Pour la première fois, sept secrétaires généraux de l'Elysée racontent quarante ans de vie politique française depuis les coulisses du pouvoir élyséen. Rouage essentiel du fonctionnement de l'Etat et du pouvoir politique, plus proche collaborateur du Président de la République, le secrétaire général fascine mais son rôle est méconnu. Homme de l'ombre au pouvoir étendu et à la discrétion légendaire, il est celui qui voit tout, entend tout mais ne dit rien. Une plongée acérée dans l'exercice de l'Etat à travers le point de vue du principal conseiller du Prince.
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00:00Mesdames et Messieurs, conformément à l'article 8 de la Constitution, le Président de la
00:10République, qui a nommé les membres du gouvernement, qui a nommé sur la proposition du Premier
00:14Ministre, Madame Edith Cresson, Monsieur Emmanuel Macron, Bernard Kouchner, Nicolas Sarkozy,
00:20Ministre d'Etat, Madame Simone Veil, Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Sociales, de
00:24la Santé et de la Ville, je vous remercie.
00:27Une des choses qui est triste à propos de la fonction de Secrétaire Général, c'est
00:30que pour beaucoup de gens, c'est uniquement le type qui lit sur le piron.
00:34Si c'était que ça, je ne pense pas qu'on ferait un film sur le sujet.
00:39C'est l'histoire d'un inconnu de la République.
00:42L'histoire d'un homme de l'ombre qui voit tout, entend tout, et qui le plus souvent
00:47ne dit rien.
00:48Plus proche collaborateur du Président de la République, il n'existe aucune définition
00:53officielle de son rôle.
00:54Au point qu'on le soupçonne parfois d'être un Premier Ministre bis, un vice-président
01:00non élu.
01:01Cet homme, c'est le Secrétaire Général de l'Élysée.
01:09Pour la première fois, sept secrétaires généraux ayant servi sous cinq présidents ont accepté
01:15de nous raconter les coulisses de la République.
01:19Au-delà des styles et des personnalités, leurs témoignages révèlent une autre histoire
01:23de la vie politique française depuis un demi-siècle.
01:26Vous savez, vous levez la tête, au-dessus de vous, il y a juste le Président de la République.
01:49Au nom de la France, je vous demande de répondre oui !
01:551958, la République se dote de nouvelles institutions voulues par le Général de Gaulle.
02:01Élu Président de la République, il souhaite s'entourer d'hommes fidèles pour asseoir
02:05son nouveau pouvoir.
02:06Il décide alors de faire du Secrétaire Général son principal collaborateur.
02:10Cette fonction inventée sous la Troisième République était jusqu'ici strictement
02:15administrative.
02:16Le Général résume son rôle d'un mot, le Secrétaire Général doit être au centre
02:21de tout, au courant de tout.
02:22Je dirais, pour prendre une comparaison militaire, que le Secrétaire Général est le chef d'état
02:28major sous l'autorité du commandant-chef.
02:30Au minimum, le Secrétaire Général doit être informé de tout, de tout ce que fait
02:34la machine gouvernementale, l'appareil d'État, évidemment les collaborateurs du Président.
02:39C'est une sentinelle parce qu'il protège à la fois le Président de la République,
02:46c'est-à-dire l'exercice de sa fonction, mais même sa personne.
02:48Et puis le Secrétaire Général est aussi une vigie, il doit être attentif aux alertes,
02:54il doit être attentif à l'actualité, et cela dans tous les domaines.
02:57C'est un des postes exposés de la République, moins bien sûr que celui du Président ou
03:00du Premier ministre, mais qui est sans arrêt face à des surprises, mauvaises surprises,
03:05des difficultés, des imprévus.
03:07Et donc, il faut bien dormir la nuit.
03:09Quand la porte se referme et que je m'assoie dans le bureau du Secrétaire Général, le
03:14poids qui vous tombe sur les épaules est énorme, c'est un moment écrasant.
03:20Aux côtés du Président et en liaison avec le Premier ministre, le Secrétaire Général
03:24aide d'abord à la constitution du gouvernement de la France.
03:27Il faut calmer le bal des ambitieux, gérer les départs, ou au contraire inciter telle
03:33ou telle personnalité à entrer au gouvernement.
03:36Un numéro d'équilibriste.
03:39Donc en fait, il y a toute une cuisine, mais dans le bon sens du terme, un travail de préparation
03:45qui se fait entre le Président et le Premier ministre, et aussi avec le rôle du Secrétaire
03:49Général et souvent du directeur de cabinet de Matignon.
03:51François Hollande le savait bien, quel était mon principal défaut et mes principaux centres
03:56d'intérêt lorsque j'étais Secrétaire Général de l'Élysée, et avant d'ailleurs,
04:02c'était les nominations.
04:03Ça m'a toujours passionné.
04:07Été 2014, après avoir déclaré publiquement sa proximité avec les frondeurs du PS, Arnaud
04:13Montebourg, ministre de l'Économie, est sommé de démissionnaire.
04:16La contrainte au traissement de la France, oui, bien sûr, bien sûr.
04:22Jean-Pierre Jouillet, alors Secrétaire Général de François Hollande, va jouer un rôle décisif
04:27dans la mise en orbite d'un inconnu, Emmanuel Macron.
04:32On discute de la succession d'Arnaud Montebourg, vient le nom d'Emmanuel Macron, qui avait
04:38été sollicité auparavant, mais je n'étais pas là, pour être ministre du budget.
04:46Je suis décidé déjà de vouloir être ministre du budget, il n'y a même pas de raison qu'on
04:50ne nomme pas l'économie, il connaît les entreprises par cœur, il a travaillé dans
04:55le privé.
04:56Jean-Pierre Jouillet parvient à convaincre le président et le premier ministre.
05:01La décision de nommer Emmanuel Macron à Bercy est prise dans les derniers jours de
05:05l'été, juste avant l'annonce du gouvernement d'Emmanuel Valls.
05:09Lorsque vous êtes secrétaire général et que vous annoncez une liste du gouvernement,
05:13vous l'annoncez d'un ton totalement neutre, en lisant un tout, et comme je ne suis pas
05:19toujours un homme de protocole, je n'ai pas pu résister à exprimer mon bonheur.
05:26Monsieur Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
05:34C'est une sorte de faute par rapport au protocole et par rapport aux fonctions de secrétaire
05:38général que j'ai commises, parce que ça ne se fait et ça ne s'est jamais fait.
05:42C'était lié aux relations personnelles et affectives que j'avais avec Emmanuel Macron.
05:49Après la nomination officielle, il est le premier à féliciter le jeune ministre, un
05:54inspecteur des finances, comme lui.
05:56Bon, ça va être bien, c'est quand même exaltant, à cet âge-là, d'avoir en charge
06:02l'économie, les entreprises, l'industrie, tout ça.
06:05Le numérique.
06:06Tu te rends compte, le numérique, tout ce que j'aurais aimé faire ? Je pensais quand
06:11même à l'inspection des finances être quand même le maître, maintenant c'est
06:15toi qui vas être le maître, je vais envoyer les inspecteurs vers toi.
