Aurélien Rousseau, député socialiste - Place publique des Yvelines
Il incarne toute la richesse du mot engagement et le lien parfois complexe qu'il peut y avoir avec ses propres convictions. Ancien militant communiste, il a dirigé le cabinet d'Elisabeth Borne à Matignon, puis est devenu son ministre de la Santé avant de démissionner pour protester contre l'adoption de la loi immigration avec les voix du RN.
Élu député de la 7ème circonscription des Yvelines sous les couleurs de Place publique, il siège au groupe socialiste à l'Assemblée.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Il incarne toute la richesse du mot engagement et le lien parfois complexe qu'il peut y avoir avec ses propres convictions. Ancien militant communiste, il a dirigé le cabinet d'Elisabeth Borne à Matignon, puis est devenu son ministre de la Santé avant de démissionner pour protester contre l'adoption de la loi immigration avec les voix du RN.
Élu député de la 7ème circonscription des Yvelines sous les couleurs de Place publique, il siège au groupe socialiste à l'Assemblée.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
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00:00Mon invité incarne toute la richesse du mot engagement et le lien parfois complexe qu'il peut y avoir avec ses propres convictions.
00:07Ancien militant communiste, il a dirigé le cabinet d'Elisabeth Borne à Matignon avant de devenir ministre de la Santé.
00:13Il est aujourd'hui apparenté au groupe socialiste à l'Assemblée.
00:31Bonjour Aurélien Rousseau.
00:32Alors quand on parle d'engagement, on pense souvent d'abord à l'engagement politique, associatif, syndical.
00:37Vous, pendant longtemps, votre engagement a pris une autre forme.
00:40Vous avez été ce qu'on appelle souvent un grand commis de l'État, un haut fonctionnaire, haut service de l'État.
00:44Vous avez notamment été en première ligne pour gérer la crise du Covid en tant que directeur général de l'ARS Île-de-France, l'agence régionale de santé.
00:52On va revoir un extrait d'une de vos interventions au 20h de France 2, c'était au mois de mars 2020.
00:58Nous pensons que le pic va se situer entre 4 et 7 jours, dans 4 à 7 jours.
01:03Mais là encore, le pic, son intensité va dépendre de l'efficacité des mesures barrières, de l'efficacité du respect du confinement.
01:12Et nous, pendant ce temps, ces jours gagnés, ils nous servent à monter en puissance.
01:16On l'a vu, à transformer des lits en lits de réanimation, à amener des respirateurs, à mobiliser des soignants.
01:22C'est ça ces jours à quoi ils nous servent.
01:24Alors là, on vous voit faire de la pédagogie alors qu'on est vraiment en pleine crise du Covid.
01:28Ce duplex, vous l'avez réalisé dans des circonstances un peu particulières, je crois.
01:32Oui, absolument. On est dans le hall de la maternité des Bluets où mon fils Abel est né quelques heures après.
01:40Et donc, j'ai une veste un peu serrée parce qu'elle n'est pas à moi.
01:45On vous a donné sa veste à la dernière minute.
01:47Voilà, mais c'était très important dans ce moment.
01:51J'étais haut fonctionnaire, vous l'avez dit, mais je faisais de la politique d'une certaine manière.
01:57Vous y venez avant que j'y vienne.
01:59On considère souvent que les hauts fonctionnaires sont de simples exécutants des décisions politiques.
02:03Et ce n'est pas votre point de vue.
02:05Vous avez écrit que les hauts fonctionnaires doivent assumer que par moment, il faut prendre des décisions et qu'il y a un espace pour cela.
02:11Donc, j'y viens en tant que haut fonctionnaire pendant le Covid.
02:13Vous avez pris des décisions politiques ?
02:15Oui, j'en ai pris pendant le Covid, beaucoup.
02:19Lesquelles, par exemple, pour se faire une idée ?
02:21Par exemple, quand j'ai décidé qu'on allait faire appel aux hôpitaux privés pour monter les lits de réanimation.
02:29C'est vous, patron de l'ARS Île-de-France, qui prenait cette décision ?
02:31Absolument. Je parle avec les grands patrons de l'hospitalisation privée.
02:35Je parle avec le patron de la PHP, l'assistance publique hôpitaux de Paris, Martin Hirsch.
02:40Prioriser les vaccins vers la Seine-Saint-Denis ?
02:42Prioriser les vaccins vers la Seine-Saint-Denis, c'est toute une série de décisions politiques.
