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Au collège du Bois d'Aulne, Samuel Paty, professeur d'Histoire Géographie, a été assassiné le 16 octobre 2020 pour avoir montré des caricatures de Mahomet à l'occasion d'un cours sur la liberté de la presse et des élèves se sont rendus complices de ce drame. Comment le collège dans lequel il enseignait peut-il retrouver une forme de sérénité après un tel choc ?
Ce documentaire montre le travail que les enseignants ont décidé d'entreprendre, un an après la tragédie, pour que la confiance revienne dans cette école traumatisée. Ils invitent leurs élèves à mettre des mots sur leurs émotions et à réfléchir sur la complexité des événements dont ils ont été les témoins. Ils leur montrent le chemin pour se relever et aller de l'avant. La réalisatrice les a suivis tout au long de l'année scolaire, alors qu'ils interviennent auprès de deux classes de 3ème au sein desquelles sont dispersés les élèves de Samuel Paty. Nous assistons alors à la reconstruction de ce groupe d'enseignants et de collégiens qui, grâce à l'organisation de rencontres avec d'autres victimes du terrorisme et la mise en place d'ateliers de slams au sein des classes, parviennent à sortir petit à petit de la sidération, expriment leurs sentiments, échangent sur leurs incompréhensions, sur leurs peurs et pansent leurs blessures ensemble.

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Transcription
00:00:00On y va, dépêche !
00:00:15Maintenant on y va !
00:00:19L'hôpital de Saint-Germain-en-Provence
00:00:23Saint-Germain-en-Provence
00:00:44Bonjour à tous
00:00:46Ma fille a été choquée suite au comportement de son prof
00:00:51C'est un voyou
00:00:55Il a montré un homme tout nu
00:00:57Il a dit que c'était le prophète des musulmans
00:01:00Alors si vous voulez qu'on soit ensemble
00:01:03Envoyez-moi un message
00:01:06Ce voyou ne doit plus rester dans l'éducation nationale
00:01:09Il ne doit plus éduquer des enfants
00:01:11Il doit aller s'éduquer lui-même
00:01:21L'hôpital de Saint-Germain-en-Provence
00:01:51Saint-Germain-en-Provence
00:02:12Il faudrait mettre des chaises quelque part
00:02:15Où est-ce qu'on met les profs ?
00:02:17Sinon on déplace les élèves, on met les profs là
00:02:20On leur demande de descendre
00:02:23Excusez-moi, on va mettre les adultes ici
00:02:43Bonsoir à tous
00:02:46Ce moment a été attendu
00:02:49Et il est très important pour nous tous
00:02:54Depuis un an, nous n'avons pas eu l'occasion de partager un moment tous ensemble
00:02:58Et ce soir, nous voulions vous adresser quelques mots
00:03:02J'invite les collègues qui ont prévu de lire un petit texte
00:03:08Il faut enlever les masques, la fille
00:03:15Chers élèves, chers anciens élèves
00:03:19Cela fait un an que Samuel Paty a été assassiné à quelques mètres de notre collège
00:03:24Le choc a été tel que vous, comme nous, étions sidérés
00:03:30Parfois incapables d'en parler
00:03:33Excusez-nous, chers élèves, de n'avoir pas toujours été le pilier
00:03:36Le repère que nous devons être pour vous
00:03:39Il faut vous dire que certains ont été détruits, anéantis
00:03:43Que certains n'ont pu remettre les pieds dans cet établissement
00:03:46Que d'autres ne peuvent plus enseigner
00:03:49Quand on attaque un professeur parce qu'il a cherché à faire réfléchir ses élèves
00:03:53Quel sens donner à notre mission ?
00:04:13Les Français venant de l'Est
00:04:23On a rendu hommage à Samuel, et je pense que ça nous a fait du bien, mais ça suffit
00:04:46pas.
00:04:47On n'est jamais revenu volontairement, directement sur les faits.
00:04:52On aurait dû en discuter en classe, prendre un temps pour discuter là-dessus avec les
00:04:59élèves.
00:05:00Mais encore aujourd'hui, il y a des collègues qui l'expriment, comme s'il y avait une
00:05:09espèce de tabou.
00:05:10Je trouve que dans toutes ces histoires, on parle pas assez.
00:05:15En fait, pour moi, tout a commencé un peu plus d'une semaine avant l'attentat, parce
00:05:24que j'ai entendu des échos sur des accusations de racisme.
00:05:29Enfin, il y avait deux rumeurs, en fait.
00:05:33La première, c'était que monsieur Pazzi était raciste parce qu'il avait montré
00:05:41des caricatures du prophète.
00:05:42Et la deuxième, c'était qu'il avait exclu des musulmans de son cours, enfin qu'il avait
00:05:49demandé à des musulmans de sortir.
00:05:50C'est une rumeur qui circulait aussi au sein de parents d'élèves, puisque ça commençait
00:05:56avec des parents d'élèves, cette histoire.
00:05:58Des parents d'élèves qui, parfois, étaient des gens qui avaient un bon rapport avec l'école.
00:06:05Donc cette rumeur, elle était assez puissante, je pense.
00:06:07Je me souviens qu'avant de faire rentrer des troisièmes dans ma classe, en fait, ils
00:06:19étaient rangés, et j'avais entendu des élèves parler de Samuel, en fait.
00:06:25Mais j'entendais pas exactement ce qu'ils disaient, c'était des ragots, je pense.
00:06:30Et quand ils sont entrés dans la classe, je leur ai demandé de s'asseoir, puis je
00:06:34leur ai demandé s'ils avaient quelque chose à me dire, ou s'ils avaient envie de me parler
00:06:38de quelque chose.
00:06:39Et là, ils m'ont dit « Non, rien, madame, je dis, il se passe rien en ce moment, enfin...
00:06:45» Et en fait, là, ils m'ont dit « Bah, monsieur Paty, je dis, alors, qu'est-ce que vous avez
00:06:50entendu, etc. » Et donc, ils m'ont dit qu'il avait montré des caricatures, et je leur
00:06:57demande « Et alors ? » Ils m'ont dit « Mais il a pas le droit de faire ça, je... » Et
00:07:03ce qu'ils comprenaient pas, c'est pourquoi Samuel avait montré des caricatures alors
00:07:06qu'il savait que ça pouvait choquer les élèves.
00:07:08Et toute cette semaine avant l'attentat, il y avait une épée de Damoclès au-dessus
00:07:18de nos têtes à tous.
00:07:19Samuel nous avait envoyé un e-mail pour nous dire qu'il était menacé et que le collège
00:07:28entier était menacé.
00:07:29Et effectivement, moi, je suis allée chercher la vidéo sur le net de ce fameux père qui
00:07:35a cité à la haine.
00:07:36Et là, j'ai compris que vu le nombre de partages qu'il y avait, ça allait être très compliqué,
00:07:45que c'était grave.
00:07:46Et personnellement, j'ai pensé au pire.
00:07:51Il y avait de la tension dans le collège et souvent, quand il y a un problème, même
00:08:05avec un professeur, l'élève, il vient se confier à qui ? Souvent, il vient se confier
00:08:09au surveillant.
00:08:10Moi, les élèves qui m'en ont parlé, certains savaient ce qui s'était passé clairement
00:08:14dans le cours de M.
00:08:16D'autres ne savaient pas, on entendait des bruits de couloirs.
00:08:19Donc, j'essaie d'expliquer, de faire comprendre à des élèves qui n'étaient pas racistes,
00:08:25qui n'étaient pas anti-musulmans ni anti-islam, qu'ils n'avaient aucun problème avec ça.
00:08:29Et malheureusement, après, c'est la vie de collège.
00:08:31Une rumeur, ça renfle et ça y est, ça se propage.
00:08:34On ne peut pas arrêter une rumeur comme ça qui se propage aussi vite.
00:08:38En plus, maintenant, avec les réseaux sociaux, c'est devenu… c'est multiplié par cent.
00:08:43Et je me souviens, en fait, le vendredi, d'avant les vacances, je me souviens, à
00:09:03la dernière heure, pour aller à la grille, j'avais croisé M.
00:09:08Paty.
00:09:09Il était là, il marchait avec son sac, ses mains sur son sac, il marchait capuché, il
00:09:13rentrait chez lui.
00:09:14Il se souhaitait de bonnes vacances.
00:09:15Et là, en fait, je commençais à recevoir des messages.
00:09:18Là, je commençais à aller sur Twitter, je commençais à voir les tendances.
00:09:21Je vois Conflans, je vois Boisdaune, je me dis « mais qu'est-ce qui se passe ? ». Et
00:09:25je vois, ça parle d'un mort.
00:09:26Et quand j'ai vu ça, je suis resté bloqué, là, je n'ai pas bougé.
00:09:31Alors après, ça s'est précisé, on nous a dit « décapité ».
00:09:39Après, on nous a dit « un professeur ». Enfin, c'était quelques minutes après, en fait.
00:09:46Et puis après, on savait tous que c'était Samuel.
00:09:52Enfin, moi, je pense qu'on le savait tous, avant 18 heures.
00:09:55Et ensuite, on allumait les chaînes d'info, BFM, qui passaient ça en boucle, on avait
00:10:03le collège, les images du collège en boucle aussi, sur toutes les chaînes d'info.
00:10:09Là, j'ai compris que ce n'était pas seulement le drame des collègues ou même
00:10:21de la famille de Samuel, à qui on apprend sans premier, mais c'était le drame de toute
00:10:26la France.
00:10:27S'en prendre à un professeur, c'est s'en prendre à, forcément, un symbole de la République.
00:10:32Je crois qu'il est centré… Attends, ça me paraît bien.
00:10:49Ensuite, moi, ce qui m'a vraiment achevée, c'est que j'avais un élève dans ma classe
00:11:13de troisième qui a été mis en examen, et je me suis demandée pourquoi ? Et puis,
00:11:23j'avais l'impression qu'en plus, cet élève, c'était un élève ordinaire qui
00:11:27aidait à ranger les tables à la fin de l'heure, à être poli, à dire bonjour madame, au
00:11:34revoir madame.
00:11:35Et là, on se dit que ce n'est pas possible et on ne comprend pas ce qui se passe.
00:11:43Quand j'ai appris que les élèves attendaient M.
00:11:53Paty pour le désigner au QR, j'étais choqué, je me suis dit, à quel moment ? Pourquoi ? Qu'est-ce
00:12:00qui s'est passé ? Et surtout, pour une somme d'argent dérisoire.
00:12:04En gros, la vie de M.
00:12:06Paty coûtait, je vais dire, 150 euros, mais je ne sais même pas si c'était ça, c'était
00:12:10300.
00:12:11Les chiffres, c'est n'importe quoi.
