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Avec Olivier Tesquet, journaliste spécialiste du numérique chez Télérama.

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00:00On t'accueille aujourd'hui pour une petite heure, pour discuter du rôle des réseaux sociaux, du poids d'Elon Musk dans la campagne aux Etats-Unis, de l'élection de Donald Trump, évidemment.
00:09Comment tu te sens ? Là, ça fait quoi ? Ça fait une demi-journée qu'on a les résultats. Est-ce que tu as un petit peu pu dormir ?
00:15Finalement, je me dis que j'aurais pu veiller jusqu'à ce qu'on ait les résultats quasi définitifs parce que, comme beaucoup de gens, je ne suis pas particulièrement surpris de la victoire de Trump,
00:25mais comme beaucoup de gens, je pensais que ce serait plus long et plus serré. Peut-être que c'est aussi un effet cognitif parce qu'on a vu pendant des semaines, Trump et ses soutiens, au premier rang desquels Elon Musk,
00:36qui ont mis en scène, posé tous les jalons pour la contestation du résultat. Hier soir, on voyait déjà Trump qui commençait à publier les messages habituels de soupçons, de fraudes dans tel ou tel endroit,
00:49avec les officiels qui réagissaient en disant qu'évidemment, tout ça reposait sur du vent et qu'on attendait encore les preuves de ce qu'il avançait. Mais on ne pensait pas que ce serait aussi rapide.
00:57En 2020, il avait quand même fallu attendre, de mémoire, la fin de la semaine, le samedi, je crois, pour avoir les résultats un peu consolidés. Et là, aujourd'hui, avant midi, en fait, tout était déjà plié,
01:06ce qui, du coup, nous amène à peut-être nous poser certaines questions qu'on pouvait se poser un peu plus vite que prévu.
01:13Justement, là-dessus, tu disais que pas grand monde s'attendait à une victoire, finalement, assez large de Donald Trump. Les sondages, les experts, les médias aux États-Unis, tout le monde prévoyait, tu le disais,
01:22des résultats extrêmement serrés, voire une très légère avance de Kamala Harris. Les derniers sondages, quelques heures avant les résultats, la donnaient encore très, très, très légèrement devant.
01:30Est-ce que tu penses que les sondages, les experts, les médias, est-ce qu'ils ont pu sous-estimer l'influence des réseaux sociaux, l'influence d'Elon Musk ? Est-ce que tu penses que c'est ça qui a pu pêcher dans la prévision des résultats ?
01:42Non, je pense qu'il y a évidemment plein de facteurs qui expliquent la défaite de Kamala Harris. Certains qui sont déjà avancés, puis d'autres qui seront évoqués dans les semaines et les mois qui viennent.
01:53Ce que je retiens, par contre, c'est que ça fait trois fois de suite que les sondages sous-estiment le vote Trump. Donc, soit il y a un problème de méthodologie, soit il y a un problème vis-à-vis du panel.
02:03Quand on interroge les gens, soit ils cachent le vote, soit le vote se décide vraiment dans la dernière ligne droite. Mais de toute évidence, le vote Trump est assez réfractaire à la « science sondagière ».
02:18C'est difficile aujourd'hui, et ce sera difficile demain aussi, d'ailleurs, en vérité, d'estimer le poids réel qu'aura eu le ralliement de Musk. Et quand je dis le ralliement, c'est aussi bien la contribution financière conséquente que la mise à disposition de toute son architecture médiatique.
02:35Mais c'est extrêmement difficile à mesurer, de la même manière qu'en d'autres temps, d'autres lieux. Si je prends l'élection de 2016, par exemple, quand il y avait eu ce soupçon d'ingérence russe, l'affaire Cambridge Analytica, quand même une tâche comme ça qui enveloppait la victoire de Trump.
02:55Il y avait un soupçon, d'ailleurs, ça a été utilisé pendant des années, même encore aujourd'hui, par le Parti démocrate pour expliquer que, en fait, si Trump a gagné, c'est parce qu'on l'a aidé à gagner. Aujourd'hui, c'est très difficile d'estimer l'impact réel quantifiable qu'a eu l'affaire Cambridge Analytica, par exemple, dans l'élection de Donald Trump.
03:16On peut imaginer que ça a joué un rôle. Quel rôle et quelle est la part de ce rôle ? C'est extrêmement difficile. Par contre, on peut analyser le modèle, la structure, et là, on peut le faire de la même façon avec la mise à disposition, encore une fois, assez spectaculaire de tout l'empire entrepreneurial de Musk au service unique de la candidature de Trump.
03:40Tu parlais justement des ingérences russes. Il me semble que dès lundi soir, il me semble avoir vu une dépêche AFP qui disait que le FBI, notamment, il y avait, il me semble, d'autres instances qui menaient l'enquête et qui alertaient sur ces fameuses ingérences russes sur Twitter en montrant, par exemple, des vidéos, des fake vidéos avec des électeurs de Trump qui n'arrivaient pas à cliquer sur le vote Trump, le logiciel les forçait à cliquer sur le vote de Kamala Harris.
04:06On a vu d'autres choses avec des gens qui votaient plusieurs fois avec différents passeports. Est-ce que tout ce genre de choses, est-ce que ça a pu avoir un impact ? Est-ce que c'est un gérant russe ? C'est comme ça qu'on la voit ?
04:19Alors, effectivement, le FBI, notamment, et les services de renseignement depuis plusieurs semaines ont été assez proactifs, on va dire, dans leur communication, en expliquant qu'il y avait des vidéos qui tournaient, qui usurpaient pour certaines, d'ailleurs, l'identité des agences fédérales qui alertaient sur la menace. Je crois qu'il y a des alertes à la bombe aussi dans des bureaux de vote en Géorgie où il y a un très fort soupçon d'implications russes.
04:47Ce qui est intéressant de relever, c'est que les ingérences russes, cette année, mais bon, ça fait déjà quelque temps que ça dure, se concentrent beaucoup sur la remise en question, justement, de l'intégrité et de la sincérité du scrutin.
05:01On voit bien l'enjeu, c'est attiser la défiance envers les institutions, faire planer le spectre de la fraude sur le scrutin présidentiel américain. Il y a un peu juste à se pencher pour souffler sur les braises parce qu'on est quand même aujourd'hui, en 2024, avec un Donald Trump qui explique qu'il n'aurait jamais dû quitter la Maison Blanche en 2020 et qui, finalement, même encore aujourd'hui, ne reconnaît pas qu'il a perdu cette élection-là.
05:30Donc, il y a un phénomène d'amplification. Mais autant, il y a huit ans, lors de la première élection avec Trump, il pouvait y avoir une tendance à surreprésenter, à surestimer ou à surdéterminer plutôt l'ingérence étrangère, russe en l'occurrence.