06:20Mais tout le monde à l'Elysée n'apprécie pas autant Emmanuel Macron.
06:23Le prédécesseur de Jean-Pierre Jouyé, Pierre-René Lema, apporte un éclairage plus critique
06:28sur celui qui fut son adjoint entre 2012 et 2014.
06:34Ce qui est vrai, c'est qu'Emmanuel Macron, très tôt, prenait la lumière.
06:38J'ai tellement lu que l'équipe que je dirigeais était terne.
06:43Oui, on assumait d'être terne, mais quand par nature on n'est pas terne et qu'on
06:50prend bien la lumière, ça ressort d'autant plus.
06:53Ce qui m'agacait, c'était le fait qu'au fond, on sentait chez lui une volonté de
07:00se créer un espace de savoir et donc d'autonomie.
07:03Je trouve qu'il manque un truc, qui serait le point de fuite qu'on pourrait avoir,
07:07mais qui est, je ne sais pas si on l'assume, c'est la France 2020.
07:10Quel est mon agenda ?
07:11Et donc, au fond, le futur président de la République apprenait l'État dans toutes
07:19ses dimensions.
07:20Bon, en même temps, j'étais un peu le maître d'école qui devait dire à chacun
07:26qu'il n'était pas absurde de rester à son banc.
07:30Quelques années plus tôt, lorsque François Fillon est chargé par Nicolas Sarkozy de
07:35former un gouvernement en mai 2007, l'heure est à l'ouverture, c'est-à-dire au débauchage
07:41de personnalités.
07:42Le secrétaire général Claude Guéant est à la manœuvre.
07:50J'ai appelé un certain nombre de personnalités de gauche, comme par exemple Jean-Yves Le
07:56Drian, qui, je le rappelle, a mis quand même 24 heures à réfléchir.
08:01Donc ce n'est pas complètement fini, ce n'est pas fini.
08:04Il peut y avoir tout un système qui a été élaboré en deux jours de conversation, de
08:08rencontres, de discussions, et qui achoppe finalement parce qu'il y a quelqu'un qui
08:12a été clé, qui finalement ne veut pas rentrer, ou s'il y a tel autre, il ne va pas venir,
08:15bon.
08:17Borlau, or notre Borlau, c'est la question qui agite le landerneau politique parisien,
08:22sera-t-il homme de la situation pour Nicolas Sarkozy ?
08:26Jean-Louis Borlau était pressenti pour être garde des Sceaux.
08:30Jean-Louis Borlau était d'accord et tout d'un coup, pas d'attrape, vers 5h30 de l'après-midi,
08:35il appelle en disant « je ne veux plus être membre du gouvernement ». Donc il a fallu
08:39tout recommencer.
08:40Sur la proposition du Premier ministre, le Président de la République a nommé.
08:45Parce que c'est un équilibre entre les partis politiques, par exemple.
08:49Donc il fallait quelqu'un de la sensibilité de Jean-Louis Borlau.
08:53Le gouvernement est formé, pour le Secrétaire Général, la tâche et les difficultés ne
08:58font que commencer.
08:59Passer le moment qui dure 30 secondes, où les gens disent « je suis très honoré,
09:04je remercie le Président, remercie-le pour moi, c'est merveilleux la confiance qu'il
09:07me fait, mais c'est pas possible que telle direction échappe à mon ministère, c'est
09:11pas possible.
09:12Et puis je veux absolument prendre comme directeur de cabinet, j'ai un truc, il
09:15faut pas m'en empêcher ».
09:16Après il y a une discussion de marchand de tapis, donc mon souvenir global là-dessus
09:19c'est que c'est plutôt pénible cette phase.
09:21Pierre Berugovoy avait donné à Ségolène Royal l'occasion d'être ministre de l'Environnement,
09:31et j'ai eu un appel de Ségolène qui m'appelait pour me dire « c'est injuste pour ce pauvre
09:34François ». C'est-à-dire François Hollande.
09:43Dans la nomination au poste-clé de la République, le secrétaire général doit résister aux
09:48sollicitations et aux pressions.
09:50On se fait des ennemis quand on ne satisfait pas ceux qui sont venus vous demander un job
09:58ou un poste et qui se voient préférer quelqu'un d'autre.
10:02Chirac m'a dit un jour « avec vous, il valait mieux être socialiste qu'être de mon parti
10:09» et je me souviens lui avoir dit « on a nommé des gens de tous les partis à condition
10:15qu'ils soient bons, et on a essayé de prendre les meilleurs.
10:18»
10:19Je me souviens d'un élu ancien qui un jour était venu me voir en me disant « ça fait
10:2620 ans que je suis député, ça fait 20 ans que je fais toutes les foires au vin de ma
10:32circonscription législative, je n'en peux plus, je ne suis pas idiot, j'ai joué un
10:36rôle important au Parlement, je voudrais devenir ministre.
10:40»
10:41Bon, il l'est devenu.
10:42J'avais plus de marge et plus de responsabilité dans le choix des collaborateurs du Président,
10:48il me laissait vraiment une liberté énorme.
10:50On définissait tous les deux le profil de la personne à remplacer, je faisais une première
10:54exploration et je voulais le voir avec 4 ou 5 noms.
10:57Et je me permettais avec lui une plaisanterie dans la mesure où il était très critique
11:00sur l'École nationale d'administration, déjà, je lui disais « j'ai un excellent
11:03candidat, une excellente candidate, puis je n'en parle même pas parce qu'il sort de
11:06l'ENA.
11:07»
11:08Une chose qui m'a frappé dans ces longues périodes de nomination, c'est qu'il y a
11:11quand même des lobbies, des lobbies, que je ne nommerais pas, mais bon, qui existent.
11:16Donc c'est arrivé que je reçoive 15 coups de fil dans les deux jours, en disant « il
11:24est question de remplacer un tel, c'est une mauvaise idée, mais comment le savez-vous,
11:29je le sais, bon, tout ça.
11:31Donc c'est vrai qu'il y a dans l'appareil d'État, différents lobbies qui s'organisent
11:35à un moment donné pour protéger un tel, imposer un tel, si c'est le cas.
11:41Bon, c'est là où il faut quand même que l'État garde la capacité, les décideurs
11:45en dernier recours dans l'appareil d'État, la capacité de ne pas être trop soumis à ça.
11:52À l'Élysée, le secrétaire général est toujours le premier arrivé et le dernier parti.
11:58Chaque journée réserve son lot de surprises et de rebondissements.
12:02On ne sait jamais, quand on rentre le matin relativement tôt dans le bureau, ce qui va
12:07se passer.
12:08Parce que d'abord, l'actualité va pénétrer de manière extrêmement violente.
12:11Il y a toujours un choc qui va complètement déstabiliser la journée.
12:15L'État ne peut pas avoir 30 secondes, deux minutes, un quart d'heure pendant lesquelles
12:18il ne fonctionne pas.
12:19Je vous donne un exemple.
12:21Le soir de l'installation du président de la République, il était convenu qu'il
12:25allait saluer la chancelière allemande, madame Merkel.
