"Quelqu'un que je ne connais pas, qui habite aux États-Unis, que je rencontrerai jamais, il va tomber sur ce livre et il va l'acheter. Je trouve ça dingue !"
BRUT BOOK. À 28 ans, elle a publié "Mon mari", son premier roman. 2 ans plus tard et 300 000 exemplaires écoulés, son livre est désormais traduit en plusieurs langues : Maud Ventura n'en revient toujours pas. Mais comment ça se passe quand un livre est adapté à l'étranger ? Elle raconte.
BRUT BOOK. À 28 ans, elle a publié "Mon mari", son premier roman. 2 ans plus tard et 300 000 exemplaires écoulés, son livre est désormais traduit en plusieurs langues : Maud Ventura n'en revient toujours pas. Mais comment ça se passe quand un livre est adapté à l'étranger ? Elle raconte.
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Art et designTranscription
00:00Ça, c'est la version italienne.
00:02Ça, c'est la version anglaise.
00:03Et ça, c'est la version américaine.
00:05C'est beaucoup plus vif...
00:08Enfin, vif...
00:10C'est très différent.
00:11C'est très américain.
00:12Je ne sais pas comment le dire.
00:13J'ai l'impression que vous l'aimez moins que la couverture française.
00:18Alors, en fait, je ne sais pas si c'est vraiment le terme de aimer ou pas aimer.
00:24C'est tellement surprenant, en fait, que le même texte, plus ou moins,
00:28et différents emballages.
00:29Déjà qu'un texte ait une image associée...
00:32Enfin, moi, ça a été un bouleversement.
00:34Et même ma couverture française, que j'adore,
00:36au début, je me suis dit, mais...
00:38Waouh, il y a une femme rouge sur la couverture.
00:40J'ai donné tellement tout mon cœur à ce livre.
00:42C'est une partie de moi.
00:43Eh bien, d'un coup, elle a une couverture, un code bar, un prix,
00:46et elle est disponible dans des supermarchés au Texas.
00:49Quelqu'un que je ne connais pas, qui ne parle pas ma langue,
00:52qui habite aux États-Unis, que je ne rencontrerai jamais
00:54dans une ville où j'irai jamais,
00:56eh bien, il va tomber sur ce livre et il va l'acheter.
00:58Et je trouve ça dingue et c'est vraiment...
01:01Vraiment, ça me fait bugger.
01:02Je m'appelle Maud Ventura et j'ai écrit un livre qui s'appelle Mon mari.
01:06Mon mari, c'est l'histoire d'une femme qui est follement amoureuse de son mari.
01:10Et ça tourne à l'obsession dévorante et à la folie.
01:14Ce livre, c'est mon premier roman.
01:16Il est sorti en 2021 et il est sorti cet été en format poche.
01:21Et il est sorti aussi dans d'autres pays.
01:23Oui, c'est ça. Il est sorti dans d'autres pays aussi.
01:25On va en parler.
01:26Ouais.
01:27Quand un livre est traduit à l'étranger, souvent, c'est un système d'enchères.
01:31Donc, la personne dans ma maison d'édition
01:33trouve un éditeur intéressé, par exemple aux États-Unis.
01:36Et là, il recontacte toutes les maisons d'édition aux États-Unis
01:39potentiellement intéressées en disant, OK, les enchères commencent.
01:42D'ici lundi prochain, les droits seront vendus.
01:45Qui dit mieux ?
01:46Et chaque éditeur fait son offre.
01:48Alors, c'est une offre à la fois financière,
01:50mais souvent, elle est accompagnée d'une note d'intention.
01:53Donc, une page Word où l'éditeur dit pourquoi il veut publier le texte
01:59et pourquoi avec lui, ça sera vraiment génial.
02:01Et quelle est sa vision du livre ?
02:03Et donc, mon éditrice américaine,
02:05on a eu plusieurs offres pour les États-Unis.
02:07Et donc, je regarde les différentes propositions.
02:09Je regarde évidemment la proposition financière, mais pas que.
02:12Je regarde la note d'intention.
02:13Et donc, la plupart des éditeurs américains me disaient,
02:16j'ai adoré ce livre, il est super.
02:18On voudrait le publier aux États-Unis.
02:19On serait ravis, etc.
02:21Et là, j'ai une éditrice américaine qui me dit,
02:24j'ai adoré votre livre.
02:25En revanche, si vous venez avec moi,
02:27il faudra retravailler le livre légèrement
02:30parce que le public américain est différent du lectorat français.
02:34Moi, je suis assez curieuse.
02:36Et donc, une éditrice qui me dit, j'ai beaucoup aimé votre livre,
02:38mais j'aurais quelques grands changements à y apporter
02:41pour toucher le public américain.