05:53Aujourd'hui, on voit que cette ingérence, ces manœuvres d'ingérence qui sont réelles, il ne s'agit pas de les nier, mais ne viennent finalement qu'en appui de phénomènes et de dynamiques qui sont déjà très, très profondément à l'œuvre dans la sphère informationnelle 100% américaine.
06:11En l'occurrence, Musk a été un super propagateur de ces récits-là pendant la campagne. C'est-à-dire qu'il y avait une théorie du complot qui passait, il l'attrapait par le col, il la relayait, il disait « oh, très intéressant, vous devriez regarder par là », etc. Et tout ça fait évidemment monter une petite musique sur laquelle des acteurs étrangers vont être tentés de rajouter un petit bidon de propane, mais sur un incendie déjà quand même assez conséquent.
06:38On a retrouvé des screens de Twitter de lundi soir et dans la nuit. Donc ça, c'est ce qu'on pouvait voir sur Twitter. Donc ce n'était pas du tout uniquement pour les Trumpistes convaincants, c'était accessible à tout le monde dans la barre de recherche vraiment généraliste, où on voit des pubs pour Trump. Et en fait, pour masquer ce truc-là, c'était hyper dur. Une fois qu'on le masquait, forcément, ça revenait à un moment ou à un autre sur notre fil Twitter.
07:06— C'est comme, je ne sais pas si vous avez fait l'expérience sur Twitter, mais vous savez, vous avez deux onglets, il y a les abonnements, c'est-à-dire les gens qu'on suit, et puis il y a l'onglet « pour vous ». Et pour vous, c'est la recommandation algorithmique. Et maintenant, quand vous allez sur Twitter, sur X, constamment, ça vous ramène sur l'onglet de la recommandation algorithmique.
07:22Et cet onglet de recommandation algorithmique, c'est une fausse apura, en vérité. C'est-à-dire que ça fait des mois et des mois. Et d'ailleurs, il y a des médias américains qui ont fait le test, qui ont monté des comptes tout à fait vierges d'affinités politiques, qui étaient intéressés par le sport, l'artisanat, des choses très éloignées, a priori, de la campagne, et qui se rendaient compte qu'en un laps de temps très, très court, en fait, ils étaient bombardés de contenus qui étaient des contenus
07:51assurément Trumpistes. Il y a quand même une ironie qu'on ne peut pas s'empêcher de souligner par rapport à ça. C'est que Musk, quand il a racheté Twitter, s'est présenté comme le chantre de la liberté d'expression. L'un de ses faits d'armes, quand il est arrivé, c'est d'avoir publié ces fameux Twitter Files, où il révélait... D'ailleurs, ça posait des questions sur la politique de modération de Twitter ancienne génération, l'ancienne gouvernance.
08:20Et donc, il a vendu la promesse qu'avec lui, ça ne se passerait pas comme ça. Or, aujourd'hui, la réalité, et après avoir, comme beaucoup de voix conservatrices, accusé les grandes plateformes de favoriser les voix progressistes, d'invisibiliser les voix conservatrices, etc., etc. Aujourd'hui, en assumant, de la manière la plus éclatante et décomplexée qu'il soit, de rallier un candidat, et en ralliant ce candidat, de mettre en avant
08:48la propagande électorale de ce même candidat. Parce que, là aussi, les volumes qu'on a pu voir, c'est-à-dire le nombre de fois où les messages d'Elon Musk ont pu être vus, partagés, etc., pendant la campagne, ça se chiffre en milliards de vues. Bon, après, encore une fois, des milliards de vues, ça fait combien de millions de voix ? Je serais bien en peine de le dire, mais il y a eu une stratégie
09:17de pilonnage informationnel qui visait, encore une fois, vraiment à mettre la plateforme entièrement au service de la candidature de Trump.
09:30On parle là, donc, surtout de X et de Twitter, donc de l'architecture des médias dont dispose Elon Musk. Il y a aussi un soutien financier extrêmement important. On va regarder une autre vidéo.
09:47Bravo à ce fameux John pour avoir gagné 1 million d'euros.
10:16On parlait un peu plus tard des « legacy media », de ce que ça veut dire comme expression. Depuis cette vidéo, il y a eu pas mal de rebrandissements dans cette affaire. Il y a eu d'abord des procédures judiciaires, en Pennsylvanie notamment, pour savoir si c'était légal ou pas de lancer cette loterie.
10:31On a aussi appris qu'en fait, les heureux gagnants et gagnantes n'étaient pas du tout choisis aléatoirement, mais bien choisis délibérément en fonction de ce qu'ils représentaient, etc., pour en fait devenir des porte-parole.
10:42En France, on se demande comment c'est possible, que ce soit légal, d'organiser une pétition. Pour rappel, la pétition, c'était en faveur du port d'armes et de la liberté d'expression. Je crois que c'est comme ça qu'ils la vendaient.
10:52Et donc, pour pouvoir gagner 5 millions d'euros, il fallait avoir signé cette pétition et être inscrit sur les listes électorales. En France, on n'imaginerait pas ça. Qu'est-ce que ça dit de l'implication, notamment financière, de Musk dans la campagne de Trump ?
11:09Je pense que ce serait effectivement très difficile, voire impossible en France. On n'a pas non plus le niveau de financiarisation des campagnes politiques américaines, où c'est une tendance très nette, où les campagnes coûtent de plus en plus cher, mobilisent des sommes de plus en plus importantes.
11:27L'avenir dira s'il y a matière à porter l'affaire, peut-être devant les tribunaux, parce qu'il est interdit, même aux États-Unis, d'acheter des votes. Il a un peu essayé de contourner la difficulté. C'est pour la pétition, ce n'est pas pour voter Trump. Mais on sent que tout ça est quand même assez acrobatique, cosmétique, etc.
11:49Moi, ce que je retiens, c'est qu'il a quand même donné un million de dollars par jour pour faire gagner Trump. Rien qu'avec ce volume-là, juste avec l'argent qu'il a distribué de manière très inconséquente, presque. Il a filé ça comme on donnerait un pourboire avec son café.
12:07Rien que cette somme-là est plus importante que la somme qu'a investie, par exemple, un Peter Thiel, qui est l'un des grands argentiers conservateurs de la Silicon Valley, pour aider à l'élection d'un certain J.D. Vance quand il a été élu gouverneur de l'Ohio. Donc J.D. Vance qui est ensuite devenu le colistier de Trump.
12:26Et à l'époque, on se disait déjà que l'argent investi par Peter Thiel... Il avait financé plusieurs campagnes de candidats conservateurs, mais celle où il avait vraiment mis un peu plus d'argent, d'énergie, parce qu'il y croyait un peu plus, c'était J.D. Vance et un autre candidat qui n'a pas gagné, qui s'appelle Blake Masters, en Arizona.
