• il y a 15 heures
Ornella raconte avec émotion la double vie qu’elle a dû mener entre son travail au Crazy Horse et le besoin de s’occuper de son père malade." Partagée entre les lumières de la scène et la réalité poignante de la maladie, elle explique comment chaque jour demandait des forces qu’elle n’était pas toujours certaine de trouver. Le rythme exigeant du spectacle se heurtait à l’urgence des soins, aux visites médicales, et aux moments de vulnérabilité de son père. Pour Ornella, jongler entre ces deux mondes a été à la fois une épreuve et une responsabilité qu’elle s’est imposée avec amour.

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Personnes
Transcription
00:00J'ai 39 ans dans quelques mois et papa, ça fait 38 ans qu'il est malade.
00:04Donc il est malade depuis que je suis petite.
00:06La sclérose en plaques, c'est une maladie assez compliquée,
00:09qui est visible ou invisible.
00:11Et le problème de cette maladie, c'est qu'elle peut être très stagnante
00:15ou alors se développer à une vitesse très rapide.
00:17Donc il y a des symptômes où on voit que la personne est malade
00:20et puis parfois, mon père, pendant des années, ça ne se voyait pas du tout.
00:23Et puis au fur et à mesure, il a commencé à marcher avec une canne
00:26parce que des problèmes d'équilibre qui sont très typiques de la sclérose en plaques.
00:30La crainte de papa, c'était d'être en fauteuil roulant
00:33parce que ça peut être l'évolution d'une sclérose en plaques évolutive en tout cas.
00:37Et puis il a eu deux AVC qui font qu'ils l'ont mis dans un fauteuil roulant.
00:41Moi qui ne suis pas médecin, pour expliquer un petit peu ce qu'est la sclérose en plaques
00:44avec mes mots à moi, on va dire plutôt que c'est comme une gaine d'électricien
00:49remplie de fils électriques.
00:51La gaine, c'est la moelle épinière et tous les fils électriques,
00:54c'est tout le système nerveux central.
00:56Le système immunitaire va venir attaquer cette gaine au fur et à mesure.
00:59Ça va créer des lésions, parfois des lésions qui vont revenir
01:03et puis parfois des lésions qui vont être à vie.
01:05Je prends l'exemple de mon père puisque c'est comme ça que moi j'ai connu la sclérose en plaques.
01:09Au début, ça va se matérialiser par des poussées
01:13où la personne pendant plusieurs jours va être complètement halitée,
01:15va ne plus pouvoir faire grand chose.
01:18Elle va souvent aller à l'hôpital pour prendre des bonus de la cortisone
01:22sous forme d'injection pendant quelques jours
01:24pour pouvoir repartir de plus belle.
01:26Plus de femmes sont atteintes de sclérose en plaques que chez les hommes.
01:29Ça se manifeste entre 25 et 35 ans.
01:32Mais il y a aujourd'hui en France entre 5 ans et 10 ans
01:35pour avoir un diagnostic d'une sclérose en plaques.
01:37Souvent, on dit aux gens qu'il y a un problème psychologique
01:41parce que c'est une maladie où papa dit toujours
01:44un jour c'est pire, un jour ça va.
01:46La sclérose en plaques a aussi cette spécificité au niveau de l'humeur.
01:50C'est-à-dire qu'un malade de la sclérose en plaques peut se lever,
01:53être de bonne humeur et puis une heure après,
01:55c'est pas la dépression mais pas loin.
01:58Alors c'est difficile déjà pour le malade à gérer,
02:01mais moi en tant qu'enfant, en tant qu'aidante,
02:03c'est encore presque plus compliqué parce qu'on a du mal à comprendre
02:07qu'est-ce qui se passe à l'intérieur.
02:08Pourquoi d'un coup tout va bien, après ça ne va pas ?
02:11Pourquoi il se lève avec une idée en tête ?
02:13Et puis une heure après, il dit
02:14non en fait, je n'ai plus du tout envie de faire ça.
02:16C'est une maladie qui n'est pas prouvée comme génétique.
02:19On n'a pas encore aujourd'hui la raison pourquoi elle se déclenche.
02:24Souvent, beaucoup de personnes disent que c'est dû à des chocs émotionnels.
02:27Maintenant, après, c'est un petit peu compliqué de voir ça comme ça
02:31et même mon père, il ne save pas comment c'est arrivé en tout cas.
