41va être exporté outre-Atlantique
01:02:43et là, à la fin du
01:02:45XIXe siècle, on a un magasin
01:02:47comme Woolworths aux États-Unis
01:02:49qui est un grand magasin, mais qui va
01:02:51écraser encore plus les prix
01:02:53et qui va attirer la clientèle
01:02:55en disant, nous, nous vendons tout
01:02:57à 5 centimes.
01:02:59Et donc, la notion de
01:03:01quel article
01:03:03vais-je aller acheter ?
01:03:05De quoi ai-je besoin ?
01:03:07est en train de disparaître
01:03:09par rapport à la notion de
01:03:11tiens, j'ai 5 centimes en poche,
01:03:13j'ai 10 centimes en poche,
01:03:15qu'est-ce que je peux m'offrir
01:03:17avec cette somme-là ?
01:03:19Et c'est quelque chose qui sera très remarqué en Belgique.
01:03:21D'ailleurs, on en parle dans la presse
01:03:23lorsque ce modèle-là arrive en Belgique
01:03:25dans les années 1930
01:03:27avec le Sarma,
01:03:29qui est
01:03:31un magasin du bon marché.
01:03:33On voit bien que les nouvelles
01:03:35méthodes de vente qui s'imposent
01:03:37en Belgique au cours du XXe siècle
01:03:39sont amenées par
01:03:41ces grands magasins.
01:03:43Le bon marché crée le Sarma, société anonyme
01:03:45pour la revente des articles de masse.
01:03:47Là, on est bien dans la vente
01:03:49de masse.
01:03:51Eux, ils font des rayons,
01:03:53non pas en fonction
01:03:55des catégories
01:03:57d'objets qui sont vendus, mais de leur prix.
01:03:595 francs, 10 francs,
01:04:0115 francs, 20 francs.
01:04:03On se dit, moi j'ai 20 francs en poche,
01:04:05j'achète 4 produits
01:04:07à 5 francs, 2 à 10,
01:04:09mais on ne se dit plus, tiens, j'ai besoin
01:04:11d'une rampe ou j'ai besoin
01:04:13d'un autre article.
01:04:15Ce qui fait qu'un journaliste
01:04:17du Soir
01:04:19écrit à l'époque, c'est incroyable,
01:04:21tout ce que nous achetons aujourd'hui
01:04:23et qui était parfaitement inutile
01:04:25autrefois.
01:04:27Bon marché, Galeries Lafayette, Samaritaine,
01:04:29ce sont des enseignes qui, au départ à Paris,
01:04:31ont une architecture très particulière.
01:04:33Il y a cette grande verrière
01:04:35des Galeries Lafayette qui a été
01:04:37reproduite aussi à d'autres endroits.
01:04:39Ça, ça va aussi contribuer
01:04:41à cet espace de vie luxueux.
01:04:43On aime se balader
01:04:45et se faire voir et ça va
01:04:47avoir un lien aussi
01:04:49avec les changements de la ville.
01:04:51À ce moment-là, on a vu l'haussmanisation
01:04:53de Paris.
01:04:55On peut se demander, à Bruxelles,
01:04:57il ne se passe pas tout à fait la même chose au même moment.
01:04:59Finalement, quel est le lien ?
01:05:01Juste, on a copié ce qui se passait
01:05:03à Paris ou c'est différent ?
01:05:05Oui et non.
01:05:07L'haussmanisation ne va pas prendre à Bruxelles.
01:05:09Pourtant, il y a une volonté de grands boulevards
01:05:11et d'immeubles uniformisés,
01:05:13mais le bruxellois et le belge sont attachés
01:05:15à sa maison individuelle. Il suffit de voir la Grand Place.
01:05:17C'est symbolique à ce niveau-là.
01:05:19Il y a juste six façades qui sont réunies
01:05:21en un seul palais par une volonté
01:05:23du pouvoir imposé en haut.
01:05:25Mais si les bruxellois ont le choix,
01:05:27ils préfèrent leur maison individuelle.