12:46Et voilà, on voyait aussi d'ailleurs là-dedans l'idée de pousser le produit manufacturé, si j'ose dire, de J.D. Vance. Là, du coup, on voit qu'il y a cet argent qui a été distribué, puis il y a tout l'argent qui a été levé à travers le fameux super PAC, le comité d'action politique, qu'il a monté en faveur de Trump.
13:07On est sur des volumes dont on n'a peut-être pas d'ailleurs le montant aujourd'hui tout à fait consolidé, parce qu'on entend 200 millions de dollars, il y a des gens qui montent jusqu'à 500 millions. Voilà, on ne sait pas encore exactement combien Trump a donné à la campagne de Trump, mais c'est une somme absolument considérable.
13:29Et il y a aussi un vrai changement de paradigme, si j'ose dire, parce qu'avant, en fait, il y avait une situation dans laquelle que les milliardaires financent la vie politique américaine, ce n'est pas nouveau du tout. Ça existe depuis très longtemps. C'est quand même le pays qui a un peu inventé le filantro-capitalisme, etc. Donc voilà, ça se fait d'assez longue date.
13:49Mais ce que faisaient les milliardaires jusqu'à présent, y compris les milliardaires de la Silicon Valley, une catégorie dans laquelle on pourrait faire rentrer Elon Musk, c'était de faire des dons bipartisans, c'est-à-dire de donner des deux côtés du manche en se disant qu'il ne fallait s'aliéner personne et que stratégiquement, on ménage les susceptibilités des uns des autres.
14:11Alors après, pour avoir des convictions personnelles, mais l'argent qui était donné était assez équitablement réparti. Là, à ma connaissance, c'est la première fois qu'on a un milliardaire qui investit autant, donne autant de sa personne. Et d'ailleurs, il faut se souvenir de cette séquence assez surréaliste où on le voit, il est invité chez Tucker Carlson.
14:31Tucker Carlson, ancienne star de Fox News, devenu maintenant animateur sur un créneau directement sur X, qui invite Elon Musk. On est à la maison, tout le monde est dans ses petits souliers. Et Musk explique que si Trump perd, il est foutu. Il me dit « I'm fucked ». Ils éclatent de rire tous les deux.
14:52En plus, Carlson a un rire absolument terrifiant. Il a vraiment un rire de méchant dans un mauvais film, en plus. Et les deux se mettent à rire un peu nerveusement. Mais on voit aussi, dans un moment comme ça, l'investissement quasi irrationnel de Musk dans la campagne de Trump. Je dis « irrationnel », qui n'est pas si irrationnel que ça.
15:15Parce que là, Musk est ravi. C'est-à-dire que le pari politique qu'il a fait est quelque part déjà gagnant. L'action de Tesla s'était envolée ce matin. Il a peut-être sécurisé des contrats publics pour les quatre prochaines années. Pour l'instant, c'est le coup de poker à payer. Et je pense que c'était l'un des objectifs de la manœuvre. Mais je pense qu'il ne faut pas s'arrêter à cet intérêt un peu à courte vue, on va dire.
15:43— On reviendra un petit peu sur la potentielle carrière politique d'Elon Musk. Avant, je voudrais juste revenir sur un truc. On t'a parlé du fameux PAC, de « America PAC ». Donc c'est en fait des comités organisés et financés par Elon Musk qui vont faire du porte-à-porte, on peut dire ça, pour soutenir. Donc en fait, c'est quand même un lien extrêmement direct. C'est pas juste « on donne de l'argent à la campagne, après, ils en font ce qu'ils veulent ». C'est Elon Musk qui a contribué à organiser la campagne sur le terrain, quoi.
16:10— Et c'est important de le rappeler parce que le fonctionnement des PAC, donc pour « Political Action Committees », donc c'est des comités d'action politique qui servent à financer les campagnes, qui peuvent être dans tout un tas de champs, ça peut être monté par n'importe qui, je ne sais pas, le PAC des vétérans, ou quelqu'un de tel candidat, machin.
16:31Mais là, ce qui s'est passé, c'est qu'effectivement, ce qui lie encore un peu plus Musk et Trump, c'est que l'équipe de campagne de Trump lui a délégué une partie de la stratégie qui est vraiment pour le coup la stratégie politique de la campagne. Et donc notamment la stratégie de porte-à-porte qui consiste à aller récupérer des données, convaincre des électeurs, etc.
16:53Alors stratégie de porte-à-porte qui non plus visiblement est quand même entachée d'un certain nombre de soupçons, on va dire, où il y a des gens qui expliquent qu'on les a foutus à l'arrière d'une camionnette et puis ensuite on les a obligés à tenir des quotas s'ils voulaient être payés.
17:07Donc il y a un vrai soupçon de manipulation des résultats et qu'en fait cette stratégie de porte-à-porte n'a pas été menée dans les conditions dans lesquelles elle aurait dû être menée. Mais en tout cas, ce que ça montre, c'est qu'on est face à Musk qui est un véritable agent politique ou directeur de campagne bis.
17:26C'est un rôle assez hybride. C'est à mi-chemin entre le généreux mécène, le directeur de campagne, le milliardaire philanthrope. Il y a vraiment un peu tout ça qui se percute et encore une fois ça c'est assez inédit.
17:42Et ce n'est peut-être qu'un début parce que Musk a annoncé hier soir que ce financement de la vie politique américaine n'était qu'un début et qu'il financerait dans les années à venir. Notamment il parlait des prochaines échéances électorales au Sénat et à la Chambre. On sait qu'il y aura aussi des enjeux sur la Cour suprême, etc.
18:04Il a annoncé son intention de continuer à abonder généreusement et donc de continuer à peser dans cette vie politique.
18:14Ça fait quelques mois que Donald Trump et Elon Musk ont un petit peu mis en scène leur rapprochement et leur alliance. Dans son discours de félicitation de campagne de Donald Trump, il passe un long moment à remercier et à encenser Elon Musk. Je te propose qu'on regarde un petit extrait d'une vidéo de France Info.
18:44On a passé quelques semaines en Philadelphie, en Pennsylvanie. On a battu le pavé ensemble, on a fait campagne. C'était vraiment exceptionnel. Il y a cette fusée, cette fusée qui était malheureusement écrasée.
19:09C'est une question de peinture qui ne peut pas résister à la chaleur. Mais cette fusée finalement ne s'est pas écrasée. D'ailleurs, sur les photos, elle a l'air d'être petite, mais cette fusée est vraiment immense. Et cette fusée, elle redescendait et on voyait que c'était une boule de feu.
19:25Et moi, je me suis dit, il n'y a que Elon, il n'y a que Elon qui peut faire ça. Ce vaisseau spatial avait l'air de s'écraser. Il y avait du feu qui sortait de son côté gauche et il descendait vraiment tellement rapidement.