00:12:13Moi, j'ai l'impression qu'il y a quelque chose d'effrayant derrière tout ça et qu'on
00:12:20refuse de voir.
00:12:21Je ne sais pas, est-ce que c'est la responsabilité des élèves ? C'est le fait que des élèves
00:12:27se soient retournés contre leurs professeurs ? Le fait que tous les élèves du collège
00:12:31aient vu la photo de la décapitation ? Le fait qu'on ait une élève de sixième qui
00:12:36a demandé à ses camarades de liker la photo de son professeur décapité ? C'est monstrueux,
00:12:46en fait.
00:12:47C'est peut-être pour ça qu'on n'en parle pas.
00:12:50C'est parce que ça nous fait trop mal de voir que c'est nos élèves qui ont fait
00:12:54ça aussi.
00:12:55Et nous, quelle est notre responsabilité là-dedans ? C'est nous, leurs éducateurs,
00:13:02on a failli.
00:13:03Ça soulève plein de choses.
00:13:29Moi je suis très très contente que vous soyez là.
00:13:32Très contente qu'on se voie ici et on se demandait comment vous apporter du réconfort
00:13:40et comment travailler avec vous, comment reprendre le métier de professeur et comment
00:13:46travailler avec vos élèves, tous quand même très impactés par l'assassinat de leurs
00:13:55professeurs.
00:13:56Mais tu vois, la question pour moi c'est toujours, qu'est-ce qu'on fait ? Pour moi, on ne pourra
00:14:01plus jamais travailler comme avant dans ce collège, mais quoi exactement ? Comment
00:14:05on prend les choses ? Qu'est-ce qu'on met en place ? Qu'est-ce qu'on fait de cet établissement
00:14:10et qu'est-ce que moi je fais de mon travail ? Et ça, ça m'effraie un peu parce que je
00:14:14me sens encore une fois un peu seule.
00:14:15Je sais qu'il y a vous, l'association des victimes du terrorisme, sur qui on peut compter
00:14:19mais à part ça, voilà, c'est toujours beaucoup de questions en fait.
00:14:24La question du que faire, elle est très très vaste.
00:14:28Et tu n'as pas envie que les élèves sachent eux aussi exactement ce qui s'est passé,
00:14:33que finalement il n'y ait pas 36 récits, mais qu'il y ait quand même quelque chose
00:14:39qu'on appelle dans un procès la manifestation de la vérité ? Il y a une vérité, il y
00:14:44en a une.
00:14:45Oui, vraiment.
00:14:46Et puis il y a plein de choses dont on n'a jamais parlé, enfin, par exemple l'avant
00:14:50attentat, on n'a pas pu encore en parler avec les élèves.
00:14:53On n'a pas parlé de l'avant, mais c'est énorme ce que tu dis, enfin bon, moi ça
00:15:00me semble énorme.
00:15:01Moi, il y a une élève dans la classe de Claire qui m'a dit mais madame, je ne peux pas raconter
00:15:06tant, j'ai honte.
00:15:07Encore maintenant.
00:15:08Ah bah oui, elle m'a laissé entendre qu'elle a bien participé à la cabale, tu vois.
00:15:14Et pendant deux semaines, on n'a pas eu la même histoire, nous adultes et eux enfants.
00:15:18Et du coup, bah ouais, mais du coup, moi ça me… Enfin, ouais, c'est quelque chose
00:15:23qui est difficile à admettre et…
00:15:27Donc, il faut être capable d'en parler parce que rien ne sera meilleur que la vérité
00:15:34pour vous et pour eux, douloureuse peut-être, sans doute, et elle est douloureuse de toute
00:15:39façon de manière souterraine, on le voit bien, donc autant qu'elle le soit de manière
00:15:46manifeste.
00:15:47Mais moi, j'ai un blocage, je n'y arrive pas à en parler aux élèves.
00:15:52C'est pour ça que, voilà, avec votre aide, ça me ferait plaisir parce que je n'y
00:15:56arrive pas, je n'y arrive pas, je ne peux pas en parler.
00:15:58Je ne sais pas comment tu fais Aurélie, tu es à bord de ça, mais moi, je ne peux pas.
00:16:02Donc voilà, c'est un truc…
00:16:04Et tu sais pourquoi tu n'y arrives pas ?
00:16:05Est-ce que tu ne peux pas te protéger ?
00:16:09Ah, je ne sais pas, je suis en colère, je suis en colère, je suis toujours en colère
00:16:12depuis le début.
00:16:15Elle n'arrive pas à descendre cette colère, il y a des hauts, des bas…
00:16:20Je te comprends.
00:16:21T'as des élèves, tu leur fais confiance, ils sont capables de faire ça, et voilà,
00:16:28j'ai du mal, j'ai du mal.
00:16:44C'est vrai qu'il y a eu le lien de confiance avec les élèves qui a été entaché.
00:16:57Chacun d'entre nous s'est posé la question, mais qu'est-ce que je fais là, en fait,
00:17:08est-ce que je vais continuer à rester ici, est-ce que je vais continuer à être professeur
00:17:12?
00:17:14Donc, ça va vous préparer aussi, ça va vous rappeler des choses sur les procédés
00:17:20littéraires, les figures de style, etc.
00:17:23Pour réviser pour le brevet, je sais que c'était un peu vos attentes la semaine
00:17:27dernière.
00:17:28Le cœur de notre métier, c'est quand même enseigner, partager, et puis faire confiance
00:17:32parce que sans confiance, il n'y a pas d'enseignement possible.
00:17:36Donc, je dirais que maintenant, c'est cette relation de confiance qu'il faut reconstruire.
00:17:45Cependant, parce que ça reste de la poésie, moi, je me dis mais comment on peut aller
00:17:53faire cours comme ça, comme si de rien n'était, mais quel sens ça a, enfin...
00:17:57Mais avec un côté plus accessible.
00:17:59C'est complètement absurde, en fait.
00:18:05Quels sont les adjectifs qu'ils utilisent ?
00:18:07Clément.
00:18:10Moi, je suis persuadée qu'il y a des élèves qui sont restés au récit erroné de la rumeur
00:18:17qui a circulé avant l'attentat.
00:18:18C'est grave.
00:18:23Maintenant, ce qu'on doit à Samuel, c'est déjà d'essayer de revenir avec les élèves
00:18:29sur ce qui s'est passé.
00:18:35J'ai pas le droit, moi.
00:18:36Alors, on n'est pas par hasard ici.
00:19:04Nous travaillons pour une association qui est l'Association française des victimes
00:19:10du terrorisme.
00:19:11Et on va parler du collège du Bois d'Aulme en vous disant que ce n'est pas un collège
00:19:17lambda.
00:19:18Alors, si je dis tu n'es pas une jeune fille lambda, qu'est-ce que je te dis ?
00:19:23Que je ne suis pas comme les autres.
00:19:26Mais oui, mais tu n'es pas comme les autres, bien sûr.
00:19:29Donc, si je vous dis ici, je dois constater que nous ne sommes pas dans un collège lambda,
00:19:37vous comprenez ce que je veux dire.
00:19:38Vous êtes effectivement dans un collège lambda dans la mesure où vos cours ressemblent
00:19:43à tous les cours.
00:19:44Et vous êtes des élèves, j'imagine, lambda.
00:19:47Mais nous sommes dans un collège qui, aux yeux des autres, d'une certaine manière,
00:19:54vous n'êtes pas dans un collège lambda.
00:19:58Vous êtes au collège du Bois d'Aulme et c'est un collège qui a connu un attentat
00:20:04terroriste, d'accord ?
00:20:08Et nous savons que vous l'avez vécu de très très près.
00:20:15Oui ?
00:20:16Est-ce que nous, en tant qu'élèves du collège du Bois d'Aulme, on est victimes
00:20:19de l'attentat de M. Pesquet ?
00:20:20Juridiquement, non.
00:20:22Juridiquement, vous n'êtes pas victime.
00:20:24Mais c'est une définition juridique.
00:20:27Pour être victime, il faut avoir vu l'attentat, ce n'est pas votre cas.
00:20:32Ou alors être apparenté, être l'enfant, être le frère, la sœur, le père, la mère
00:20:38de votre professeur.
00:20:39Vous n'êtes pas victime mais vous êtes impacté.
00:20:42Parce que quand on vit un attentat, on peut le comparer comme un tremblement de terre.
00:20:47C'est-à-dire qu'il y a l'épicentre.
00:20:49Puis au fur et à mesure, il y a d'autres gens.
00:20:51Les ondes de choc, elles se propagent.
00:20:53Certains d'entre vous, vous aviez M. Paty en cours, vous connaissiez.
00:20:56Certains d'entre vous connaissaient des élèves qui, aujourd'hui, sont mis en examen.
00:21:00Et puis si je puis me permettre, ce qui est compliqué au Bois d'Aulne,
00:21:05ce qui est compliqué pour l'ensemble des élèves,
00:21:08je ne parle d'aucun élève en particulier,
00:21:11c'est que vous êtes à la fois impacté par la disparition terroriste de votre professeur,
00:21:18mais vous êtes aussi au cœur de ce qui précède cet attentat.
00:21:25Vous voyez ?
00:21:28Ce n'est pas évident.
00:21:30Donc vous êtes à la fois des deux côtés, si je puis me permettre,
00:21:33à la fois dans ceux qui préparent l'assassinat
00:21:38et à la fois dans ceux qui reçoivent très douloureusement cet assassinat.
00:21:44C'est très complexe, c'est très très complexe.
00:21:48Et donc nous sommes là justement pour en parler.
00:21:51Donc on va revenir ici, dans votre collège, très souvent.
00:21:55Je suis professeur d'Histoire et de Géographie.
00:22:25Je suis arrivé au collège du Bois d'Aulne, trois semaines après l'attentat,
00:22:28pour reprendre les élèves de 3e et de 4e de M. Paty.
00:22:33Certains pensaient que plus jamais ils auraient Histoire et Géographie au collège.
00:22:35Pour eux, il n'y avait plus de retour en arrière possible.
00:22:41Et il faut imaginer le contexte, c'est-à-dire que trois semaines s'étaient passées,
00:22:44les élèves étaient marqués par ça, c'était très présent.
00:22:46Moi j'ai des élèves qui sont tombés, qui ont fait des malaises en classe,
00:22:49qui sont tombés comme ça,
00:22:51juste parce que j'étais là, sur les premières heures,
00:22:54et parce que ma présence faisait une sorte de réminiscence de l'attentat, etc.
00:23:00Le fait de faire cours d'Histoire, de Géographie, c'était des souvenirs terribles pour eux.