01:05:29Ça se voit dans ces boulevards qui n'ont finalement pas eu
01:05:31la configuration souhaitée
01:05:33à la base. Par contre,
01:05:35pour revenir au grand magasin et à l'architecture
01:05:37particulière, c'est une architecture
01:05:39qui va prendre...
01:05:41Paxton va faire une grande serre
01:05:43gigantesque pour accueillir la première
01:05:45exposition universelle à Londres
01:05:47et c'est clair que le métal et le verre
01:05:49n'étaient pas du tout
01:05:51des matériaux utilisés
01:05:53dans des architectures dites
01:05:55nobles. C'était pour des usines
01:05:57et des choses comme ça, mais
01:05:59le faire offrant la possibilité
01:06:01de grandes vitrines et de verrières
01:06:03comme ces magnifiques verrières
01:06:05des Galeries Lafayette, c'est aussi
01:06:07faire rentrer l'extérieur
01:06:09dans l'intérieur. On parlait de balades,
01:06:11les gens peuvent aller se balader dans les grands magasins
01:06:13et ne pas acheter s'ils le souhaitent,
01:06:15il y a cette volonté de déambulation,
01:06:17d'ouvrir, de faire rentrer la lumière
01:06:19et de créer des grands espaces
01:06:21sans piliers au milieu,
01:06:23tout simplement aussi, ça permet des grandes portées
01:06:25que la brique ne permet pas
01:06:27et c'est clair que cette architecture
01:06:29industrielle est très liée
01:06:31au développement de ces grands magasins.
01:06:33Ça va avoir dans le cas
01:06:35de l'incendie de l'innovation qui a durablement
01:06:37marqué l'histoire
01:06:39des Belges en 1967,
01:06:41ça va avoir des conséquences dramatiques
01:06:43sur l'usage de ces matériaux-là
01:06:45et on a l'impression que ça va quand même
01:06:47être une fracture
01:06:49à un moment donné
01:06:51dans cette consommation, dans ce mode de fonctionnement
01:06:53du shopping,
01:06:55des habitudes des Bruxellois en tout cas.
01:06:57En tout cas, ça va traumatiser
01:06:59durablement quelques générations, c'est clair
01:07:01parce qu'il y a toujours bien quelqu'un qui connaissait
01:07:03quelqu'un qui a laissé sa peau.
01:07:05Nous, on a une donatrice au musée
01:07:07Maud et Dantel qui nous a fait,
01:07:09c'était très émouvant comme don, parce qu'elle nous a donné
01:07:11le chapeau de Catherinette
01:07:13que sa maman avait fait
01:07:15pour une fête de la Sainte-Catherine
01:07:17et elle était au département maudiste
01:07:19de l'innovation
01:07:21et elle y est restée.
01:07:23Et 50 ans plus tard,
01:07:25sa fille nous offre ce chapeau
01:07:27la larme à l'œil, donc c'est quand même
01:07:29quelque chose qui a traumatisé.
01:07:31Par contre, je ne sais pas si c'était dû à l'architecture
01:07:33ou si c'était dû au manque de sorties
01:07:35de secours. Je pense que ces événements
01:07:37dramatiques ont comme principale
01:07:39qualité positive,
01:07:41c'est qu'on fait du coup très attention
01:07:43à la façon dont les gens peuvent évacuer
01:07:45un bâtiment en incendie.
01:07:47On parlait tout à l'heure de cette femme
01:07:49qui va être la cliente recherchée
01:07:51par ces grands magasins, avec
01:07:53dans le cadre de ce film
01:07:55et de cette histoire française, le mythe de la Parisienne.
01:07:57On peut se demander de nouveau
01:07:59en Belgique comment ça
01:08:01a pu être transféré, parce qu'il n'y a pas
01:08:03forcément un mythe stylistique
01:08:05de la Bruxelloise ou l'Anversoise
01:08:07ou la Liégeoise.
01:08:09Non, c'est vrai.
01:08:11Bruxelles est cosmopolite,
01:08:13s'inspire de plein de choses
01:08:15et on ne peut pas catégoriser
01:08:17la Bruxelloise, ce n'est pas un concept.