19:48C'est un peu comme les enfants que l'on chérit la nuit, on tient son petit bébé dans ses bras. Et j'ai dit à Elon, j'ai dit Elon, c'est toi ? C'était toi qui as fait ça ? Il m'a dit oui, oui. Et j'ai dit, qui d'autre peut le faire ? Est-ce que la Russie ? La Chine ? Est-ce qu'ils en sont capables ? Non. Est-ce que les Etats-Unis le peuvent faire ? Non. C'est seulement Elon. Et voilà pourquoi on t'aime.
20:11C'est vraiment un génie. Il faut protéger ces génies-là, on n'en a pas tant que ça. Il faut protéger ces génies-là.
20:41Oui, il y a plusieurs choses par rapport à ça. La première chose, c'est qu'effectivement, le culte du génie aux Etats-Unis, pays de self-made men, ça trouve une résonance particulière. Les génies dans la Silicon Valley, c'est aussi une mythologie très, très forte. C'est un peu le syndrome Steve Jobs, on va dire.
21:08Et donc, forcément, Musk rentre complètement dans cette catégorie. En plus, Musk s'est positionné vraiment sur les innovations de rupture, donc les fusées, la voiture électrique, etc. Avec un sens de la mise en scène au réel. Personne ne peut lui retirer ça.
21:26Et donc, il y avait déjà cette petite musique. Je pense que pendant des années, les médias, d'une manière générale, ont été un peu hypnotisés par le côté génie un peu fou du personnage.
21:40On s'adrenait beaucoup à sa gestuelle, à sa façon de parler.
21:43Oui, parce qu'en plus, c'est un trait qu'il partage avec Trump, où ils ont cette espèce de scansion très étrange. C'est assez pénible de les écouter parler, les deux. C'est un enfer, d'ailleurs, pour les gens qui doivent les traduire. On l'entend bien.
21:57Là, c'est hyper délicat de réussir à rattraper la pensée. On se dit, oui, il est parti dans un tunnel. Je ne comprends rien à ce qu'il veut raconter. Il se retrouve un peu là-dessus.
22:09Et je pense que ça a peut-être anesthésié la perception du mosque politique, qui est aussi une sorte de révélation assez récente. C'est-à-dire que jusqu'au Covid, à peu près, je dirais,
22:27Musk était, à rire, on pouvait l'accuser plutôt de faire du greenwashing, de se positionner comme je suis l'entrepreneur du futur. Je vais tapisser le monde de panneaux solaires, la voiture électrique, etc. Et on pouvait peut-être douter de la sincérité de la démarche.
22:45Mais voilà, on était un peu là-dessus. C'était quelqu'un qui avait voté Hillary Clinton en 2016, qui a voté Biden en 2020. Et puis, il y a eu le Covid. Je pense que le Covid a joué quand même un rôle dans l'espèce d'épiphanie politique réactionnaire de Musk.
23:05En tout cas, c'est à partir de ce moment-là qu'on a senti vraiment quelque chose qui pivotait, où il y a eu un repli sur la liberté. La liberté au sens très américain du terme, la liberté individuelle qui doit prévaloir sur tout le reste.
23:15C'est libertarien. Ce qu'on entend habituellement sous la terminologie libertarien, que l'État enlève ses grosses papattes et nous laisse vivre notre vie d'entrepreneur tel qu'on l'entend, avec cette hostilité vis-à-vis de la régulation, etc.
23:34Et c'est aussi le moment où il a commencé à développer ce qu'il a d'abord mené avant d'aller chez Trump, chez Ron DeSantis, qui a été un fervent soutien. Ron DeSantis, on le rappelle, c'était le gouverneur de Floride, qui a été assez éphémère, parce que la primaire républicaine n'a pas duré très longtemps.
23:54Nikki Haley et lui se sont un peu fait laminer par Trump. Et Ron DeSantis, en Floride, il a construit son capital politique sur sa croisade contre le wokeisme, qui était notamment incarné par la présence de Disney en Floride.
24:10Et Musk était particulièrement receptif à ça, c'est-à-dire qu'il parle du virus woke, c'est un peu son obsession, son angoisse civilisationnelle, on va dire, qui se matérialise de cette manière-là. Et je pense que ça a été un élément assez crucial dans sa radicalisation. Alors, je dis sa radicalisation, peut-être que ça a toujours été là, parce qu'on a découvert notamment que son financement de cause conservatrice ne date pas de cette campagne-là, mais qu'en fait, ça fait déjà quelques années.
24:39Et on est à peu près dans cette période-là, c'est-à-dire que c'est à partir de 2020, on va dire, que les choses ont commencé à virer à l'aigre. Je pense qu'il y a eu aussi toutes les tentatives de régulation de l'administration Biden, qui l'a vu dans un très mauvais oeil, de « laissez-moi faire mon business en paix », et donc une logique du portefeuille et de ses propres intérêts qui l'a mené comme ça, l'a guidé vers Trump.
25:08La rencontre s'est faite un peu de cette manière-là, mais pour revenir sur la question du génie qu'on évoquait, c'est vrai que ça agit encore, y compris auprès d'un certain nombre de ses soutiens et de soutien de Trump, comme un élément de mobilisation très, très fort.
25:27Et d'ailleurs, ils partagent tous les deux un trait qui les amène d'ailleurs vers une pensée qui est aussi une pensée très réactionnaire, où ils sont très obsédés par l'intelligence, le QI, les bons gènes. Combien de fois on a entendu pendant la campagne nous expliquer que Kamala Harris n'était pas apte à diriger le pays parce qu'elle avait un QI trop faible ?
25:46En plus, on voit bien tout le sous-entendu raciste qu'il y a derrière ça, sexiste aussi, parce que c'est une femme de couleur. Attendez les gars, on va pas déconner, vous ne pensez quand même pas sérieusement qu'elle peut être présidente des États-Unis ? Et donc quand Trump loue comme ça le génie de Musk, où d'ailleurs il y a un truc très cocardier, il faut protéger les génies américains, les garder par devers nous parce que c'est un enjeu diplomatique, géopolitique, économique.
26:12Après, n'importe quel chef d'État pourrait tenir cette posture-là. Mais il y a aussi cette idée que Musk serait l'incarnation du mâle alpha. Et je dis le mâle alpha à dessein parce qu'on voit bien que la catégorie de population à laquelle s'adresse de manière très appuyée Trump et Musk, ils ont tous les codes de la communication pour adresser ce public-là, c'est les hommes aux États-Unis.
26:41Ils ont l'impression de vivre une forme de déclassement, d'être menacés par le progressisme, etc.
26:50Une partie des incels, si j'ai un nom de ce qu'on appelle les incels.
26:52Oui, tous les gens qui se sentent en insécurité culturelle en fait. Et d'ailleurs, quand on regarde, je voyais les premières projections, ça sera peut-être à affiner avec le temps, mais je voyais les catégories de population qui ont majoritairement voté pour Trump et on retrouve les hommes entre 45 et 60 ans, ce qui correspond très exactement au cœur de cible de Musk et de Trump.