00:23:12Je pense qu'une des premières questions qui m'a été posée, c'est
00:23:15« Est-ce que vous avez peur ? »
00:23:18Et je leur ai dit « Ben non, j'ai pas peur. »
00:23:20Ils m'ont dit « Mais vous devriez avoir peur. »
00:23:27Alors c'est vrai, il faut être honnête,
00:23:29quand on sortait du collège au mois de novembre,
00:23:31on commençait par regarder ce qu'il y avait autour, ça c'est vrai, on va pas se mentir.
00:23:36Il y avait souvent la police, parfois des soldats aussi qui étaient dans le collège,
00:23:40c'était très particulier comme ambiance.
00:23:41Mais après, je m'étais dit, en venant ici, que c'était aussi ma responsabilité en tant qu'enseignant,
00:23:48de faire cours, de produire de la pensée autour de tout ça, dans la mesure du possible.
00:23:54C'est-à-dire qu'il y a quand même beaucoup de gens qui sont impliqués là-dedans.
00:23:56Et donc la question c'est comment on en vient à se retrouver impliqués là-dedans
00:23:59et quelles sont les conséquences.
00:24:00Et ça, ça va être des questions compliquées, je pense, à aborder avec les élèves.
00:24:04Parce que pour certains, ils ont des amis qui ont été mis en examen.
00:24:12L'idée, c'est de les faire réfléchir à la question de la responsabilité.
00:24:17Et ça, c'est pas évident, c'est un vrai défi, quoi.
00:24:47Moi, les textes qui m'intéressent de transmettre,
00:24:50c'est des textes qui, forcément, font réfléchir les élèves.
00:25:02Moi, je leur ai parlé du roman La Vague,
00:25:04qui évoque la manière dont était mis en place un régime totalitaire à petite échelle
00:25:09au sein d'une classe.
00:25:12On peut faire le lien avec...
00:25:15avec la manière dont une rumeur enfle et va peut-être conduire des individus
00:25:23à faire des actes terribles.
00:25:35Asseyez-vous, s'il vous plaît.
00:25:39Donc aujourd'hui, on va travailler sur le roman La Vague.
00:25:44Que vous avez lu pendant les vacances.
00:25:46Alors, ce roman s'appuie sur des faits réels.
00:25:51Donc une expérience qui a été menée par un professeur dans un lycée aux Etats-Unis.
00:25:56Pour que les élèves prennent conscience des petits mécanismes insidieux
00:26:00qui se mettent en place et qui font qu'on peut tomber dans un mouvement totalitaire
00:26:04et basculer dans ce genre de choses.
00:26:09Alors, on va pas forcément parler de choses très, très positives.
00:26:13Mais voilà, je vous invite vraiment à faire le lien avec la réalité,
00:26:18avec ce que vous avez pu vivre en tant qu'élèves.
00:26:22Donc par exemple, dans le roman, peut-on dire que les élèves ont été manipulés ?
00:26:29La question, la responsabilité des élèves.
00:26:31Et ce qu'on appelle le libre-orbite, c'est leur capacité à faire des choix
00:26:34et à prendre des décisions en connaissance de cause.
00:26:38D'accord ?
00:26:40Du coup, on peut dire si c'est les élèves qui sont manipulés ou pas ?
00:26:42Non.
00:26:43Ben non, parce qu'ils ont suivi ça de leur propre choix.
00:26:47Qu'est-ce que t'en penses ?
00:26:48Je sais pas, moi.
00:26:50Tu peux mettre, ils étaient manipulés, mais genre...
00:26:53Je sais pas comment dire, ils étaient manipulés sans le vouloir.
00:26:56Ils savaient même pas qu'ils étaient manipulés.
00:26:59Ils sont savants.
00:27:02Maintenant, est-ce que vous pensez à des choses que vous avez pu vivre vous-mêmes ?
00:27:07Une influence du groupe, d'accord ?
00:27:11Qui a fait que les personnes qui étaient dedans n'avaient plus d'esprit critique.
00:27:17Max, on sait si on a déjà vécu ça.
00:27:20On n'a pas vraiment vécu ça, en vrai.
00:27:22On n'a pas été manipulés.
00:27:24On a pas été manipulés.
00:27:26On a pas été manipulés.
00:27:28On a pas été manipulés.
00:27:30On a pas été manipulés.
00:27:32Ça serait plus simple, parce que je pense pas que quelqu'un s'était entouragé dans un mouvement.
00:27:38J'ai quand même pas eu de chance.
00:27:41Donc réfléchissez à ça, à ce genre de mouvement collectif, un peu comme une meute.
00:27:45Vous voyez l'image ?
00:27:48Ça ne vous fait pas penser à quelque chose ?
00:27:50C'est pas des choses que vous avez pu vivre ?
00:27:57Alors, est-ce que vous vous souvenez du cours de M. Paty ?
00:28:01Le fameux cours qui a fait débat, qui a fait polémique.
00:28:04Et s'il y avait des débats entre les deux,
00:28:06c'est parce qu'il y a eu des débats entre les deux.
00:28:08C'est parce qu'il y a eu des débats entre les deux.
00:28:10C'est parce qu'il y a eu des débats entre les deux.
00:28:12C'est parce qu'il y a eu des débats entre les deux.
00:28:14Qui a fait débat, qui a fait polémique.
00:28:16Est-ce qu'il y avait des débats entre les élèves à ce sujet ?
00:28:27Ou est-ce que c'était vraiment, tout le monde était là à dire
00:28:30« C'est grave ce qu'il a fait, c'est pas bien ».
00:28:35Qu'est-ce que vous ressentez vous aujourd'hui par rapport à ça,
00:28:39à cette espèce de rumeur qu'il y a eu dans le collège et en dehors du collège ?
00:28:45Je vous pose la question.
00:28:50Oui, Romane.
00:28:52Moi, personnellement, je trouvais que c'était assez excessif,
00:28:55toute l'ampleur que ça a pris.
00:28:57Mais en fait, je ne pouvais pas vraiment le dire,
00:29:00vu que tout le monde était dans l'avis contraire.
00:29:02Et du coup, je pouvais me faire rejeter, etc.
00:29:04Je ne disais rien.
00:29:06D'accord.
00:29:07On se laisse emporter dans le mouvement collectif,
00:29:12parce que c'est plus facile d'être à l'intérieur qu'à l'extérieur, c'est sûr.
00:29:17Qu'est-ce que vous en pensez ?
00:29:37Vous avez bien travaillé.
00:29:39Allez, à jeudi !
00:29:43Au revoir, Jonathan.
00:29:51Ce n'est pas facile, il y a quand même une gêne.
00:29:54On sent qu'il y a une gêne chez eux à en parler,
00:29:56mais je pense que ça leur évoque des choses qui ne sont pas agréables.
00:30:00Je pense qu'il y a beaucoup d'élèves qui ne veulent pas y repenser.
00:30:12Les garçons, Fabio, Elias, dépêchez-vous.
00:30:43Allez.
00:30:52Départ dans dix secondes.
00:30:56Dix.
00:30:58Neuf.
00:31:00Huit.
00:31:01Ça va bientôt faire vingt ans que j'enseigne en scolaire.
00:31:04Et c'est plutôt une ambiance familiale,
00:31:06je trouve que c'est un établissement à taille humaine.
00:31:10Sept.
00:31:12C'est pour ça que je suis restée, d'ailleurs, dans ce collège-là.
00:31:14Sinon, je pense que j'aurais demandé ma mutation si c'était pas bien.
00:31:18Dépêchez-vous, on s'échauffe, là.
00:31:23Quand vous êtes prêts, vous allez vous mettre en place sur les plots.
00:31:28Léorane.
00:31:29Léorane.
00:31:30Viens me voir deux secondes.
00:31:33Je mentirais de dire que c'est un établissement à taille humaine,
00:31:37je mentirais de dire que je fais cours exactement comme avant.
00:31:41J'ai toujours autant de plaisir.
00:31:44J'aime enseigner.
00:31:45Mais par contre, c'est vrai que...
00:31:49Maintenant, je pense que je pèse plus mes mots qu'auparavant.
00:31:55Allez, je sais que c'est difficile.
00:31:58Accroche-toi, je suis sûre que t'en es capable.
00:32:07Je fais attention.
00:32:08Parce que j'ai l'impression que tout peut basculer d'un moment à l'autre
00:32:13parce que quelque chose m'aurait choquée ou aurait pu être mal interprétée.
00:32:18Et je me dis...
00:32:20Là, c'est tombé sur sa même,
00:32:21mais ça aurait pu être n'importe quel prof dans n'importe quel collège de France.
00:32:29C'est tellement irrationnel.
00:32:32Je sais que, par exemple, quand on fait une parade en gym,
00:32:35des collègues hommes ont déjà été embêtés
00:32:37parce que sans une main qui ripe, il peut y avoir des choses comme ça.
00:32:43Je me dis qu'avec ce qui s'est passé, ça peut très bien arriver sur les réseaux,
00:32:46être diffusé et puis après...
00:32:52Et ça me paraît tellement dégueulasse.
00:32:55Je me dis que c'est un établissement à taille humaine.
00:32:58Et ça me paraît tellement, des fois, absurde.
00:33:03Notre métier, ça devient un métier à risque, en fait.
00:33:28OK, have a good day.
00:33:30Bye bye, have a good day.
00:33:32Have a good day.
00:33:33Bye, have a good day.
00:33:37Bye, have a good day.
00:33:58Est-ce que vous avez compris pourquoi on est venus vous voir ?
00:34:00On est venus parce qu'on connaît des victimes du terrorisme.
00:34:05Et on connaît des gens qui ont été confrontés à cette brutalité.
00:34:10Et c'est vrai que vous nous êtes très chers
00:34:14parce qu'on estime que vous avez été confrontés à votre âge
00:34:18à des événements extrêmement difficiles.
00:34:22Est-ce que vous vous y pensez ?
00:34:23Est-ce que ça prend de la place ?
00:34:28Toi, tu y penses, parfois ?
00:34:33Et toi ?
00:34:35Moi, j'y pense pas beaucoup.
00:34:36Ouais ? T'as l'impression que c'est très très loin, maintenant ?
00:34:39Pas si loin que ça, mais j'y pense plus vraiment.
00:34:43Seulement de temps en temps, mais vite fait.
00:34:45Ça m'effleure un peu, juste le cerveau.
00:34:49Alors c'est normal.
00:34:50Il y a des élèves qui avaient eu une suppative, d'autres pas.
00:34:53Il y a des élèves qui pouvaient l'apprécier, d'autres moins.
00:34:55C'est normal.
00:34:56On est tous différents, on réagit différemment.
00:34:57En fait, vous avez le droit de pas être triste.
00:35:00Peut-être que vous y pensez pas trop.