02:43Mais moi, ça a piqué ma curiosité.
02:44Et donc, j'ai choisi cette éditrice.
02:47Et du coup, la réécriture, ça consistait en quoi ?
02:50Alors, ce qu'elle m'a dit, c'est notamment le début du livre.
02:53Elle disait, votre livre, il met peut-être trop de temps à commencer,
02:57alors qu'un lecteur américain a besoin que dès les 5 premières pages,
03:02ça commence du tonnerre et prendre le lecteur dès le début
03:07pour vraiment l'inciter à tourner les pages.
03:09Donc, on a besoin vraiment d'un début marquant
03:10où dès les premières pages, il se passe quelque chose de fort.
03:13Et donc là, elle m'a proposé de prendre un extrait du livre
03:16qui était à la fin du livre, dans le dernier chapitre,
03:18de le remettre au début pour créer un espèce d'effet d'attente.
03:22Donc, le texte en français aux États-Unis n'est pas tout à fait le même.
03:25Aux États-Unis, il commence par ce qu'on appelle une prolepse,
03:27donc un espèce de flash de ce qui va se passer à la fin du livre.
03:32Ça commence par ce mari qui dit à cette femme,
03:35écoute, il faut qu'on parle, je crois vraiment qu'il faut qu'on parle.
03:38Et là, la femme se dit, mince, qu'est-ce qu'il va me dire ?
03:40Il va me quitter, qu'est-ce qui se passe ?
03:41Et là, le livre commence une semaine plus tôt, lundi, mardi, mercredi.
03:45Donc, dès les premières pages, il y a du suspense et on se dit,
03:48qu'est-ce qui va se passer ?
03:49Ça m'a fait penser aux séries américaines que je peux regarder
03:51où effectivement, dès les cinq premières minutes de la série,
03:54il faut qu'il se passe quelque chose, qu'il y ait eu un accident,
03:56qu'il y ait eu un effet d'attente.
03:59Et vraiment, c'est un peu une quête du suspense à tout prix.
04:02Donc, ça m'a fait sourire.
04:03Je me suis dit qu'effectivement, c'était très américain.
04:06Et en même temps, je me suis dit que moi, en tant qu'écrivaine,
04:08j'avais quelque chose à apprendre de ça.
04:10Et mon but, c'est de garder mon lecteur de la première à la dernière page.
04:13Donc, vraiment, je trouve que c'est une bonne école
04:15et donc, c'était très intéressant.
04:17Et en plus, je crois vraiment au métier d'éditeur
04:19et je pense que l'éditeur connaît son lectorat.
04:22Je ne suis pas américaine, je ne vis pas aux Etats-Unis.
04:24Elle est éditrice, elle connaît bien ses lecteurs aux Etats-Unis.
04:27Donc, je lui fais confiance.
04:28J'ai lu quelque part que c'était à peu près 2% des livres écrits en français
04:32qui seraient publiés aux Etats-Unis.
04:342% qui inclut Proust, Balzac et tous nos classiques.
04:37Donc, c'est vraiment très rare, alors que l'inverse n'est pas du tout vrai.
04:41Il y a beaucoup de livres américains qui vont être traduits en France.
04:44Donc, déjà, avoir son texte qui arrive aux Etats-Unis,
04:48c'est phénoménal, c'est impensable et c'est champagne, j'ai envie de dire.
04:54Alors, il y a un truc qui est marrant, c'est que l'héroïne de votre livre,
04:56mon mari, elle est traductrice.
04:59C'est son métier dans le livre.
05:01Oui, c'est vrai.
05:03Du coup, quand vous, vous avez été confronté pour de vrai
05:06avec les traducteurs et les traductrices de votre ouvrage,
05:10je voudrais que vous me racontiez un petit peu comment ça s'est passé,
05:12par exemple, pour la version traduite en anglais.
05:16Alors, c'est mon édrice américaine qui a choisi une traductrice
05:19avec qui elle voulait travailler depuis longtemps.
05:22C'est une traductrice primée, reconnue.
05:25Elle se disait, c'est le moment, on va enfin pouvoir travailler ensemble.
05:29Et donc, elle lui a confié mon texte.
05:30La traductrice a proposé une première version et ensuite, j'interviens.
05:34J'ai tout relu et mis des commentaires dans la marche sur Word
05:38en disant, est-ce que vraiment, c'est ça qu'on veut dire ?
05:41Et en revoyant un peu chaque détail.
05:45Est-ce qu'il y a des exemples de passages du livre, mon mari ?
05:49Des exemples qui ont été un peu compliqués à traduire ?