27:14Alors c'est évidemment pas les seules catégories de population auxquelles il s'adresse. On voit d'ailleurs qu'il y a tout un tas de catégories de population où c'est assez contre-intuitif d'imaginer qu'ils ont voté pour Trump et pourtant ils ont voté pour lui. Dans le vocabulaire qui est mobilisé, les références qui sont mobilisées, le discours, on va dire la rhétorique de manière générale, il y a un appel du pied vers un truc qui est très viriliste.
27:38Trump nous dit encore aujourd'hui que l'assaut mené sur le Capitole le 6 janvier 2021 était un moment d'amour. C'est-à-dire que pour dire ça, c'est quand même exalter quelque part une forme de violence.
27:54Puis on se rappelle d'une séquence très récente où il minait une fellation face à un micro qui ne fonctionnait pas. Tout ça, ça s'adresse pareil. Il y a un public extrêmement masculiniste qui répond et qui est très friand au genre de code.
28:24Ça le renforce dans sa position de candidat anti-système. Et Musk joue aussi beaucoup cette partition de l'outsider. C'est « je suis ce génie, mais ce génie qu'on a essayé d'entraver ». Il rappelle à longueur de temps que quand l'administration Biden faisait ses grands routs sur la voiture électrique à la Maison-Blanche, ils invitaient tous les grands constructeurs, mais Tesla n'avait pas voix au chapitre.
28:46Et il se met comme ça dans cette position d'outsider. Je pense qu'il se retrouve aussi en partie là-dessus. Il se sent une espèce d'affinité naturelle parce que tous les deux se vivent en guerre permanente contre le reste du monde et que ça permet de mettre en scène cet affrontement culturel, civilisationnel, vis-à-vis d'une partie de la population aux États-Unis, dans une société très polarisée.
29:12Je suis en train de lire le tchat. Il y a quelqu'un qui dit qu'il s'adresse à ceux qui sont inquiets pour leur vieux monde qui les privilégie. Est-ce qu'on peut résumer ça comme ça ?
29:20Oui, mais pas que. Dedans, évidemment, on retrouve des gens qui n'ont pas envie que de perdre leurs avantages. Leurs avantages assez nombreux, c'est-à-dire que notamment tous les autres milliardaires de la Silicon Valley qui, tout à coup, sont montés à bord du train Trump.
29:38Aussi, on voit qu'il y a un intérêt de classe, quelque part. Mais quand je dis tous les gens qui se sentent en insécurité culturelle aux États-Unis, qui vivent un sentiment de déclassement, etc., c'est aussi beaucoup de gens dans des États ou des comtés ruraux, qui seraient l'équivalent chez nous de régions, de départements où il y a de moins en moins de services publics, de moins en moins de travail.
30:04Je voyais les sondages qui étaient faits sur les motivations du vote et on voyait de manière très claire qu'il y avait une corrélation entre le vote pour Trump et l'inflation, c'est-à-dire le coût de la vie qui a augmenté, etc.
30:20Et donc, je pense que ça vient réactiver. C'est presque « the oldest trick in the book », comme on dit aux États-Unis. C'est cette idée que par la méritocratie, tout le monde peut s'élever, tout le monde peut faire sa fortune, tout le monde peut devenir quelqu'un. Et Trump joue beaucoup là-dessus.
30:38Et on revient d'ailleurs sur le truc de la loterie, c'est tout à coup la bonne fée du destin va se pencher sur votre berceau et vous allez pouvoir devenir quelqu'un d'autre. Il y a cette idée de parler à ceux à qui, et ça pour le coup c'est une réalité, le Parti démocrate ne parle plus du tout. L'abandon des classes populaires par le Parti démocrate, alors là on s'éloigne un peu de notre sujet, mais c'est un peu le cœur du sujet de l'élection, ça fait plusieurs élections que ce constat-là,
31:07a été dressé. Je pense notamment aux deux très bons ouvrages de Thomas Frank qui décrivent très bien ça, où il y avait d'abord « Pourquoi les pauvres votent à droite ? » et puis ensuite il y avait « Pourquoi les riches votent à gauche ? ». Et où il y a eu une espèce de fracture, où il y a ce qui sont présentés comme les élites libérales d'un côté, très déconnectées des préoccupations de l'Américain moyen, qui lui s'intéresse surtout du montant de ses courses et de ce qu'il a à manger dans son restaurant.
31:36Dans son frigo. Et le national populisme de Musk et de Trump vient aussi s'adresser à ces gens-là.
31:45Je me propose de scroller un peu le compte Twitter d'Alan Musk, ça va peut-être pas faire plaisir à tout le monde, mais quand même ça me semble important. On commence par cette image, où on voit Donald Trump au milieu, je n'arrive pas à voir qui c'est.
32:04C'est Dana White, c'est le patron de l'UFC, qui organise les combats de MMA. Là on est dans l'espèce de bouffonisation assez classique de la vie américaine, on a un peu l'impression que c'est le cirque peint d'air, mais ça fait partie du folklore.
32:19Ce qui est surtout intéressant dans cette photo, c'est cette citation, ce commentaire, CEO, MEO, CTO of the USA. CEO le directeur général, CMO le directeur marketing et CTO le directeur technique, on peut traduire ça comme ça.
32:33C'est une vision extrêmement entrepreneuriale. Les Etats-Unis sont une entreprise qu'il faut redresser pour mieux diriger.
32:39Ça a été posté par un compte, qui a l'air accélérationniste. On est dans l'espèce de mélasse idéologique, où on a toutes ces idéologies radicales qui fascinent beaucoup tous ces entrepreneurs de la Silicon Valley dont Musk.
32:58Qui sont aussi des usines à produire des mèmes, qui exaltent toujours pareil le virilisme, le génie ou le ridiculisme qu'on en fasse. Ce qui est aussi un registre très important de cette communication-là.
33:12La terminologie utilisée est très symptomatique parce que ces idéologies marginales, que ce soit les accélérationnistes qui visent à mettre l'économie américaine dans le mur en se disant que de manière très schumpeterienne, il en restera toujours quelque chose.
33:31Le phénix se relèvera plus fort et renaîtra de ses cendres. Mais on pourrait citer d'autres mouvements. Il y a les longtermistes, les transhumanistes, les extropianistes, les cosmistes.
33:46Il y a plein de chapelles différentes mais qui partagent tous un point commun finalement. C'est que pour eux, le mode d'organisation de la vie politique aux Etats-Unis ne devrait plus être la démocratie parlementaire, bureaucratique, calcifiée, pétrifiée, qui ne fait rien, qui oeuvre même contre les intérêts de la population américaine.
34:09C'est ça qu'ils disent, c'est vous ne respectez plus the will of the people, vous êtes contre le peuple. Il y a cette idée-là, ce qui est un vieux trope populiste et populiste dans le mauvais sens du terme. Face à ça, il faudrait opposer une forme de rationalité scientifique.