00:35:04Patricia, tu fais un geste de la tête.
00:35:07Non, parce que j'ai réfléchi.
00:35:09J'ai pas d'idée par rapport au collège,
00:35:12mais je sais que moi, ce qui m'a perturbée,
00:35:15c'est vraiment le jour où, le lendemain de l'attentat,
00:35:18je suis revenue au collège,
00:35:19et le collège, il était tout embrigadé.
00:35:21On le reconnaissait pas.
00:35:22Il y avait des policiers, des journalistes de partout.
00:35:25Et même le fait d'avoir vu les professeurs s'effondrer,
00:35:30c'est compliqué un peu.
00:35:32Et surtout que la manière, elle était barbare.
00:35:37Oui, bien sûr.
00:35:40Il faudrait presque le définir.
00:35:42Je demande pas qu'on me le décrive, mais en quoi est-ce...
00:35:46Qu'est-ce qui est barbare dans une mort comme celle-ci ?
00:35:49C'est vraiment le fait de l'avoir attendue toute une après-midi
00:35:52pour, au final, déjà donner de l'argent à des élèves.
00:35:57Et le fait de couper la tête.
00:36:04Oui, bien sûr.
00:36:05Est-ce que vous savez tous comment on en est arrivés, là ?
00:36:07Vous savez ?
00:36:09Pas trop, non.
00:36:10J'ai entendu des rumeurs, mais je sais pas vraiment ce qui s'est passé.
00:36:15Mais ça partait de la caricature qui nous a montré en classe.
00:36:19Alors, c'est ça, le point de départ ?
00:36:21Ou est-ce qu'il y a une autre sorte de point de départ après celui-là ?
00:36:24Le fait que ça soit allé jusqu'aux médias, je pense.
00:36:28Ouais, alors quand tu dis les médias, c'est allé où, exactement, cette histoire ?
00:36:32Sur YouTube, il me semble.
00:36:34Ouais, et ce qui était raconté, c'était vrai ou c'était pas vrai ?
00:36:38Dans la vidéo ?
00:36:39Est-ce que vous l'avez vue, la vidéo ?
00:36:40Parce que je sais que beaucoup d'élèves l'ont vue, la vidéo, avant l'attentat.
00:36:43D'un papa d'élèves très en colère.
00:36:46C'était le papa d'une élève qui était pas là, déjà.
00:36:49Donc, elle, elle racontait un cours à son papa alors qu'elle était pas dans le cours.
00:36:52Vous saviez ça ou pas ? Il y était pas.
00:36:54Ouais.
00:36:57Toi, Eva, toi, t'étais là.
00:36:59T'as des souvenirs de ce cours ? Tu repenses des fois à ce cours ?
00:37:01De M. Paty ?
00:37:03Ou ça te paraît vraiment un cours comme tant d'autres ?
00:37:06Moi, c'était un cours normal.
00:37:07Je pensais pas que ça allait partir aussi loin.
00:37:10Il y a énormément de profs qui, effectivement, utilisent des caricatures.
00:37:15T'as été choquée, toi ?
00:37:16Non.
00:37:20Enfin, ça aurait pu être différentes religions, donc voilà.
00:37:23Bien sûr, bien sûr, bien sûr.
00:37:25Tu sais, moi, j'ai parlé avec des mamans musulmanes, d'élèves, qui m'ont dit...
00:37:28Ben, nous... C'est une maman qui m'a dit ça.
00:37:32Et qui m'a dit, mais en fait, moi, j'ai dit à ma fille, il faut regarder, en fait.
00:37:35Si on te le montre à l'école, il faut regarder.
00:37:36A l'école, t'es pas à la maison et profites-en.
00:37:38Tu prends ce qu'on te donne à l'école et t'en feras ce que tu veux après.
00:37:40Mais tu prends ce qu'on te donne à l'école.
00:37:42Même si t'es pas d'accord, tu prends.
00:37:43Donc, comme quoi, je crois qu'à ce moment-là, y a pas grand monde qui a été choqué, en fait.
00:37:46Ça s'est passé beaucoup en dehors du collège.
00:37:48Et c'est ça qui est terrible, quoi.
00:37:50C'est quand ça sort sur les azores, on n'a plus la prise, quoi.
00:37:52Après, on voit les vues grimper, on n'a plus la prise sur quoi que ce soit, quoi.
00:37:55Et s'il y a des trucs, vous êtes pas sûrs, vous entendez des choses,
00:37:58il faut pas hésiter à venir nous en parler.
00:38:00Parce qu'il y a aussi des gens, même maintenant, là, qui racontent n'importe quoi, d'accord ?
00:38:03Si vous avez un doute, vous pouvez venir nous en parler.
00:38:06Nous, on est aussi là pour ça.
00:38:13...
00:38:31C'est parfois en échangeant qu'ils se sont rendus compte
00:38:33que ça avait eu, cet attentat contre M. Paty,
00:38:36ça avait eu des conséquences assez énormes dans leur vie, quoi.
00:38:40Et je pense à une anecdote précise.
00:38:42Et toute bête, il y a un gamin qu'on n'entend pas si on va pas le chercher, un gamin qui
00:38:46prend pas la parole.
00:38:47Et ce gamin très discret, il a simplement dit que le lendemain de l'attentat, il avait
00:38:54une audition, un examen de musique, et il faisait de la percussion.
00:38:58Et tout ce qu'il a réussi à dire, c'est que ses mains avaient tremblé, et c'est tout.
00:39:07Et cet élève-là qui a juste dit « mes mains ont tremblé », je trouve qu'il avait dit
00:39:11beaucoup.
00:39:12Mais moi je sais bien qu'à l'intérieur de cette classe qui compte d'à peu près
00:39:1730 élèves, il y a toujours des élèves effectivement bizarrement, presque bizarrement indifférents
00:39:23aux images violentes.
00:39:24Et il y en a d'autres qui sont extrêmement vulnérables.
00:39:26Donc au moment où on doit parler de la Révolution française, au moment où on doit parler de
00:39:29la Shoah, au moment où on doit parler du génocide des Tutsis, comment on traite ces
00:39:33sujets-là avec tout ce que ça comporte de violence auprès d'élèves qui ont eu une
00:39:37suppatie ? Ça c'est une vraie difficulté.
00:39:40Et peut-être que je ne me posais pas assez la question auparavant.
00:39:43Aujourd'hui, je me pose beaucoup la question de la violence, de l'enseignement des faits
00:39:48violents.
00:39:54Très longtemps, oui.
00:39:55Vous allez bien ?
00:39:56Ça va ?
00:39:57Ça va très bien.
00:39:58Ça va très bien.
00:39:59Bonjour.
00:40:03Ça fait hyper longtemps.
00:40:06Fais la bise, hein.
00:40:07Merci.
00:40:10Merci.
00:40:19J'ai été professeur d'histoire-géographie ici pendant quatre ans, au Collège du Bois-d'Olonne.
00:40:25Et j'ai quitté l'Éducation nationale un an après l'attentat.
00:40:40Tellement agréable à entendre.
00:40:43Ça, c'est la vie d'un collège.
00:40:46Et puis en même temps, c'est très banal et très normal, mais c'est bien en banalité
00:40:51aussi.
00:40:53Surtout ici.
00:41:00Ma salle n'a pas tant changé que ça.
00:41:03Je la retrouve pareil, mais toujours bien en 214.
00:41:06Ça a été vraiment ma maison, en fait, ici.
00:41:14Il y en a vraiment dans la salle qui est attenante à celle de Samuel.
00:41:19Forcément, quand je regarde ce mur, j'y pense.
00:41:22J'y pense parce que j'entends aussi sa voix et je l'entends faire cour à côté.
00:41:28Après l'attentat, ce qui était difficile pour moi, c'était vraiment le fait de passer
00:41:32devant la salle de Samuel tous les jours.
00:41:35Puis tous les souvenirs que j'avais avec lui, de cafés échangés, de parties de ping-pong,
00:41:40de discussions.
00:41:42Et j'avais le sentiment à l'époque de ne pas réussir à avoir le recul nécessaire
00:41:46que j'avais en temps normal.
00:41:49Je me disais que c'était vraiment la vie d'un collège.
00:41:52Et j'avais le sentiment à l'époque de ne pas réussir à avoir le recul nécessaire
00:41:56que j'avais en temps normal.
00:41:57C'est-à-dire qu'en temps normal, quand on est face aux élèves,
00:42:00si jamais il y a une parole déplacée, si jamais il y a quelque chose qui ne va pas,
00:42:03on a tendance à désamorcer la situation avec un trait d'humour,
00:42:06avec parfois un mot un petit peu plus autoritaire quand il le faut,
00:42:10ou avec des gestes, des mots, peu importe.
00:42:13Et je me sentais plus forcément capable de le faire.
00:42:17Et c'est ça aussi qui m'a poussé à changer de métier.
00:42:22Allez.
00:42:23Tiens, attends.
00:42:24Tiens, prends le.
00:42:25Ah ça.
00:42:27Non, tu ne veux pas prendre celui-là ?
00:42:28Moi, je n'aime pas trop, le gros…
00:42:30Tiens, fais-toi le.
00:42:35C'était à ça que l'on jouait au ping-pong.
00:42:39Avec Samuel.
00:42:43C'était ça ?
00:42:44C'est ça.
00:42:46C'était ça?
00:42:47C'est ça.
00:42:49C'est ça.
00:42:50C'est ça.
00:42:51Ça fait quasiment 9 mois, c'est depuis le mois d'octobre, en fait.
00:42:55Et c'est vrai qu'en même temps, c'est hyper difficile de revenir ici.
00:42:59Là, ça va mieux, mais jusqu'à récemment,
00:43:02chaque fois que j'en parlais, j'avais des symptômes physiques
00:43:06où je sentais le stress monter, comme si je revivais ces événements.
00:43:10Et justement, comment vous avez géré tout ça ?
00:43:14On a fait des recherches, on a fait des recherches,
00:43:17on a fait des recherches, on a fait des recherches,
00:43:20on a fait tout ça au collège.
00:43:22J'ai eu besoin de m'arrêter,
00:43:25parce que j'avais l'impression de perdre la face devant les élèves,
00:43:28et je voulais surtout pas.
00:43:29J'arrivais plus à me concentrer, je pétais des câbles pour rien.
00:43:33Tu l'as encore, ça, ou pas ?
00:43:35On l'a tous, quand on entend un bruit.
00:43:39Quand on entend un bruit, on se dit, qu'est-ce que c'est que ça ?
00:43:42On est dans un état de vigilance, quand même.
00:43:44T'as une hyper-vigilance, quand même.
00:43:46Moi, je fais cours porte ouverte tout le temps.