02:34A savoir que la sclérose en plaques, en France,
02:36est la deuxième cause de handicap chez les jeunes adultes
02:39après les accidents de la route.
02:41Aujourd'hui, il y a une errance médicale au niveau du diagnostic de la sclérose en plaques
02:45parce que ce n'est pas comme un cancer, admettons,
02:47où on fait une analyse sanguine et on voit tout de suite qu'il y a un problème.
02:51Ça peut commencer par le système cognitif.
02:54Ça peut être tellement de petites choses.
02:57Il y a des gens qui vont d'un coup perdre l'usage de leurs jambes.
02:59Il y a des personnes qui vont avoir des problèmes de vision.
03:02C'est tellement différent chez chaque personne.
03:04Il y a presque un cas de sclérose en plaques pour chaque personne en fait.
03:08D'où l'errance médicale.
03:09Et puis aujourd'hui, malheureusement, les médecins généralistes ne sont pas assez formés
03:14pour pouvoir dire, vous avez ça, il faut aller passer un IRM
03:17pour voir où en est la moelle épinière.
03:19Et à ce moment-là, dire OK, on va se pencher
03:22parce que là, il y a peut-être une suspicion de sclérose en plaques.
03:25Mon père, sa sclérose en plaques s'est vraiment aggravée il y a quelques années.
03:29Au début, quand j'étais petite, c'était juste...
03:31On voyait notre père avec mon petit frère
03:33qui allait régulièrement à Reims pour des examens médicaux.
03:37Mais on ne se pose pas tant de questions quand on est enfant.
03:40Et puis, mon père marchait, parlait, il n'y avait zéro problème visible.
03:44Mais c'est aussi compliqué pour un malade de voir la maladie progresser
03:49et de se dire à un moment, je vais devoir prendre une canne pour marcher.
03:52Donc beaucoup de personnes essayent aussi de dire,
03:55ben non, non, je vais bien, tout va bien.
03:57C'est comme les personnes qui n'osent pas en parler au travail.
04:00Parce que c'est compliqué aussi, je pense, pour un malade
04:03de se voir diminuer au fur et à mesure des années.
04:06Les premières années où il a commencé à être dans le dur au niveau de la maladie,
04:10je n'ai pas été là pour le voir, je voyais mon père tous les six mois.
04:13Donc c'était vraiment mon frère qui voyait, qui était au quotidien avec lui.
04:17C'est qu'une fois après qu'il a commencé à avoir des AVC et à être en fauteuil roulant,
04:21que là, on est rentré dans quelque chose de beaucoup plus complexe de la maladie.
04:25Parce que quand on commence à mettre des auxiliaires de vie à la maison,
04:29quand on commence à mettre des infirmiers,
04:31quand on commence à devoir gérer une société autour de son père,
04:34là, on commence vraiment à rentrer dans quelque chose de compliqué.
04:52On a une relation familiale très proche.
04:54J'ai un frère, on a un an et demi d'écart, on est un peu comme des jumeaux.
04:58Et heureusement, parce qu'on peut parler vraiment d'épreuve de vie.
05:01On a un père qui a toujours été présent pour nous,
05:03un père complètement rock quand on était jeune,
05:06parce que les cheveux longs, boucle d'oreille, jean, santiague, voilà.
05:10Mon père, ça a toujours été quelqu'un de très à part,
05:13quelqu'un de très différent,
05:14mais qui nous a toujours montré aussi un chemin de liberté par rapport à ça,
05:17de par nos métiers respectifs à tous les deux.
05:20Quand mon père a commencé vraiment à rentrer dans le dur de la maladie,
05:24j'avais à peu près entre 24 et 25 ans.
05:27Je suis passée par, j'ai été travailler en usine en 3-8,
05:30j'ai travaillé dans des boutiques de vêtements,
05:32mais il y avait toujours la danse qui m'accompagnait tous les week-ends
05:35et tous les soirs, j'étais à la danse
05:36parce que j'avais décidé que c'était ça que je voulais faire de ma vie.
05:39Donc, ce que je faisais en attendant, c'était à côté.
05:42Mon père était batteur, il était chanteur, il a tenu un bar, une discothèque.
05:47Donc déjà, là, on était déjà dans un noyau très familial, extrêmement artistique.