34:26C'est-à-dire qu'on va tout gouverner avec des métriques. Et tout est quantifiable. D'ailleurs, il faut se souvenir, quand Musk a racheté Twitter, quand il est arrivé, il demandait quand même aux salariés d'imprimer les lignes de code qu'ils avaient produites pour évaluer leur travail.
34:42S'il y a des programmeurs informatiques parmi nous, ils pourront peut-être nous dire que c'est un mode d'évaluation absolument crétin, mais ça trahissait quand même le mode de fonctionnement de Musk sur son évaluation de l'utilité au sein de sa société. Et en fait, c'est un mode de raisonnement qui, dans ce système de pensée, est appliqué à la société tout entière.
35:02C'est « Montrez-moi que vous êtes un individu productif ». Et ce n'est pas un hasard si Trump a promis à Musk ce poste de préposer aux coupes budgétaires pour aller tailler dans les dépenses de l'État fédéral, rationaliser l'action de...
35:16Oui, il lui avait promis il y a quelques semaines, il me semble, qu'il allait mener une commission pour réformer en profondeur le gouvernement et la façon dont il finançait. J'ai noté, c'est le Department of Government Efficiency.
35:27Ce qui fait « Doge », ça évoque tout un truc dans l'univers « mémifié » de Musk, où c'était notamment la crypto-monnaie un peu faussement bidon qu'il avait montée, qui s'appelle le Dogecoin, avec un chien.
35:43Tout cet univers un peu loufoque qu'on retrouve chez Musk, et qu'on retrouvait dans cet intitulé. Ce qui peut pousser à ne pas le prendre complètement au sérieux, mais en même temps... Trump serait le CEO of America, c'est-à-dire le directeur général qui gère les États-Unis.
36:05Comment gérer une entreprise ? Parce qu'en fait, ces gens-là, c'est une pensée sécessionniste. C'est-à-dire que l'idée, c'est de s'affranchir du mode de gouvernance traditionnel, de s'affranchir de l'État de droit, de s'affranchir des contingences, des « checks and balances » aux États-Unis.
36:27Toutes ces lourdeurs bureaucratiques, administratives, l'État profond, etc., qui empêchent ces gens-là de faire les choses comme ils voudraient les faire, en renversant la table. Et donc, il faudrait recréer une entité qui soit les États-Unis S.A.R.L. On n'est plus les États-Unis U.S.A. Inc. plutôt que S.A.R.L.
36:49La grosse corporation. Et là-dedans, quand on voit Musk qui serait le CTO, le responsable de l'architecture technique de cette société-là, je suis sûr que c'est une terminologie, d'ailleurs c'est pour ça qu'il a retweeté le message, qui lui parle, qui résonne beaucoup dans ce système de pensée.
37:12Parce que pour ces gens-là, il faut piétiner la démocratie, finalement, n'ayant pas peur des mots, pour imposer ce mode de gouvernement qui serait le seul à même de rendre aux États-Unis leur grandeur perdue, parce qu'ils sont guettés par une forme de décadence civilisationnelle.
37:30Mais quand tu parlais de sécession, de danger pour la démocratie, c'est quand même aussi une forme de fascisme, de vouloir mettre en cause l'État de droit, de s'affranchir de tous les rôdeurs bureaucratiques. C'est quand même une forme de fascisme, disons les termes.
37:45Ce terme est assez crucial, parce que pendant des années, il y a eu beaucoup de débats, beaucoup de pudeurs aussi sur est-ce que cette terminologie de fasciste s'applique à Donald Trump ? Là, on a vu ces dernières semaines que c'est un mot qu'on a entendu dans la bouche d'un général qui a été son directeur de cabinet, du coup ça a été repris par John Kelly, ça a été repris par la campagne de Kamala Harris.
38:11Récemment, dans une discussion, j'étais dans une université en Belgique et on me disait mais qu'est-ce que Trump a fait de fasciste lorsqu'il était au pouvoir ? Il se trouve que l'exemple le plus fasciste qui me vienne à l'esprit, ce qui se rapproche le plus vraiment d'un répertoire d'action fasciste, c'est quand même qu'il a levé sa petite armée pour aller envahir le Capitole le 6 janvier 2021 pour contester le résultat d'une élection démocratique qu'il avait perdue.
38:39Si ça, ce n'est pas une preuve assez indubitable d'un répertoire d'action fasciste, je ne sais pas ce qu'il nous faut. Donc là, évidemment, on est en train de mettre un gros point d'interrogation pour savoir ce qui pourrait se passer, sachant qu'en plus il a fait toute sa campagne sur la vengeance, je serai votre bras armé pour réparer cette injustice de l'élection qu'on nous a volée en 2020.
39:06Il est encore là-dessus. Il n'a toujours pas reconnu sa défaite en 2020. Et donc, ça a fait monter cette petite musique-là qui nous laisse entrevoir un horizon assez sombre. Il y a eu beaucoup, beaucoup de menaces, énormément de violence verbale dans cette campagne à des niveaux rarement atteints.
39:23Un des derniers meetings qu'il fait au Madison Square Garden, c'est sidérant. Il y a des appels à la décapitation d'opposants politiques. Alors toujours avec ce truc très le cirque, c'est très clownesque, c'est tellement hyperbolique et ridicule que c'est difficile de le prendre au sérieux.
39:41Mais toute cette violence est quand même bien réelle et on voit d'ailleurs qu'elle se retrouve. Ça crée une violence dans le monde tout à fait réel. On parle beaucoup de Trump et de Musk, mais il y a quand même tout un petit univers de personnes autour d'eux. On a parlé un peu de Peter Thiel. On pourrait parler de J.D. Vance, qui est le colistier de Trump.
40:03Trump est quand même quelqu'un qui, depuis 15 ans ou 20 ans, explique que la démocratie est un modèle à dépasser, que liberté et démocratie ne sont pas compatibles. Ce qui est une affirmation assez forte et assez claire.
40:23Et J.D. Vance, avant qu'il soit élu gouverneur de l'Ohio, intervenait dans des conférences républicaines, etc., ou très conservatrices, en expliquant que ce qu'il fallait faire, c'était le coup d'état institutionnel, virer les employés fédéraux pour mettre, je cite, des gens à nous et débassifier les institutions.
40:43Donc débassifier, comme on a débassifié l'Irak sur Saddam Hussein, c'est une terminologie de dictateur. C'est vraiment ça, ni plus ni moins. Et d'ailleurs, l'icône européenne de ces gens-là, c'est Viktor Orban. Donc on peut légitimement se dire, il y a quand même eu un projet qui s'appelle le projet 2025.
