Son amour pour les Fab Four, sa rencontre avec Prince sur le plateau de Nulle Part Ailleurs, les lives de Bruce Springsteen… Pour fêter les 40 ans de CANAL+, on a fait une virée chez le disquaire avec Antoine de Caunes, qui nous a présenté tous les disques qui ont marqué sa vie.
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00:00Quand le rock a eu des prétentions un peu symphoniques, néo-classiques, je me suis fait chier.
00:05Mon meilleur souvenir de musique à Canal ?
00:07Public aimé, Nirvana !
00:11Ou le premier passage de Prince ?
00:13Le manager me dit, c'est à moi que tu parles.
00:15Donc je parle au manager, et le manager parle à Prince, qui répond au manager, qui me répond.
00:19Je vous raconte ma vie, c'est un peu long, non ?
00:23Salut, c'est Antoine de Cône, je vous retrouve chez Ballade Sonore
00:26pour vous parler de quelques-uns de mes disques préférés.
00:31Le dernier Disque préféré ?
00:38Comment a-t-il été vu ?
00:44…sergent paper !
00:47Ce n'est pas la base de tout, parce que j'ai déjà écouté Les Beatles avant Sergent Paper,
00:51mais en 67, quand sort l'album, j'apprends à parler anglais.
00:58J'ai un anglais très très très approximatif à l'époque et grâce à Sir John Pepper et à tous les textes qui sont au dos de Sir John Pepper,
01:07je perfectionne mon anglais.
01:08Merci John Lennon, merci Paul McCartney.
01:10Je commence à parler non pas l'anglais, mais le Beatles, c'est-à-dire que je glisse dans des phrases des What I'm 64, des morceaux de paroles
01:18When I Get Older, Losing My Hair, Many Years From Now, ce qui n'a pas été le cas.
01:23Et donc grâce à eux, voilà, mon anglais se perfectionne.
01:25Mais surtout, c'est un album, c'est difficile de choisir dans les Beatles.
01:30Évidemment, je choisirais plus naturellement Le Blanc ou Abbey Road si je ne devais en garder qu'un.
01:36Mais quand même, celui-là, c'est une révolution dans ma petite tête à l'époque.
01:50J'ai écouté, je me souviens très très bien même, parce que c'était au mois de juin 1967.
01:55Je partais en vacances chez mon père.
01:59J'avais passé le mois de juillet chez mon père à la campagne, campagne où je m'emmerdais, mais copieusement.
02:05Et donc, mon unique activité pendant un mois, ça a été d'écouter en boucle
02:12Sgt Pepper et de déchiffrer mot à mot tout ce qui se raconte derrière.
02:18Il y a des textes assez énigmatiques, on va dire, comme par exemple Losing the Sky with Diamonds.
02:25Dont j'ai appris par la suite, parce que j'étais bien trop jeune et innocent à l'époque pour le savoir,
02:29que c'était les initiales de LSD, qu'il ne faut jamais utiliser, c'est très dangereux le LSD.
02:34Voilà, donc j'ai passé un mois entier de ma vie sur cet album et j'y reviens toujours.
02:50Quand on parle des Beatles, on parle aussi des Stones, la grosse guéguerre.
02:54Moi, quand j'étais mauve, c'était alors plutôt Beatles, plutôt Stones, guerre vaine, comme la plupart des guerres,
03:00parce qu'on peut aimer les deux, comme c'est mon cas.
03:04Moi, j'étais fanatique des Beatles et j'adorais les Stones.
03:08Ça ne veut pas dire qu'il y a une nuance dans l'adoration, mais les Beatles, pour moi,
03:14ils ont posé une grammaire, un vocabulaire, une syntaxe, tout ce qu'on veut.
03:20Les Stones, c'est un groupe de blues, de blues rock,
03:22donc qui est moins surprenant dans la recherche, dans la composition, mais qui est un groupe extraordinaire.
03:28Comme Elvis a réussi à faire la jonction entre la country, le rhythm and blues, la soul, la musique blanche aux États-Unis,
03:35eux, ils font ça en Angleterre avec le blues.
03:37Alors, c'est une époque aussi, ces années 60, où il y a beaucoup d'artistes qui s'intéressent au blues,
03:44à partir d'Alexis Korner, qui était un peu un musicien d'époque, qui était un carrefour chez qui tout le monde se retrouvait,
03:50les John Mayall, les Jimmy Page, les Jeff Beck, les Clapton, évidemment,
03:56et tout le monde passe par la casse-blues, et dans la casse-blues, les Stones font leur petit effet.