01:08:19Donc ça ne va pas être ça
01:08:21le point d'attrait dans les grands magasins
01:08:23belges ? Non, par contre, je pense
01:08:25qu'en Belgique on trouve des nouveautés,
01:08:27on a d'excellentes maisons de couture
01:08:29qui peuvent reproduire
01:08:31des modèles parisiens.
01:08:33Donc c'est Paris en fait
01:08:35qui reste l'attrait.
01:08:37Paris donne le ton dans la mode,
01:08:39ça malheureusement,
01:08:41c'est le cas à l'époque
01:08:43et c'est le cas jusqu'à récemment
01:08:45et ils sont très proactifs pour garder
01:08:47cette place.
01:08:49Mais les maisons de couture
01:08:51bruxelloises achetaient des modèles
01:08:53de haute couture qu'elles pouvaient reproduire
01:08:55mais là on est dans un modèle de haute couture
01:08:57de surmesure.
01:08:59Dans les grands magasins, ce n'est pas le cas et c'est tout l'attrait.
01:09:01C'est que justement, ça n'est pas surmesure
01:09:03parce qu'alors on peut acheter
01:09:05le vêtement tout fait. Je ne dis pas qu'on ne fait pas de retouches
01:09:07mais la nouveauté c'est de pouvoir
01:09:09partir directement avec son vêtement acheté
01:09:11là où en haute couture c'est un minimum
01:09:13de trois essayages.
01:09:15C'est parfois laborieux, c'est long,
01:09:17on a chaud, ça pique.
01:09:19Et ces vêtements tout faits sont perçus
01:09:21comme étant quelque chose de tellement
01:09:23pratique et facile.
01:09:25Ça révolutionne la vie
01:09:27des femmes aussi.
01:09:29Et ça accélère l'acte d'achat,
01:09:31ça accélère les courses.
01:09:33Alors on peut se demander aujourd'hui
01:09:35ce qu'il reste de l'esprit de ces grands magasins.
01:09:37Il reste des grands magasins,
01:09:39il y a encore l'innovation,
01:09:41même si on sait que sa situation n'est pas forcément
01:09:43simple.
01:09:45Ces grands magasins-là, ils ont évolué.
01:09:47Notre façon de consommer,
01:09:49on a gardé certaines habitudes,
01:09:51on ne l'a vu pas toutes.
01:09:53On peut se demander finalement aujourd'hui
01:09:55ce qu'il reste de cet esprit-là.
01:09:57Il est évident que les grands magasins
01:09:59ont amené une toute nouvelle manière
01:10:01de vendre
01:10:03qui amène
01:10:05de plus en plus de démocratisation
01:10:09au niveau
01:10:11de tous ces produits qui sont
01:10:13à notre disposition.
01:10:15Et le grand
01:10:17héritage
01:10:19des grands magasins, ce qu'ils ont créé
01:10:21au XXe siècle
01:10:23dans nos modes de consommation,
01:10:25ce sont les supermarchés. Car les supermarchés
01:10:27viennent directement des grands magasins.
01:10:29Ce sont les patrons
01:10:31des grands magasins.
01:10:33Patron Maurice Cahuet, patron
01:10:35du grand bazar qui va devenir le
01:10:37GB, dont nous nous rappelons
01:10:39très probablement.
01:10:41Ce sont
01:10:43ces gens-là qui vont créer
01:10:45ces grands magasins
01:10:47encore plus démocratisés
01:10:49qu'ils ne l'étaient auparavant.
01:10:51Et donc c'est comme ça qu'en 1948
01:10:53apparaît le tout premier
01:10:55supermarché belge
01:10:57qui est le Priba et qui est
01:10:59une émanation de l'innovation.
01:11:01Et c'est comme ça
01:11:03que Maurice Cahuet va
01:11:05créer le premier hypermarché.
01:11:07L'hypermarché en 1961
01:11:09c'est quoi ? C'est un
01:11:11grand magasin mais sur
01:11:13un seul niveau et qui est
01:11:15en périphérie. Les grands magasins
01:11:17ont dû s'adapter
01:11:19au nouveau
01:11:21paysage.