41:02On a beaucoup parlé, projet de 900 pages sur ce qu'il faudrait faire en cas de victoire de Trump. Alors Trump a pris ses distances un peu avec ce projet-là pendant la campagne, parce qu'il sentait bien que ça allait peut-être un peu loin. Mais il l'a surtout fait pour des raisons tactiques, si j'ose dire. Ce projet 2025, c'est à la fois un petit vademécom pour conquérir le pouvoir et surtout pour ne pas le rendre une fois qu'on l'a pris.
41:28C'est d'ailleurs pour ça qu'ils admirent Viktor Orban, parce que Viktor Orban, c'est l'histoire de quelqu'un qui a pris le pouvoir et ne l'a pas rendu et a modifié ensuite le remodelé, la constitution, les institutions, la vie politique, etc., pour s'assurer de la perpétuation aussi longtemps que possible de son pouvoir.
41:47Parce que là aussi, il ne faut pas être entravé par une opposition, par le progressisme, par toutes ces forces qui nous empêchent d'aller de l'avant, nous empêchent de réaliser l'avènement d'une humanité supérieure, parce que c'est souvent présenté comme ça, d'une humanité supérieure par le biais des génies et de la technologie. Parce que c'est ça, le fond du discours, c'est qu'on n'est pas très loin parfois d'un registre quasiment ethnonationaliste.
42:13Avant de passer à la dernière question, est-ce que c'est le début d'une carrière politique pour Elon Musk ? Est-ce qu'il se voit chargé de cette fameuse commission dont on a parlé ? Est-ce qu'il se voit ministre responsable de quelque chose ? Est-ce que c'est le début d'une carrière politique pour Elon Musk ou est-ce qu'il ne faut même pas y penser ?
42:32Alors, ce qui est sûr, c'est que comme je le disais, il a déjà annoncé son intention de continuer à financer la vie politique américaine. Le fait d'avoir Elon Musk comme un acteur central de la vie politique américaine, ne serait-ce que parce qu'il met beaucoup d'argent, ça, a priori, c'est parti pour être quand même un invariant des années qui viennent.
42:49Est-ce qu'il va vraiment être nommé à ce poste de directeur pour gérer les dépenses de l'État fédéral ? Peut-être qu'il en aura marre au bout de trois jours et qu'il va déléguer ça à quelqu'un parce qu'il va se rendre compte que la gestion au quotidien est les lourdeurs de la bureaucratie.
43:05D'ailleurs, il y a des gens dans ces milieux de la nouvelle droite américaine qui sont assez inquiets de ça parce qu'ils ont peur que Musk soit dévoré tout cru par la bureaucratie washingtonienne qui va faire son oeuvre.
43:18Donc, tous ces trucs de commission, etc. Ils le voient d'un oeil assez suspect parce que ce serait l'inverse, justement, de l'action un peu plus martiale qu'il faudrait porter.
43:30Donc, j'attends quand même de voir les responsabilités réelles qu'il pourrait prendre. J'ai du mal à l'imaginer dans un cabinet. Mais Elon Musk ne doit pas être chief of staff de Donald Trump, sachant qu'en plus, il est plus utile à l'administration Trump là où il est.
43:47Il risque aussi quand même à un moment d'y avoir, et c'était déjà le cas, un vrai sujet géopolitique. Mais ça va l'être encore plus sous l'intimité de l'administration Trump, un vrai sujet géopolitique avec Musk.
43:59Parce qu'entre le fait que la Chine est le deuxième marché de Tesla, le fait qu'avec Starlink, qu'on a vu que ce soit avec l'Ukraine, que ce soit avec Gaza, que ce soit avec Taïwan, enfin tous les endroits où ça chauffe sur Terre, il y a un sujet Starlink.
44:13Et ça fait des mois et des mois que ce réseau satellitaire a été utilisé, notamment en Ukraine, au début en tout cas, déployé par Musk, une constellation de satellites.
44:28Et du coup, j'ai perdu le fil de ma... Non, ne t'inquiète pas, c'était utile de le rappeler. Mais oui, ça fait des mois qu'il y a des gens dans l'administration qui estiment que le cas Elon Musk est un problème de sécurité nationale.
44:44Enfin, en tout cas, ça pose ces questions-là. Donc, ce qu'on peut déjà se dire, c'est qu'il sera a priori pas candidat pour être président des États-Unis, parce que n'étant pas né sur le sol américain, il n'est pas éligible.
44:55C'est peut-être le seul truc qu'on peut se dire pour se rassurer à ce stade, même si c'est des choses qui sont peut-être susceptibles de changer un jour.
45:02Mais là, je vois, Tami, on voit ce photomontage où on le voit avec un évier dans le bureau Oval, qui fait écho à une photo qu'il avait postée quand il était arrivé chez Twitter après le rachat, où il était arrivé avec un évier.
45:16Je ne sais pas si c'est le même évier. En tout cas, il a remis un évier. Alors, en plus, avec cette expression, parce qu'en « let that sink in », là, si on le prend très littéralement, c'est laisser entrer cet évier.
45:26Mais ça veut aussi dire « let that sink in », c'est quand on dit quelque chose et qu'on laisse infuser. C'est-à-dire, voilà, je vais asséner une vérité fondamentale et je vais dire « let that sink in », c'est réfléchissez-y.
45:38On retrouve là aussi, à la fois, ça m'inspire deux choses. La première, c'est que Musk, alors déjà, il se voit à la Maison Blanche, quand on voit ça, ou en tout cas très près de la Maison Blanche, qu'il voit son arrivée dans ce monde-là exactement comme il voit son arrivée chez Twitter.
45:54C'est pas différent, le monde de l'entreprise, le monde politique, c'est la même chose. On fait les mêmes blagues, c'est la même légèreté quelque part. Il a le même sourire un peu dravis de la crèche. Je pense d'ailleurs que c'est détouré de la faute.
46:06Voilà, il s'est pas embêté à poser sur un fond vert avec un nouvel évier et un nouveau t-shirt.
46:11Autre chose à faire.
46:13Et on retrouve aussi ce côté même pour être... D'ailleurs, là aussi, on a vu ces derniers jours, il était à dire « le prochain mandat de Trump, ce sera le plus fun de l'histoire des États-Unis ».
46:26Une terminologie qui, d'un point de vue de gens inquiets que nous sommes, ne correspond pas tellement à la situation. Il y a un côté éclaté de rire en regardant le monde cramer, un truc assez inquiétant de cet ordre-là, un peu de méchant de super-production hollywoodienne.
46:43Mais c'est tous ces petits signaux qui nous poussent en tout cas à garder un œil très attentif sur l'attitude qu'il aura dans les semaines et les mois à venir.
46:54On a beaucoup vu Elon Musk avec une casquette « Dark MAGA ». « MAGA Make American Great Again », le fameux slogan de campagne de Donald Trump.
47:01Mais « Dark MAGA » ou « Gothic MAGA », j'ai vu aussi. Qu'est-ce que ça veut dire, ce « Dark MAGA » ? À quoi ça renvoie ?