00:43:49S'il y a un bruit un peu inhabituel...
00:43:51Là, t'as les fenêtres ouvertes.
00:43:53Ouais, j'ai toujours un moment, quand même, de...
00:43:56Tu regardes, quoi.
00:43:58OK, la porte, je referme. La fenêtre, faut la fermer.
00:44:01Moi, j'ai ces réflexes, maintenant, que j'avais pas avant.
00:44:05Avant de rentrer dans le parking,
00:44:07j'attends bien que la grille soit ouverte.
00:44:09Tu le fais encore ?
00:44:11Oui, je le fais encore.
00:44:13Après, j'avance avec ma voiture, j'attends un peu qu'elle se ferme,
00:44:16parce que j'ai pas envie que quelqu'un entre et...
00:44:19Toi, David, dans ta vie personnelle,
00:44:21est-ce que tu gardes des symptômes, justement ?
00:44:23C'est vrai que moi, j'ai...
00:44:26Du coup, j'ai vécu les choses un petit peu différemment,
00:44:28puisque aujourd'hui, je suis vraiment dans un autre environnement.
00:44:31Ça t'a aidé à te reconstruire, du coup ?
00:44:33Ouais, totalement.
00:44:35Et puis c'est vrai qu'en même temps,
00:44:37c'est hyper difficile de s'arrêter dans ces circonstances-là.
00:44:40Parce que...
00:44:42S'arrêter, pour moi, c'était...
00:44:46Vous abandonner, déjà.
00:44:47C'était abandonner les élèves.
00:44:49Il y avait une culpabilité.
00:44:51En fait, moi, j'ai compris avec le temps.
00:44:52Enfin, je le savais intellectuellement,
00:44:54mais je le comprends vraiment maintenant
00:44:56qu'il faut pas culpabiliser par rapport à ça.
00:45:00On a tous mis en place des mécanismes
00:45:02pour se reconstruire, ou se défendre, ou se protéger.
00:45:05C'est vraiment propre à l'histoire et à la sensibilité de chacun.
00:45:09Exactement.
00:45:16C'est surprenant.
00:45:17Pour moi, c'est vraiment très important
00:45:19de garder un lien avec le collège et avec les collègues.
00:45:22Et de garder un lien avec tout ça, puisque ça fait partie de moi.
00:45:28En fait, c'est extrêmement précieux
00:45:29qu'ils soient là, aujourd'hui, en train de faire leur métier.
00:45:33Parce que le collège du Bois-d'Aune existait avant l'attentat,
00:45:37et il existe encore après.
00:45:38Et c'est eux, là, qui sont en train d'écrire, finalement, cette histoire.
00:45:41Et c'est eux qui sont en train d'écrire cette histoire.
00:45:43Et c'est eux qui sont en train d'écrire, finalement, cette histoire avec les élèves.
00:45:52Je sais qu'il y en a qui ont besoin de prendre...
00:45:54De changer d'air.
00:45:55Ce que je peux tout à fait entendre.
00:45:58Et pour l'instant, c'est l'inverse.
00:46:00Voilà, je...
00:46:02C'est pas du tout pesant d'être ici.
00:46:04Au contraire.
00:46:06En fait, j'ai peur que ce lieu reste lié à un traumatisme.
00:46:10Et...
00:46:11En fait, avec l'équipe, on s'est beaucoup épaulées, on s'est beaucoup aidées.
00:46:16Et on s'est rendu compte qu'on avait juste besoin d'être ensemble.
00:46:24Ce collège, c'est le seul endroit où je peux retrouver, tous les jours,
00:46:27des gens qui ont vécu la même chose que moi.
00:46:29Je sais qu'on se comprend.
00:46:33Et je pense que maintenant, on attend un peu une sorte de catharsis, quoi.
00:46:37Collectif.
00:46:42Tous les deux, Daniel et Michel,
00:46:45vous avez connu le terrorisme qui a bouleversé vos vies.
00:46:51Donc, les élèves que vous avez devant vous
00:46:53sont des élèves qui ressemblent à tous les élèves de France.
00:46:57Ce collège est évidemment un lieu du quotidien
00:47:00où l'on vient travailler, où l'on vient étudier tous les jours.
00:47:04Et c'est un lieu qui symbolise,
00:47:07la douleur et la terreur.
00:47:10Donc, vous allez échanger avec eux
00:47:12et peut-être que vous, qui êtes de grands témoins,
00:47:16vous allez leur donner envie de devenir de petits témoins.
00:47:21Pas aujourd'hui, peut-être demain.
00:47:25Pour qu'à leur tour, ils puissent trouver, donner un sens à ce qu'ils ont vécu.
00:47:31Pour qu'à leur tour, ils puissent trouver, donner un sens à ce qu'ils ont vécu.
00:47:38Avec l'assassinat de leur professeur, M. Paty.
00:47:42Alors, en ce qui me concerne, c'est à plusieurs niveaux.
00:47:48D'abord, je dois vous dire que j'ai une émotion un peu particulière
00:47:50quand je viens ici, je vous le dis parce que...
00:47:54C'est un peu...
00:47:56Je me suis retrouvé un petit peu dans une situation extrêmement difficile
00:47:59puisque je suis devenu l'otage, malgré moi,
00:48:03de terroristes qui sont rentrés dans mon bâtiment, dans mon imprimé.
00:48:09C'était le 9 janvier 2015.
00:48:11Et encore aujourd'hui, j'ai toutes les images qui sont encore en tête.
00:48:15Ça a commencé le matin de bonheur.
00:48:18On a sonné à la porte et quand ils sont rentrés à l'intérieur de l'entreprise,
00:48:23j'ai entendu la porte claquer, j'ai entendu le bruit dans les escaliers métalliques
00:48:26avec la lance-roquette qui tapait dans le truc.
00:48:29C'est à ce moment-là que j'ai dit à mon collaborateur de se cacher,
00:48:33moi, j'ai cru que j'allais mourir.
00:48:35La première sensation que j'ai eue là, c'est ça.
00:48:39Je me suis dit, ça y est, je suis mort.
00:48:41D'où le choc post-traumatique après et tout ce que j'ai vécu.
00:48:47Pourquoi est-ce que vous n'avez pas essayé de sortir ou par une autre porte pour partir ?
00:48:53Pourquoi ? Parce que j'étais avec mon collaborateur.
00:48:56Et quand il m'a regardé dans les yeux, il m'a regardé d'une façon un peu spéciale.
00:48:59Il m'a regardé avec les yeux de quelqu'un qui avait peur, mais pas n'importe quelle peur.
00:49:03La peur de mourir.
00:49:05Et ça, si vous ne l'avez jamais vu de votre vie, vous ne pouvez pas imaginer ce que ça veut dire.
00:49:10Je me suis dit, qu'est-ce que je peux faire ?
00:49:12Et c'est pour ça que j'ai été vers eux au lieu de m'enfuir.
00:49:15Alors moi, j'ai une autre question pour vous.
00:49:17C'est la première émotion que vous avez ressentie lorsque vous avez réalisé ce qui vous était arrivé.
00:49:21Alors, déjà moi, en tant qu'homme, je n'avais jamais vu mes parents pleurer.
00:49:27Je suis d'origine italienne, on ne pleure pas beaucoup.
00:49:29Mais ce jour-là, c'était le début d'une énorme partie de ma vie en pleurs.
00:49:33Je ne pouvais pas dire deux mots l'un après l'autre sans pleurer,
00:49:38sans avoir du bégaiement, sans avoir des tressottements dans la voix, sans être complètement...
00:49:44Donc c'était extrêmement difficile.
00:49:46Du coup, combien ça a pris de temps pour avoir assez de recul ?
00:49:50Qu'est-ce qui vous a le plus aidé ?
00:49:52C'est une bonne question.
00:49:54C'est une très bonne question, parce qu'en fait, ce qui m'a fait du bien, c'est parler.
00:49:58Parler de ce qui m'était arrivé, parce que c'est une thérapie,
00:50:01ça me permet d'évacuer un certain nombre de choses.
00:50:03Et puis, surtout, je ne voulais pas fuir, puisque je n'avais rien demandé.
00:50:08Donc c'était important aussi pour moi de rester au même endroit,
00:50:11dans la même entreprise,
00:50:12qu'il y ait de la vie, qu'il y ait des gens qui reviennent à l'intérieur, que l'entreprise redémarre.
00:50:16En fait, j'avais une question.
00:50:18Quand, aujourd'hui, vous nous racontez votre histoire, ce que vous avez vécu, etc., c'est quoi votre ressenti ?
00:50:25Alors, ce qui me concerne, quand je suis venu ici, j'ai senti une boule au ventre.
00:50:29Pourtant, moi, je ne connaissais pas Sabiel Paty.
00:50:32Alors vous, qui vous êtes peut-être dans la même école, dans la même classe,
00:50:35ça me paraît logique que vous ayez une émotion,
00:50:38parce qu'effectivement, revenir ici tous les jours,
00:50:41j'imagine que c'est extrêmement compliqué et difficile.
00:50:44Et moi, donc, sept ans après,
00:50:46tous les matins, quand j'arrive et que j'ouvre le portail électrique de ma société,
00:50:50j'ai toujours un moment où j'ai une petite angoisse.
00:50:54Mais je vous dis, une fois que l'activité a redémarré,
00:50:57que tout le monde est arrivé, que les machines tournent, que les gens viennent,
00:51:00je m'y sens bien.
00:51:01Voilà, je m'y sens bien aujourd'hui.
00:51:03Vous voyez ?
00:51:16Bonjour.
00:51:19Bonjour.
00:51:23Bonjour.
00:51:26Alexandre, dépêche un sonnet.
00:51:29Alexandre, dépêche un sonnet.
00:51:32Bonjour.
00:51:34Bonjour.
00:51:36Bonjour.
00:51:38Oh Fabio, tu tombes bien.
00:51:40T'as ton carnet ?
00:51:42Pourquoi ça tu l'as pas retrouvé ?
00:51:49Pour retrouver une vie normale à peu près,
00:51:52ça prend du temps.
00:51:54En fait, un jour, j'étais dans la cour,
00:51:57et...
00:51:59ça joue au foot.
00:52:01Normal, il y a des élèves qui jouent au foot.
00:52:03Et là, il y a une insulte qui fuse.
00:52:05Une autre insulte qui fuse.
00:52:07Et quand j'étais en train de courir pour aller séparer la bagarre,
00:52:10moi-même à l'intérieur, j'étais content, je me suis dit,
00:52:13ah, la vie commence à reprendre normalement.
00:52:17Et le fait qu'en fait, tu commences à rejouer au foot,
00:52:19tu commences à se battre comme avant,
00:52:21comme dans tous les collèges, tous les lycées,
00:52:24ça faisait du bien.
