• il y a 10 mois
"On va continuer à rire. On ne va pas donner ce pouvoir à nos agresseurs."
Avocate pendant 8 ans, elle a tout quitté pour devenir humoriste. Sur scène, Caroline Vigneaux fait rire, et parfois avec des moments douloureux de sa vie. Victime de viol, elle utilise la scène pour panser les blessures et "ne pas laisser un cauchemar l'anéantir". On l'a suivie dans les coulisses de son nouveau spectacle au théâtre Édouard VII, à Paris.

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Amusant
Transcription
00:00Depuis que je suis petite, j'ai toujours aimé faire, à l'époque on disait, faire son intéressante.
00:04Depuis que je suis enfant, je fais mon intéressante.
00:06J'aime faire rire les autres, j'aime prendre la parole en public, voilà, j'ai ce truc en moi.
00:10J'étais fatiguante.
00:11Caroline, chut, arrête, calme-toi, voilà.
00:14Et aujourd'hui, je peux faire ça, être exubérante sur scène.
00:17C'est pour ça que je suis devenue avocate au départ, je pense, parce que
00:20parmi les études qu'on m'avait imposées, ce qui se rapprochait le plus de ce que j'aimais.
00:25Attends, deux secondes, les étudiants du groupe, là !
00:28Bonjour, Brut, c'est Caroline Vigneault.
00:30Eh bien, venez avec moi, je vais vous emmener visiter le Théâtre Édouard VII
00:33dans lequel je joue mon nouveau spectacle, In Vigno Veritas.
00:36Allez, je vous embarque.
00:37Tous les soirs, il y a des nouvelles vannes, tous les soirs, il y a des trucs qui se disent
00:40« Ah, ça, ça marche moins bien comme ça, je vais essayer comme ça, comme ça. »
00:42Ce n'est pas comme un film, une fois qu'il est fini, ça part.
00:45Et même si après, tu te dis « Ah, c'est dommage, il y avait un défaut là. »
00:47Nous, on peut le corriger, mais tout le temps.
00:49Je crois que pendant toute la vie du spectacle, on réécrit, on modifie des choses.
00:52Donc tous les jours, je réécris.
00:53Là, j'ai deux, trois vannes qui sont nouvelles pour ce soir.
00:56On verra.
00:57J'ai changé de vie parce que j'ai réalisé qu'on n'avait qu'une seule vie
01:01et que même si le métier d'avocat, c'était chouette,
01:02ça ne suffirait pas à remplir la seule et unique vie que j'ai.
01:05Et qu'avant de mourir, parce que c'est ça la clé,
01:07il faut savoir qu'on va mourir et que du coup, tout est moins important.
01:11Et oui, on peut abandonner une carrière d'avocate alors qu'on ne devrait pas.
01:15La société ne veut pas, mes parents ne veulent pas, les autres avocats, mes clients,
01:18peut-être qu'ils étaient contents, je n'en sais rien.
01:20Mais je pense que beaucoup pensaient que j'allais me planter,
01:21que j'allais redevenir avocate.
01:23Ça, c'était le truc en me disant de toute façon, une fois que tu seras planté, tu reviendras.
01:26Et je disais un jour que je ferais l'Olympia et personne n'y croyait.
01:28J'ai mis six ans, en 2016, je suis montée sur la scène de l'Olympia
01:32et là, je sentais que les gens ont dit bravo et moi, surtout, je me suis dit bravo.
01:36Là, on arrive au Théâtre Edouard VII,
01:38mais pas par la grande entrée majestueuse que vous connaissez peut-être,
01:41si vous êtes déjà allés dans ce théâtre.
01:43On arrive par l'arrière, l'entrée des artistes.
01:45Le truc, il fait toujours rêver que quand tu le vois, tu fais
01:48Ah, mais quand même, c'est cool de passer par là,
01:50parce que ça veut dire qu'on y joue.
01:53Bienvenue.
01:54J'adore, il y a plein de rideaux rouges, comme ça, c'est un vieux théâtre.
01:58Regardez-moi ce bazar.
02:01Et hop, on rentre par là sur scène.
02:04Regardez ça, comme c'est beau.
02:07Allez, vous allez voir les loges des artistes.
02:10Ils sont magnifiques.
02:11Et attention, attention, voici Versailles.
02:14Oh, admirez quand même la vue, surtout Paris.
02:18C'est ma fenêtre préférée.
02:20On a le strict minimum, il y a même une douche
02:23qui sert...
02:25pas qui sert pas, mais qui existe, voilà.
02:28Ça, c'est le décor de la pièce après.
02:31Aujourd'hui, je suis au sommet de la montagne.
02:33Je garde la descente, je ne sais pas comment je vais faire pour descendre sans lui.
02:36Heureusement que c'est lui qui m'a appris à skier.
02:39Je me mets ici et j'entends les gens parler et j'entends l'énergie de la salle.
02:43Eux, ils ne me voient vraiment pas et moi, je l'écoute.