02:46Pas quand on fait ce détour, mais au sens étymologique du terme.
02:53Et puis parce que c'était ma responsabilité de prendre ces décisions.
02:58C'était ma compétence.
02:59Après, c'est vrai que, simultanément, j'ai dû en rendre compte.
03:03Alors, vous anticipez toutes mes questions.
03:06Parce qu'en prenant ces décisions, vous avez pris des risques dans une période de grande incertitude.
03:10Et donc, vous avez dû vous en expliquer.
03:12Notamment devant des commissions d'enquête parlementaire du Sénat et de l'Assemblée nationale.
03:15Comment est-ce que vous avez vécu ça, a posteriori ?
03:18Je l'ai vécu, à la vérité, assez douloureusement.
03:23Parce que j'ai trouvé qu'il y avait de la difficulté à sortir du jeu de rôle.
03:29C'est-à-dire, là, il y a des images...
03:31Parce que ça fait partie de l'exercice démocratique aussi, rendre des comptes quand on prend des décisions.
03:36Oui, mais je trouvais, moi, un biais, évidemment, rendre des comptes,
03:40un biais sur... J'incarnais la bureaucratie.
03:44Et je trouvais que ça n'était pas la réalité de ce que je vivais.
03:48Là, on voit la commission d'enquête au Sénat.
03:50Je pense, d'ailleurs, que les soignants, aujourd'hui, en Ile-de-France comme ailleurs,
03:55ils savent qu'on a vécu une expérience extraordinaire,
03:59à la fois une expérience d'une violence inouïe,
04:02mais aussi une expérience unique dans le collectif qu'on a formé.
04:06Quand je me promène en Ile-de-France
04:09ou dans ma circonscription dans les Yvelines,
04:12chaque fois que je croise des soignants,
04:14je ne dis pas que je suis applaudi sur le bord des routes,
04:16mais il y a quelque chose qu'on a vécu collectivement.
04:19Il n'y avait pas, d'un côté, les salauds de bureaucrates
04:22et, de l'autre, les héros de soignants.
04:24Vous n'avez pas seulement été au fonctionnaire.
04:26Vous avez aussi fait partie du cabinet de trois premiers ministres différents,
04:29Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, puis Elisabeth Borne,
04:31dont vous avez dirigé le cabinet.
04:33Vous avez expliqué que le cabinet, pour vous, c'est un transformateur.
04:36Il reçoit les impulsions qu'il doit faire passer
04:38en courant continu jusqu'à l'administration.
04:40Si je vous comprends bien, contrairement aux fonctionnaires,
04:43les conseillers ministériels, eux, sont de simples courroies de transmission ?
04:46Non, on peut plus que ça.
04:48En fait, on reçoit...
04:50C'est la métaphore du transformateur électrique.
04:53On reçoit des impulsions, des visions ou des contradictions,
04:57mais on doit protéger l'administration
05:00parce que pour mettre en oeuvre ces mesures,
05:02il faut de la continuité, il faut de la confiance,
05:05il faut une expression claire,
05:07des compétences qu'on demande à chacun de mobiliser.
05:11Et donc, du coup, c'est ça.
05:13Mais le cabinet...
05:14Le transformer, ça veut dire amplifier le message politique,
05:16mais pas émettre sa touche personnelle, on va dire.
05:18Si, parce qu'en même temps, vous recevez des informations
05:21venant de vos collaborateurs, de vos contacts,
05:24que vous devez passer et choisir ce que vous passez.
05:27Et c'est tout le boulot d'un cabinet,
05:29c'est de faire le tamis et de savoir ce qu'on passe.
05:32Et là, il y a une très grande part de touches personnelles
05:35pour savoir...
05:36Moi, à Matignon, je prenais, je ne sais pas,
05:38je dirais entre 60 et 100 décisions par jour
05:41et je pouvais en faire remonter à l'arbitrage
05:43de la Première ministre cinq au maximum.
05:46Donc, c'était mon analyse personnelle.
05:49Et vous, l'ancien militant communiste que vous avez été,
05:52est-ce que vous avez souffert en travaillant pour Manuel Valls
05:55en période loi-travail, déchéance de nationalité ?
05:58Est-ce qu'être une courroie de transmission
06:00sur ces sujets-là, pour vous, ça a été compliqué ?
06:03Ça a été compliqué.
06:05Je mets...
06:07Moi, je trouve toujours un peu pathétique
06:10que ceux qui, a posteriori, se présentent comme des gens moulins.
