"Il n'y a pas de féminisme sans les personnes racisées et sans les femmes maghrébines, noires, asiatiques."
Misogynie, stéréotypes et racisme : Nesrine Slaoui, journaliste et écrivaine, explique dans son livre Notre Dignité les obstacles et oppressions auxquels sont confrontées les femmes africaines.
Son livre "Notre Dignité" aux éditions Stock est disponible en librairie
Misogynie, stéréotypes et racisme : Nesrine Slaoui, journaliste et écrivaine, explique dans son livre Notre Dignité les obstacles et oppressions auxquels sont confrontées les femmes africaines.
Son livre "Notre Dignité" aux éditions Stock est disponible en librairie
Category
🗞
NewsTranscription
00:00On ne peut pas avoir un féminisme si le féminisme ne prend pas en compte
00:03la femme noire ou arabe, femme de ménage, qui a aussi des enjeux de précarité.
00:06C'est pour ça que c'est hyper important de déconstruire le féminisme
00:10qu'on a dans le milieu mainstream, qui est un féminisme qu'on qualifie de libéral,
00:13c'est-à-dire que c'est un féminisme qui se soucie surtout de l'égalité salariale,
00:16qui ne prend pas en compte les milieux qui ne sont pas privilégiés
00:20et surtout qui ne prend pas en compte les femmes issues de minorités ethniques
00:22qui ont subi la colonisation.
00:25Il y a eu souvent ce mythe dans les films, dans les séries de l'homme sauveur blanc.
00:30C'est-à-dire de la femme agribine de banlieue qui vit sous un père très autoritaire
00:34et qui va être sauvée par un homme blanc qui va venir et qui va lui apprendre l'égalité,
00:38qui va lui faire dépasser le périphérique.
00:41Ce but-là, c'est de dire aussi qu'il existe des sauveurs.
00:44Et cette notion de sauveur, c'est vraiment une notion coloniale.
00:48On parle souvent, par exemple, de la famille oppressive de la femme agribine.
00:51On ne parle jamais du racisme que peut avoir la famille d'un homme blanc
00:53vis-à-vis de cette femme agribine.
00:54C'est ça qui est hyper pernicieux, c'est de toujours, toujours faire croire
00:59que les familles magribines sont des espaces oppressives
01:01et que le reste de la société, par contre, est particulièrement accueillante
01:04et qu'il n'y a pas de violence ailleurs.
01:06Alors que c'est faux.
01:07On oublie que la société n'est pas égalitaire, en fait,
01:10et qu'il faut être féministe.
01:11Moi, je suis pour qu'on soit féministes.
01:13Mais il ne faut pas oublier que pendant la colonisation,
01:14le féminisme a servi de justification pour coloniser le monde.
01:17C'est-à-dire qu'il y a cette idée-là de « on va aller en Afrique
01:19parce que justement, ce sont des peuples arriérés
01:21et on va aller les éduquer, notamment sur le droit des femmes. »
01:24Quand on sait qu'il y a eu des cérémonies de dévoilement en 1958 en Algérie,
01:27d'ailleurs, c'est très marrant, sur les photos des cérémonies de dévoilement,
01:31c'est-à-dire où des femmes blanches enlèvent le voile de force aux Algériennes,
01:34elles portent elles-mêmes un fichu sur la tête.
01:36C'est-à-dire qu'il y a quand même cette idée-là que le corps nord-africain,
01:39le corps africain même au sens large, est un corps à dominer, à dévêtir,
01:44et que, paradoxalement, c'est une manière de le civiliser.
01:47Et c'est encore la démarche qu'on a aujourd'hui, en fait,
01:50vis-à-vis notamment des femmes qui portent le voile.
01:52Il ne peut pas y avoir de féminisme sans les personnes racisées
01:54et sans les femmes maghrébines, noires, asiatiques.
01:56Et c'est pareil pour les hommes.
01:57Les hommes arabes et les hommes noirs et les hommes blancs ne vivent pas la même réalité.
02:00Il y en a certains qui sont en situation de domination,
02:02qui ont des privilèges que d'autres n'ont pas.
02:04Même si, ce que j'essaie d'affirmer avec ce livre-là,
02:06c'est que tous les hommes bénéficient du patriarcat.