12:28Il prend l'avion, elle avait organisé tout ça.
12:30Et l'avion a un problème, parce qu'il y a la foudre, la tempête.
12:35Comme vous savez, la pluie a beaucoup poursuivi l'équipe du François Hollande et François
12:41Hollande lui-même tout au long de ce quinquennat pluvieux, dont il riait beaucoup d'ailleurs
12:45lui-même.
12:46Vous avez une décision immédiate à prendre.
12:48Est-ce que l'avion continue ? Est-ce qu'il revient ? Donc, il faut donner les coups de
12:51téléphone.
12:52Il faut avoir la bonne réaction de l'état-major militaire du palais, avoir Matignon, avoir
12:58le ministère de la Défense, avoir… Vous voyez, il y a des tas d'acteurs de la vie
13:02publique.
13:03Mais c'est des additions de petites décisions qui font que l'État continue.
13:06Et le président de la République, finalement, est arrivé à bon port.
13:08L'ajout des types d'un secrétaire général de l'Élysée commence assez tôt, et à
13:13mon époque, par l'écoute des radios.
13:15Et donc, il s'agit de sauter d'une radio à une autre pour entendre notamment les éditorialistes
13:20politiques.
13:21Il s'agit de les déguyer, déguyer et de ne pas perdre le sens du moyen terme et du
13:24long terme.
13:25Donc, il faut toujours résister à la pression de l'urgence et se demander, dans les réunions
13:31qu'il faut faire, dans les décisions qu'il faut préparer, qu'est-ce qu'il y a dans
13:34une semaine, quinze jours, un mois, deux mois, trois mois, et de penser toujours à avoir
13:39cette perspective du temps long qu'on doit avoir surtout à l'Élysée et qu'on doit
13:42avoir pour préparer à la fois les déplacements, l'agenda et les choix du président de la
13:48République.
13:49Quand le président était là, j'étais entre sept heures et sept heures et quart
13:53dans son bureau et je recueillis ses directives.
13:56La journée type, c'est d'avoir tous les matins une réunion avec les principaux collaborateurs
14:02pour voir quelles sont les priorités de la journée, de la semaine.
14:06Ensuite, ce sont les différents rendez-vous, soit des ministres qui souhaitent vous faire
14:12passer des messages, soit avec des personnalités politiques ou du monde économique.
14:20Il y a des déjeuners qui sont pour moi très souvent des déjeuners de travail, soit avec
14:24quelques collaborateurs de l'Élysée ou de Matignon, soit avec des personnalités, parce
14:27qu'une des tâches du secrétaire général, c'est d'être le réceptacle de beaucoup
14:31d'informations.
14:32Avec le président, il n'y avait pas de réunion organisée, pas de réunion fixe, mais un
14:36nombre tout à fait considérable des chances d'avoir, il y a tout le flux des notes permanentes
14:40qui reviennent.
14:42Est-ce qu'il y a des observations sur la rédaction du début ?
14:46J'ai vu les corrections, on parle de la traduction.
14:49Les notes que je transmets au président me reviennent avec « vu ». Donc une des grandes
14:53tâches du secrétaire général de François Mitterrand est de devenir un décrypteur
14:56des vues.
14:57Et en effet, les vues peuvent vouloir dire des choses très diverses.
15:00« Vu » égale « merci de m'avoir informé ». « Vu » égale « vous me cassez les pieds
15:04mais par respect, je ne vais pas vous le dire ». « Vu » égale « débrouillez-vous
15:07comme vous voulez ». « Vu » égale « agissez dans le sens de la note mais avec ce qu'un
15:12proche du président appelait un feu orange clignotant ».
15:14Je faisais parvenir au président au moins une fois par jour, souvent deux fois par jour,
15:20un petit dossier, je me souviens c'était un dossier cartonné vert, pas très épais,
15:26qui exigeait qu'il soit tout de suite informé et qu'il prenne tout de suite une décision.
15:31Avec Jacques Chirac, il n'y a pas de rituel.
15:33En permanence, il va passer, revenir, repartir, vous appeler.
15:37Et donc en réalité, la salle de réunion qui est au milieu, c'est un vaste couloir
15:41où tout est ouvert et puis il est disponible.
15:43Nous nous voyons en fin d'après-midi.
15:45Ce sont des moments à la fois très utiles pour l'exécution de ma tâche.
15:49J'ai regardé un certain nombre de ces « j'ai lu » textes.
15:52La proposition que je vous ferai, monsieur le président, peut-être, c'est de faire deux types de textes.
15:55Chacun de nous, en commençant par le président, a sa liste des questions qu'il faut qu'on traite.
15:59Dans une relation de confiance assez détendue, il n'y a pas de téléphone qui sonne,
16:02il n'y a pas de gens qui rentrent ou qui sortent.
16:03Et puis, j'ai tout un travail de kalénothérapie à faire pour celles et ceux qui,
16:08pardonnez-moi l'expression, se shootent au président de la République.
16:10Et s'ils ne le voient pas régulièrement, n'en peuvent plus.
16:12Ma tâche, c'est bien difficile de leur dire ce que le président pense,
16:16à quel point ils sont formidables et à quel point leurs idées sont importantes.
16:19Ça, ça me prend, je fais un peu de kalénothérapie tous les jours
16:22pour éviter des rancœurs, voire des haines.
16:27Avec Nicolas Sarkozy, les choses changent.
16:29Le secrétaire général Claude Guéant devient l'homme des missions spéciales,
16:33au point de concurrencer Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères.
16:37En 2007, Nicolas Sarkozy s'engage publiquement à obtenir la libération
16:41de cinq infirmières bulgares emprisonnées par la Libye du colonel Kadhafi
16:45et condamnées à mort.
16:47C'est dans une cage que les cinq infirmières bulgares apprenaient leur condamnation.
16:51Accusées d'avoir volontairement inoculé le virus du Sida à plus de 400 enfants.
16:57Le feuilleton judiciaire dure maintenant depuis six ans.
17:00Je suis entré en contact avec les autorités libyennes.
17:05Ensuite, à deux reprises avec Cécilia Sarkozy, nous sommes allés là-bas.
17:10Nous avons négocié et puis nous avons obtenu la libération
17:15qui d'ailleurs jusqu'au dernier moment n'allait pas de soi.
17:18Nous avions été impressionnés par la tristesse
17:23qui était celle du visage de vos compatriotes.
17:27Ce matin, quand elles sont montées dans l'avion,
17:31leur visage a immédiatement rayonné de bonheur
17:35à la perspective de revoir leur famille, leurs amis, leur pays.
17:43Plus de dix ans plus tard,
17:45Claude Guéant lève enfin le voile sur les dessous financiers de cette histoire.
17:50Il y a eu à cette libération deux compensations.
17:54Une première compensation n'a pas été apportée par la France,
17:57mais par le Qatar qui a, au nom de l'Union européenne d'ailleurs,
18:01pour lui rendre service parce que l'Union européenne n'avait pas les moyens
18:03de mettre en place ces moyens de financement,
18:06fait une avance à la fondation Kadhafi
18:10de l'indemnisation qu'elle avait payée aux familles des enfants décédés.