00:52:32Hé, je re-rentre en jeu.
00:52:36J'utilise ma vie pour rentrer en jeu.
00:52:38C'est pas ça l'IREC.
00:52:41Tu l'as pisse total, en fait.
00:52:50En fait, ça me fait bizarre.
00:52:53Parce que tout le monde l'appelle Samuel Fassi,
00:52:55mais moi, je l'ai toujours appelé Monsieur Fassi.
00:52:58En fait, quand il faisait ses blagues,
00:53:00il savait pas, genre, s'arrêter.
00:53:02C'était drôle, mais c'était faux.
00:53:04Il faut savoir s'arrêter.
00:53:06Non, il y a des fois où je disais,
00:53:08ce n'était pas drôle.
00:53:10Il avait un blanc,
00:53:12et il faisait des blagues,
00:53:14et je me disais,
00:53:16c'est pas drôle.
00:53:17Il avait un blanc,
00:53:19il te regardait, tu le regardais,
00:53:21pour éviter qu'il soit mal à l'aise.
00:53:26Le pauvre.
00:53:31La liberté guidant le peuple.
00:53:37Tu vois, regarde, on faisait des exercices.
00:53:40Là, c'était une leçon.
00:53:42Je pense que la caricature,
00:53:44c'était l'introduction du cours.
00:53:45J'écrivais mal.
00:53:47J'arrive pas à lire.
00:53:49Et des textes.
00:53:51Genre, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
00:53:54Il nous avait donné,
00:53:56comme consigne,
00:53:58en t'inspirant des œuvres sur le cahier
00:54:00ou en faisant appel à ton imagination représente
00:54:02et défend la liberté en général,
00:54:04une liberté particulière.
00:54:06Il nous avait dit qu'il y avait des tableaux,
00:54:08des statues, des photographies.
00:54:10Le problème, c'est que le cahier,
00:54:12tu le continueras jamais.
00:54:14Je suis en train de regarder.
00:54:16Quand il y a eu ce remplaçant,
00:54:18je voulais pas continuer dans ce cahier.
00:54:20Pour moi, ce cahier, c'était M. Paty.
00:54:22C'était pas le remplaçant.
00:54:25Je me souviens qu'on m'avait dit
00:54:27que M. Paty était islamophobe.
00:54:29Et on m'avait envoyé
00:54:31certaines vidéos qu'il avait tournées sur Internet
00:54:33et je les avais vues.
00:54:35Je me suis dit, c'est un peu abusé.
00:54:37Ça se partageait même dans les classes de 6e, de 5e.
00:54:40Moi, j'avais reçu 2-3 photos
00:54:41où c'était des gens
00:54:43qui mettaient juste des trucs en dessous
00:54:45et qui marquaient
00:54:47« C'est pas bien d'être islamophobe », etc.
00:54:49C'est pas que je croyais les rumeurs.
00:54:51Moi, je me disais « Ah, c'est pas bien,
00:54:53il faut pas faire ça, être islamophobe et tout ».
00:54:55Apparemment, il est extrémiste,
00:54:57il est super chrétien,
00:54:59il parle de la chrétienté en cours.
00:55:01Et ensuite, quand j'ai entendu 2e version,
00:55:033e version, 4e version,
00:55:05j'ai fait « Mais laquelle je crois, du coup ? »
00:55:07Là, j'entends tout le monde dire « Ouais, il y avait des rumeurs ».
00:55:09Moi, je faisais pas attention
00:55:11parce que pour moi, c'était un cours
00:55:13comme les autres, entre guillemets.
00:55:15Genre, jamais je me serais dit
00:55:17« Ça va t'arriver, Nell, je te jure ».
00:55:19Jamais je me serais dit
00:55:21« Ton prof va se faire décapiter
00:55:23pour son cours ».
00:55:35Donc ici, on étudie en français des discours
00:55:37pour voir un petit peu les effets du langage
00:55:39et peut-être aussi pour développer
00:55:41l'expression.
00:55:43En étant ici, on n'attend pas
00:55:45que vous soyez des béni-oui-oui
00:55:47et que...
00:55:49Béni-oui-oui ?
00:55:51Ça veut dire quoi ?
00:55:53En fait, tu vas dire
00:55:55« Oui, oui, madame,
00:55:57tu vas bien avoir appris ta leçon ».
00:55:59Mais non, moi, mon rôle,
00:56:01c'est de vous donner des cartes
00:56:03et après, pour vous faire
00:56:05votre propre opinion.
00:56:07Par exemple, dans quel type d'exercice
00:56:09on va donner son avis en français ?
00:56:11Quand on lit un livre
00:56:13ou qu'on regarde un film.
00:56:15D'accord, oui.
00:56:17Quand on fait de la philosophie,
00:56:19donner son point de vue
00:56:21sur différentes choses de la vie,
00:56:23on n'a pas forcément les mêmes opinions.
00:56:25D'accord, on n'a pas les mêmes opinions
00:56:27que les autres.
00:56:29Si je vous indique...
00:56:31Alors pour l'instant,
00:56:33c'est pas la peine d'écrire.
00:56:35Si je vous mets au tableau
00:56:37le mot « slam »,
00:56:39est-ce que quelqu'un sait
00:56:41que ça claque ?
00:56:43En fait, « to slam », ça claque.
00:56:45OK, alors on va peut-être
00:56:47dire bonjour à Toufique.
00:56:49Bonjour.
00:56:51Bonjour.
00:56:53Vous pouvez vous asseoir, merci.
00:57:00Bonjour à tous.
00:57:02Alors moi, je vais mettre juste
00:57:04un petit bémol au mot « slam ».
00:57:06Moi, je l'appellerais plus
00:57:08« atelier d'écriture ».
00:57:09Le slam, le rap,
00:57:11la poésie,
00:57:13c'est juste une manière différente
00:57:15de déclamer les choses
00:57:17ou d'exprimer ses opinions.
00:57:20Moi, je suis éducateur depuis très longtemps
00:57:22et j'insiste à chaque fois
00:57:24que je fais ces ateliers d'écriture.
00:57:26Ce qui est important,
00:57:28c'est de maîtriser les sujets.
00:57:30Parce que plus vous allez maîtriser
00:57:32les sujets et plus vous allez être
00:57:34en capacité de faire face
00:57:36à des gens qui ne pensent pas
00:57:37à ce que je pense.
00:57:39Je passe très peu de temps
00:57:41à écouter les gens
00:57:43qui sont d'accord avec moi.
00:57:45Parce qu'en cinq minutes,
00:57:47on tomberait forcément d'accord.
00:57:49Par contre,
00:57:51je passe énormément de temps
00:57:53à écouter les gens
00:57:55qui sont à des années-lumière
00:57:57de ce que je pense.
00:57:59Parce que ça me permet
00:58:01de donner mes arguments
00:58:03même si à la fin,
00:58:05on ne tombera pas d'accord.
00:58:07On peut s'insurger,
00:58:09etc.
00:58:11Mais après, il faut argumenter.
00:58:13Plus c'est argumenté,
00:58:15plus c'est fort.
00:58:17Là, on va travailler
00:58:19sur le thème de l'engagement.
00:58:21Ça ouvre un champ assez large.
00:58:23Et dedans, chacun d'entre vous
00:58:25va choisir ce dont il a envie
00:58:27de parler.
00:58:29Est-ce qu'on peut prendre
00:58:31plusieurs thèmes ?
00:58:33Tu peux faire un premier thème,
00:58:35le finir.
00:58:38Je suis quelqu'un
00:58:40qui pense
00:58:43que même dans le pire,
00:58:46dans ce qu'il y a de pire,
00:58:48on peut en sortir
00:58:50quelque chose
00:58:52de bon.
00:58:55Juste après l'attentat,
00:58:57ma direction m'a demandé
00:58:59de venir en urgence
00:59:01au Collège du Bois-d'Aulne.
00:59:03Et aujourd'hui,
00:59:05c'est le moment
00:59:07et c'est tout mon travail
00:59:09de se servir de ce drame
00:59:11pour leur dire
00:59:13aujourd'hui, tu es une jeune fille,
00:59:15tu es un jeune homme,
00:59:17tu as 14 ans,
00:59:19ça va te servir toute ta vie.
00:59:21Ça doit te servir toute ta vie.
00:59:31Je te donne une phrase d'accroche
00:59:33et après, trouve-moi 2-3 phrases
00:59:35pour me dire que c'est hyper important.
00:59:37Ok ?
00:59:40Se livrer, c'est pas évident à leur âge.
00:59:51Mais là, j'ai pu constater
00:59:53à quel point ces élèves
00:59:55qui n'intervenaient pas forcément
00:59:57dans les classes quand on leur parlait
00:59:59de cet événement,
01:00:02nous dire comment ils ont vécu eux les choses,
01:00:05à ce moment-là, se révélaient.
01:00:07Donc, voilà la réalité.
01:00:10Qu'est-ce que t'en penses ?
01:00:12Je pense juste qu'il faudrait que je modifie
01:00:14la laissée vivre en paix.
01:00:16Je voudrais me serrer d'une manière de la respecter.
01:00:18Une critique peut coûter cher,
01:00:20on donne son avis,
01:00:22donc on perd notre vie.
01:00:24Pas forcément.
01:00:26Heureusement que tous ceux qui donnent leur avis,
01:00:28ils perdent pas leur vie.
01:00:30Imagine sinon la catastrophe.
01:00:32En fait, il faudrait que Sadrine trouve des...
01:00:34Le projet, c'est un règne avec paix.
01:00:36Agissez car on se rend compte
01:00:38que précieuse est la paix.
01:00:40Faites-en votre projet.
01:01:01Malgré tout, elles avanceront.
01:01:02Comme un mot d'espoir,
01:01:04elles auront la victoire.
01:01:06C'est bon ?
01:01:08OK.
01:01:18En fait, je pense que ce qui a été le plus compliqué,
01:01:20c'est la réalité qui nous a rattrapés.
01:01:23C'était un peu un cauchemar
01:01:25qui est devenu réalité.
01:01:27Après le 16 octobre,
01:01:29c'est plus devenu notre collège,
01:01:30c'est devenu quelque chose d'autre.
01:01:32Quelque chose, on sait pas quoi,
01:01:34mais il y a quelque chose qui a changé.
01:01:36Mais qui a trop changé le collège.
01:01:40Puis même visuellement,
01:01:42ils ont installé une énorme grille.
01:01:44On dirait une prison.
01:01:46Même si c'est que le physique, le visuel,
01:01:48ça fait quand même quelque chose, au final.
01:01:50Il y avait des grilles.