01:11:23C'est-à-dire que de plus en plus
01:11:25dans l'après-guerre, on ne vit plus dans le centre-ville.
01:11:27On vit dans la périphérie.
01:11:29Les grands magasins sont dans
01:11:31le centre-ville et il faut qu'ils s'en sortent.
01:11:33Il faut qu'ils trouvent un moyen
01:11:35de toucher la nouvelle clientèle.
01:11:37Ça va être quoi ? Acheter des terrains
01:11:39dans les périphéries,
01:11:41y construire des grands
01:11:43magasins mais sur un seul niveau
01:11:45et qui coûtent encore moins cher.
01:11:47Ce sera quoi ? Les supermarchés,
01:11:49les hypermarchés, avec évidemment
01:11:51des grands parkings, car comme on
01:11:53le disait à l'époque, no parking,
01:11:55no business. Malgré tout,
01:11:57ces grands magasins initiaux qu'on
01:11:59peut voir, les grands magasins parisiens, ils existent toujours.
01:12:01Il y a les Galeries Lafayette le printemps, la Samaritaine,
01:12:03le Bon Marché,
01:12:05avec quand même encore cet esprit-là
01:12:07qui persiste à travers
01:12:09les générations. On a plus l'impression
01:12:11qu'aujourd'hui c'est plutôt un lieu touristique
01:12:13qui va attirer
01:12:15les non-parisiens plutôt que
01:12:17encore un lieu de rendez-vous pour les locaux.
01:12:19N'étant pas parisienne,
01:12:21je ne peux pas répondre. Mais en effet, moi quand je vais à Paris,
01:12:23j'aime bien aller voir la Samaritaine
01:12:25ou bien surtout les Galeries Lafayette
01:12:27parce que je trouve que la barrière est vraiment
01:12:29merveilleuse. Et je constate
01:12:31que ça reste quand même des lieux de rendez-vous
01:12:33pour une mode qui se diffuse
01:12:35et une mode de stylistes notamment.
01:12:37Je vois que les Galeries
01:12:39Lafayette soutiennent la jeune création.
01:12:41Je me remémore Jean-Paul L'Espagnard
01:12:43qui est un styliste belge qui a eu un corner
01:12:45parce qu'il avait gagné le festival d'hier.
01:12:47Donc c'est quand même un endroit qui soutient
01:12:49la mode active. Et là,
01:12:51ça ne s'adresse pas aux touristes,
01:12:53ça s'adresse a priori aux parisiens. Après,
01:12:55les parisiens s'approprient leurs lieux comme ils veulent.
01:12:57Mais moi je trouve que ça reste des lieux
01:12:59assez dynamiques et de diffusion
01:13:01de mode relativement pointu.
01:13:03Bien sûr, il y a tout
01:13:05un autre mouvement aujourd'hui de mode
01:13:07alternative, mais ça ne se voit
01:13:09pas dans ces magasins. Voilà, ça cohabite.
01:13:11Donc moi,
01:13:13je ne trouve pas. Mais je ne suis pas parisienne.
01:13:15Je trouve que ça reste
01:13:17de très beaux magasins dans lesquels
01:13:19il est très agréable de flâner en effet
01:13:21puisqu'on passe du parfum au chapeau en passant
01:13:23par les sacs, les vêtements.
01:13:25C'est beau, c'est agréable.
01:13:27Un peu de beauté pour terminer
01:13:29cette émission. Ça nous fait du bien.
01:13:31Ce n'est pas toutes les semaines. Merci beaucoup
01:13:33Caroline Esguin et Pierre Leclerc d'avoir été
01:13:35nos invités ce soir sur le plateau de Retour aux sources.
01:13:37Vous pouvez revoir le film de ce soir ainsi que
01:13:39l'interview sur RTBF OVO. N'oubliez pas non plus
01:13:41votre rendez-vous de l'Histoire en radio tous les jours
01:13:43dans l'émission de Laurent Dehaut.
01:13:45Merci à toute l'équipe de Retour aux sources.
01:13:47Merci à vous. Je vous souhaite une excellente
01:13:49fin de soirée sur La 3. A samedi prochain.

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