47:07Alors, c'est vrai qu'il joue beaucoup là-dessus. Il l'a répété deux fois dans les meetings de Trump. Il en a fait un élément.
47:17C'est la même casquette mais en noir, avec les caractères noirs. Sauf que là aussi, on revient dans le registre du « Dog Whistling ».
47:27C'est-à-dire que cette nouvelle droite américaine dont je parlais, qu'on retrouve aussi dans un mouvement contingent qui s'appelle le mouvement des lumières sombres.
47:36Les lumières sombres, en anglais, c'est « Dark Enlightenment ». Et ce mouvement des lumières sombres qui vise à l'établissement d'une monarchie de start-uppers.
47:46On retrouve ce truc de « CEO of America ». En gros, il faudrait une monarchie technologique. On l'a fait un peu courte.
47:56Et donc quand il dit « Je suis Dark MAGA », moi je l'entends vraiment comme un appel du pied à toute cette petite communauté qui est assez proche aussi de J.D. Vance.
48:06Qui n'est pas l'univers de Trump. Trump, c'est pas du tout sa génération. C'est des gens qui, je pense, ont plutôt cherché à l'éliminer du jeu.
48:15Puis ils se sont rendu compte que finalement, c'était plutôt à lui qu'il fallait se greffer. Et qui sont les gens qui ont œuvré à faire de J.D. Vance le colistier de Trump.
48:23Ce qui n'allait pas du tout de soi. Parce que J.D. Vance avait eu des mots très très durs. Il avait quand même traité Trump de « Hitler américain ».
48:30Ce qui, rétrospectivement, était peut-être un compliment. Je ne sais pas. Mais il avait dit toute cette détestation du bonhomme.
48:39Et puis finalement, cette alliance de la carpet du lapin a fini par fonctionner.
48:47Peut-être dernière question. Dernier truc que je voulais montrer.
48:50Ce tweet très court mais lourd de sens. « You are the media now. Vous êtes le media maintenant. »
48:54Alors, ça peut faire penser à plusieurs choses. Est-ce que Musk a la ferveur et conviction qu'en fait son poids médiatique est tel qu'il dépasse les médias traditionnels ?
49:05Les « legacy media », c'est comme ça qu'il les appelle. Qu'est-ce que ça dit de la défiance envers ces « legacy media » ?
49:10D'ailleurs, est-ce que tu peux nous expliquer ce que ça veut dire « legacy media » dans la bouche d'Elon Musk ?
49:15Les « legacy media », c'est une terminologie qu'il utilise depuis qu'il a racheté Twitter.
49:20C'est-à-dire que depuis que Twitter est devenu X, il met face à face les « legacy media ».
49:27« Legacy », c'est le lex, c'est l'héritage. On voit, c'est les médias d'avant.
49:33Les vieux médias qui sont en train de mourir.
49:35Les vieux médias dinosaures qui vont bientôt être frappés par la météorite qui mettra fin à leur règne.
49:42Auxquels il oppose le « citizen journalism », le journalisme des utilisateurs.
49:49On pourrait se dire sur le papier que ça n'est pas très nouveau.
49:52On a connu quand même les blogueurs, etc.
49:55Le « culte de l'amateur » ne date vraiment pas de Musk.
50:01La défiance envers les médias traditionnels ne date pas de Musk non plus.
50:04Trump a fait ses deux campagnes sur une défiance très très affirmée vis-à-vis des médias.
50:11Mais là, on sent bien qu'avec Musk et avec la stratégie de X pendant cette campagne,
50:19c'est-à-dire vraiment d'être l'échangeur central dans la diffusion de...
50:27Musk dirait de l'information, nous on dirait peut-être de la désinformation.
50:31Mais dans la bataille des perceptions, de se positionner comme l'acteur majeur.
50:37Et du coup, de venir contester ce qu'il estime être une hégémonie.
50:40Quand il parle des médias, quand il parle des « legacy media »,
50:44il parle de l'hégémonie culturelle de ces médias-là.
50:48C'est exactement la même grille de lecture que quand on a Trump et ses partisans
50:53qui nous disent que le Pentagone est un repère de marxistes, wauquistes, dégénérés.
51:01C'est un peu la même chose.
51:03Et on le retrouve d'ailleurs beaucoup chez ses partisans.
51:05Je voyais le tweet de félicitation de Jeff Bezos, patron d'Amazon et propriétaire du Washington Post,
51:12qui ne s'est pas fait que des amis juste avant le scrutin,
51:16en décidant pour la première fois que le Washington Post ne soutiendrait pas de candidats en particulier.
51:24Donc là, il félicitait Donald Trump pour sa victoire.
51:28Et je voyais dans les réponses, ce qui ressemblait beaucoup à des partisans de Trump et des partisans de Musk,
51:33des gens qui disaient « maintenant, Jeff, va au bout du raisonnement, make Washington Post great again ».
51:39Et donc l'idée, c'était qu'il fallait purger le système de ces éléments, ces tissus.
51:46Et donc là aussi, on retrouve peut-être la déclinaison médiatique de ce fameux coup d'état institutionnel
51:54dont rêvent certains dans l'entourage de ces gens dont on parle depuis tout à l'heure,
52:01qui est de retourner ce qu'ils estiment être des institutions du progressisme, contre le progressisme,
52:10et donc de mettre la main dessus, de virer tous les gentils à l'intérieur et de mettre des gens à eux.
52:14Parce que, encore une fois, c'est la logique très grammeschienne de la bataille culturelle,
52:20mais portée à une magnitude et à un niveau qu'on n'avait peut-être jamais vu jusqu'ici.
52:26Merci beaucoup, Olivier. On va s'arrêter là.
52:28Merci à toi.
52:30Je le rappelle, t'es journaliste à Télérama, spécialiste réseaux sociaux extrême droite Etats-Unis.
52:34On peut résumer ça comme ça ?
52:36Ça fait partie de mes centres d'intérêt.
52:39J'ai noté le nom du dossier « Les milliardaires de la tech vont-ils tuer la démocratie ? »
52:44On avait fait un dossier de couv' où on avait, c'est pour la petite histoire,
52:50donc on a cette couv' où on a Musk et Trump qui vont s'embrasser,
52:56qui était un peu une référence.
52:58On avait en tête la fameuse photo entre Brejnev et O'Necker,
53:03qu'il y a sur le mur de Berlin d'ailleurs.
53:06Donc là, on la voit.
53:08Et cette photo a connu quasiment sa matérialisation quasi littérale,
53:14quelques jours plus tard, quand Musk est intervenu à Butler,
53:19là où Trump avait été victime de cette tentative d'assassinat au mois de juillet.
53:23Ils se sont rapidement pris dans les bras.
53:25Et ensuite, Musk a pris la parole,
53:27et ça a amorcé la dernière phase de son soutien,
53:31la plus visible et la plus spectaculaire à Trump.

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