05:53J'ai toujours baigné dans ce milieu-là, j'ai toujours aimé la danse.
05:56J'ai vu des premiers spectacles de cabaret, j'avais 9 ans.
06:00Je suis tombée en amour devant des femmes avec des strass, des plumes, des paillettes.
06:05Et puis un jour, peut-être pas fait comme un autre,
06:08j'ai découvert une cassette vidéo,
06:10puisqu'à l'époque, c'était des cassettes vidéo du Crazy Horse.
06:13Et je me suis dit, c'est ça que je veux faire plus tard.
06:16Moi, je suis rentrée au Crazy, j'avais donc 20 ans.
06:19À l'époque, c'était sous forme d'audition.
06:22Il faut remettre dans le contexte où c'était il y a à peu près 18 ans.
06:25Il y avait, on va dire, je ne sais pas, à peu près 1000 candidatures à l'année.
06:29Il prenait 4 ou 5 filles par an.
06:31Donc, c'est un des plus grands cabarets du monde et un cabaret très élitiste,
06:37avec des critères à respecter assez sérieux, on va dire.
06:40Le Crazy a un système de recrutement particulier.
06:45Ça part sur l'aspect physique déjà dans un premier temps,
06:48parce que c'est quand même ça qu'on voit avec des tailles allant de 1m65 à 1m72.
06:53Et puis, il y a la danse, bien sûr.
06:55Mais il y a surtout, à l'époque, moi, quand j'ai été recrutée,
06:59ce qu'ils cherchaient aussi, c'était vraiment des artistes,
07:03des caractères, c'était des femmes en devenir.
07:07On dit, tu vas partir travailler 6 mois à Singapour.
07:11Et puis, après 6 mois à Singapour, finalement, j'ai fait un an et demi.
07:14Je suis partie vivre à Las Vegas pendant un an et demi.
07:16Je suis partie vivre à Lisbonne.
07:17J'ai fait presque le tour du monde.
07:19J'ai travaillé avec des célébrités incroyables au Crazy Horse.
07:22Ça a été une période de vie magique.
07:25Aujourd'hui, j'ai 38 ans.
07:26Je pourrais dire si ma vie s'arrête demain,
07:28mais je serais heureuse tellement j'ai vécu des choses,
07:31je le souhaite à tout le monde.
07:32Je pense qu'en 17 ans de Crazy,
07:35j'ai performé devant des milliers de personnes.
07:37Ça, c'est sûr.
07:38C'est des salles de 300 places.
07:40C'est deux shows par soir, trois shows le samedi.
07:43Sur scène, il y a entre 12 et 13 danseuses par soir,
07:47avec un roulement de danseuses, avec des numéros de groupe,
07:50des numéros en solo.
07:52Chaque danseuse a un nom de scène.
07:54Donc, quelque part, on se transforme en quelqu'un.
07:56Pendant toutes ces années, je me suis transformée aussi dans un personnage.
08:00J'ai grandi avec un personnage.
08:01Les filles sont habillées de lumière, de maquillage.
08:04Bien évidemment, il y a un respect et une force en tant que femme
08:10quand on est sur cette scène, qui est presque inexplicable.
08:14Personnellement, je n'ai jamais rencontré de personne
08:17avec des préjugés sur le Crazy.
08:19Et même si j'en avais rencontré dans ma vie,
08:24ça m'aurait complètement passé au-dessus de la tête.
08:26J'étais une femme forte, pleine de puissance sur cette scène
08:29et je pouvais me montrer sur toutes mes facettes.
08:31Aujourd'hui, j'ai créé des amitiés, mais tellement fortes avec certaines danseuses.
08:36Et c'est des amitiés à vie parce qu'il y a quelque chose qui nous lie toutes,
08:39parce qu'on se retrouve, on est seul parfois,
08:42on est à des millions de kilomètres de notre famille
08:45ou on est dans des villes où on ne parle pas la langue.
08:48Culturellement, ça peut être très compliqué.
08:50Et on se retrouve et on s'aide et on s'entraide.
08:52Et peut-être dû aussi à la maladie de mon père,
08:56j'ai pris conscience et je sais, peut-être c'est ma différence,
09:00que chaque jour de vie est important
09:03et que chaque moment que je vis est extrêmement important
09:06et j'ai conscience de la chance du moment que je vis tous les jours.