04:03Pleasure to meet you, hope you guessed my name,
04:08Oh yeah, I was puzzling you
04:12Sympathy for the Devil, No Expectations, Salt of the Earth, c'est un sans-faute.
04:19Est-ce que les Stones étaient rock-rock et les Beatles, des gentils garçons ?
04:26Je ne sais pas, je crois qu'ils viennent à peu près de la même souche.
04:30Ce qui inspire les Beatles, c'est Chuck Berry, c'est Little Richard, c'est le cœur du cœur du rock'n'roll, Elvis, évidemment.
04:38Les Stones y sont plus du côté du blues, des Muddy Waters, Lightning Hopkins,
04:43mais quand même, c'est le même tronc commun, et après, moi, j'ai du mal à mettre des étiquettes comme ça.
04:51Je pense que les Beatles, ça a été la plus grande aventure musicale du XXème siècle.
04:56McCartney, c'est le plus grand mélodiste depuis Mozart.
04:59Je ne dis pas ça pour faire une punchline, mais c'est vraiment le cas.
05:04Et après, quand le rock a eu des prétentions un peu symphoniques, néo-classiques, pompeuses,
05:10là, moi, je me suis fait chier.
05:11Je vous raconte ma vie, c'est un peu long, non ?
05:18Alors, patati, patata, oh !
05:22Mais le voici, le voilà !
05:25C'est sans doute un de mes albums préférés de Springsteen.
05:28Ouais, Darkness, parce que Darkness, c'est en 79, c'est-à-dire 2-3 ans après Born to Run,
05:34qui était déjà un album absolument parfait et incroyable,
05:40mais je ne sais pas, Darkness me touche, parce que Darkness,
05:43il y a des morceaux comme Adam Raise Your Hand, par exemple, ou Badlands,
05:48qui, au moment où j'écoute ça, on est en 78,
05:52et c'est à un moment où je viens de lancer cette émission chorus,
05:55et où je découvre en fait Springsteen.
05:58Je connaissais Born to Run, mais je n'avais jamais rien vu de lui.
06:02Il n'y avait rien d'autre, rien qui circulait comme image.
06:05Et puis, en allant fouiller dans les caisses de chez Sony, à l'époque, CBS,
06:11je tombe sur le film live de Rosalita.
06:17Rosalita, c'est un morceau qui est extrait de The Wild, de The Street Shuffle,
06:21de The Innocent and the Street Shuffle, qui est le deuxième album de Springsteen,
06:24qui est sorti de lui plus tôt, en 73, et il y a cette version live.
06:38Springsteen, c'est un spectacle total.
06:40C'est une musique qui, moi, m'électrise littéralement, me transporte.
06:45Je suis bouleversé par ce qu'il raconte,
06:48par toute cette histoire,
06:51ce fossé qui s'est créé entre le rêve américain et la réalité américaine.
06:58Sa manière d'en parler, il y a le Springsteen flamboyant, électrique,
07:01avec Louis Street, qui fait ses concerts dinguissimes,
07:06aujourd'hui encore, et puis le Springsteen intime,
07:10qui, touché par la dépression, comme il le confiera dans ses mémoires,
07:14des années plus tard, va dans sa cuisine, prend un 4-piste,
07:18et fait, et enregistre tout seul, avec sa guitare, un album, comme Nebraska,
07:22ou bien Tom Jodd, Justin Tom Jodd, qui reste aussi dans la même veine.
07:26Mais, très bonne porte d'entrée, darkness.
07:38Toute ma génération, on a grandi dans cette fascination
07:43plus que l'Amérique de l'Americana,
07:45c'est-à-dire l'idée qu'on se faisait de l'Amérique à travers le cinéma,
07:47à travers la littérature, la musique,
07:50et évidemment, l'univers de Springsteen,
07:53qui est un môme qui vient du New Jersey,
07:57de la working class américaine,
08:00sa manière de parler, de ses Etats-Unis à lui,
08:02c'est un éclairage qui, non seulement, nous semblait nouveau,
08:05mais révolutionnaire, en tous les cas, à travers la musique.