01:01:52Il fallait qu'on vérifie qu'on soit bien du collège.
01:01:55C'était horrible.
01:01:57Il y avait les journalistes qui nous demandaient...
01:01:58Vous imaginez pas ?
01:02:00À chaque fois, on sortait du cours,
01:02:02il y avait des gens qui nous couraient après
01:02:04pour nous demander quelque chose, mais on n'a pas envie de ça.
01:02:06Ils nous mettaient les micros sous le nez,
01:02:08en mode, pourrez-vous parler, s'il vous plaît, etc.
01:02:10Ça vous a fait mal ?
01:02:12Oui, ça vous a fait mal, est-ce que vous avez souffert ?
01:02:14Déjà, on avait 13 ans l'année dernière.
01:02:16Vous imaginez ?
01:02:18Et on nous pose ce genre de questions.
01:02:20Mentalement, c'était...
01:02:22C'est horrible.
01:02:24Ça fait un traumatisme, un peu.
01:02:26Après, c'est vrai que l'assassinat,
01:02:28c'est de voir les professeurs au plus bas,
01:02:30et vraiment, en train de fondre en larmes.
01:02:33C'était horrible.
01:02:35J'ai toujours ces images, c'est choquant.
01:02:37C'est horrible.
01:02:39Je me souviens surtout d'une de mes profs préférées, je dirais.
01:02:43Et...
01:02:45Et d'avoir la larme aux yeux,
01:02:47alors que je les ai toujours vues comme étant professeurs.
01:02:49Le professeur, c'est celui qui vient nous apprendre.
01:02:51Il sait plus de choses que nous.
01:02:53C'est un adulte, il est censé être plus fort.
01:02:56C'était...
01:02:58C'était pas la même ambiance.
01:03:00C'était pas un lieu...
01:03:02Je me sentais pas vraiment comme à l'école.
01:03:15En fait, le truc, c'est que je me rappelle juste que
01:03:17le dernier mot que je lui ai dit, c'était « bonne vacances ».
01:03:21Et ça reste toujours dans ma mémoire.
01:03:24Et ça fait bizarre.
01:03:26Du coup, c'est un peu bizarre de dire « bonne vacances » à d'autres profs.
01:03:28Parce que j'ai peur qu'il leur arrive quelque chose.
01:03:32C'est compliqué.
01:03:47Ok. Donc là, ça fait...
01:03:50En allant chercher nos élèves dans la cour, on avait échangé.
01:03:54Il disait qu'il était juridiquement...
01:03:56Quand t'as été chercher tes élèves dans la cour,
01:03:58ce vendredi-là,
01:04:00t'as échangé sur la couleur de ton pull.
01:04:02Mais c'est pas moi qui ai échangé, c'est lui.
01:04:05C'est lui qui m'a dit ça.
01:04:07C'est un moment qu'on a eu dans la cour.
01:04:09Le dernier moment qu'on a eu, j'allais dire, ensemble.
01:04:12Ah, on avait échangé. Ok, d'accord.
01:04:14C'est avec lui.
01:04:16Ah ok, d'accord, nous avions donné que la cruauté à notre prof.
01:04:18Allons chercher nos élèves dans la cour, on avait échangé.
01:04:20Ok. Sur la couleur de mon pull.
01:04:23Il a dit ton pull magnifique.
01:04:24Sur la couleur de mon pull.
01:04:26Oui, violet.
01:04:28Voilà, sur la couleur de mon pull violet.
01:04:31Sur le temps qu'il faisait.
01:04:33Enfin, je sais pas, c'est des choses hyper communes.
01:04:38Il avait dit...
01:04:40Je lui avais dit, j'ai des élèves qui demandent,
01:04:44qui me font part de rumeurs.
01:04:46Allons chercher nos élèves dans la cour, on avait échangé.
01:04:48Il m'a dit, mais tu sais, dans ça, je suis juridiquement irréprochable.
01:04:52Oui.
01:04:57Je regarde devant sans détourner les yeux et sans indulgence pour le mensonge.
01:05:02Et donc ?
01:05:04Ça veut dire quoi, ça ?
01:05:06Je supporte plus aucune rumeur, aucune injustice.
01:05:10Je ferme pas les yeux, en gros. Enfin, j'essaye.
01:05:13Je regarde devant sans détourner les yeux et sans indulgence pour le mensonge.
01:05:18Maintenant, tu peux le dire, là ?
01:05:19Maintenant, on ne les laisse pas décider pour nous.
01:05:22On ne les laissera pas décider pour nous.
01:05:24Ouais, on ne les laissera pas décider pour nous.
01:05:26Maintenant, il faut...
01:05:28J'ai un peu peur encore le soir,
01:05:30mais quand je regarde dans leurs yeux, j'en mets l'espoir.
01:05:33Allez, go !
01:05:35On va manger ?
01:05:50Josh, Nelly, Mylene, Célia, Angélique, Chloé, vous restez ici avec Chantal.
01:05:57Trois, six, sept.
01:05:59Regarde, il y a une chaise là-bas.
01:06:01Mais non, attends.
01:06:03Un, deux, trois, quatre, cinq, six. Finalement, Sabrine est là.
01:06:06Est-ce que Méliard peut se rajouter ?
01:06:08Pourquoi ? Parce que là, ça fait sept, c'est plus équilibré s'il reste là.
01:06:11Normalement, on a assez de chaises.
01:06:13Ouais, parce que là, ça va être...
01:06:20Bon.
01:06:22J'espère que vous n'allez pas être intimidés.
01:06:25Je voudrais qu'on essaye de trouver des symboles
01:06:29qui donneraient courage à ceux qui continuent à aller au collège
01:06:34et qui nous tourneraient vers l'avenir.
01:06:36Quel symbole vous proposeriez qui n'existe pas encore dans le collège,
01:06:40mais qui vous plairait ?
01:06:42Est-ce que vous avez des idées ?
01:06:44Oui, Josh ?
01:06:46Je pense que ça serait bien qu'il y en ait un sur sa salle.
01:06:47Là où il était.
01:06:49La 215 ?
01:06:51D'accord.
01:06:53Moi, si je peux proposer quelque chose, peut-être une petite plaque,
01:06:57peut-être avec un petit message dessus.
01:06:59Ça peut être sympa aussi.
01:07:03Et est-ce que vous, vous aimeriez que son nom apparaisse sur la porte ?
01:07:08Non, pas sur la porte.
01:07:10Ou à côté de la porte ?
01:07:12Oui, à côté.
01:07:14Et quelle est la différence entre sur la porte et à côté de la porte ?
01:07:15En général, quand on a un nom sur une porte,
01:07:18on sait qu'il y a quelqu'un derrière qui s'appelle comme ça.
01:07:20Donc si on a ça sur la porte, on va se demander,
01:07:23mais du coup, elle est où la personne ?
01:07:25Et que si on voit que ce n'est pas du tout cette personne-là qui est dans cette salle,
01:07:28on va se demander pourquoi c'est là.
01:07:30Je trouve que de mettre sur une porte, c'est comme si on mettait sur une tombe.
01:07:33Oui, je trouve aussi.
01:07:35Alors que sur le mur, c'est à côté.
01:07:42Et du coup, la plaque, ce serait sur la porte ?
01:07:45Non, à côté.
01:07:47Tu vois, tu as la porte.
01:07:49Ce serait peut-être Salle...
01:07:51Enfin, on ne pourrait pas dire monsieur.
01:07:53On serait obligés de dire son prénom.
01:07:55Salle Samuel Paty.
01:07:57Non, pas appeler la salle.
01:07:59Enfin, pas l'appeler comme ça, la salle.
01:08:01C'est comme s'ils voulaient renommer le collège Samuel Paty.
01:08:04À un moment donné, non.
01:08:06Notre collège, c'est le collège du Bois-d'Aune, quand même.
01:08:08Moi, je trouverais ça dommage,
01:08:10si je peux me permettre, d'appeler le collège Samuel Paty.
01:08:13Parce que pour moi, ça veut dire que, par exemple,
01:08:16si, admettons, tu parles avec quelqu'un qui te demande
01:08:19tu viens d'où ?
01:08:21Et tu lui dis, je suis au collège Samuel Paty.
01:08:23Tout de suite, la personne, elle va avoir de la pitié pour toi,
01:08:25ou elle va te demander comment est-ce que tu vas,
01:08:27est-ce que tu t'en es remise ?
01:08:29Alors que c'est pas forcément la première chose qu'on voudrait dire
01:08:32quand on dit d'où est-ce qu'on vient.
01:08:35Ouais. Parce que si on l'appelle Samuel Paty,
01:08:38lui, il a été dans le collège du Bois-d'Aune.
01:08:41Il a pas été dans le collège Samuel Paty, donc...
01:08:44Je trouve que ça... Non.
01:08:46Pas en hommage, mais c'est mieux de garder le nom où il a été,
01:08:49que de le changer.
01:08:51Mais du coup, ça serait peut-être, je pense, bien pour les élèves
01:08:56qui sont amenés à entrer dans cette salle,
01:08:58de quand même un peu changer la salle,
01:09:00pour que ça leur rappelle un peu moins le prof qu'ils avaient,
01:09:03et que ça les attriste moins aussi.
01:09:05Toi, t'aimerais qu'on efface ?
01:09:07Bah, pas effacer, mais passer à autre chose, en fait.
01:09:10Avancer. On ne l'oublie pas.
01:09:11Donc on peut mettre une plaque, comme Mayenna dit,
01:09:14sur le côté, pour lui rendre hommage,
01:09:17mais peut-être un peu modifier sa salle.
01:09:20Et est-ce que tu aurais une idée de la transformation de cette salle ?
01:09:25Je dirais, par exemple, repeindre les murs.
01:09:28Et tu proposerais des couleurs ?
01:09:31Après, moi, je suis plus dans le taupe et le blanc,
01:09:35donc il peut le moi.
01:09:37Si j'ai pu donner mon opinion, j'aurais donné une couleur
01:09:39comme jaune-pastel,
01:09:42parce que jaune, ça me rappelle le soleil,
01:09:46et le soleil, pour moi, c'est quelque chose de joyeux.
01:09:50Donc ça peut être une bonne couleur pour se rappeler de cette personne.
01:10:09...
01:10:30Vous m'avez parlé du racisme, du sexisme, du harcèlement, de l'écologie...
01:10:35Quoi d'autre ?
01:10:37Ouais ?
01:10:39-"La liberté d'expression".
01:10:40-"La liberté d'expression", OK.
01:10:43Tous ces thèmes-là, il a fallu évidemment s'engager, se livrer,
01:10:48être capable d'exposer son opinion, d'être capable de la défendre.
01:10:53Est-ce que ça a été simple pour vous ?