06:13J'étais dans les équipes.
06:16Si j'avais voulu partir, j'aurais pu partir.
06:21Alors, il y a une partie de sens de l'Etat
06:24qui fait qu'on reste aux commandes.
06:26Il y a une partie de plaisir.
06:28Ce mot paraît saugrenu, mais de plaisir professionnel,
06:31parce que Matignon est une machine fantastique.
06:34Et puis, moi, la règle que je me suis fixée,
06:37c'était vrai pendant la loi-travail,
06:39la déchéance de nationalité...
06:41La réforme des retraites, avec Elisabeth Borne.
06:44C'est, est-ce que j'ai été en situation
06:47d'exprimer aux autorités politiques
06:49la complétude de mon point de vue,
06:51de mes analyses, et y compris de mes critiques ?
06:54Si j'ai le sentiment de pouvoir les exprimer,
06:57et après, ce sont les autorités politiques
06:59et elles tranchent, à ce moment-là,
07:01je considère que je fais mon métier.
07:04Je fais ce pourquoi ?
07:06La fonction que l'Etat m'a confiée.
07:08C'est différent quand on est ministre.
07:10Alors, on y vient.
07:12Juillet 2023, vous basculez dans cette forme
07:14d'engagement très différente.
07:16Vous devenez ministre de la Santé,
07:18sauf que là, cette expérience a duré que 5 mois.
07:20Dès le mois de décembre, vous avez démissionné
07:22et vous avez protesté contre l'adoption
07:24de la loi immigration avec les voix du RN.
07:26Vous avez longtemps mis de côté
07:28vos désaccords politiques.
07:30Pourquoi faire de ce désaccord-là
07:32un motif de démission ?
07:34Alors, d'abord, pardon,
07:36je n'ai pas voulu protester.
07:38Il y a quelque chose, d'ailleurs,
07:40je n'ai rien dit publiquement
07:42quand j'ai démissionné.
07:44Le président de la République
07:46et la Première ministre m'avaient nommé,
07:48m'avaient fait cette confiance inouïe
07:50de me nommer ministre.
07:52Je ne vais pas, là aussi, donner de leçons.
07:54Je savais qu'il y avait un risque
07:56sur la loi immigration.
07:58Ce qui s'est passé ce mardi 19 décembre-là,
08:00c'est sans doute
08:02quelque chose d'un peu plus
08:04tellurique, tectonique.
08:06J'avais appelé ça un mur porteur.
08:08C'est-à-dire qu'aux racines
08:10de mon engagement,
08:12il y a la lutte
08:14contre le Rassemblement national,
08:16il y a
08:18le fait d'aborder
08:20le sujet de l'immigration
08:22avec d'autres mots et sur d'autres terrains
08:24que celui de la droite.
08:26Et je ne me suis pas senti
08:28de porter ça,
08:30de le porter loyalement.
08:32Ce dont j'étais sûr,
08:34c'est que je dois être loyal.
08:36C'est pas la peine de faire des petites phrases
08:38en off. Voilà.
08:40Et donc, je suis parti
08:42sans aucun doute, par ailleurs.
08:44Et dans la foulée, Raphaël Glucksmann
08:46a convaincu de vous présenter aux législatives
08:48sous les couleurs du nouveau Front populaire,
08:50face à une ancienne ministre d'Emmanuel Macron, Nadia Hay.
08:52Vous comprenez que
08:54là où votre démission a pu paraître
08:56courageuse, vous présenter comme ça
08:58sous les couleurs du camp adverse,
09:00ça puisse paraître opportuniste ?
09:02Alors, évidemment, je le comprends.
09:04Après, c'est toujours pareil,
09:06quand on refait le film,
09:08on a le sentiment que quand j'ai démissionné,
09:10c'est enchaîné avec...
09:12Quelques mois.
09:14Il y a eu une dissolution.
09:16Et ce choix politique, là,
09:18du président de la République,
09:20là, pour le coup, je peux dire,
09:22parce que j'étais plus dans des fonctions
09:24ni de conseil ni de ministre,
09:26ce choix du président de la République
09:28a créé chez moi de la colère,
09:30avec le sentiment qu'on allait tout droit
09:32vers l'ERN,
09:34et une espèce de claque
09:36sur le sujet, comment
09:38éviter ça. Voilà.
09:40J'étais sûr que seule l'Union de la gauche
09:42allait contre le RN.