08:10Et oui, c'est très troublant de voir que,
08:16en dépit du changement de fuseau horaire,
08:19de l'éloignement géographique et de l'éloignement culturel,
08:21parce qu'on est en Europe, on n'est pas aux Etats-Unis,
08:23à quel point ce qu'il raconte peut toucher un môme comme moi, à l'époque.
08:28C'est toujours le boss en 2024 ?
08:29C'est toujours le boss en 2024, et plus que jamais.
08:32C'est ça qui est assez surprenant, c'est que là, il continue à tourner,
08:36il était, je l'ai encore vu, il y a trois mois à Barcelone,
08:41pour des concerts à la Springsteen,
08:43c'est-à-dire que ce ne sont même plus des concerts, c'est des célébrations.
08:46On met les pieds dans un stade,
08:48et puis on en ressort trois heures, trois heures et demie après,
08:51lessivés, nettoyés, regonflés à bloc.
08:56Mais les concerts de Bruce aujourd'hui,
09:00ce qu'il y a de particulier, c'est que ça touche plusieurs générations,
09:05mais des gens qui ont grandi, qui l'ont connu à l'époque,
09:09ceux qui ont pris le relais après, les enfants des enfants,
09:12et ça ne m'épate toujours, moi, quand je vois le public de Springsteen aujourd'hui.
09:18Ce n'est pas les vieillards chenus avec les cheveux gris qui pendent,
09:22c'est un public jeune qui s'y retrouve aussi,
09:26qui se retrouve dans une espèce d'épiphanie du rock.
09:31Alors, qu'est-ce qu'on peut trouver là-dedans ?
09:34Oh ! Le premier album des Pretenders.
09:38Ben voilà, voilà, vous voyez qu'on cherche un peu.
09:42Je tombe raide dingue de Chrissie Hynde.
09:44On peut le dire, il y a prescription,
09:46mais je suis follement amoureux de Chrissie Hynde quand je la découvre,
09:50parce que, bon, d'abord parce que Chrissie,
09:52parce que cette voix extraordinaire,
09:55parce que les trémolos qui me rendent dingue.
09:57Et puis, là, on a affaire à un groupe pop,
10:03qui fait des petites chansons pop en anglaise,
10:09alors qu'elle est américaine, elle n'est pas anglaise,
10:11mais avec cette sophistication, ce raffinement dans l'écriture
10:17qui sont typiquement anglais et anglais de la période fin des années 70,
10:23qui est une période qui voit apparaître des gens comme Costello,
10:26comme XTC, comme Yann Durie, tout le catalogue Steve de l'époque.
10:31Et Pretenders, voilà, que je continue à écouter.
10:36Donc, ça fait combien de temps après, ça ?
10:38Ouh, oui, une bonne cinquantaine.
10:42Plus de 40 ans ?
10:43Plus de 40 ans, plus de 40 ans après.
10:45Voilà, c'est des albums qui repassent régulièrement sur ma platine,
10:48car j'ai toujours une platine.
10:49Je vois des morceaux comme Stop Your Sobbing,
10:52je vois des morceaux comme Kid,
10:55Precious,
10:57Brass in Pocket, évidemment.
11:01Et puis, ça mélange plein de choses.
11:03Ce n'est pas un groupe punk hardcore,
11:06ce n'est pas un groupe non plus pop trop assidulé.
11:09C'est le parfait dosage entre l'expertise anglaise dans l'écriture.
11:17Ce n'est pas pour rien d'ailleurs qu'elle va épouser Ray Davis quelques temps plus tard.
11:21C'est tellement malheureux quand on épouse Ray Davis.
11:25C'est une quintessence de la pop anglaise du moment.
11:40Évidemment, fanatique de Gainsbourg depuis la première heure.
11:42Pourquoi ? Parce que ma mère faisait des émissions de variété
11:46et elle avait invité Gainsbourg dans une de ses émissions.
11:48Donc j'ai commencé à l'écouter à l'époque du Poissonneur des Lilas.
11:51une de ses émissions, donc j'ai commencé moi à l'écouter à l'époque du poissonneur
11:54des Lilas, juste pour situer ça au Carbone 14, c'est-à-dire fin des années 60.
11:59Je fais des trous, des petits trous, encore des petits trous, des petits trous, des petits
12:03trous, toujours des petits trous.