01:10:56Non ?
01:10:58OK.
01:10:59Baptiste.
01:11:00Pourquoi t'as écrit là-dessus ?
01:11:03Bah, parce que...
01:11:05Le drame de M. Paty, ça m'avait touché.
01:11:08Ouais.
01:11:11Est-ce qu'avant ce drame, t'aurais pu...
01:11:17Écrire ce genre de choses ?
01:11:19Bah, j'aurais pas eu toutes ces idées et ces inspirations.
01:11:22Est-ce que...
01:11:24La liberté d'expression, par exemple, c'était quelque chose qui...
01:11:27Trottait dans la tête ?
01:11:29Ou pas ?
01:11:30Bah... J'y pensais, mais...
01:11:34Pas vraiment.
01:11:39Demander aux profs de parler de la liberté d'expression,
01:11:41c'est fondamental.
01:11:42C'est fondamental.
01:11:44Parce que...
01:11:45On doit grandir avec cette ouverture d'esprit,
01:11:50ce fait de...
01:11:52D'être à l'aise sur les sujets, qu'on soit d'accord ou non.
01:11:57Mais ensuite, comment on les accompagne ?
01:12:00Quelle bille on leur donne ?
01:12:02J'ai entendu certains politiques, après l'attentat,
01:12:06dire sur des plateaux de télé,
01:12:08« Continuez à montrer des caricatures,
01:12:12continuez à parler de la liberté d'expression. »
01:12:14Bref.
01:12:16C'est très bien.
01:12:18C'est très bien.
01:12:20Mais c'est les professeurs qui sont face aux élèves.
01:12:23Et c'est les professeurs qui, ensuite,
01:12:27peuvent avoir affaire à des parents
01:12:31qui vont tout remettre en question.
01:12:33Et je pense que les accompagner
01:12:36sur des choses comme ça, c'est essentiel.
01:12:40Et puis, il y a toujours cette question de la limite.
01:12:43Parce qu'on travaille sur la liberté, les libertés,
01:12:46et les limites qu'on pose aux libertés.
01:12:48Et donc, c'est intéressant de se poser la question des limites,
01:12:51ce qu'on ne peut pas dire,
01:12:52ou comment se le dédie, ou comment se l'interdit.
01:12:55Après, sur la question de la liberté d'expression
01:12:58par rapport aux religions, par exemple,
01:13:01les limites, elles sont très claires.
01:13:02On a le droit de critiquer une religion.
01:13:04Alors, c'est parfois difficile à faire admettre.
01:13:06J'ai des élèves qui contestent, etc.
01:13:09Après, il faut toujours faire attention
01:13:10quelle est la part d'endoctrinement réel,
01:13:13quelle est la part de...
01:13:14Voilà, c'est parfois des ados
01:13:16qui ont besoin de se confronter à l'adulte,
01:13:17qui ont besoin de...
01:13:19Il ne faut pas se tromper de combat non plus de notre côté.
01:13:23Il faut se mettre à notre place, en fait.
01:13:24Nous, on est face à des adolescents.
01:13:26Et des adolescents, c'est un matériau explosif, l'adolescent, quand même.
01:13:29C'est quelqu'un qui cherche sa place,
01:13:31et c'est quelqu'un qui, pour trouver sa place, provoque le conflit.
01:13:35Et c'est normal, en fait.
01:13:36Et donc, nous, on a le devoir d'éviter le clage, de contourner
01:13:40et d'essayer de parler de tolérance.
01:13:43C'est de faire réfléchir les élèves à la question de vivre ensemble.
01:13:47On doit vivre ensemble.
01:13:48On ne s'aime pas, on est différents.
01:13:51Parfois, on se déteste, mais on doit vivre ensemble.
01:14:00Sorti d'un passé sombre, d'un passé qu'on ne veut renouveler,
01:14:04d'un nombre exorbitant de tombes,
01:14:06malgré eux, ils transportent ce boulet qui vient hanter leur nuit,
01:14:09car même dans le silence, ils entendent toujours ces cris.
01:14:12Jeux en amende atypiques.
01:14:14Beaucoup sont ceux qui n'acceptent pas mon physique.
01:14:16Durant la Covid, plus personne ne m'approchait.
01:14:18Je n'avais même plus le droit de tousser.
01:14:19Raconter des conneries à longueur de temps sur les plateaux télévisés.
01:14:22Sur Twitter, déverser leur haine en toute impunité,
01:14:25sans avoir peur de se faire condamner.
01:14:27La Terre, à quoi ressemble-t-elle ?
01:14:28La Terre, à quoi ressemble-t-elle ?
01:14:30Les combats, les guerres, les arrestations des CRS,
01:14:32à côté des milliers d'espèces qui disparaissent.
01:14:34Pour tous ces porcs derrière leur PC, affamés,
01:14:37elle a fini par se laisser tenter.
01:14:38Elle a décidé de se lancer dans un live
01:14:40dans l'espoir de se faire réconforter,
01:14:42mais le pire est arrivé.
01:14:43Beaucoup trop de préjugés sur les musulmans.
01:14:46Beaucoup trop de clichés sur les musulmans.
01:14:48Beaucoup trop d'idées sur les musulmans.
01:14:49J'en ai marre, car c'est vraiment ça tout le temps.
01:14:51Esclavage des Noirs, Juifs en Allemagne, musulmans en Chine,
01:14:54sans parler du Yémen, de la Syrie ou de la Palestine.
01:14:57Ces livres et ces pensées,
01:14:58qui sont emprisonnés, censurés, supprimés.
01:15:01Pourquoi des écrivains sont parfois contraints
01:15:03de fuir leur patrie pour avoir écrit ?
01:15:05Nous dire qu'à notre âge, on n'aurait pas le droit de choisir,
01:15:07peu importe si on doit en souffrir.
01:15:08Pour hommes et femmes, on doit rester tels que l'on est,
01:15:10comme rosé bleu pour les jouets.
01:15:12Exprimer ses sentiments, qu'on ait tort ou raison,
01:15:14sans avoir peur d'être censurés.
01:15:16Quand certains ont cette liberté, d'autres...
01:15:18Cette cohorte, en fait, qui a connu Samuel et cette histoire-là,
01:15:22ce ne sera pas des élèves avec lesquels on aura une...
01:15:26Une distance académique habituelle.
01:15:30Parce que, finalement, on avait été affectés, tous,
01:15:34ces élèves autant que nous, par quelque chose de si horrible,
01:15:39qu'on est devenus une famille, en fait, malgré tout, malgré nous.
01:15:44Et ça, ça nous reliera pour toujours.
01:15:52C'était important pour moi qu'on se dise la vérité.
01:15:55Vraiment.
01:15:57Et en fait, ça nous a rapprochés énormément avec les élèves.
01:16:01Et là, je me sens plus en confiance dans ma relation avec eux.
01:16:10J'ai l'impression de pouvoir être plus moi-même face à eux.
01:16:17Mais c'est pas fini.
01:16:20Maintenant, il y a des enquêtes qui ont lieu.
01:16:24Il y a le procès qui va avoir lieu.
01:16:27Et je pense qu'il va falloir vraiment se blinder face à tous ces événements.
01:16:35Mais le fait d'être soudés, ça va nous aider, je pense.
01:16:50Alors, c'est un texte que j'ai écrit avec vous, les élèves de 3e 1,
01:16:56en pensant à vous et en pensant à tous mes élèves et à tous mes collègues aussi.
01:17:02Dans ce collège, il y a un an et cinq mois,
01:17:06comment faisais-tu pour ne pas perdre la foi ?
01:17:09Quand se murmuraient de folles rumeurs sur toi, nous ne voulions pas y croire.
01:17:14Il y a un an et cinq mois,
01:17:17Il y a un an et cinq mois,
01:17:19en allant chercher nos élèves dans la cour,
01:17:21on avait échangé sur la couleur de mon pull violet
01:17:24et sur ceux qui n'avaient de cesse d'inventer.
01:17:27C'était un jeudi.
01:17:29Et puis les mots sont restés.
01:17:33C'est l'image sanguinolente de ton écharpe que je vois et l'odeur de l'absurde
01:17:37à jamais imprégnée.
01:17:39Maintenant, je regarde devant
01:17:41et j'entends les blagues que les élèves de tout ont gardées.
01:17:44Celle du pouce levé, et je me dis qu'elle est douce et terrible car tu l'as prononcée
01:17:49quelques heures avant d'être tuée.
01:17:52Maintenant, je regarde devant et je comprends où est notre place
01:17:55pour affronter la suite et enfin faire face.
01:17:58Maintenant, je sais opposer ma force et je sais qu'elle est là, dans leur regard.
01:18:03Car c'est là que toujours on peut voir un peu d'espoir.
01:18:15Moi, j'aime bien ma teste cette année. Elle m'aide à avancer.
01:18:20On a grandi mentalement.
01:18:22J'avoue que quand on me dit « t'es mature pour ton âge »,
01:18:26bah en fait, faut être mature dans la vie.
01:18:28Parce que si t'es pas mature maintenant, tu le seras jamais vraiment.
01:18:35C'est vrai que j'ai un peu l'impression qu'il y a un peu plus d'espoir dans la vie.
01:18:39Si t'es pas mature maintenant, tu le seras jamais vraiment.
01:18:46Maintenant, il faudrait qu'on soit plus à l'écoute, qu'on parle plus avec nos professeurs.
01:18:51Il faut plus qu'on soit directement sur les rumeurs.
01:18:55Ouais, disons qu'on devrait tous faire plus attention à ce qu'on dit nous-mêmes.
01:18:59Parce que parfois, on a besoin de « drama », de se le raconter nous-mêmes.
01:19:09Moi, je dirais que ce serait surtout de pas juger trop vite.
01:19:12Parce que j'ai vu beaucoup de personnes juger trop vite. Enfin, je sais pas.
01:19:17Après, j'ai envie de te dire, c'est une cicatrice qu'on gardera vie.
01:19:20Oui.
01:19:21C'est une cicatrice.
01:19:22C'est une cicatrice qui restera.
01:19:24Moi, j'ai une phrase.
01:19:25Oui.
01:19:26Quand tu te blesses, ça fait mal, tu vois, quand tu te touches, ça fait mal, tout ça, tout ça.
01:19:29C'est une cicatrice.
01:19:30Oui.
01:19:31C'est toujours là.
01:19:32Oui.
01:19:33Mais quand t'appuies, ça fait plus mal. Mais c'est toujours là.
01:19:35Voilà. C'est la psyche qui m'avait dit ça.
01:19:37C'est beau, ça.
01:19:38Vas-y, tu devrais l'écrire, c'est trop beau.
01:19:40Ouais.

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