09:09Il y a eu des années au Crazy Horse
09:11qui ont été peut-être beaucoup plus joviales pour moi
09:15que la fin de ma carrière au Crazy.
09:17Parce qu'à l'époque, mon père n'avait pas de problème encore.
09:22Et donc du coup, j'ai vraiment pu profiter pour moi de ma vie à ce moment-là.
09:27Et j'ai eu la chance de faire plein de choses avec le Crazy,
09:29mais de profiter vraiment à 100% sans vraiment me dire
09:33« Oh mince, mon téléphone, où il est ?
09:35Est-ce que je n'ai pas eu un coup de téléphone des auxiliaires de vie ? »
09:38Aujourd'hui, ma vie, elle est plus rythmée comme ça.
09:40Aujourd'hui, je ne dors pas avec mon téléphone éteint, jamais.
09:44Parce que toujours peur qu'il arrive quelque chose, un problème la nuit,
09:48que la télé-alarme nous appelle, votre père a un problème,
09:50que mon père m'appelle, qu'il y a un problème.
09:53Et ça, du coup, c'est un petit peu cette naïveté que j'ai eue à cette époque au Crazy.
09:58Aujourd'hui, je ne l'ai plus du tout.
09:59La maladie de papa a commencé à prendre de plus en plus de place dans ma vie
10:03quand il a commencé à faire des AVC.
10:05Quand là, on nous a dit « Ah ben là, il ne repartira pas sur ses deux jambes.
10:10Dans un premier temps, il va être en fauteuil roulant. »
10:12Et petit à petit, on dit « Ah ben, il faut prendre des auxiliaires de vie. »
10:16« Ah ben oui, mais comment on fait ? »
10:18« Ah mais vous savez, c'est quoi le SESU ? »
10:19« Vraiment, je ne sais pas. Bon ben, il faut prendre des gens au SESU. »
10:22« Ah mais il faut prendre aussi des infirmiers parce que là, il a besoin d'infirmiers. »
10:26« Puis, il y a quelqu'un qui va devoir lui faire les courses. »
10:28« Et comment on fait pour le compte en banque ? »
10:30Et en fait, on rentre dans un truc sans s'en apercevoir.
10:33Et petit à petit, on se dit « Oh waouh ! Mais là, tous les mois, je dois faire des fiches de paye.
10:38Tous les mois, je dois envoyer des papiers à la MDPH, je dois faire des dossiers à MDPH. »
10:42Et on est, en tant qu'enfant déjà, on n'est plus enfant.
10:46On devient les parents de ses parents.
10:48C'est devenu ma vie d'accompagner au mieux que je peux un papa malade.
10:53À cette époque-là, ça y est, j'étais à Paris et j'avais décidé d'arrêter de voyager aussi.
10:58Parce qu'il y avait justement ce fait de se dire
11:01« Bah oui, mais si je suis à l'autre bout du monde, comment je fais ? »
11:03Il y a sa vie, sa vie d'artiste, c'est un fait.
11:06Mais j'en avais déjà bien profité quand même avant.
11:09Et puis, il y a cette vie d'enfant et cette vie de fille.
11:12Jamais je ne pourrais dire « Ah, j'ai agrété, je n'ai pas fait tel gala pour mon père. »
11:17Maintenant, mon père, c'est plus important que tout.
11:20J'ai continué le Crazy Horse en étant à Paris.
11:23Et puis, dès qu'il y avait un problème, je prenais le train et je rentrais.
11:26Moi, je vis à Paris, mon frère est sur place et heureusement,
11:29on sait bien distinguer chacun les choses.
11:31Lui est plus sur le côté pratique, moi je suis sur le côté administratif.
11:35Et on n'est pas assez de deux, finalement.
11:37J'avais la chance d'être sur scène chaque soir.
11:40La scène, c'est un exutoire. La scène, on oublie les choses.
11:43On est là pour divertir, on est là pour donner le sourire aux gens.
11:47Donc, quelque part, on oublie aussi ces problèmes.
11:49On les laisse en coulisses et on y va et on donne tout ce qu'on a.
11:52Et quelque part, on donne peut-être plus de choses.
11:55Moi, je sais ce que c'est que de se lever le matin toute seule,
11:58de prendre ma douche seule, de faire mon café, de m'habiller, de partir bosser.