05:52Oui, je pense à un exemple en particulier.
05:55À un moment dans le roman, mon personnage principal dit,
05:57je n'aime pas vraiment le mercredi.
05:59Le mercredi, c'est le jour des enfants.
06:02Et ma traductrice américaine a mis point d'interrogation dans la marge
06:06et elle m'a envoyé un mail en disant, mais pourquoi le mercredi
06:09et le jour des enfants ?
06:09Je ne vois pas le rapport entre le mercredi et les enfants.
06:12Et c'est vrai qu'en tant que Française, pour moi, le mercredi,
06:16dans mon souvenir, je n'allais pas à l'école le mercredi
06:19quand j'étais à l'école primaire.
06:20Et donc, j'ai associé le mercredi à un jour où on s'occupe plus des enfants.
06:24Mais aux États-Unis, ce n'était pas du tout clair et pas du tout évident.
06:27Comment vous avez fait du coup pour le traduire ?
06:28Eh bien, je ne sais plus.
06:31Ah oui, ce qu'on a fait, c'est qu'on a rajouté un peu une explication
06:34en disant, je n'aime pas le mercredi.
06:37Le mercredi, c'est le jour où je dois m'occuper de mes enfants
06:39parce qu'ils ne vont pas à l'école.
06:41Et donc, le mercredi, etc.
06:42Donc, à chaque fois, on réexplique un peu le contexte pour pouvoir le traduire.
06:46Mais c'est dans le texte lui-même, ce n'est pas en notes de bas de page.
06:48Non, non, c'est dans le texte lui-même.
06:50Dans les éditions étrangères, le personnage reste Française.
06:53Oui, exactement.
06:54Et c'est important qu'elle le soit parce que dans toute sa psychologie,
06:58elle est Française.
06:59Et je ne me suis pas rendue compte à quel point mon personnage était Français
07:04avant qu'il soit traduit dans le monde entier.
07:08Et notamment, mon étrice américaine me dit
07:10mais elle est tellement Française, ton personnage.
07:12Je lui dis, mais ah bon, pourquoi ?
07:14Elle dit parce qu'elle va faire ses courses au marché,
07:16parce qu'elle achète des fleurs pour aller à un dîner.
07:18Enfin, plein de petits détails qu'on ne remet pas forcément en question
07:22quand on a vécu en France toute sa vie.
07:23Il n'y a pas eu la tentation de changer ça et de faire une Américaine
07:26pour plaire davantage au public américain ?
07:28Non, justement, parce que les Américains, je l'ai découvert,
07:30sont fascinés par les Françaises.
07:32Et donc, au contraire, ils trouvaient ça très, très glamour.
07:35Donc, au contraire, elle disait tant mieux qu'elle soit très Française.
07:38J'imagine que vous avez eu des interviews avec des journalistes américains.
07:40C'était quoi, leurs questions ?
07:41Les journalistes américains, leurs questions, c'était beaucoup plus sur moi,
07:45beaucoup plus sur l'intime, beaucoup plus peut-être sur le storytelling.
07:49Ils voulaient savoir dans quel contexte j'allais écrire ce livre,
07:52si j'étais toujours en couple avec la personne dont parlait potentiellement ce livre.
07:57Les Américains allaient vraiment chercher l'histoire et l'intime.
08:01En Italie, les journalistes vont vouloir me faire parler de politique.
08:05Ils vont vouloir avoir ma prise de position sur le féminisme, sur la politique en France.
08:11Et c'était vraiment…
08:12Et donc, vous êtes féministe, et donc, ça veut dire quoi pour vous ?
08:15Et vous vous associez à quel mouvement ?
08:17Et quel est votre parti pris ?
08:18Est-ce que vous pensez que les hommes, etc. ?
08:20Et je me disais, mais quel est le rapport avec mon livre ?
08:23Et en fait, il n'y en avait aucun.
08:24Mais c'était, on veut avoir votre prise de position politique et féministe
08:29en tant que personnalité intellectuelle, en tant qu'écrivaine.
08:34Il y en a combien d'exemplaires, « Mon mari » aujourd'hui ?
08:36Aujourd'hui, « Mon mari », c'est 300 000 exemplaires vendus.
08:39Et quand je le dis, je n'y crois pas moi-même, mais c'est vrai, 300 000 exemplaires vendus.
08:43Ce qui est énorme pour un livre, et ce qui est encore plus énorme pour un premier roman.
08:46C'est ça, en termes de statistiques, c'est une anomalie statistique, c'est très très rare.
08:53Et pourtant, ça a été le destin assez exceptionnel de mon premier roman,
08:56et ça me rend vraiment très heureuse tous les jours.