18:14Et puis la deuxième compensation, ça a été la promesse
18:17dans le sillage de cette volonté de renouer d'une visite en France.
18:24L'invitation passe mal, jusqu'au sein du gouvernement.
18:27Ramaïade, alors secrétaire d'État aux droits de l'homme, s'insurge.
18:31On se retrouve avec une journée des droits de l'homme sur les bras
18:34et Kadhafi sur le tarmac d'Orly.
18:36Que Kadhafi vienne à Paris, d'accord,
18:38mais qu'on lui tienne un discours rigoureux sur la question des droits de l'homme.
18:43C'est absolument indispensable
18:44parce que la France n'est pas seulement une balance commerciale.
18:47Il fallait parfois admonester des ministres ou leur faire des reproches.
18:51Ce sont des choses que je n'aimais pas faire,
18:53parce que j'aime bien Ramaïade,
18:56mais je lui ai quand même remis à sa place.
18:59Elle était secrétaire d'État en charge des droits de l'homme.
19:02Elle n'avait pas à porter une sorte d'appréciation négative
19:07sur une décision diplomatique prise par le président de la République.
19:11Et je le dis très clairement que c'était la dernière fois
19:14et que si elle refaisait la même chose,
19:17elle ne serait plus membre du gouvernement.
19:24Pourquoi le secrétaire général,
19:27que ce soit à l'égard du collègue Kadhafi,
19:30à l'égard de Bachar el-Assad,
19:31à l'égard du roi d'Arabie saoudite,
19:33à l'égard d'autres encore,
19:35est celui qui est choisi pour faire ces missions spéciales ?
19:38C'est parce qu'il est le plus proche collaborateur du président
19:41et en quelque sorte son porte-parole.
19:44C'est lui qui traduit sa pensée,
19:47qui peut s'engager pour lui à certains égards.
19:50Et il est même plus important que le ministre des Affaires étrangères,
19:53compte tenu de cette relation personnelle.
19:57Fort de cette relation professionnelle et personnelle étroite avec le président,
20:01le secrétaire général peut parfois se transformer en gardien de sa vie privée
20:05lorsque les mystères de l'État se confondent avec les secrets d'un homme.
20:10Quand je suis nommé secrétaire général de la présidence de la République en 1982,
20:13je ne connais pas l'existence de Mazarin Pinjot.
20:15J'étais dans son bureau, deux coups de téléphone,
20:18où il appelait manifestement Anne Pinjot,
20:21la mère de Mazarin,
20:22pour convenir d'un déjeuner ou d'un dîner.
20:24Je me retirais, il me faisait signe de rester.
20:27C'est une manière de dire, je sais que vous savez et je sais que vous ne direz rien.
20:29C'était un peu avant Noël, il me dit, au fait,
20:32j'y pense, les jeux électroniques que vous m'avez montré l'autre jour,
20:35est-ce que vous pensez que ça pourrait convenir à une petite fille ?
20:37Ça y est arrivé que dans un ou deux voyages,
20:41il me demande d'aller acheter des jouets, en fait.
20:44Parce que j'ai un fils aîné qui a à peu près le même âge,
20:48mais il ne m'a jamais rien dit.
20:49On se dit, oui, c'est sa vie, où est le problème ?
20:51Ce n'est pas mon sujet, on n'a pas à s'occuper de ça.
20:55Donc je n'ai pas eu à organiser le secret, c'était autre chose.
20:58Puis la vie de François Mitton était très compartimentée.
21:01Lorsque la vie privée du président devient un enjeu politique,
21:04le secrétaire général se retrouve le témoin de situations délicates.
21:08Ce fut le cas pour Jean-Pierre Jouillet, avec Valérie Trierweiler à l'Élysée.
21:13Moi, j'étais l'homme du président à titre privé et à titre amical.
21:17Il est certain que les éléments privés ont pesé sur ce quinquennat,
21:22notamment la rupture avec Valérie Trierweiler,
21:25qui a été une des choses les plus difficiles pour lui.
21:28Sur les relations avec les compagnes du président,
21:35il s'en remettait davantage à mon épouse qu'à moi.
21:38Et il avait raison.
21:39J'ai vécu tous ces moments d'une grande intensité.
21:44C'est ce qui m'a donné cette nouvelle compagnie.
21:47Je ne sais pas si c'est ce que je vais appeler la compagnie de la vie privée.
21:51C'est la compagnie de la vie privée.
21:53C'est la compagnie de la vie privée.
21:55D'une grande intensité.
21:59Je ne ferai pas de commentaire.
22:04En mai 2007, l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République
22:08coïncide avec une période difficile de sa vie personnelle.
22:12Sa femme, Cécilia, le quitte quelques semaines après son entrée en fonction.
22:16Dans ces moments, son secrétaire général, Claude Guéant,
22:20devient le confident d'un homme blessé
22:22et celui qui l'aide à organiser la vie d'après.
22:29Il était dévasté.
22:32Absolument dévasté.
22:33Il me dit, Claude, Cécilia vient de me quitter.
22:36Et puis, ensuite, il y a eu sa vie solitaire.
22:41Il y a eu des rebondissements.
22:42Mais le secrétaire général peut aussi contribuer à la protection des secrets
22:49en tarissant la source, je dirais.
22:53Je me souviens que, quand il s'est marié avec sa deuxième épouse, Carla Bruni,
23:02troisième d'ailleurs,
23:03c'est moi qui ai organisé la cérémonie de mariage.
23:07Avec Carla, nous avons décidé de ne pas mentir.
23:11Nous ne voulons rien instrumentaliser,
23:14mais nous ne voulions pas nous cacher.
23:16Je ne voulais pas qu'on prenne une photo de moi au petit matin, glauque.
23:21Et puis, vous l'avez compris, c'est du sérieux.
23:24Il se dit, j'aimerais bien me marier à l'Élysée.
23:27Est-ce que c'est possible ?
23:28Je me souviens, j'avais convié le maire de l'arrondissement,
23:32monsieur Lebel, je me souviens.
23:34Nous avons regardé les textes.
23:36C'était juridiquement possible.
23:38Et j'ai organisé ce mariage à l'Élysée, un samedi matin, dans le Salon Vert.
23:48Le secrétaire général dispose d'une influence considérable.
23:51Mais lorsque l'homme de l'ombre sort de sa réserve,
23:54il prend le risque d'être accusé de déséquilibrer les relations délicates
23:57entre le président et le premier ministre.
24:00Ce fut le cas durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy,
24:03avec l'omniprésent Claude Guéant.
24:07J'ai été dans les fonctions de secrétaire général attentif
24:11à ce que la politique du président soit effectivement mise en œuvre.
24:15Quoi de plus normal ?
24:17Le numéro un a le droit d'être certain que sa politique
24:22est effectivement mise en œuvre par ses ministres.
24:24Je ne citais pas à tous les entretiens
24:27entre le premier ministre et le président de la République.