12:03Mon père ne peut plus faire ça.
12:04Et du coup, je vis justement dix fois plus intensément
12:09parce que ça peut taper à n'importe quel moment.
12:12On peut avoir, à tout moment de vie, un problème.
12:15Peut-être que c'est une force que j'ai différente des autres.
12:19C'est de se dire, je suis en pleine santé
12:22et j'ai conscience chaque jour de la chance que j'ai.
12:25Quand le corps médical annonce que papa ne marchera plus forcément,
12:29dans un premier temps, ils ne l'annoncent pas vraiment, en fait.
12:31Ils disent, peut-être avec de la kiné, ça va aller.
12:34On ne se rend pas compte parce que l'état se dégrade petit à petit.
12:38Donc, au début, c'est la marche.
12:39Et puis après, on se rend compte que, dis-donc, il ne mange plus correctement.
12:45Ah ben, on vous appelle et on vous dit,
12:48bon là, il faut qu'on lui mette une sonde gastrique d'urgence
12:52parce que de toute façon, dans un an, il ne pourra plus en avoir
12:54et il ne pourra plus manger.
12:55D'accord, donc il va rentrer pour se faire OP et pour avoir une sonde gastrique.
12:59Et puis après, il va faire une poussée de sclérose en plaques.
13:01Donc, il retourne à l'hôpital.
13:02Puis là, on nous dit, il va avoir une sonde urinaire.
13:05Et puis, la sonde urinaire, on ne la retirera plus jamais
13:07parce qu'il ne peut plus aller aux toilettes.
13:08Mais c'est des moments super difficiles quand on est enfant, en tout cas,
13:12parce que là, on prend une place qu'on n'a pas à prendre.
13:15Ça fait des années qu'il était déjà en fauteuil roulant.
13:17Et il y a un truc, malheureusement, qui est très réducteur.
13:20On est assis, on n'est pas à hauteur des gens.
13:22On voit les pertes de mémoire.
13:24On se rend compte des problèmes d'équilibre encore plus.
13:27On se rend compte de la fatigue mentale et physique
13:30qui arrive encore plus rapidement que ce qu'on pensait.
13:33Je disais toujours avec mon frère, bon ben là, on tape dans le dur, c'est le pire.
13:37Puis en fait, on se rend compte qu'il y a toujours pire.
13:39Là, maintenant, on ne se dit plus, ça c'est le pire.
13:41On se dit juste, pour le moment, on est bien.
13:43Mon père a toujours été très fier de ce que je faisais.
13:45Pour ma dernière Eucrésie, j'ai pris une ambulance.
13:48Il est venu Eucrésie, il était hors de question qu'il ne soit pas là.
13:51Je ne sais pas comment il a pu ressentir cette soirée.
13:53En tout cas, il était fier.
13:54Et puis, mon père, ça a toujours été, avant qu'il ne tombe malade,
13:57partout où il allait, c'était le roi de la soirée.
14:00Parce qu'une grande voix, une prestance, un charisme,
14:03partout où mon père allait, il fallait qu'on l'écoute.
14:05L'avantage de cette famille Eucrésie, c'est ça.
14:08C'est que les filles ont toujours suivi l'évolution de mon père.
14:12Je suis quelqu'un qui communique beaucoup,
14:14donc j'ai toujours expliqué un petit peu ce que je vivais.
14:17Quand on m'a appelée pour me dire « Papa est à l'hôpital, il a fait un AVC »,
14:21j'étais Eucrésie, j'étais en train de travailler.
14:23Vous vous doutez qu'à ce moment-là, on n'est pas au top de sa forme.
14:26Parce que sourire sur scène, c'est un fait,
14:29mais quand on apprend ce genre de nouvelles, on est un petit peu sous le choc.
14:32Et donc, du coup, c'est ça aussi, c'est la famille Eucrésie.
14:35C'est de dire « T'inquiètes, on gère, il n'y a pas de problème ».
14:39Aujourd'hui, papa ne parle presque plus.
14:41Il bafouille des choses, donc c'est quelque chose de difficile aussi pour lui,
14:45mais c'est la maladie qui fait ça.
14:47Il est complètement fauteuil roulant, il ne peut plus du tout, du tout se lever.
14:53Il ne peut plus manger, il ne peut plus boire.