02:08Peu importe leur origine ethnique, tous les hommes participent au patriarcat
02:11et tous les hommes, en fait, bénéficient des avantages du patriarcat.
02:14C'est simplement qu'effectivement, les hommes noirs et arabes souffrent aussi du racisme
02:18et donc de violences, de discriminations.
02:20J'ai l'impression qu'en tant que femme maghrébine, on lutte sur tous les fronts.
02:22C'est-à-dire, on lutte contre les hommes de notre communauté
02:25qui peuvent effectivement être extrêmement virulents, même sur les réseaux sociaux.
02:28On doit lutter à la fois contre des hommes qui ne sont pas arabes et qui sont aussi violents
02:31et on doit lutter contre la société qui essentialise nos familles
02:34et qui essentialise les violences qu'on vit.
02:36Donc, tout l'enjeu pour nous, c'est simplement de dire
02:39qu'il existe des hommes violents partout, c'est juste le fruit du patriarcat.
02:42La question, c'est comment on fait, nous, pour en parler ?
02:43Comment on fait pour dire qu'effectivement, les hommes de nos communautés
02:47peuvent être vecteurs de violences et sont aussi le vecteur du patriarcat
02:50sans qu'on ait l'extrême droite derrière qui vienne nous dire
02:52« Mais vous voyez, on vous l'a dit ! »
02:54« On vous l'a dit que les Arabes sont sexistes et violents avec leurs femmes. »
02:56Donc, c'est pour ça que le racisme nous empêche aussi,
02:59en réalité, en tant que femme maghrébine, de se libérer de ça.
03:01Quand on voit quelqu'un de minorité, c'est-à-dire un noir, une personne noire,
03:05une personne arabe dans l'espace public,
03:07on va le juger à travers un regard qui est un regard de domination.
03:10A priori, c'est un regard négatif.
03:11C'est de toujours considérer que soit on n'est pas compétent,
03:14soit, effectivement, on est des traîtres, des vendus.
03:16Moi, j'imagine toujours un peu les dominants dans une grande pièce
03:19en train de nous regarder nous battre pour des miettes, en fait.
03:21Nous dire « Regardez, nous, on a l'argent, on a le pouvoir, on a le capitalisme,
03:26on est riches, et puis regardez, en bas,
03:27elles sont en train de se battre pour une petite miette de pain. »
03:30Donc, c'est pour ça que moi, j'essaie de faire l'inverse
03:32et d'avoir, au contraire d'une intransigeance,
03:34une espèce de solidarité à toute épreuve.
03:35Ça veut dire aussi s'accorder à soi et accorder aux autres le droit à l'erreur.
03:39Et ça, c'est le plus compliqué quand on est une femme ou une personne racisée.
03:44C'est de se dire, en fait, le fait que je fasse une erreur,
03:46ça ne dit pas que je suis une mauvaise personne.
03:48C'est parce qu'on a une espèce de jugement d'a priori négatif sur nous-mêmes.
03:52Il n'y a pas d'autre solution quand on vient d'un groupe minorisé
03:54et quand on est une femme, de rentrer en sororité.
03:56Moi, je le vois juste, par exemple, avec ce qui se passe sur les réseaux
03:58avec Tana Land en ce moment.
03:59On voit que c'est, en fait, un mouvement de sororité.
04:01C'est de dire que, en fait, la manière dont vous jugez une seule femme,
04:04c'est la manière dont vous jugez toutes les autres.
04:05Et c'est exactement ce que j'essaie de dire sur les femmes maghrébines.
04:08C'est que si une seule d'entre nous est attaquée
04:10parce qu'elle est une femme maghrébine, on est toutes attaquées.
04:12Et si on s'attaque entre nous en tant que femmes maghrébines,
04:15on donne la légitimité à ceux qui nous attaquent et à celles qui nous attaquent.
04:17Partez du postulat que nous sommes dignes,
04:19que nous sommes dignes de respect,
04:21que nous sommes dignes de vivre, tout simplement,
04:23et qu'on n'a pas à se poser la question en permanence de
04:25est-ce que j'ai le droit de faire telle ou telle chose ?
04:27Et surtout, d'intérioriser aussi que la rivalité, en fait, elle nous nuit.
04:31Rentrer en rivalité avec une autre femme,
04:33et spécifiquement avec une autre femme maghrébine,
04:35ça ne c'est rien d'autre que la domination.