24:29Au début, si.
24:31Et ensuite, François Fillon a souhaité que je ne sois plus là systématiquement.
24:35Donc je venais sur demande.
24:37Peut-être était-il gêné par le fait que quelqu'un,
24:40devant le président de la République,
24:41puisse avoir des opinions différentes de celles qu'il exprimait,
24:44étant tout autant informé que lui.
24:47Rompant avec toutes les traditions,
24:49Claude Guéant intervient dans les médias
24:51pour porter la parole présidentielle en lieu et place des ministres.
24:55Une première dans l'histoire de la Ve République.
24:57Est-ce qu'en parlant ici, vous représentez le chef de l'État ?
25:00Est-ce qu'un ministre peut s'exprimer sans avoir votre aval ?
25:05Est-ce que vous avez un rôle politique de ce fait ?
25:07Oui, bien sûr.
25:08On n'avait jamais vu ça.
25:09J'étais interrogé effectivement sur la totalité du spectre
25:15de l'action gouvernementale et publique.
25:17On dit même que François Fillon, qui était Premier ministre,
25:22était capable de faire la même chose.
25:23Il avait plus d'expérience que moi.
25:24On a été un peu froissés parce que je faisais la même chose que lui.
25:30Ça, c'était à la demande express du président, bien entendu.
25:33Peut-être qu'il n'y a plus assez de place pour le Premier ministre.
25:35Comment vous, à l'endroit où vous êtes,
25:37Claude Guéant, vous percevez ces choses-là ?
25:40Le président de la République, sous la Ve République,
25:43et notamment depuis l'instauration du quinquennat,
25:47notamment depuis la coïncidence entre les élections législatives
25:50et l'élection présidentielle, est celui qui gouverne.
25:54Il a été dit souvent que notre férule était trop forte
25:58sur l'activité gouvernementale.
26:00Je dirais, avec le recul,
26:02que je regrette qu'elle n'ait pas été plus forte encore.
26:06J'observe que celles de M. Macron et de son équipe
26:10sont beaucoup plus précises.
26:12Et je crois que M. Macron a raison.
26:15Et on a bien vu, après, qu'il y avait eu, d'ailleurs,
26:18de la part de François Fillon, une sorte d'hostilité,
26:21peut-être de haine, qui s'était créée à force de couleuvres avalées.
26:28De son point de vue, je considère que j'aurais sans doute,
26:31pour l'efficacité du quinquennat de Nicolas Sarkozy,
26:35dû être plus précis encore,
26:38plus attentif dans le suivi de la politique gouvernementale.
26:42Lorsque certains de mes successeurs ont commencé à apparaître
26:45dans des émissions de radio ou de télé,
26:47j'ai eu une première réaction qui n'était pas négative,
26:50en disant, c'est au fond un personnage important, le secrétaire général.
26:54Ce n'est pas inutile qu'on découvre ce qui est simplement
26:57une silhouette porte-parole ou une ombre
27:00dans les photos prises sur le perron de l'Elysée.
27:03Mais j'ai très vite constaté qu'il leur arrivait,
27:06je ne vais pas faire de personnalité,
27:09d'aller au-delà de l'explication de ce que faisait le président,
27:12de jouer un rôle qui apparaissait comme une critique du Premier ministre.
27:16Et ça, pour moi, c'est mortel pour la République.
27:19Si vous introduisez un personnage sans légitimité,
27:23qui est le secrétaire général,
27:24quelque part entre le Président de la République et le Premier ministre,
27:28et qui, parce qu'il parle, parce qu'il donne un avis,
27:32parce qu'il annonce des décisions,
27:33viendrait parasiter cette relation du Président de la République
27:37au Premier ministre et du Premier ministre au Président de la République,
27:40je pense qu'on sort des clous du fonctionnement harmonieux des institutions.
27:44323 jours à Matignon, Édith Cresson, première femme, Premier ministre,
27:49détient le record du séjour le plus court de la Ve République.
27:51Elle y est arrivée avec pour mission de donner un nouvel élan à la France
27:55pour préparer les échéances européennes et électorales de 93.
27:59Elle s'en va, tombée au champ d'honneur de la déroute électorale socialiste.
28:02Elle s'était donnée deux ans pour réussir.
28:05Il y avait une tension réelle dans le gouvernement entre Édith Cresson,
28:08choisie par le Président Mitterrand, et les grands ministres,
28:11qui en gros ne reconnaissaient pas son autorité.
28:13Pierre Bérigauvois, Jacques Lang, Laurent Fabius, Roland Dumas, des gens comme ça.
28:17Édith Cresson a tendance à penser que l'Élysée, c'est-à-dire en clair,
28:22le secrétaire général, c'est-à-dire Hubert Védrine,
28:25soutenait les grands ministres dans leur contestation
28:28du rôle du Premier ministre, Édith Cresson.
28:30C'était assez difficile, ce qu'humainement je regrettais à l'époque et encore maintenant,
28:34parce que c'est quelqu'un de très estimable.
28:36C'était plutôt une question d'inadaptation à la fonction, vous voyez.
28:42Critiquer publiquement le Premier ministre ou l'un de ses prédécesseurs,
28:46c'est l'erreur que commet Jean-Pierre Jouyet,
28:48secrétaire général de François Hollande, en novembre 2014.
28:52Une erreur qui manque de lui coûter son poste.
28:54Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l'Élysée,
28:57et selon Le Quotidien, il lui aurait réclamé, je cite,
29:00de taper sur Sarkozy.
29:03Révélé publiquement, l'information prend la tournure d'une affaire d'État.
29:07La presse et l'opposition accusent le secrétaire général de diriger un cabinet noir,
29:12où s'organiseraient complots et coups tordus.
29:15Poursuivi pour diffamation par François Fillon,
29:18Jean-Pierre Jouyet manque de devoir démissionner
29:20pour avoir trop parlé à deux journalistes du monde.
29:24C'est pour moi l'épisode professionnel
29:29le plus douloureux que j'ai connu à titre personnel.
29:35Parce que là, j'ai eu vraiment le sentiment de m'être fait avoir.
29:41Là, je sais bien que vous m'enregistrez, je sais bien que je vous parle,
29:46mais à l'époque, je ne le savais pas du tout.
29:50François Fillon accuse son ancien ministre, Jean-Pierre Jouyet,
29:52de mentir et de comploter contre lui.
29:54Jean-Pierre Jouyet dément, puis confirme deux versions en trois jours
29:57sous la menace d'enregistrement.
29:59On voit mal comment on pourrait s'en arrêter là.
30:01Je me souviens être resté chez moi deux ou trois jours
30:05et je voyais bien que cela avait des conséquences aussi sur ma famille,
30:11sur mes enfants et tout, ce qui me peinait très fortement.
30:17Jean-Pierre Jouyet, qui est la première personnalité
30:20de la présidence de la République, a menti aux Français.
30:24Il a dit une chose, formellement, et puis il a démenti ensuite.