14:55Il a une sonde gastrique, sonde urinaire, enfin, on est sur une totale complète.
15:01Bien sûr que ça peut encore s'aggraver.
15:02Ou des fois, il nous reconnaît, des fois, il ne nous reconnaît pas.
15:04Puis les AVC amènent un truc hyper sympa en prime, un syndrome frontal.
15:10C'est-à-dire que la personne qui atteint d'un syndrome frontal n'a pas de filtre.
15:14Donc, elle va dire tout ce qu'elle pense.
15:16Avec mon frère, des fois, on se dit « On rigole de ça, mais il n'y a rien de drôle ».
15:21Mais, ah ben, on se fait insulter.
15:24Ça, c'est compliqué.
15:25En tant qu'enfant, c'est compliqué.
15:26Quand on se fait insulter de salope, c'est compliqué.
15:28Mais ce n'est pas de sa faute.
15:30Mais il y a des moments où on dit « Bon, là, je vais sortir deux secondes,
15:34je vais souffler, je vais pleurer, je vais passer un coup de téléphone et je reviens ».
15:38Assez jeune, déjà à 24 ans, je réfléchissais déjà à l'après.
15:41Et c'est compliqué quand on fait un métier de passion,
15:44quelque chose où on est animé depuis qu'on est jeune
15:46et que pour nous, il n'y avait qu'un seul chemin de vie, c'était celui-là.
15:49Et puis, on est dans ce chemin qu'on chérit à 6000 %,
15:52mais on est déjà obligé de penser à l'après parce qu'on a vu des filles se blesser,
15:57ne pas pouvoir remonter sur scène, des blessures assez graves.
16:00Donc, il y a vite quelque chose qui se met en place de l'ordre de la reconversion.
16:04Et puis, à un moment, il y a eu la blessure de trop, peut-être pour moi,
16:08qui m'a fait m'arrêter pendant deux mois.
16:10Une petite décheuve, rien de bien violent dans un premier temps,
16:13mais là, on se dit « ok ».
16:15Là, mon corps, il est en train de me dire « bon, il va falloir que tu arrêtes ».
16:18Et c'est ok, en fait.
16:20Tu as vécu 17 années incroyables.
16:22Si tu es ok avec toi-même,
16:24ça faisait déjà un moment que psychologiquement, je me préparais.
16:27Et puis, il y a un moment, je me suis dit « ok, le 6 septembre,
16:31ça fera 17 ans pile que je suis rentrée dans cette maison.
16:34Donc, j'ai arrêté un 6 septembre.
16:36Voilà, le 17, c'est mon chiffre, on est bon.
16:38Et clac, c'est terminé et j'ai tiré ma révérence.
16:41Aujourd'hui, je travaille dans une radio, je suis animatrice radio,
16:44dans une radio associative.
16:46Alors, la radio VivreFM est une radio qui parle du handicap, mais pas que.
16:51Qui parle des différences aujourd'hui.
16:53Et aujourd'hui, malheureusement, en France,
16:55quand on n'est pas concerné par le handicap, on ne se sent pas concerné.
16:59Et donc, c'est quelque chose comme si on avait un peu des œillères et c'est
17:01« je n'écoute pas, je ne vois pas, ça ne me touchera pas ».
17:04Alors qu'en fait, non, ça peut toucher tout le monde, le handicap.
17:07Aujourd'hui, je sais que la parole que je donne dans mes émissions
17:11à des personnes, elle peut aider, en tout cas.
17:15De 9h à 10h, j'anime une émission pour les femmes, pour célébrer les femmes.
17:19Donc, on parle de plein de choses, de plein de thèmes différents,
17:22mais des thèmes qui sont, on va dire, médiatiquement pas forcément très corrects.
17:26Mais je pense qu'il est temps de libérer la parole sur plein de choses.
17:30Et dans cette émission qui s'appelle « Les Modèles »,
17:32justement, on parle de tout avec des femmes extraordinaires chaque matin.
17:36Et puis ensuite, j'ai une émission de 10h à 11h qui s'appelle « Entre nous »,
17:39où je reçois des artistes, où on parle de leur carrière, de leur parcours de vie,
17:43des parcours qui sont singuliers, atypiques, différents.