12:04Et après, je l'ai toujours suivi, j'ai toujours été épaté par à la fois son
12:08génie des mots, sa manière dont il arrivait à inventer des textes, à créer des textes
12:15que j'avais l'impression d'avoir jamais entendus de ce côté-ci de l'Atlantique,
12:20et puis j'adore cet album, Aux Armes, etc., il est parti enregistrer ça avec Larry
12:25Shum, qui était son producteur, à Kingston, avec, je crois qu'il y a Sly Dunbar, Robbie
12:30Shakespeare, la crème de la crème de l'art rythmique jamaïcaine, et c'est un album
12:36que j'adore.
12:37J'écoute moins de reggae aujourd'hui, mais quand je m'y remets, je passe d'abord
12:41par la classe Gainsbourg.
12:50Il réinvente de la même manière que Trenet avait réussi à faire swinguer le français
12:57avec ses chansons, dans les années 40, 50, 30-45 ans.
13:02Gainsbourg, lui, il arrive à faire grouver, je ne sais pas si ça veut dire quelque chose,
13:10des textes où on sait que le français coexiste assez difficilement avec la structure du rock.
13:15Ça n'arrive pas tous les jours que ça se passe bien.
13:17Il y a évidemment autant de contre-exemples, comme l'héritage de Mitsouko, qui a littéralement
13:23crevé le plafond de verre, mais dans le cas de Gainsbourg, d'abord il y a une poésie
13:29dans ses textes à laquelle je suis très sensible, et puis il y a un humour gainsbourgien
13:33qui me touche énormément, et qu'on retrouve évidemment dans « Aux armes », etc.
13:37Comment oses-tu me parler d'amour, toi, qui n'as pas connu le lard à cette affaire ?
13:45Évidemment, Bashung, à la fois la période avec Boris Bergman, l'époque Gabi, il avait
13:53déjà travaillé avant, mais la rencontre avec Bergman a été assez déterminante.
13:57Là encore, pour les mots, pour sa manière de jouer avec les mots, d'utiliser ce langage
14:03très poétique et très concret.
14:06J'adore Bashung parce que c'est un aventurier, c'est quelqu'un qui remet toujours le titre
14:12en jeu, qui ne se contente jamais de reproduire ce qu'il a fait auparavant, qui invente,
14:16qui progresse, qui tâtonne, et je trouve que toute l'aventure de Bashung est littéralement
14:21passionnante.
14:22Mon meilleur souvenir de musique à Canal, ça peut être le passage de Nirvana sur le
14:37plateau de « Nulle part ailleurs », ou le premier passage de Prince.
14:41C'était l'époque où il était en busby avec la Warner, il ne voulait plus qu'on
14:52l'appelle Prince, mais par le sigle Slave, qui s'était dessiné lui-même sur la joue.
14:59Donc il vient, il fait son morceau, c'est une tuerie totale.
15:03Toute l'après-midi, il avait fait une balance, puis comme il faisait des balances, il jouait.
15:08Normalement, personne ne devait y assister, mais on avait branché tous les réseaux internes
15:12des vidéos de Canal, donc dans tous les bureaux, tout le monde écoutait Prince.
15:15Et puis il fait son morceau, je ne sais plus quel morceau c'était, mais c'était absolument
15:18dément.
15:19Et il sort, l'émission se termine, le public est en transe, « Une autre, une autre ! »
15:24Et moi, j'ai pour charge d'aller le chercher dans sa loge pour le persuader de venir en
15:28faire un autre.
15:29Pendant que Jindaz fait patienter le public, qui n'était pas du tout patient.
15:34Et dans sa loge, je le trouve, face à son miroir, en train de regarder son sigle et
15:40de regarder le replay de ce qui venait d'enregistrer, et il n'était pas content.
15:43Parce qu'en fait, on ne lisait pas bien « Slave », je crois.
15:47Donc il était de mauvaise humeur.
15:50J'arrive et j'essaie de lui parler, de lui dire « ça serait bien de revenir ».
15:53Je n'ai pas le droit de lui parler, il y a son manager qui est là, et le manager me
15:57dit « c'est à moi que tu parles ».
15:58Donc je parle au manager, et le manager parle à Prince, qui répond au manager, qui me
16:03répond.
16:04Tout ça, ça dure deux minutes, et finalement, ils étaient obligés de rendre l'antenne
16:07et ils ne pouvaient plus attendre de l'autre côté, et on n'a pas eu le deuxième morceau.
16:10Mais ça reste un excellent souvenir.