30:29Jean-Pierre Jouyet n'a donc pas d'autre choix
30:32que de remettre sa démission du secrétariat général de l'Élysée.
30:36J'ai songé effectivement à partir
30:39parce que je ne voulais pas gêner le président de la République.
30:42Après, j'ai suivi les instructions du président de la République.
30:47J'ai fait j'apporte un démenti, j'ai quand même mis 48 heures à le faire.
30:54Ça m'ennuyait à l'égard de François Fillon.
30:58Après, j'ai été discipliné.
31:03Jean-Pierre Jouyet est secrétaire général de l'Élysée
31:07et c'est un bon secrétaire général de l'Élysée.
31:09Je crois qu'il voulait montrer aussi, là qu'il faisait preuve d'autorité,
31:15que ce n'étaient pas les autres qui décidaient
31:17de l'arrivée ou du départ du secrétaire général.
31:22Le secrétaire général est en première ligne
31:23dans les crises qui secouent le quinquennat.
31:26Il est souvent celui qui annonce au président les mauvaises nouvelles.
31:30En décembre 2012, Jérôme Cahuzac, alors ministre du budget,
31:34est accusé de détenir des comptes en Suisse et à Singapour.
31:38Pour François Hollande, élu sur une promesse d'exemplarité,
31:42le coup est rude.
31:46Jérôme Cahuzac est notre invité ce matin.
31:48Jérôme Cahuzac, bonjour.
31:49Bonjour Jean-Jacques Bourdin.
31:50Jérôme Cahuzac, on va revenir sur cette affaire de comptes en Suisse,
31:54ces accusations de Mediapart.
31:56Évidemment, tout le monde est interrogatif et heurté.
31:59Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
32:01Donc, les autorités, c'est-à-dire le président de la République,
32:04le Premier ministre et moi, à mon niveau,
32:06on fait ce qu'on doit faire dans ces cas-là,
32:08c'est-à-dire poser la question.
32:10C'est vrai, c'est pas vrai ?
32:11Moi, j'ai eu Cahuzac au téléphone, Jérôme Cahuzac.
32:13Je lui ai dit, écoute, qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
32:16C'est vrai, c'est pas vrai ?
32:17Les yeux dans les yeux.
32:20Est-ce que vous avez eu un compte en Suisse ou pas ?
32:22Je n'ai pas, je n'ai jamais eu de compte en Suisse, Jean-Jacques Bourdin.
32:26À aucun moment ?
32:27À aucun moment.
32:29Et la réponse apportée aux autorités françaises par la Suisse
32:34permettra, je l'espère, et très vite, et le plus vite serait le mieux,
32:37d'en finir avec ces saletés.
32:40Donc, il dit à l'ensemble des autorités, et modestement à moi,
32:44que tout ça n'est pas vrai, que tout ça n'est juste pas vrai.
32:48Le ministre a dit lui-même devant le Parlement,
32:51je ne sais plus quelle était la phrase, mais disant,
32:52mais c'est pas vrai, c'est pas vrai.
32:55Je dément catégoriquement les allégations contenues sur le site Mediapart.
33:00Je n'ai pas, monsieur le député, je n'ai jamais eu de compte à l'étranger,
33:05ni maintenant, ni avant.
33:06C'est un moment terrible qu'un ministre ait pu dire à la représentation nationale
33:12et au président quelque chose qui n'était pas vrai.
33:15On était deux, trois dans le bureau du président de la République,
33:17il était blessé, il était furieux et blessé, vraiment.
33:21Il y a des silences qui, chez François Hollande,
33:25parlent plus que beaucoup de mots.
33:28Moi, ça reste une blessure, cette histoire.
33:30Ça reste une blessure, à la fois personnelle et fonctionnelle.
33:38Et je me suis beaucoup posé la question de savoir,
33:41est-ce qu'on aurait pu savoir ?
33:44Est-ce que j'ai failli quelque part ?
33:47Est-ce que j'aurais pu ?
33:48Et moi, j'ai été très exaspéré par une partie, évidemment, de la classe politique à l'époque
33:53qui disait « Ah oui, mais il devait le savoir, c'est pas possible qu'il ne le sache pas.
33:59Si on l'avait su, on aurait mis fin à ça tout de suite. »
34:09Clichy-sous-bois s'est de nouveau embrasé.
34:13Il est 21 heures quand plusieurs centaines de jeunes
34:15commencent à provoquer les forces de l'ordre.
34:19Quand il y a eu la crise dans les banlieues,
34:20tout dans ce sujet me prenait aux tripes.
34:24Je suis un enfant de l'immigration, mon père n'est pas né français.
34:29En revanche, il a réussi très, très, très vite grâce à la méritocratie française.
34:35Il était d'origine tunisienne, ma mère d'origine marocaine.
34:39La question qui était posée à travers cette révolte, c'est
34:42qu'il y a un mur de vertèles qu'on n'est plus capable de passer à travers.
34:47Donc je sentais bien à la fois la dimension affective des choses
34:51et ce qu'il y avait de vrai dans l'expression de cette colère-là.
34:58Il y a une première parole qui est ratée.
35:01Il descend, il fait noir, il dit des mots qui ne sont pas suffisants.
35:06Tout ça donne une impression d'impuissance dans le clair-obscur et ça ne marche pas.
35:10Aujourd'hui, la priorité absolue, c'est le rétablissement de la sécurité et de l'ordre public.
35:19Et puis il y a un moment, il y a la prise de parole qu'il faut et avec les mots qu'il faut
35:25quand il dit en réalité ce que les gens attendent derrière l'explosion,
35:30c'est-à-dire un message affectif, vous êtes tous les filles et les fils de la République.
35:36C'est dans les mots et les regards.
35:40Avec le cœur et dans les faits que se marque le respect auquel chacun a droit.
35:49Et je veux dire aux enfants des quartiers difficiles,
35:55quelle que soit leur origine, qu'ils sont tous les filles et les fils de la République.
36:05On n'imagine pas la puissance de la parole présidentielle
36:09quand un président de la République dit quelque chose,
36:11ça doit être des mots qui sont bien décidés, bien choisis, bien réglés
36:15parce que la puissance de feu est immense.
36:18Et ce n'est pas seulement des mots, les mots du président ont une valeur qui est politique.
36:23Vous prenez par exemple pour Jacques Chirac le discours du Val-d'Yves,
36:26son impact en termes de capacité à apaiser une blessure historique profonde
36:33qui continue à faire souffrir la société est immense.
36:36Protéger le président, c'est l'obsession du secrétaire général.
36:42Mais quand la maladie frappe le chef de l'État, des questions nouvelles se posent.
36:46Comment faire face aux rumeurs et à la vacance possible du pouvoir ?
36:51Dès que François Mitterrand est élu, il y a des rumeurs qui tournent autour d'un cancer.
36:56Le temps de santé tous les six mois,
36:57c'est déjà un rythme accéléré par rapport à mes prédécesseurs.
37:04D'un autre côté, je ne peux pas passer mon temps à me promener dans la rue,
37:09la poitrine nue avec un stéthoscope chirurgique,
37:16un instrument pour mesurer ma tension qui est excellente,
37:19sous le signal 12-8, ça ne bouge jamais.