02:45Et je prends l'énergie, ça fait...
02:48comme ça.
02:49Et d'un seul coup, on lance la musique, le truc se relève et tout.
02:52Et là, je rentre sur scène.
02:53Et le moment le plus difficile, presque,
02:55c'est d'aller d'ici jusqu'au milieu de la scène,
02:56parce que là, c'est le premier contact avec les gens.
02:58Ta voix, elle est un peu...
02:59Moi, elle est souvent un peu serrée, parce qu'il y a un peu de...
03:02de trac, ça s'appelle comme ça.
03:03Et au premier rire, ça va mieux.
03:05Et là, on commence une partie de tennis, en fait.
03:07Du LSD.
03:09Et on chicle un peu tous les gentillons de toutes les drogues.
03:11Je trouve que quand tu es seule sur cette scène, face à tout ça,
03:14c'est complet, plein de gens.
03:15Il y a une angoisse réelle, en dehors de ça, de ne pas faire rire.
03:19Mais l'angoisse, c'est d'un seul coup, tu te dis
03:20« Oh, merde, c'est quoi la phrase d'après ? »
03:21Ça va faire neuf ans que tous les soirs, au moment où t'es sur scène,
03:25j'embrasse le texte et je le mets sur le côté là.
03:27Et je lui dis, c'est tout ce que je parle à mon texte, quand même.
03:30Me lâche pas.
03:31Il n'a pas prononcé le nom de mon père correctement une seule fois.
03:34Je pleurais de rire.
03:36Ma soeur était mortifiée.
03:38Moi, j'ai choisi de faire rire.
03:39Mais faire rire, ça ne veut pas dire ne pas aussi avoir des moments
03:43plus profonds, plus émouvants, plus différents.
03:45Très vite, j'ai voulu rendre hommage à mon père dans ce spectacle
03:48puisque, comme je l'ai expliqué quelques fois, malheureusement,
03:51papa, quand j'ai fait la première fois l'Olympia, n'est pas venu.
03:54Il m'avait dit que je viendrais au deuxième.
03:56Et en fait, il est mort avant.
03:58Donc, il n'est pas pu venir à l'Olympia.
04:00Et donc, il ne sait pas que j'ai produit un spectacle.
04:02Et il n'est jamais venu à Edouard VII.
04:04Si j'ai pu louer ce théâtre, c'est parce que c'est avec son héritage.
04:08Donc, en vendant la maison qu'on avait, dans mon histoire,
04:11j'ai passé le moment où ça y est, je peux en parler sans m'effondrer.
04:16Donc, j'avais envie de parler de lui et j'avais envie de dire aux gens
04:18qui traversent un deuil, on s'en remet, on peut rire.
04:22Et même si on ne s'en remet jamais vraiment,
04:24on apprend à vivre avec et on va rire à nouveau.
04:26Je suis sûre qu'il est là ce soir.
04:28Papa ? Papa, t'es là ?
04:33Tu parles d'agression sexuelle, de viol.
04:36Pourquoi tu as voulu mettre ça dans ton spectacle ?
04:38Est-ce que tu dis bien que tu ne l'avais dit à personne autour de toi ?
04:42Et pourquoi tu as voulu le dire sur scène, en fait ?
04:44Je n'avais pas envie d'être cataloguée comme la fille à qui c'est arrivé.
04:48Et puis, quand la lâcheté devient trop forte,
04:49je me dis qu'il faut que je le dise.
04:51Et à ce moment-là, je me dis, d'accord, mais comment je vais le dire ?
04:53C'est là qu'est venue l'idée d'en parler dans un spectacle
04:56où je maîtrise mes mots, je maîtrise la façon dont ça sort
05:00et tout ce que je dis, et c'est moi qui le fais comme je veux.
05:02Je me suis dit, ce qui serait encore mieux, c'est d'arriver à en faire rire.
05:05Ce qui va être très dur à l'écriture,
05:06et je crois que c'est le sketch le plus dur que j'ai eu à écrire,
05:09parce qu'en plus, il y a fait de bon.
05:10J'écris, donc je me souviens, j'écris tout ce qui m'était arrivé.
05:13Là, je le joue tous les soirs, donc tous les soirs, je revis mes agressions.
05:16Mais j'ai décidé d'en faire rire comme ça.
05:19Le message à laisser, c'était, ça ne nous détermine pas.
05:21Si ça vous est arrivé, ça ne vous détermine pas.
05:24On va en rire ensemble et on va continuer à rire.
05:27Et on ne va pas laisser un cauchemar nous anéantir.
05:28On ne va pas donner ce pouvoir-là à nos agresseurs.
05:31Au contraire, on va continuer à vivre et on va se battre et on va être heureuse.
05:35Et ça, c'est la plus grande leçon de vie.
05:37Et je le dis aux gens, moi, je suis heureuse.
05:39Malgré ce cauchemar, je suis très heureuse.

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