09:44J'aimerais qu'on évoque ce qui vous est arrivé
09:46en 2009, pendant votre formation à l'ENA.
09:48Vous avez été atteint du syndrome de Guillain-Barré,
09:50c'est une maladie grave, auto-immune,
09:52qui peut aller
09:54jusqu'à la paralysie. Vous avez été hospitalisé
09:56pendant sept mois, dont trois mois en réanimation,
09:58et vous l'avez évoqué dans un livre
10:00avec ces mots.
10:02J'aurais sans doute dû y mourir,
10:04j'y ai recomposé des centaines de fois mon faire-part de décès,
10:06j'y suis mort, en fait,
10:08un mois, y est mort.
10:10Quel d'entre vous est mort dans cette chambre d'hôpital ?
10:14C'est difficile
10:16à dire.
10:18Sans doute une part
10:20de l'enfance, de l'innocence,
10:22le véritable
10:24passage à l'âge adulte,
10:26parce que quand vous êtes pendant quatre mois
10:30intubé, ventilé,
10:32nu, que vous ne pouvez
10:34rien faire seul,
10:36un côté,
10:38c'est-à-dire de la psychanalyse de bazar,
10:40de retour à l'enfance
10:42et à la renaissance,
10:46et puis,
10:48une part de moi, y est morte,
10:50parce qu'il a fallu laisser la place
10:52à cette maladie. Tous les jours,
10:54elle reste dans mon corps, parce que je la sens.
10:56Vous la ressentez encore aujourd'hui.
10:58Et parce que, du coup, j'ai un lien,
11:00et c'est peut-être aussi
11:02pour ça que je me suis engagé à l'ARS
11:04ou au ministère de la Santé,
11:06d'avoir un lien avec ce que sont les soignants,
11:08ce que c'est que la maladie, la douleur,
11:10le corps qui lâche,
11:12qui est très fort.
11:14On va conclure l'émission avec notre quiz.
11:16Donc, le principe, c'est que je vous propose
11:18des débuts de phrases et vous allez devoir les compléter.
11:20Trois députés à table
11:22dans un dîner de famille.
11:24Ça donne quoi ?
11:26On s'aime parce que c'est
11:28la famille et on s'envoie
11:30des petites piques parce qu'on est député.
11:32Alors, pour expliquer
11:34à tout le monde,
11:36votre beau-père
11:38et votre
11:40frère siègent
11:42à l'Assemblée, Jean-René et Pierre Cazeneuve.
11:44Donc, ça doit
11:46animer les discussions de famille.
11:48Vous n'êtes pas dans la même famille politique.
11:50Oui, mais on a tous des parcours
11:52politiques différents.
11:54Après, c'est sûr que, quelquefois,
11:56dans l'hémicycle, quand
11:58l'un ou l'autre intervient,
12:00j'imagine qu'ils ressentent la même chose que moi.
12:02C'est comment exprimer
12:04notre désaccord politique.
12:06Ma prochaine pièce de théâtre parlera
12:08de... Vous en avez écrit
12:10plusieurs, je crois, deux, c'est ça ?
12:12Non, il n'y en aura pas de prochaine.
12:14J'ai écrit un texte
12:16plus
12:18narratif, romanesque,
12:20et la figure centrale,
12:22c'est la maison de famille.
12:24C'est ce lieu que je trouve toujours
12:26merveilleux. Malheureusement, je ne suis pas Tchékov,
12:28mais voilà, la maison
12:30de famille.
12:36J'ai survécu, si je
12:38puis dire, au Covid. C'était
12:40pendant que j'étais patron
12:42de l'ARS. Il y avait
12:44quand même des morts. Il y a eu des morts,
12:46y compris dans mes équipes de l'ARS.
12:48Il y avait la peur de ne pas
12:50y arriver, et le sentiment
12:52que j'en étais en partie responsable.
12:54Donc, le soir, en rentrant chez moi,
12:56je mettais à fond
12:58Clara Luciani ou Christophe
13:00Mahé, et
13:02je décompressais, souvent
13:04en pleurant, sur le trajet, sur le périphérique.
13:06Et encore aujourd'hui,
13:08je ne peux pas
13:10écouter ces chansons
13:12sans être replongé
13:14dans ce bouillon-là,
13:16parce que je suis fait de ça
13:18aujourd'hui,
13:20et de l'aventure vécue avec toutes ces équipes.
13:22Merci beaucoup, Aurélien Rousseau,
13:24d'être venu dans Le Politique et moi.