37:21Je prends cela, nous prenons ça comme des offensives de gens qui veulent déstabiliser le pouvoir.
37:27En réalité, on le sait maintenant, le président avait, dès le début du septennat,
37:32peut-être même avant un cancer,
37:33d'ailleurs, le président avait institué l'idée de publier des bulletins réguliers,
37:36mais qui étaient des bulletins trompeurs.
37:38Moi, je n'ai rien appris de sérieux, de valable, avant d'être secrétaire général, en fait.
37:44Rien avant.
37:45Les seuls qui savent, c'est le docteur Gubler, son médecin personnel et Michel Charas.
37:50Je ne crois pas que Jacques Attali soit au courant, en tout cas pas à l'époque,
37:52moi je ne le suis pas non plus.
37:53Il a été pratiqué tout un bilan pour ne laisser aucune zone d'ombre,
37:57le président le souhaitait, ça a été fait, et les conclusions sont parfaitement satisfaisantes.
38:03Nous vivons avec François Mitterrand tous les jours, on voyage avec lui,
38:07j'ai dû faire plusieurs tours du monde avec lui,
38:09et il nous éreinte par sa résistance physique.
38:17Donc l'idée que ce Mitterrand-là qu'on connaît, ce président, soit malade de quoi que ce soit,
38:22a fortiori une maladie grave, c'est complètement absurde.
38:25Donc il est arrivé que quelques ministres navards se répandent partout,
38:29en disant « il va mourir, je l'ai vu ».
38:31Le service de presse de l'Élysée était submergé d'appels en disant « pourquoi vous ne dites pas qu'il est mort ? ».
38:35Choquant du point de vue de la démocratie,
38:38compréhensible du point de vue de quelqu'un qui est attelé à cet âge historique,
38:41mais choquant du point de vue de la démocratie, pas spécialement choquant à l'égard de moi, oui.
38:44C'est quelque chose qui serait totalement impossible aujourd'hui, et d'un certain point de vue, tant mieux.
38:51Jacques Chirac est en bonne forme,
38:53c'est la déclaration du Premier ministre qui quitte à l'instant le chef de l'État hospitalisé au Val-de-Grâce depuis hier.
38:58Jacques Chirac, victime d'un léger accident vasculaire qui a occasionné un trouble de la vue,
39:03la classe politique dans son ensemble lui souhaite un point en rétablissement.
39:07Moi je suis fils de médecin, je connais très très bien les hôpitaux,
39:09c'est-à-dire qu'il n'y a pas une caisse de résonance plus importante qu'un hôpital.
39:15Tout ce, c'est le diagnostic, il est su à la seconde.
39:18La règle, c'est pas de communication progressive, on dit tout, tout de suite.
39:22On n'a strictement rien caché.
39:26Je l'aurai jamais laissé faire pour une raison assez simple, c'est qu'en matière médicale, rien ne se cache.
39:32Les hôpitaux sont des passoires totales, personne n'est plus bavard qu'un médecin.
39:38Si on avait commencé à dire, c'est pas ci, c'est pas ça, etc., c'était fini.
39:43Je commençais à avoir hâte de sortir, ça c'est un fait.
39:48Je commençais à trouver le temps long, surtout à l'heure du déjeuner,
39:52que je suis très content maintenant d'aller prendre.
39:55À cet instant, le temps où Jacques Chirac regardait devant lui son avenir s'est arrêté.
40:03C'est là aussi la fonction du secrétaire général.
40:07Tu es le gardien des derniers moments du président.
40:11J'irai jusqu'au bout et je m'ouvrirai l'estomac pour que ça se passe bien et que ça se finisse bien.
40:19La fin approche.
40:21Bientôt l'Elysée se videra, le téléphone ne sonnera plus, les conseillers s'en iront.
40:27Dans ces derniers instants, le secrétaire général est le compagnon du crépuscule.
40:33C'est assez simple et en réalité assez mélancolique.
40:37Le président de la République présidait une remise de décoration, comme ça arrive souvent.
40:42Après la remise de décoration, on entend bien bruit.
40:46C'est ce petit monde de l'Elysée.
40:48Le président de la République doit faire une déclaration télévisée dans un studio qui est le studio de l'Elysée.
40:55Un vieux studio un peu sinistre.
40:58Mes chers compatriotes, je m'adresse à vous ce soir pour vous faire connaître la décision que j'ai prise
41:04dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.
41:07Il m'avait informé un mois auparavant qu'il ne souhaitait pas se représenter.
41:13Il ne souhaitait pas se représenter.
41:15En tant que secrétaire général, je lui écoute.
41:19Tu n'es pas obligé de le dire maintenant.
41:23Et tu fais comme les autres présidents sortant sous la Vème République.
41:28Tu attends le mois de janvier.
41:30Et je regrette fortement qu'il n'ait pas suivi mon conseil.
41:35J'ai décidé de ne pas être candidat à l'élection présidentielle.
41:40Au renouvellement donc de mon mandat.
41:42Je tenais ici à vous en faire part directement.
41:46Comme je m'y étais engagé.
41:48Dans ces moments-là, ou comme dans les moments les plus graves,
41:53François Hollande est extrêmement pudique.
41:56Et s'exprime peu.
41:58Et il reste très silencieux.
42:01Et cela reste à l'intérieur de lui-même.
42:06Mes chers compatriotes.
42:08Vous l'imaginez.
42:10C'est avec beaucoup d'émotion que je m'adresse à vous ce soir.
42:16Il vient le moment où il faut qu'il dise aux Français qu'il s'en va.
42:21Je voulais qu'il dise aux Français qu'il les aimait.
42:24Pas une minute.
42:26Je n'ai cessé d'agir pour servir cette France magnifique.
42:30Je n'ai cessé d'agir pour servir cette France magnifique.
42:34Et qu'il prononce la phrase.
42:36Cette France que j'aime autant que je vous aime.
42:40Cette France que j'aime autant que je vous aime.
42:43Pendant des jours, il a refusé et il a biffé.
42:47C'est-à-dire qu'on a fait plein de versions de ce texte qui était évidemment important.
42:51Et donc, ça allait, il l'enlevait, je lui remettais.
42:56C'est au moment où je lui ai dit, écoutez, je ne vous demanderai qu'une seule fois de me faire confiance.
43:02Mais faites-le sur cette phrase-là.
43:05Et il a fini par le dire.
43:17Il était à Chamalières.
43:19Donc, je l'ai appelé à 16h et je lui ai dit qu'il allait être battu.
43:23Et il m'a dit, j'en ai eu l'appréciance en regardant voter à Chamalières.
43:28Il m'a dit, il faut que la transition se passe de manière exemplaire.
43:32Ainsi que ça doit être dans une démocratie.
43:44Quand il y a des soirées électorales, on installe un poste de télévision dans une pièce.
43:48Là, c'était le poste de télévision dans mon bureau.
43:50Et Nicolas Sarkozy fait son discours.