17:46Je me suis reconvertie en tant qu'animatrice parce que quelques années avant,
17:51en faisant des interviews justement pour les soirées,
17:54pour l'association pour la sclérose en plaques,
17:57j'ai retrouvé ce petit truc d'adrénaline.
17:59Hop, le bouton rouge s'allume.
18:01Il y a ce stress, ce petit trac qu'on a exactement le même que quand on part sur scène
18:06et qui, pour moi, est un trac comme une drogue pour un artiste.
18:09On a besoin de ça pour se sentir un peu vivant.
18:12Et je me suis dit, tiens, c'est rigolo parce qu'on reste dans un milieu particulier, différent.
18:20Et en même temps, on reste quelque part dans un milieu artistique.
18:23Juste aujourd'hui, je ne travaille pas avec mon image, je travaille avec ma voix à la radio.
18:28Donc c'est une manière encore différente de s'exprimer.
18:31Mais en tout cas, c'est une manière artistique de s'exprimer, à mon goût.
18:35Je ne sais pas s'il y a énormément de conseils qu'on peut donner.
18:40En tout cas, une chose est sûre, c'est déjà avant tout pour les personnes atteintes de sclérose en plaques
18:43de se rapprocher d'associations comme l'Association française des sclérosés en plaques.
18:48C'est des personnes qui vont pouvoir vous donner des numéros de téléphone.
18:53Il y a une aide psychologique 24 heures sur 24.
18:55Pour un aidant, ce qu'il faut, c'est toujours garder le sourire,
18:58pleurer, mais jamais devant un malade, et puis toujours être dans le positif.
19:03Et dire, OK, aujourd'hui, ça ne va pas, tu n'es pas bien, c'est OK.
19:07Demain est un autre jour.
19:08Mon père a une phrase magnifique.
19:10En tout cas, quand il pouvait parler, il avait une phrase formidable.
19:13Il disait toujours, c'est le bordel, mais la vie est belle.
19:15Il faut se décharger, il ne faut pas garder tout ça, c'est hyper important.
19:18Je pense que la communication, c'est le B.A.B.
19:22parce qu'on se heurte à des murs comme le mot MDPH.
19:27C'est la maison départementale des personnes handicapées.
19:30C'est là où vos dossiers vont être constitués pour pouvoir avoir des auxiliaires de vie,
19:35pour pouvoir mettre tout ça en place au fur et à mesure.
19:37C'est des dossiers qui sont assez compliqués,
19:39mais c'est important pour la suite, pour avoir des fauteuils roulants,
19:44pour pouvoir faire des travaux à la maison, qu'il soit pris en charge pour son handicap.
19:50Papa, il a une auxiliaire de vie qui est prise en charge tous les mois.
19:53Combien de fois je lui ai dit, c'est un ange gardien, vraiment.
19:57Parce qu'elle fait des choses que nous, on ne peut pas faire,
19:59déjà en tant qu'enfant, par dignité, tout simplement.
20:01Et puis, elle porte la personne malade au quotidien.
20:06Ça, ce n'est pas un boulot facile, vraiment.
20:08Et puis, elle subit surtout le caractère de mon père.
20:11Et ça, c'est un boulot encore moins facile.
20:13Il est hors de question que j'abandonne mon père parce qu'il est malade.
20:16Non, je l'aide comme je peux, à ma petite échelle,
20:19mais je l'aide, en tout cas, j'essaye que sa vie soit la plus jolie possible,
20:24malgré ce qu'il a, malgré ce qu'il vit.
20:26Je pense que je dirais à la toute petite Ornella
20:29qu'il va avoir des coups super durs dans la vie dû à la maladie de papa.
20:35Mais en même temps, ça va créer des moments incroyables,
20:42des moments que tu te rappelleras à vie
20:44et des moments que tu n'aurais peut-être pas vécu si ton papa n'avait pas été malade.
20:47Et que peut-être qu'aujourd'hui, tu vas, à ta toute minuscule échelle,
20:53essayer, tant bien que mal, d'aider d'autres personnes
20:56qui sont dans le même cas que ton père.
20:58Alors, pas aider avec des solutions miracles médicamenteuses,
21:03mais aider par justement ta profession d'artiste que tu vas travailler.
21:07J'ai toujours dit à papa, aujourd'hui, il m'a appris beaucoup de choses.
21:12Et que je suis fière d'être sa fille.

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