43:52Et ne prononce pas le nom de Jacques Chirac.
43:55Et à ce moment-là, je le regarde.
43:57Et là, je vois le visage qui devient une statue de pierre.
44:03On voit bien la souffrance extrêmement profonde de cet instant.
44:10On était dans son bureau.
44:12Il y avait pour lui quelque chose d'irréel de voir son ancien collaborateur
44:17être devenu aussi indépendant et accéder à ses responsabilités.
44:25Comme je connaissais le nouveau président et son époux,
44:29j'étais heureux qu'il soit élu et heureux pour lui qu'il soit élu.
44:39C'est très très simple, ça ressemble à la mer qui se retire.
44:43D'un seul coup, le téléphone cesse de sonner.
44:46Les visiteurs ne viennent plus.
44:49Les commandeurs n'ont plus rien à obtenir.
44:52Donc il s'installe un calme qui était inconnu jusque-là.
44:56Après, le secrétaire général a une grosse tâche qui est de recaser les gens.
45:00François Mitton l'a demandé à plusieurs reprises.
45:02Il ne pensait pas qu'à lui.
45:04Est-ce que vous êtes occupé d'un tel et un tel ou une telle ?
45:06Il faut qu'il ne soit pas en l'air.
45:08Après, il y a tout un travail qui prend pendant plusieurs semaines à la fin, les recaser.
45:12Après, il y a une sorte d'attente.
45:14Les gens se parlent, tu vas faire quoi après ?
45:16C'est ça l'ambiance, vous voyez ?
45:18C'est un peu surréaliste, mais ce n'est pas très politique.
45:24En réunissant pour la dernière fois le secrétariat général,
45:28je leur ai dit, j'aurais aimé vous dire que MacArthur, nous reviendrons.
45:33Mais j'en suis pas sûr.
45:42Jacques Chirac, c'est comme dans la chanson de Lama,
45:44et même au bord des larmes, il vous fera croire qu'il s'en fout.
45:51À la fin de la présidence de François Hollande,
45:53Jean-Pierre Joulier bénéficie d'une position exceptionnelle.
45:56À la fois meilleur ami du président de la République
45:59et très proche de son successeur Emmanuel Macron,
46:01il vit la transition de manière singulière.
46:04Le nouveau président est quelqu'un que je connais bien,
46:09avec qui je m'entends bien,
46:12et je vois beaucoup de gens qui viennent me voir,
46:15je ne me suis pas ennuyé,
46:18pour avoir de nouvelles responsabilités avec le nouveau président.
46:24C'est ce qui a animé le plus ma fin de mandat à l'Élysée.
46:31Alors que le président sortant s'apprête à céder la place à son successeur,
46:35le secrétaire général remplit sa dernière mission,
46:38organiser la passation de pouvoir et assurer la continuité de l'État.
46:44Ça s'est passé très très bien, j'ai vu Alexis,
46:47que je connaissais depuis longtemps parce que j'avais recruté au Trésor.
46:50Puisqu'il n'y avait pas de première dame,
46:52c'est mon épouse qui a accueilli Brigitte Macron à l'Élysée.
46:58Comme souvent, c'est sans doute ma femme qui a joué un plus grand rôle.
47:02C'était de mon devoir d'accueillir monsieur François Mitterrand.
47:06Je lui ai dit que le président voulait s'entretenir en tête à tête avec lui
47:10pour lui parler d'un certain nombre de choses secrètes, il m'a dit oui.
47:18On voit sur des photos, il y a François Mitterrand qui est là,
47:21je suis à côté, légèrement en retrait,
47:24on est complètement flottant en fait.
47:26Le dernier jour, pour moi qui suis là depuis le 21 mai,
47:29qui est passé quand même à cette époque-là,
47:32les trois quarts de ma vie avec Mitterrand, d'une façon ou d'une autre.
47:36C'est un rêve cotonneux un peu.
47:42Il y a la grande salle de réception de l'Élysée
47:45où le grand chancelier va introniser le nouveau président de la République.
47:50Donc je vois la grande salle,
47:53où il y met le nouveau président de la République.
47:55Donc je vois la porte entrebâillée, mais je ne passe pas derrière
47:58pour partir par l'entrée secondaire.
48:01Mais voilà, à ce moment-là, je suis redevenu moi-même.
48:10Ce que j'ai retenu, c'est qu'il n'est jamais facile non plus
48:15de travailler avec son ami le plus proche.
48:18Parce qu'il ne faut pas confondre les deux,
48:22ce que faisait très bien le président,
48:25et que pour celui qui est le secrétaire général,
48:29surtout lorsqu'il a, ce qui était mon cas, un tempérament affectif,
48:39vous avez du mal à distinguer ce qui est professionnel de ce qui est affectif.
48:47Et ça, j'avoue que je n'ai jamais su le faire,
48:53et que maintenant, je crains que ce n'est pas aujourd'hui que je vais changer.
48:59Dans les toutes dernières semaines de la présidence de François Mitterrand,
49:03il y a une sorte de soulagement qui commence à apparaître en disant
49:06« il a tenu bon, on a tenu bon ».
49:10Et puis François Mitterrand part pour s'arrêter rue de Solferino,
49:15où est à l'époque le siège du Parti Socialiste.
49:18C'est incroyable, c'était une épopée, une aventure, c'est fini, c'est fini.
49:25Vous voyez, il y a un espèce de tristesse douce par rapport à ça.
49:33C'est le temps des adieux et du retour à la vie ordinaire.
49:36Hier, au sommet de l'État, le secrétaire général redevient un homme parmi les hommes.
49:42Quand je suis rentré chez moi, je n'ai pas eu un sentiment de soulagement.
49:47Je me suis dit, à 19h, j'appelle le président,
49:53je vais lui donner mon point de vue sur ce qui s'est passé aujourd'hui,
49:58et je vais lui dire comment ça s'est passé sur le marché de l'échange,
50:02puisque c'est une chose qui l'intéresse toujours, c'est l'ancien ministre des Finances,
50:06et c'est ce que j'ai fait.
50:08Pendant des semaines, je lui ai téléphoné tous les soirs.
50:12Il faut gérer l'atterrissage en douceur, il ne faut pas forcer les choses.
50:16Quand tout s'arrête, quand le parapluie du président de la République n'est plus là,
50:21parce que la fonction s'est terminée, vous êtes ramené à vous-même.
50:25Et là, il y a quand même un choc assez considérable pour des raisons physiques, physiologiques, hormonales.
50:32Tu es bourré d'adrénaline, tu ne bascules pas dans une nouvelle vie comme ça.
50:37Il faut des mois pour passer le pic, qui est le pic de la dépression physique,
50:44et puis ensuite, pour passer d'une vie à une autre.
50:48C'est vrai que le secrétaire général est aussi, par définition même,
50:53quelqu'un qui ne trahit pas le président, ni pendant qu'il est en fonction, ni après.
50:58Quand au fond, la vocation qui est la vôtre depuis tout petit, c'est de servir la République,
51:05vous avez peu d'occasions de servir comme ça, la République.